Le Nez de Nicolas Gogol adaptation et mise en scène de Ronan Rivière ( tout public à partir de huit ans)
Le Nez de Nicolas Gogol, adaptation et mise en scène de Ronan Rivière (tout public à partir de huit ans)
Cette nouvelle du grand écrivain russe (1836) fut d’abord refusée comme «sale et triviale» par L’Observateur moscovite mais sera publiée par la revue Le Contemporain avec une présentation d’Alexandre Pouchkine. C’est l’histoire d’un barbier de Saint-Pétersbourg Ivan Iakovlievitcht dont on a perdu le nom de famille. La soirée de la veille a été trop arrosée et il découvre un nez dans le pain du petit-déjeuner qu’il prend avec son épouse. Elle va viteordonner de s’en débarrasser… Et un autre habitant, le major Kovalev constate en effet que son nez a disparu. Malgré ses démarches, il n’arrive pas à le récupérer. Et ni la police ni la médecine ne pourront faire grand-chose. Il le croisera dans la rue, dans un bel uniforme brodé d’or… Finalement le fameux nez déambulant sera arrêté par la police mais impossible de le remettre en place. Kovalev pourtant se réveillera avec ce nez en plein milieu du visage. Dans cette farce comme dans d’autres Nouvelles de Pétersbourg, Nicolas Gogol critique avec un humour acide mais aussi avec fantaisie, la vie de cette capitale avec ses taudis et à côté, ses beaux quartiers aux somptueux palais, et en même temps, une bureaucratie russe omniprésente.
Cela dit comment rendre cette verve et cet humour sur un plateau de théâtre? « La politique, c’est comme le théâtre, cela travaille un matériau périssable, toujours fuyant ; le Temps est son étoffe. » écrivait déjà Antoine Vitez en 1986.
Le metteur en scène avoue qu’il a réécrit « des pans entiers en m’inspirant de la lecture des autres œuvres de Gogol mais aussi de textes de Pouchkine et Tourgueniev, pour construire une adaptation personnelle, en tentant néanmoins (lapsus révélateur !!! qui aurait bien plu à feu Jacques Lacan) de rester au plus proche de l’histoire, de sa langue et de son humour. » Déjà le mot: réécriture fait froid dans le dos surtout quand il s’agit d’un superbe écrivain comme Nicolas Gogol . Et c’est toujours la même et pauvre histoire du passage d’un roman ou d’une nouvelle, à un plateau : cela fonctionne rarement. Et ici, il y a déjà une erreur de base : un petit pont mais encombrant sur cette petite scène avec un escalier, des arcades et de hauts réverbères. Non, cette très médiocre scénographie n’évoque pas, comme le croit un peu vite le metteur en scène, « la Venise russe comme on nomme Pétersbourg ». Selon lui « la patine et l’érosion reflèteraient le vernis craquelant de la haute société et l’usure des moujiks. Et une toile peinte de brume d’été donne une profondeur à l’image». Tous aux abris ! Et comme Ronan Rivière demande à ses six acteurs de trimbaler sans arrêt ce pauvre pont monté sur roulettes, cela tient du déménagement permanent, dessert sa mise en scène et parasite une direction de jeu faiblarde et sans aucun rythme.
Dans ces conditions, à l’impossible nul n’est tenu! Les acteurs aient du plaisir à jouer ensemble selon Ronan Rivière: peut-être et tant mieux mais en quoi cela nous concernerait quand le résultat n’est pas là? Même si, comme il le dit avec une certaine prétention et en s’envoyant des fleurs : «Le jeu collectif enthousiaste oscille entre la virtuosité du cirque et la maladresse de la farce. » Bien entendu, on ne perçoit rien de tout cela. Tous les comédiens surjouent et il y a de la criaillerie et dans l’air, puisqu’ils portent tous un port du masque anti-covid, ce qui n’arrange rien. Quant à la musique permanente de Léon Bailly, lui-même au synthé «s’amusant aussi à construire des harmonies pour les déconstruire ensuite», elle a quelque chose d’intrusif et ne sert en rien la dramaturgie. Bref, réécriture maladroite, scénographie, jeu et mise en scène, lumières «ambiance printanière et douce, filtrée et solaire » (sic) et musique : rien ici n’est vraiment dans l’axe et ces soixante-quinze minutes sans unité d’un théâtre style années cinquante, pour reprendre l’expression de notre amie Christine Friedel, distillent vite l’ennui. Le fantastique, la spontanéité et la folie du jeu, le comique et la virtuosité gestuelle participent, pour que le spectacle soit réussi, d’une grande exigence artistique. Ce qui est loin d’être le cas ici !
Vous aurez compris que vous pouvez vous abstenir et relire calmement Nicolas Gogol et Pouchkine chez vous. Mais on se demande comment et pourquoi ce travail est arrivé jusque là. La nouvelle direction du Théâtre 13, en ces temps pour le moins troublés où le public, pas très rassuré, ne se précipite pas dans les salles, aura tout intérêt à proposer des spectacles, comique ou pas, nettement plus rigoureux.
Philippe du Vignal
Théâtre 13 Jardin, 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris ( XIII ème) jusqu’au 11 octobre.