DJ Set (sur)écoute de Mathieu Bauer
DJ Set (sur)écoute de Mathieu Bauer
Qu’est-ce qu’écouter veut dire? Quels bruits, sons et musiques font vibrer nos tympans? Quelle mémoire et quelle histoire abritent les plis de nos oreilles et quel rapport au monde ont-elles? Que serait la bande-son de nos vies? En réponse, les musiciens-compositeurs Sylvain Cartigny et Mathieu Bauer, la chanteuse lyrique Pauline Sikirdji et les comédien(ne)s Georgia Stahl et Matthias Girbig mixent en direct, à la manière d’un disc-jockey collectif, les musiques de Bela Bartok ou Henry Purcell… les tubes de Kate Bush, Captain Beefheart, Nino Rota… et des écrits théoriques de Theodor Adorno, Roland Barthes et Vladimir Jankélévitch…Pour le philosophe et musicologue Peter Szendy* largement cité dan ce spectacle, le “deejay“ intervient comme un tiers entre le musicien et le public avec lequel il partage son écoute, en précisant sa perception d’un morceau… Ce que fait pour nous ici, le quintette réuni par Mathieu Bauer.
Nous pénétrons avec plaisir dans ces univers sonores hétérogènes. Parfois un brin pédagogiques mais toujours rigolards, les artistes nous font goûter différents niveaux de décibels: de l’explosion atomique au silence, ou ils illustrent de grincements, chuchotements, hurlements, froissements, L’Art des bruits (1913), manifeste futuriste et provocateur du peintre Luigi Russolo, père de la musique bruitiste. S’affiche aussi sur un écran l’ amusante performance à la télévision Water Walk (1960) de John Cage où le compositeur fait couler de l’eau dans un pichet à eau, une pipe en fer, un appeau d’oie, une baignoire, un canard en caoutchouc…
Il faut le talent de Pauline Sikirdji pour passer de Ich bin der Welt abhanden gekommen de Gustav Mahler à Parole, parole de Dalida. Le petit groupe commente son duo avec Alain Delon, comme un musicologue décortiquerait une partition de Frédéric Chopin ou Claude Debussy. Une enfilade de tubes en toutes langues, se percutent pour notre très grand plaisir. Et on analyse pourquoi certains airs nous hantent comme Wuthering Heights de Kate Bush que la chanteuse répète jusqu’à nous vriller les oreilles «Heathcliff, it’s me, I’m Cathy/ I’ve come home, I’m so cold Let me in your window…. »
Histoire de nous faire percevoir la musicalité des langues, Georgia Stahl livre des textes en version originale, comme cet extrait de Morgenröte (Aurore) où Friedrich Nietzsche évoque les bruits nocturnes : « L’oreille, organe de la peur» ou comme ce poème du Britannique Sean O’Brien sur le tohu-bohu qui assaille un sourd retrouvant l’ouïe.
«Que demandez-vous à la musique ? Que la musique vous demande-t-elle ? » Une question ouverte pour conclure ce spectacle-concert, éclectique et polyphonique, mâtiné d’une joyeuse conférence. Nos oreilles se sont ouvertes une heure et demi durant aux bruits du monde et à la variété des musiques à travers les âges. Créé en 2017, DJ Set rejoint l’actualité! Une récente enquête du journal Le Monde a mis en évidence combien nous avons pris conscience de souffrir du bruit permanent qui nous entoure, après le silence relatif éprouvé pendant le confinement. Il faut souhaiter que cette pièce continue à être jouée. Avis aux programmateurs.
Mireille Davidovici
Du 6 au 18 octobre, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème) T. : 01 45 45 49 77.
Le 10 novembre, Le Manège, Maubeuge (Nord)
* Écoute, une histoire de nos oreilles de Peter Szendy, éditions de Minuit (2001).