Là par la compagnie Baro d’evel
Là par la compagnie Baro d’evel
Inscrire un spectacle sur le blanc immaculé d’un décor, comme sur une page vierge on écrit à l’encre noire: Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias nous parlent de là, de ce vide à remplir. Premier volet du diptyque Là sur la falaise, Là est un prélude à Falaise, notre coup de cœur la saison dernière (voir Le Théâtre du Blog). Mêlant danse, acrobatie et musique, il préfigure cette épopée vertigineuse où se rencontraient huit humains, un cheval et des pigeons au pied de hautes et sombres murailles, truffées de failles. Comme dans Falaise, on assiste au surgissement intempestif des corps, littéralement enfantés par la paroi. Premières fissures, premières traces sur les trois hauts murs de l’enceinte où va évoluer le duo, bientôt rejoint par un corbeau-pie impertinent, apprivoisé mais libre comme l’air.
D’abord seul, Blaï Mateu Trias, en costume noir étriqué et chemise blanche, tente quelques mots dans un micro, seul élément de décor. Mais l’oiseau perturbateur l’interrompt de ses cris, puis vient lui voler son texte. Cet univers étrange accouche alors, par voie pariétale, d’une inconnue qui ne sait que chanter ou émettre des borborygmes…Camille Decourtye joue autant de la voix que de son corps, en réponse à l’élégance empruntée de son partenaire, pour autant excellent acrobate. Faire spectacle de la rencontre de deux genres, du noir et du blanc, de deux styles, deux solitudes, tel est l’enjeu… D’abord inarticulée, la pièce trouve son langage dans l’espace et se laisse le temps d’advenir, reprenant, par bribes, les improvisations qui l’ont constituée… Une histoire s’élabore devant nous sur le plateau. Avec ses hésitations, ses interrogations. Drôle et touchante.
Un premier pas-de-deux acrobatique mais harmonieux réunit le long corps raide de l’homme et les rondeurs flexibles de la femme. Mais la communication s’interrompt. Élans brisés, réitérés, ruptures puis retrouvailles constituent une gestuelle à la fois brute et poétique. Dans ce vide, tout est possible et le moindre bruit résonne. Les moindres mouvements comptent : impulsifs, saccadés, ceux du spasme ou du cri… Mais jamais tragiques : le clown pointe chez l’un comme chez l’autre. Entre sens et non-sens, les artistes cherchent à occuper l’espace et le temps, et les marquer de leur présence… Comme le clame le lamento de l’opéra baroque Didon et Énée d’Henry Purcell entonné avec humour par Blaï Mateu Trias : «No trouble, no trouble in thy breast; remember me, remember me, but ah! forget my fate. » (En ton cœur, ne te soucie pas, ne te soucie pas ; Souviens-toi de moi, souviens-toi de moi, mais oh ! Oublie mon triste sort !)
Et l’oiseau qui s’envole, retourne se percher et défie les humains avec cet appel à l’apesanteur. Perchés eux aussi, en haut du mur, il leur faudra vaincre la gravité à leur façon et redescendre sur terre… Pour danser. Que faisons-nous là, devant vous ? Et qu’est-ce qui fait l’artiste? Et comment habiter l’éphémère de la scène et du monde? En réponse, leur passage se lit en noir sur le blanc du décor: lézardes béantes laissées par leur arrivée au forceps, traces charbonneuses de leurs glissades sur les murs, points et longs traits rageurs de coups portés par le micro. Preuves qu’ils ont été là. Et le public les a longuement applaudis .
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 2 octobre, Théâtre 71, 3 place du 11 novembre, Malakoff (Hauts-de-Seine) T. : 01 55 48 91 00
Du 7 au 10 octobre Romaeuropa, Rome (Italie) ; les 15 et 16 octobre Trio…S, Inzinzac-Lochrist (Morbihan).
Les 5 et 6 novembre, Charleroi-Danse (Belgique) et du 17 au 20 novembre, Piccolo Teatro, Milan (Italie).
Les 4 et 5 décembre La Kasern, Bâle (Suisse) et du 9 au 19 décembre, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) .
Les 14 et 15 janvier, L’Empreinte, Tulle (Corrèze).
Les 17 et 18 février, Le Zef, Biennale internationale des arts du cirque, Marseille (Bouches-du-Rhône).
Du 2 au 4 mars, Comédie de Valence, (Drôme) ; les 26 et 27 mars, La Brèche, festival Spring, Cherbourg (Contentin) et les 31 mars et 1er avril, Le Prato, Lille (Nord).