Bérénice, de Jean Racine, mise en scène de Robin Renucci

Bérénice, de Jean Racine, mise en scène de Robin Renucci

©Olivier Pasquiers

©Olivier Pasquiers

Reprise du spectacle créé l’an passé  mais est-ce la plus belle pièce de Racine ? En tout cas, avec Andromaque, Britannicus et Phèdre … c’est l’une des plus jouées aujourd’hui, comme au siècle dernier. La gloire d’une vaincue (Andromaque), la prise du pouvoir et la mutation d’un homme en monstre avec Néron dans Britannicus, la passion furieuse et l’amour séparé ? De ces constantes inépuisables du cœur humain, Racine dit tout et ne dit rien. On joue sans cesse ces tragédies dites classiques parce qu’elles gardent leur énigme, que  pourtant aucune mise en scène, si raisonnée, si documentée soit-elle, ne vient résoudre. Une trouvaille d’Antoine Vitez: Titus renvoie une Bérénice plus âgée que lui, son amoureuse initiatrice, le jour il n’a plus besoin qu’elle tienne ce rôle, puisque la mort de son père le fait adulte et… empereur. Jacques Osinski (voir Le Théâtre du blog) avait, lui, eu une idée aussi juste: ne chercher aucune explication et s’en tenir avec une haute exigence, à la poésie de Racine et au pur lamento de la séparation.

Inquiétude, attente, bonheur partagé, frustration, désespoir : Bérénice (Solenn Goix) décline toutes les facettes du sentiment amoureux, y compris à l’acte II avec de petits calculs rassurants: « Si Titus est jaloux, Titus est amoureux « . Le point obscur, dans cette histoire d’amour partagé, est cette inacceptable séparation au dernier acte . De façon obsédante les même verbes : aimer, séparer, quitter reviennent. « Je l’aime, je le fuis, Titus m’aime, il me quitte. »  Dans les vingt-quatre heures de la tragédie, Bérénice ( Solenn Goix), Titus (Sylvain Méallet) et Antiochus (Julien Léonelli) ont pourtant avancé d‘un pas décisif: ils ne renoncent pas à leur amour mais acceptent au moins une séparation nécessaire. Qu’importe qu’après cela, les royaumes distribués par Titus à Bérénice et à Antiochus, comme de petits cadeaux d’adieu ?

Le tapis que foulent les comédiens sous le chapiteau des Tréteaux de France,  représente une carte de la Méditerranée avec la mention: Mare nostrum,  c’est-à-dire tout et rien. Après la tragédie, après le dernier : Hélas ! d’Antiochus,  les personnages ne feront que survivre. Du reste, l’empereur Titus, beaucoup moins recommandable que le personnage de Racine, régna deux ans seulement. Ici, le public entoure les acteurs, comme il entourait ceux de Britannicus, partageant la fragilité des personnages, au plus près de leurs hésitations et de leurs contraintes. Sylvain Méallet a l’autorité qui fait l’homme de pouvoir mais ici ce sont avant tout les sentiments qui font trembler les corps et les voix. Et les alexandrins en sont la rythmique vivante. Trop précieuse pour que le public n’y soit pas attentif et solidaire des comédiens: la toile d’un chapiteau ne protège pas des bruits extérieurs : un I will survive de Gloria Gaynor,  le tube de la coupe du monde de football avec la victoire des Bleus face au Brésil en 1998, sorti dans les environs d’une enceinte mobile, fait intrusion dans la dernière scène où l’enjeu pour les trois personnages est d’accepter une vie… qui n’est qu’une survie! Il faut le redire aux comédiens : le public est avec eux et capable de récupérer au bénéfice du spectacle, accidents et perturbations. Quand ils y parviennent, on est au sommet du théâtre… On pense à Ella Fitzgerald à Antibes-Juan-les-Pins en 1981. En plein concert, interrompue par les cigales qui chantaient à tue-tête, elle improvisa une mélodie qu’elle nommera The Cricket et qui fit le tour du monde…

Un chapiteau offre cette sorte de complicité et  toute représentation n’y est pas coupée du monde et qu’on le veuille ou non, traversée par le monde extérieur.  Même  si cela a lieu dans un espace protégé et pour un cercle de « connaisseurs ». Les  acteurs des tréteaux de France le savent et portent les vers de Racine avec une vaillance et une fragilité paradoxalement plus grandes, plus profondes que souvent, dans une salle de théâtre protégée. C’est le bénéfice du risque… Emu par ces personnages empêchés de construire leur bonheur, on quitte le chapiteau  sur le Hélas ! du pauvre Antiochus, l’ami qui ne sera jamais l’aimé, celui qui fait presque sourire d’être l’éternel perdant. Voilà une Bérénice concentrée sur l’essentiel et sans prétention, avec juste un tapis et sans costumes éclatants, même si la veste de Titus pourrait quand même être plus élégante ! La pièce, toute la pièce et rien que la pièce, les acteurs, rien que les acteurs. Un beau moment de partage.

Christine Friedel

Jusqu’au 18 octobre, Chapiteau des Tréteaux de France, Parc de la Villette : entrée à quelques minutes des métros: Porte de la Villette ou Porte de Pantin, Paris (XIX ème). T.:  01 40 03 75 75

 

 

 

 

 

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