Congo Jazz Band de Mohamed Kacimi, mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté

  Limoges Les Zébrures d’automne / Les Francophonies, des écritures à la scène

 

© D.R.

© Christophe Péan

Congo Jazz Band de Mohamed Kacimi, mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté

 «L’histoire de ce pays est le terrible condensé de toutes les horreurs subies par l’Afrique, dit l’auteur. L’exploitation coloniale du Congo belge a fait cinq à huit millions de morts ! Un holocauste oublié, œuvre du roi des Belges, Léopold II. » Mohamed Kacimi, par le biais du Congo, a en mémoire le passé de son Algérie natale, jusqu’aux affres que traverse aujourd’hui son pays: «Je voulais faire ni dans le réquisitoire, ni dans la lamentation, ni dans la culpabilisation et rire de cette tragédie qui fait pleurer. »En situant sa pièce au présent et en confiant la narration aux interprètes, il établit une distance critique.

Trois comédiens et trois musiciennes se chargent de mettre en scène l’action. Ponctuées de musiques et de commentaires, des saynètes édifiantes reconstituent les principaux épisodes de la colonisation du Congo, depuis l’achat de cet immense territoire : un quart de l’Afrique centrale! par le roi des Belges, jusqu’à l’indépendance et à ses suites tragiques. Ces vignettes, images d’Épinal décalées, caricaturent les colonisateurs. Marcel Mankita joue avec finesse un Monsieur Loyal qui énonce dates et lieux des faits et  met ses partenaires en situation: une veste d’uniforme suffit à Criss Niangouna pour devenir un Léopold ll rêvant «d’être le Pharaon du Nil». En short kaki et chaussettes longues, Abdon Fortuné Koumbah campe un Henry Morton Stanley corrompu, chargé de l’acquisition du Congo.  On assiste à une scène de ménage entre le roi des Belges et son épouse, la reine Marie-Henriette (Alvie Bitemo) qu’il abhorre. Puis on évoque l’exploitation éhontée des Congolais soumis aux travaux forcés dans les forêts d’hévéa par des mercenaires. Les mains coupées des «nègres» qui ne récoltent pas dix kilos de caoutchouc par mois : une peccadille pour Léopold ll qui estime poursuivre une œuvre civilisatrice avec les missionnaires chrétiens… Sur les lieux, la télévision filme les événements commentés par une journaliste «objective » (Dominique Larose). Une parodie un peu appuyée de nos médias: «J’ai senti, dit l’auteur, la nécessité d’introduire B.F.M. pour arracher l’histoire au passé. » 

Hassane Kassi Kouyaté dirige ses interprètes congolais dans le style du kotéva, un théâtre traditionnel de son pays où tous les registres sont sollicités. Très à l’aise, les acteurs chantent et dansent, les musiciennes jouent aussi la comédie. Entre deux chansons, ils se partagent les rôles et présentent une farce de tréteaux. Mais, dans la deuxième partie, après les réjouissances de l’Indépendance, changement de ton : le destin tragique de Patrice Lumumba (1925-1961), Premier ministre de la République démocratique du Congo, devient le symbole de la révolution avortée.  Et son assassinat dont le récit est glaçant, symbolise la violence postcoloniale. Incarné par Marcel Mankita, le personnage apparaît ici beaucoup plus complexe que ne le voudrait le mythe. Et sa lettre à sa femme Pauline clôt la représentation avec une note d’optimisme un peu amère.

 Fruit d’une commande passée l’an dernier par Hassane Kassi Kouyaté, le nouveau directeur des Francophonies, la pièce a quelque chose d’un divertissement populaire. Après avoir adapté Congo, une histoire, un roman-fleuve de David Van Reybrouk, Mohamed Kacimi, faute d’avoir obtenu les droits de représentation, est reparti de zéro et, s’inspirant d’une vaste documentation, a écrit cette pièce en fonction de la distribution, « au plus du corps et de la voix des comédiens ». Un texte sur mesure, mais jamais construit à partir d’improvisations au plateau :  «tout est fixé, jusqu’aux silences».

De son côté, le metteur en scène s’appuye sur la mémoire musicale du Congo. «Nous connaissions toutes les chansons, dit Marcel Mankita.» De Mario (1985), célèbre rumba de Franco Luambo Ndzembella, au fameux Indépendance Cha Cha (1960) de Grand Kallé  sont chantées dans les trois langues principales du Congo : lingala, tshiluba et kikongo, en passant par L’Esclave de Papa Wamba et Plus rien ne m’étonne, un reggae cette fois en français de Tiken Jah Fakoly. Ces airs jazzy apportent la légèreté du cabaret sans confisquer le sérieux d’une démarche historique.

«En France, on est dans la cécité, persuadé que la colonisation a été positive et civilisatrice, dit Mohamed Kacimi. On n’en était pas encore au débat sur déboulonnage des statues quand j’ai commencé à écrire. Tous les violeurs du monde pensent avoir fait plaisir à leur victime. Vous fait-on fait jouir avec cent trente ans de colonisation ? » Ce spectacle d’un humour décapant, d’une grande précision et beaucoup de finesse aborde des questions toujours actuelles. La comédie est une arme redoutable que d’aucuns jugent dangereuse,  jusqu’à assassiner les fauteurs de rire. Congo Jazz Band contribue, dans la bonne humeur, à un travail de mémoire devenu urgent.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu à l’Opéra de Limoges, le 26 septembre. Les Zébrures d’automne/ Les Francophonies, des écritures à la scène, jusqu’au 3 octobre, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne) T. : 05 55 33 33 67.

Du 5 au 20 octobre, Tropiques Atrium, Fort-de-France (Martinique) et L’Artchipel Basse-Terre (Guadeloupe).
Du 20 octobre au 3 novembre, Les Récréâtrales, Ouagadougou (Burkina Faso).
Le  1er décembre, Scènes de territoire-Agglomération du Bocage Bressuirais, Bressuire (Deux-Sèvres) ; 4 décembre, Scène Nationale du Sud-Aquitain, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques)  ; 12 décembre, Passage(s), Metz (Moselle); 7 janvier ; Le Manège, Maubeuge (Nord)

 Congo Jazz band est publié à l’Avant-Scène Théâtre.

 

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