Femmes années 50. Au fil de l’abstraction, peinture et sculpture
Femmes années 50. Au fil de l’abstraction, peinture et sculpture
Encore pour un mois pour aller voir au musée Soulages à Rodez cette importante exposition consacrée aux femmes artistes de cette époque. Moins connues sans doute du grand public que les hommes qui ont été parfois aussi leurs hommes mais tout aussi talentueuses… Déjà aux Etats-Unis se tenait en 1951, la Ninth Street Show où figuraient Joan Mitchell, Grace Hartigan, Elaine de Kooning et Helen Frankenthaler. Dans L’Autre moitié de l’avant-garde 1910/1940, un livre publié aux Editions des femmes, suivie d’une exposition en 1980 en Italie, la critique d’art Lea Vergine voulait que l’on découvre la «moitié suicidée du génie créateur de ce siècle». Et il y a onze ans, au Centre Georges Pompidou, Elles, une importante exposition d’artistes femmes, avait accueilli plus de trois millions de visiteurs. Ici, on trouve, très bien présenté, un ensemble exceptionnel de plus de quelque soixante-dix œuvres provenant de prêts: artistes, collectionneurs, galeries, musées nationaux et régionaux français et étrangers …
Cette rétrospective de quarante-trois représentantes de l’abstraction des années cinquante rassemble surtout des œuvres de peintres et aussi de quelques sculptrices. Soit des classiques de l’art moderne qui ont toutes compté dans ce mouvement de l’abstraction lyrique et géométrique. Quelques-unes d’entre elles comme Pierrette Bloch, Colette Brunschwig ou Lalan ont côtoyé Pierre Soulages et eu la même passion pour le noir.
L’exposition s’ouvre sur deux des Rythmes colorés (1958 et 1959-60) de la célèbre Sonia Delaunay, première femme à avoir eu, de son vivant, une rétrospective au Louvre en 1964 ! Toujours dans l’abstraction et la couleur, le magnifique Navire Argo (1957) d’Aurélie Nemours que l’on retrouve sur l’affiche et la couverture du catalogue. Une œuvre que l’on pourrait rapprocher des huiles sur toiles Nil (1959) et Slalom (1960) de Geneviève Claisse. L’abstraction géométrique, plus architecturale est ici représentée par de magnifiques œuvres de Marcelle Cahn: Abstrait linéaire (1954) et XIXème peinture relief (1961) Côté abstraction lyrique, La Digue, une huile (1953) de la Portugaise Vieira da Silva, les remarquables Encres et lavis de Pierrette Bloch mais aussi les huiles sur toile de Lalan, proches par une certaine calligraphie, de celles d’Ida Karskaya.
Et on peut voir aussi des œuvres de l’Américaine Joann Mitchell, plus tournée vers l’expressionnisme abstrait et qui a longtemps vécu en France où elle est morte. La sculpture semble être moins l’affaire des femmes artistes mais celles ici présentées sont remarquables comme Sans titre, une œuvre imposante en fils de cuivre (1957) de Claire Falkenstein ou à côté Le Teck (1956), une sculpture de Marta Pan. Particulièrement intéressante pour les amateurs de danse, une vidéo de la pièce homonyme de Maurice Béjart créée au festival d’avant-garde à Marseille (1960) où, sur le toit de la Cité radieuse de Le Corbusier, Michèle Seigneuret dansait autour et avec cette grande sculpture. Il y a aussi d’Alicia Penalba Chrysalide (2) et des Totems de Juana Muller, l’un en bronze 48-50 et l’autre en chêne (1949- 1951), et Le Faune (ciment et pierre) (1956) de Simone Boisecq. Le dépliant Le Petit journal femmes années 50 résume bien les notions d’art abstrait, d’abstraction géométrique et lyrique : ce qui rend l’exposition facile d’accès aux non-initiés ; on y trouve aussi de courtes biographies mais dommage, pas de toutes les artistes!
Le milieu parisien des années cinquante -une époque passionnante- réunissait nombre d’écrivains et artistes sur lesquels on a ici un point de vue nouveau. Mais une exposition sur les femmes artistes qui ont fait partie d’un mouvement ou d’une époque, peut à la fois servir et desservir la cause féministe. Et en les rassemblant uniquement pour leur genre, on tomberait facilement dans un discours réducteur et sexiste. Ce que à quoi échappe heureusement Femmes années 50 où les difficultés qu’elles ont pu rencontrer dans la vie et dans leur carrière sont ici présentées, sans être surévaluées. A lire le remarquable catalogue, les rassemble ici, plus un statut socio-économique, qu’un genre: « Etre une vraie artiste, c’est gagner sa vie avec la peinture, participer aux manifestations artistiques, enseigner même, en un mot: relier l’économique au culturel » écrivait Marie-Jo Bonnet, spécialiste de l’histoire des femmes également citée dans le catalogue, dans Les Femmes artistes dans les avant-gardes (Paris, Odile Jacob, 2006).
Un coup de cœur pour les peintures de Marcelle Loubchansky aux grandes plages de couleur lumineuses (1954 et 1960) et pour Lettre sans réponse (1956) d’Ida Karskaya. Un peu comme Judith Reigl, avec ses Écritures en masse et Jeanne Coppel avec Composition (1960), elle semble créer sa propre calligraphie pour exprimer une certaine violence. Cette magnifique exposition est aussi un hommage à Pierre Soulages qui a eu la volonté de faire découvrir le travail de ces femmes artistes.
Joséphine Yvon
Jardin Foirail, avenue Victor Hugo, Rodez (Aveyron)
Tous les jours de 10h à 18h. 11 euros ; visiteurs handicapés et accompagnateur : 7 euros
.Moins de 18 ans, étudiants, demandeurs d’emploi, allocataires du RSA, titulaires du minimum vieillesse : gratuit. Le billet d’entrée est aussi valable un mois dans les trois musées de Rodez.