D’autres mondes, texte et mise en scène de Frédéric Sonntag

 ©gaelic69

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D’autres mondes, texte et mise en scène de Frédéric Sonntag

 Explorer les dimensions spatio-temporelles infinies, révélées par la physique quantique et la science-fiction… Un  projet ambitieux et passionnant. L’auteur-metteur en scène de B. Traven (voir Le Théâtre du blog)  dernier volet d’une Trilogie fantôme, dédiée à des personnages aux  identités brouillées, récidive.

Il croise les biographies fictives d’un physicien, d’un écrivain et de leur descendance, et attribue à chacun plusieurs vies, en partant de ce paradoxe : «Les vies  que nous n’avons pas vécues, les êtres que nous n’avons pas aimés, les livres que nous n’avons pas lus ou écrits, ne sont pas absents de notre existence. » selon le psychanalyste Pierre Bayard auteur d’Il existe d’autres mondes.

Jean-Yves Blanchot (Florent Guyot), un physicien français, prestidigitateur et trompettiste à ses heures, est-il un inventeur de génie récompensé par un prix  Nobel pour avoir résolu la mesure du temps dans la physique quantique ou bien un savant raté, confit dans l’alcool? Et Alexei Zinoviev (Victor Ponomarev) est-il un célèbre écrivain de science-fiction soviétique rescapé du Goulag et exilé en France, ou un astrophysicien reconnu par ses pairs ?

 Frédéric Sonntag donne à ces vies imaginaires une vraisemblance troublante, en les ancrant dans les différentes époques traversées, avec documents visuels, reconstitution d’émissions de Bernard Pivot, interview radiophonique… Il brouille aussi le temps en faisant revivre des personnages dans la mémoire de leurs rejetons, eux aussi ambigus: Anna Zinoviev (Fleur Sulmont), collapsologue ou cosmonaute en partance vers une exoplanète pour fuir une Terre moribonde ?  Antony Blanchot (Antoine Herniotte), chanteur en vogue, auteur de Black Matter ou compositeur au génie précoce mais réduit au silence et à la dépression ? 

D’autres mondes met en scène sur deux générations, ces quatre personnages principaux confrontés aux surgissements d’autres réalités, à l’intérieur de leur réalité propre… Un exercice vertigineux mené avec rigueur dans une dramaturgie éclatée où on navigue à vue, d’un espace-temps fictif à l’autre.  Les scènes dialoguées alternent avec le récit des narrateurs et les séquences, jouées simultanément, créent des ponts entre les années soixante-dix et deux mille, en passant par d’autres périodes.

Des images-vidéo d’actualité servent de repères dans cette chronologie bousculée. En prologue, pour nous guider, Jean-Yves Blanchot donne une conférence, à l’avant-scène, sur les particules élémentaires et leurs combinaisons virtuelles et indéterminées:  un problème mathématique insoluble qu’il applique à nos existences : « Ce soir, vous auriez pu ne pas être là. Vous auriez pu être coincés dans un embouteillage… » Pour preuve, en un  tour de magie,  il fait disparaître dans une boîte, le lapin blanc de la concierge. Clin d’œil  au chat de Schrödinger et au lapin d’Alice au pays de merveilles de Lewis Carroll… Relayé  quand le rideau se lève, par la musique planante de Jefferson Airplane, à la poursuite du White Rabbitt : leurs rocks psychédéliques et des airs des Beatles ponctueront le spectacle. Jouée par les comédiens, la musique opère cette ouverture du temps et des espaces poétiques. Car les personnages se rêvent aussi sous la plume romanesque de Frédéric Sonntag… 

 Avec cette mémoire chahutée entre passé et futur, il veut pointer du doigt l’amnésie qui guette notre société, coincée dans la jouissance du présent. Avec l’essayiste marxiste américain Fredric Jameson, auteur d’Archéologies du futur, plusieurs fois cité dans le spectacle, Frédéric Sonntag s’inquiète de notre incapacité à imaginer d’autres mondes possibles : « La société de consommation, la société des médias se caractérise par la perte du sens de l’histoire non seulement du passé mais aussi des futurs.  Ce qu’Herbert Marcuse appelait l’atrophie de l’imagination utopique, constitue un symptôme pathologique du capitalisme tardif. »

On sort heureux et stimulé de ces deux heures mouvementées. Les coutures entre les séquences et d’une partie à l’autre, sont parfois un peu lâches mais l’accompagnement visuel de Thomas Rathier et les arrangements musicaux de Paul Levis donnent une bonne tenue au spectacle dont l’écriture nous ravit. Les neuf comédiens excellent dans leurs nombreux rôles comme dans leur pratique du chant et de la musique. Malou Rivoallan, apparaît en Grace Slick, la chanteuse et leader du groupes Jefferson Airplane puis Jefferson Starship et Starship. Et l’harmonie règne sur le plateau.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 9 octobre, Nouveau Théâtre de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, Montreuil (Seine-Saint-Denis) T.01 48 78 48 90.

 Du 5 au 7 novembre, Théâtre de Sénart (Seine-et-Marne); les 16 et 17 novembre, La Snat 61 Alençon/ Flers/ Mortagne-au-Perche (Orne) ; les  21 et 22 janvier Points communs, nouvelle Scène Nationale de Cergy Pontoise (Val-d’Oise) et les 26 et 27 janvier, Le Grand R La-Roche-sur-Yon (Vendée)

 


Archive pour 25 septembre, 2020

Boule de suif, adaptation d’André Salzet et Sylvie Blotnikas, mise en scène de Sylvie Blotnikas

Boule de suif, adaptation d’André Salzet et Sylvie Blotnikas, mise en scène de Sylvie Blotnikas

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Après Le Joueur d’échecs d’après Stefan Sweig, Madame Bovary d’après Gustave Flaubert (voir Le Théâtre du Blog), l’acteur s’attaque à cette célèbre nouvelle. C’est l’hiver 1870; l’armée prussienne occupe Rouen et la région! Une diligence emmène des bourgeois qui veulent fuir la ville mais aussi deux religieuses qui doivent aller soigner des blessés, un révolutionnaire et une jeune prostituée rouennaise dite Boule de Suif.
Mais ils ont tous faim et n’ont rien emporté à manger. Généreuse, Boule de Suif, elle, a prévu et leur propose de partager  avec eux ce qu’elle a emporté. Et ils ne se feront pas prier  pour manger de sa terrine de poulet, déguster ses fromages et boire son vin rouge, même après avoir dit le pire sur elle.

Mais la nuit tombe, la diligence a bien du mal à avancer dans la neige et il faudra donc dormir à l’auberge d’un village occupé par l’ennemi. Un officier prussien retient alors les voyageurs en otage… à moins que -et le marché est clair- que  Boule de suif ne veuille coucher avec lui.
Ce qu’elle refuse obstinément mais qu’elle finira par accepter. Le voyage pourra ainsi reprendre mais les autres  ne lui en seront même pas reconnaissants et mépriseront  cette femme simple et généreuse. Guy de Maupassant (1850-1993) sait comme peu d’écrivains créer une petite galerie de personnages de sa Normandie natale comme les habitants de  Rouen dans Une vie ou Le Havre dans Pierre et Jean  ou des paysans  dans Aux champs, des petits notables bourgeois dans Une vie ou Pierre et Jean.  Mais aussi les Parisiens dans  Bel-Ami. Ce formidable auteur sait aussi parler de la guerre de 1870 -qu’il a vécue- dans Deux Amis, La Folle, etc., des femmes et en particulier, des prostituées qui vivaient dans les très nombreux bordels à Paris et en province. Comme Boule de suif mais aussi celles de La Maison Tellier ou de Mademoiselle Fifi.

Ici les personnages sont saisis au quotidien comme dans un reportage : ils attendent la diligence dans le froid puis voyagent serrés les uns contre les autres, épuisés par un long trajet dans la neige et la faim au ventre. Obligés d’habiter ensemble quelques jours à l’auberge, alors qu’ils ont peu de choses en commun… Et il y a aussi cette jeune prostituée qu’ils connaissent plus ou moins et qu’ils préfèreraient nettement voir ailleurs, que dans le confinement de cette diligence. Elle devient aussitôt leur tête de Turc.
Oui, mais voilà, elle a de quoi les nourrir et, comme ils ont  tous très faim, ils  acceptent enfin de lui adresser la parole. D’autant qu’il y une menace claire et précise : ils sont devenus les otages d’un officier ennemi. Il a tout pouvoir sur la généreuse Boule de suif qui n’entend pas se laisser faire, et donc sur eux. Et ils se sentent obligés d’être hypocritement aimables. Si elle ne cède pas aux exigences sexuelles de l’officier prussien, ils devront rester là même s’ils continuent à mépriser cette jeune pensionnaire d’un bordel de Rouen.

C’est la guerre mais, comme en temps de paix, l’hypocrisie des bourgeois et de leurs épouses, comme celle du clergé, est tout aussi florissante. Ils ne comprennent pas que Boule de suif refuse de coucher avec l’officier prussien: après tout, disent-ils, c’est son boulot. Et pour eux, elle n’a que ce qu’elle mérite: elle reste une pute. Ils ne lui seront même pas reconnaissants qu’elle ait finalement accepté de passer la nuit avec l’officier ennemi pour débloquer une situation sans issue. Le danger passé, le voyage reprendra mais les femmes, comme les hommes resteront aussi odieux et méprisants avec elle. Elle en pleurera, sans les émouvoir pour autant.

Guy de Maupassant (1850-1893) s’il était né cinquante ans plus tard, aurait été un formidable scénariste mais aussi dialoguiste de cinéma et ce n’est pas un hasard si nombre de réalisateurs ont adapté ses romans comme Une vie, Bel Ami, Pierre et Jean et ses nombreuses nouvelles dont Les Contes de la bécasse ou Le Horla et bien sûr, la plus connue sans doute, Boule de suif (1880).  L’adaptation qu’en ont tirée André Salzet et Sylvie Blotnikas est honnête mais sans doute un peu réductrice. Comment faire quand un solo ne peut guère durer plus d’une heure?

André Salzet, lui, est toujours le même bon conteur avec une belle présence et une impeccable diction. Oui, mais voilà: la direction d’acteurs est des plus médiocres! Pourquoi en effet ces allées et venues permanentes sur le plateau où il y a juste une petite table en bois inutile ? Pourquoi cette gestuelle hypertrophiée soulignant sans cesse le texte et qui tourne souvent à la gesticulation.
Cela parasite bien entendu le jeu de l’acteur, accoutré d’un curieux habit de bourgeois, vaguement d’époque mais vraiment laid… Tout cela est approximatif et ne sert en rien une nouvelle aussi exceptionnelle. Et cela fait-il théâtre, comme dirait Antoine Vitez ? Non, bien sûr…  La  dramaturgie est aux abonnés absents et on se balade constamment entre récit et amorce de véritable dialogue. Tout cela nuit à ce court spectacle, malgré encore une fois les qualités d’André Salzet.

Le théâtre actuel meurt doucement d’une inflation de monologues… A l’origine, il est né dans le roman pour dire un cheminement intérieur de la pensée mais on assiste depuis quelques décennies, comme à une revanche du roman et de la nouvelle, sur les plateaux de théâtre! Avec plus récemment, une extension aux correspondances amoureuses et aux récits d’une guerre quelconque (il y a de quoi faire malheureusement !), à des discours politiques ou syndicaux, plaidoiries, voire textes philosophiques: bref, tout est bon…  Stop au covid mais stop aussi au virus du monologue qui, surtout moins coûteux par les temps actuels, envahit encore plus les plateaux…

Qu’André Salzet prenne enfin son destin en main et soit moins frileux- il a la sensibilité et l’intelligence pour le faire- et abandonne enfin ces solos un peu scolaires, adaptés d’un roman ou de nouvelles de grands écrivains dont il s’est fait une spécialité. Et qu’il se fasse enfin diriger par un bon metteur en scène, avec un vrai texte de théâtre moderne ou contemporain et quelques acteurs complices. Comme dirait le marquis de Sade, allez André Salzet, encore un effort… Vous le méritez bien.

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire, 43 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris (VIème).

 

Marie des poules, texte de Gérard Savoisien, mise en scène d’Arnaud Denis

Marie des poules, texte de Gérard Savoisien, mise en scène d’Arnaud Denis

© Fabienne Rapeneau

© Fabienne Rapeneau

On ne connait plus très bie cette femme exceptionnelle que fut assez George Sand (1804-1870) née Aurore Lucile Dupin et mariée un temps au baron Dudevant. Elle a écrit quelque soixante-dix romans souvent situés dans le Berry comme La Mare au diable, François le Champi, La Petite Fadette. Et des contes, des pièces.. Elle a aussi été journaliste et s’est engagée politiquement en participant au lancement de: La Cause du peuple, Le Bulletin de la République, L‘Éclaireur. George Sand défendra les ouvriers et les pauvres dans Le Compagnon du tour de France. Mais c’était avant tout une féministe virulente dans une société française encore très conservatrice. Ne craignant pas de faire scandale avec une vie amoureuse très libre, fumant volontiers la pipe, portant des vêtements d’homme…

EhngnCYXgAIhSLc_block-socialnetworkElle écrit mais lit aussi beaucoup : Aristote comme Montesquieu ou Blaise pascal, Francis Bacon, Montaigne mais aussi Virgile, Dante ou Shakespeare. Et elle accueillera dans sa belle et grande maison de Nohant des compositeurs comme Franz Liszt et celui avec lequel elle eut une liaison pendant dix ans : Frédéric Chopin. Mais aussi des écrivains : Honoré de Balzac, Gustave Flaubert. Mais s’ils s’écrivèrent, curieusement, elle ne rencontra jamais Victor Hugo. Charles Baudelaire, lui, ne supportait ni l’écrivaine ni la femme et l’a écrit avec cruauté: «Elle n’a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a dans les idées morales la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues ». « Que quelques hommes aient pu s’amouracher de cette latrine, c’est bien la preuve de l’abaissement des hommes de ce siècle. »  George Sand a aussi écrit à la fin de sa vie plusieurs pièces de théâtre restées presque inédites de son vivant et à vrai dire, peu convaincantes…

Elle eut des amours multiples et se séparera de son alcoolique baron Dudevant. Puis elle aura une liaison avec un romancier Jules Sandeau dont elle portera une partie du nom. Elle aura de nombreux amants dont Alfred de Musset mais aussi Frédéric Chopin avec lequel elle eut une liaison pendant dix ans… Puis  elle rencontra le graveur et auteur dramatique Alexandre Manceau: elle a quarante-cinq ans et lui trente deux… Mais ses relations avec Maurice, le fils de George Sand sont houleuses et ce fils par jalousie et peur de la tuberculose dont Alexandre est atteint, le chassera de Nohant.  Cette vie est un roman foisonnant, sans doute plus passionnant que ceux qu’elle a écrit. Mais de là, à la faire vivre sur un plateau… Un pari presque impossible. Gérard Savoisien a essayé d’en tirer quelques images surtout centrées sur les relations qu’elle eut avec Marie, une très jeune servante berrichonne entrée à son service à onze ans et dite Marie des Poules, parce qu’elle était commise au travail du poulailler. Son fils Maurice la séduisit sans aucun scrupule et la retrouvait dans sa petite chambre sous les toits mais quand cela lui plaisait, alors qu’elle l’attendait chaque nuit après une journée de travail sans fin. Elle est évidemment très amoureuse de lui mais dans son milieu comme le fera remarquer vertement sa mère à Maurice, on ne se marie jamais avec une domestique. Il la quittera donc pour se fiancer avec une jeune fille de la grande bourgeoisie bien entendu sélectionnée par George sand… qu’il abandonnera aussi quand il  sut que son père était ruiné. Mais Marie deviendra la femme de confiance de George Sand qui lui apprendra à lire, à écrire et à interpréter ses pièces… Et elle lui fera rencontrer Alexandre Dumas fils, Eugène Delacroix, Nadar… Marie des poules, accèdera ainsi à tout un univers dont la petite bonne qu’elle était, aurait été radicalement exclue dans cette famille de la grande bourgeoisie..

La mise en scène d’Arnaud Denis manque de rythme mais est honnête, avec une belle idée : la maison de Nohant représentée par une grande maquette dont on ouvre la façade pour montrer les différents lieux de l’action. Béatrice Agenin joue brillamment à la fois Marie des Poules avec son accent berrichon et George Sand. Arnaud Denis, lui, interprète Maurice Sand mais ne semble pas vraiment à l’aise dans ce personnage de fils écrasé par sa mère et qui fit construire à Nohant un petit théâtre de marionnettes pour se divertir. (Cette vaste et belle maison se visite.) Mais le jeu en abyme de marionnettes représentant parfois les personnages sur le grand plateau du Montparnasse, ne peut pas fonctionner. Il y a quelques bons moments : entre autres, quand Maurice annonce à Marie qu’il va la quitter. Mais la dramaturgie comme les dialogues sont bien faiblards !

Reste encore une fois l’exceptionnelle interprétation de Béatrice Agenin, dans un quasi-monologue, de ces personnages de femmes que tout à la fois oppose: âge, éducation et classe sociale mais qu’une même revendication féministe réunit.

Philippe du Vignal

Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaité, Paris  (XIV ème). T. : 01 43 22 77 74.

 

 

Diane Selfportrait de Fabrice Melquiot, mise en scène de Paul Desveaux

Diane Selfportrait de Fabrice Melquiot, mise en scène de Paul Desveaux

 

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage


Ça commence avec les caresses de guitare de Michael Felberbaum, et avec la double et belle image d’un corps de femme dans une baignoire, présente sur le plateau et en grande image en fond de scène. C’est la matrice de cette histoire : le suicide de la photographe Diane Arbus, à quarante-huit ans,  en 1971. Alors la narration peut commencer. Des moments de vie: rencontre entre Diane, quatorze ans et son futur mari,  bras de fer avec sa mère, éloignement de la photo de mode et du glamour pour aller vers les marginaux, les êtres à part et surtout une méthode de travail : rencontrer son sujet. On n’a pas dit objet : un portrait se produit à deux.

Anne Azoulay, qui porte la figure de Diane sur ses épaules, le fait remarquablement. Engagée, exigeante et sérieuse, sans y perdre en vitalité. Quand elle interpelle la salle, scrutant tel ou tel spectateur à la recherche d’un “sujet“, elle a toute l’obstination et l’impatience de l’artiste en pleine création : je pressens ce que je veux voir, ce que je veux faire, mais il faut que cela advienne et que cette rencontre ait lieu.  Et je n’en suis pas maîtresse… Finalement, l’actrice fait venir des gradins l’artiste Jean-Luc Vern qui prêtera son corps tatoué à une nouvelle et élégante performance.

Les autres duos sont tout aussi forts : avec Paul Jeanson (Allan Arbus) qui commence par danser son rôle, puis avec la grande et puissante Catherine Ferran, sociétaire honoraire de la Comédie Française, dans le rôle de sa mère et l’énigmatique et paradoxalement discrète Marie-Colette Newman, vedette de cabaret aux jambes interminables, pailletée et perruquée,  jouant les humbles dames de compagnie.

Acteurs impeccables, belle scénographie et musique en partie improvisée de Vincent Artaud et Michael Felberbaum, à la bonne distance de l’émotion : à ce troisième volet de la  trilogie américaine de Paul Desvaux et de son équipe, après un premier volet sur Jackson Pollock et un deuxième sur Janis Joplin, il ne manque rien… Sinon peut-être une chose: le spectacle reste à l’abri. Diane Arbus, quittant le monde luxueux de la mode, allait chercher dans les rues de New York, une vérité toujours inaccessible, une effraction. Un visage, une personne, une ombre, qui ouvrait sur de l’inconnu, sur quelque chose ayant à voir avec la douleur. En noir et blanc et au format: 6x 6, pour commencer.

Le titre du spectacle devrait être Portrait de l’artiste en Diane. Fabrice Melquiot et cette personne vivante qu’est  une troupe ont cherché en Diane Arbus l’esprit créatif d’une époque, mais aussi, avec admiration, le carburant de leur création : l’insatisfaction -qu’il faut bien finir par mettre de côté- d’un travail repris encore et encore et la probité d’un regard.  Mais en restant sur la terre ferme. Diane Arbus, comme Janis Joplin, a trop bien incarné le danger qu’il y a, à chercher la faille…

Parallèlement à cette création et pour tenir le pari des Plateaux Sauvages, Paul Desvaux et la photographe Pauline Le Goff ont animé un atelier sur le portrait pour une dizaine de volontaires du quartier. À l’heure des selfies, ces miroirs déformants, cela vaut la peine d’y réfléchir en s’inspirant de ce qu’il y a de fondamental dans l’œuvre de Diane Arbus : le portrait d’une personne comme fruit d’une rencontre. Le “sujet“ donne autant que le photographe. Sinon l’étincelle et la profondeur manquent à l’image. Le pari des Plateaux Sauvages : que des ateliers partagés entre artistes et population créent cette rencontre. On oublie le mot : animation. Il n’est pas vilain en lui-même mais il a été dévalorisé. Et on revient à un autre qui fait encore plus peur : « éducation populaire ». Chiche ! Le but n’est pas seulement de former un public pour le théâtre ou si l’on veut : une clientèle mais de le rendre plus actif et de faire en sorte qu’il donne envie d’ouvrir les yeux. « Y a qu’à », dirait Sisyphe mais Albert Camus nous rappelle qu’il faut l’imaginer heureux…

Christine Friedel

Les Plateaux Sauvages, fabrique artistique et culturelle de la Ville de Paris, 5 rue des Plâtrières, Paris (XX ème) jusqu’au 9 octobre. T. 01 83 75 55 70 

                                         

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