Berck Plage, conception, texte et interprétation de Mélanie Martinez Llense

Berck Plage, texte et interprétation de Mélanie Martinez Llense

Le Nouveau Gare au Théâtre à Vitry-sur-Seine dans la banlieue de Paris est maintenant dirigé par Diane Landrot et Yan Allegret qui ont voulu donner un nouveau visage au hall d’accueil: éclairé par de longues guirlandes à la lumière chaleureuse. Au-dessus, une salle a été aménagée pour recevoir des auteurs. » Toute personne, disent-ils, qui a un projet d’écriture pourra venir dans cet espace gratuit, protégé et bienveillant, à quelques mètres du plateau. Pour que des textes de théâtre s’écrivent et qu’aient lieu des rencontres avec ceux qui fabriquent le théâtre. Et des rayonnages accueilleront livres et manuscrits de théâtre voire de poésie, qu’ils soient publiés ou non: seule petite condition pour venir travailler ici.» Un des premiers spectacles a lieu dans la salle maintenant nommée Yoshi Oïda comme le rappelle une plaque de cuivre au-dessus de la porte. Cet acteur et metteur en scène de théâtre et d’opéra né en 1933 est l’un des principaux collaborateurs de Peter Brook. Il a aussi écrit trois bons livres: L’Acteur flottant L’Acteur invisible et L’Acteur rusé. L’autre salle porte le nom de Claudine Galea, journaliste, écrivaine et dramaturge qui écrit aussi des romans et des textes pour la radio. Elle a reçu en 2011 le Grand prix de littérature dramatique pour Au bord et l’an passé, a  été lauréate du Grand Prix de littérature dramatique  jeunesse pour Noircisse.

Le programme de cette saison comprend à la fois des créations théâtrales, performances, concerts, ateliers, etc. On ne dira jamais assez que le théâtre contemporain a, et plus que jamais en ce moment, besoin de ce genre de laboratoires. Improductifs et coûteux, diront certains… Mais comme la musique, les arts plastiques ou la recherche en chimie, le théâtre a aussi besoin d’expérimentations ! Indispensable pour l’avenir… Comme le passé du théâtre l’a souvent prouvé.  avec entre autres, fondé par Louise Lara et son mari, l’architecte Edouard Autant;  qui  fondèrent il y a déjà un siècle le fameux Laboratoire de théâtre Art et Action sur un très petit plateau, rue Lepic à Montmartre. Ils l’animèrent jusqu’en 1939 : d’une guerre à l’autre! Avec une tendance à limiter la place de l’acteur et à privilégier l’adaptation d’œuvres non conçues à priori pour la scène et d’autres moyens d’expression comme la marionnette, les mannequins, les ombres… Et ils y créèrent aussi des lectures-spectacles: toutes choses révolutionnaires à l’époque! Participèrent à ce laboratoire notamment de jeunes inconnus comme… Eugène Ionesco et Nicolas Bataille, le créateur de La Leçon et de La Cantatrice chauve et grand  praticien du théâtre d’ombres.

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Un des premiers spectacles de le rentrée est donc cette performance théâtralisée ou ce théâtre aux airs de performance, Dieu reconnaîtra les siens… Ce soir-là  la majorité du public était jeune, ce qui est fort bon signe alors que dans les grandes structures nationales, la couleur des cheveux du public n’est pas la même. Mélanie Martinez Llense avait lu dans Libération un article sur le procès en assises de Fabienne Kabou. Cette jeune Sénégalaise qui préparait soi-disant une thèse de philo sur Wittgenstein (mais cela s’est avéré faux), habitait à Saint-Mandé avec son mari Michel Lafon, un sculpteur plus âgé qu’elle de trente ans. Le 19 novembre 2013, elle est allée en train jusqu’à Berck (Nord). Elle a pris un hôtel puis donné le sein à Adélaïde, son bébé et l’a déposé sur le sable de la plage à la marée montante. Un pêcheur de crevettes a trouvé son corps le lendemain. Entre temps, la jeune femme est rentrée dormir: “J’ai passé une excellente nuit, a-t-elle-dit à l’hôtelier.» Avant de revenir chez elle à Saint-Mandé en cachant à son mari, la disparition de leur fille. Sur son Journal intime, elle avait écrit à cette date : «Rien».  

“Dans l’espace ouvert entre le geste de l’infanticide et ce  rien», dit Mélanie Martinez Llense, j’ai eu envie de mettre en scène, de raconter l’histoire qui s’est imposée à moi. J’ai dévoré la chronique judiciaire autour de Fabienne Kabou; chaque épisode dessinait un portrait complexe, les versions aussi multiples que les voix qu’elle dit entendre, telle une cohorte d’Erinyes qui lui ordonnent selon elle, de tuer son enfant. (…) Fabienne Kabou dira d’ailleurs qu’elle n’a pu arrêter son geste d’abandonner son enfant, parce que la mise en scène était trop parfaite. (…) Le nom de Berk choisi, parce qu’il était le nom le plus sinistre et laid qu’elle ait pu trouvé… »
Un fait divers tragique sur fond de sorcellerie mais plus sans doute, de schizophrénie. La jeune femme donnera plusieurs versions de cette tragédie personnelle, dira avoir été «maraboutée » et être poursuivie par des femmes de sa famille en colère et jalouses: «Quelqu’un a tué mon enfant avec mes mains et je veux savoir qui c’est. » Mélanie Martinez Llense a eu envie d’en faire un spectacle et a rencontré notamment les experts psychiatres convoqués au procès, l’avocate Fabienne Roy Nansion…

L’histoire a de quoi fasciner, puisqu’on a le plus grand mal à entrevoir les raisons profondes de cet infanticide. Et, après un premier procès en 2016 à Saint-Omer où l’avocat général avait, pour cet acte commis avec «une précision d’orfèvre», demandé dix-huit ans de réclusion criminelle… Moins que les jurés! Alors que cette jeune mère croyait, dit-elle, avoir sauvé son enfant d’un sort pire que la mort. Selon la justice, elle est responsable de cet acte volontaire mais selon les psychiatres, références culturelles sénégalaises et fonctionnement magique sont secondaires et cette jeune femme était atteinte de psychose délirante. Peut-être une conjugaison des deux? Condamnée à dix-huit ans de réclusion criminelle, elle fera appel… Aux assises de Douai, un psychologue conclura à sa responsabilité mais pour la psychiatre Maroussia Wilquin, Fabienne Kabou est une malade mentale dont la peine doit être allégée. Elle-même dira : « Je n’ai jamais nié être malade. Ce que je dis, c’est qu’il y a autre chose. Et ce n’est pas refuser la maladie que de dire ça.»  Elle sera cette fois condamnée à quinze ans. Il y aura sûrement des remises de peine mais était-ce vraiment le bon choix? Que lui apportera un si long enfermement? Et si on essaye de transposer cette lamentable histoire dans un pays africain comme, entre autres, le Bénin où nous avons vécu, il est presque certain que l’accusée aurait dû être seulement soumise à une obligation de soins… Et question: cette tragédie aurait-elle pu avoir lieu dans ce type de société? La riche Europe peut, elle, s’offrir le luxe de garder quelqu’un en prison pendant quinze ans mais les pays africains n’en ont les moyens.

Capture d’écran 2020-09-20 à 17.10.25Mélanie Martinez Llense n’a pas voulu traiter du crime en lui-même mais essayer de montrer qu’un jugement dépend avant tout d’un code de lois appartenant à une culture. « Il s’agira alors ici d’investiguer (sic) par le jeu, par la scène, par la mise en commun avec le public, la perception de ce que nous appelons «rationalité » et dialoguer avec l’inexplicable, à partir de ce gouffre ouvert entre ce geste de l’infanticide et ce «rien ».  Sur un grand plateau noir, une chaise, c’est tout et au lointain, un grand rideau blanc. Côté cour des voitures miniatures électriques télécommandées qui projetteront des phrases de complément au récit que Mélanie Martinez Llense va d’abord faire: c’est un poil long mais assez réussi sur le plan visuel. Pour la reconstitution des faits et le procès, elle fait participer les spectateurs,  en leur demandant de figurer l’avocat général, le juge, l’avocat de la prévenue, son  mari, etc. Mais ces interventions trop brèves d’à peine une minute et ces allers et venues parasitent l’évocation de cette tragédie située à mi-chemin entre la performance et une mise en scène classique de théâtre. Côté démonstration, on est loin du compte et côté théâtre, l’ensemble  a quelque chose d’un peu sec et clinique

Plus convaincants, les moments où des intervenants choisis dans la salle doivent lire leur texte projeté en fond de scène façon karaoké et cela mais avec un résultat inégal: le théâtre dit participatif a des limites! Et elle fera aussi appel à une spectatrice âgée pour le rôle de sa  mère… En fait, sa véritable mère. Là, enfin, il se passe quelque chose d’émouvant. A la fin, elle déploiera au sol un grand rideau blanc qu’elles et sa maman tireront alternativement pour faire des vagues. Un vieux procédé qui marche à tous les coups… mais assez réussi.

Le programme indique seulement que l’assistanat à la mise en scène est assuré par Claire Lapeyre Mazerat, au demeurant très bonne actrice et chanteuse qu’on avait pu voir longtemps dans la célèbre comédie musicale Cabaret  de Bob Fosse. Malgré de bonnes intentions, tout ici est approximatif et il n’y a guère d’exigence artistique. Aucune mention de l’auteur de cette mise en scène: en effet il n’y en a pas! Longueurs, manque de rythme, participation du public mal réglée et absence de direction d’acteurs…  Et il faudrait aussi absolument que Mélanie Martinez Llense prenne des cours de diction : on la comprend très mal!  Parler correctement est le minimum syndical qu’on peut demander à un(e) artiste quand il dit un texte sur un plateau pendant plus d’une heure ! Là est le très grave défaut de ce spectacle. On veut bien que la D.R.A.C. ait soutenu ce projet mais qu’en pensent ses experts? D’autant plus que Mélanie Martinez Llense n’est plus une débutante… Bref, un projet en cours qui mériterait d’être mis en scène et dirigé; et là, on est encore loin du compte ! Allez au boulot…

Philippe du Vignal 

Spectacle vu le mardi 29 septembre à Gare au théâtre 13 rue Pierre Sémard, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. :01 43 28 00 50.

Les 6, 7 et 8 octobre Théâtre de Vanves ( Hauts-de-Seine).

Les 14 et 21 novembre, La Ferme du Buisson, Noisiel ( Seine-et-Marne).

 


Archive pour 1 octobre, 2020

Moi, Jean-Noël Moulin Président sans fin de Mohamed Rouabhi, mise en scène de Sylvie Orcier

Moi, Jean-Noël Moulin Président sans fin de Mohamed Rouabhi, mise en scène de Sylvie Orcier

 Un monologue insolite et poétique pour son complice Patrick Pineau. Avec  Moi, Jean-Noël Moulin Président sans fin l’auteur raconte l’histoire d’un homme qui, depuis une trentaine d’années, vit reclus dans les bois, seul avec son chien. Une nuit, il apprend à la radio que l’avion transportant le Président a percuté la montagne. Une aventure pour l’errant, un rêve et une occasion inouïe de dire son fait au monde. Ce personnage d’ermite (Patrick Pineau seul en scène) est perdu au milieu de nulle part, après cette catastrophe d’un futur proche. «Il est, dit-il, inspiré d’une personne réelle, un homme qui vit dans le Lot et qui creuse la terre pour sauver l’humanité de l’apocalypse.»

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Ecrit avant la pandémie, le texte résonne fort avec ce qui se passe ici et là et qui met en question la planète en souffrance. Mohamed Rouabhi fait le récit poétique de l’histoire de cet homme isolé, en bout de course, et qui, au hasard d’un accident d’avion, endosse le costume d’un Président et se met à faire un discours au monde entier. Il va essayer, avant le dénouement final, d’être simplement lui-même et de faire entendre un discours raisonnable sur la société responsable de la vie sur terre. Quelqu’un prend la parole, quelqu’un devant lequel on passe en l’ignorant et qui nous appelle à un combat ultime : rendre la dignité à l’homme et au vivant. « Soit la révélation d’une partie cachée en chacun de nous, dit Sylvie Orcier, évoquant un personnage à la dérive qui s’est volontairement isolé, parce qu’il ne pouvait plus à suivre le mouvement ». Et qui arrive, sans qu’il s’y attende, à une forme de révélation, à la fin de son existence : « Il pousse finalement un grand coup de gueule, veut se réveiller et cela peut tous nous concerner: oser parler face à un monde qui nous dépasse et que nous avons pourtant créé. Ce qu’il dit, peut raviver des valeurs que nous n’avons pas totalement oubliées et que la crise actuelle fait ressurgir. »

 La force de pouvoir exprimer son désaccord grâce au théâtre… Patrick Pineau, dans le rôle d’un laissé pour compte, d’un S.D.F. qui s’est presque choisi sa condition, est ce fameux et inconnu Jean-Noël Moulin. Il semble ne plus rien attendre de la communauté des hommes et se raccroche au dernier moment à la branche que le destin lui a tendue. Marchant avec son chien dans des paysages boisés qui semblent lui appartenir, il ne parle qu’au seul ami fidèle qui lui reste: son chien, un compagnon qu’il traite avec une grande amitié et qui serait apte à ne pas mal agir, beaucoup moins en tout cas que tous les maîtres…

 Jean-Noël sort de sa torpeur quand il apprend la catastrophe aérienne: une  illumination pour lui qui ne parlait qu’à son chien, buvait sa bonne dose d’alcool tous les jours, vautré sur un matelas modeste et attiré par le spectacle de la nuit étoilée. Il décide alors d’agir et se rend sur le site de l’avion abîmé: ce qu’il ne dit pas et que le public ne voit pas mais devine, quand il le voit revenir de sa balade,avec une belle valise récupérée…  sur l’écran vidéo puis sur la scène. Téléphone mobile à la main, il répond, à qui l’interroge, qu’il est le Président et il s’apprête d’ailleurs à faire un discours, une fois le prestigieux costume endossé.

Une belle mise en demeure et une incitation à nous remettre en question et à prendre les mesures indispensables pour l’environnement et l’écologie: la société et l’économie doivent assumer un même projet collectif de réconciliation pour notre survie. Un coup de semonce politique que le public attentif et souriant reçoit cinq sur cinq…

 Véronique Hotte

 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny, jusqu’au 3 octobre. T. : 01 40 33 79 13.

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