Crise de nerfs-Trois farces d’Anton P. Tchekhov, mise en scène de Peter Stein

Crise de nerfs-Trois farces d’Anton P. Tchekhov, mise en scène de Peter Stein

Le grand metteur en scène allemand connait très bien le théâtre du grand dramaturge. On se souvient, entre autres, d’une magnifique Cerisaie qu’il avait montée en 89 puis en 95. Il a aussi écrit un essai Mon Tchekhov. Il connait bien aussi Jacques Weber qu’il dirigea en France dans Le Prix Martin d’Eugène Labiche, La dernière Bande de Samuel Beckett et Tartuffe de Molière. Cette fois, il le met en scène dans trois petites pièces d’Anton Tchekhov: d’abord Le Chant du Cygne. La moins jouée sans doute mais pas la moins intéressante. Ecrite en 1886, par un auteur de vingt-six ans et qui avait été d’abord publiée sous forme de nouvelle. Kenneth Brannagh en avait fait un court-métrage avec John Gielgud.

Impressionnant et d’une grande beauté, ce plateau vide -sauf un châssis côté cour-  un vrai et beau décor à lui tout seul, avec dans le fond, une grande et haute porte à deux battants donnant sur la cour où autrefois Charles Dullin (1885-1949) alors directeur de l’Atelier, mettait son cheval qui l’avait conduit jusque là Dans une demi-obscurité, un vieil acteur Vassili Vassiliévitch Svetlovidov qui s’est endormi dans sa loge après une représentation et un dîner sans doute très arrosé, porte encore son costume de scène : la toge bordé d’or de Calchas dans La Belle Hélène de Jacques Offenbach qu’il vient de jouer. Mais les portes du théâtre sont fermées et il ne peut plus sortir. Il rencontre sur le plateau le vieux Nikita Ivanytch, un ancien souffleur qui, faute de mieux, a, comme lui, dormi dans une loge. Antonin Artaud a aussi passé des nuits agitées avec son amoureuse Génica Athanasiou dans les combles du théâtre de l’Atelier, nous avait dit l’acteur qui avait créé le rôle de Victor dans Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac.

Le vieux souffleur parle donc du temps passé avec le vieux comédien qui reprend des tirades d’Othello, du Roi Lear ou d’Hamlet des personnages qu’il a joué autrefois quand il était encore jeune et beau. Cette rencontre émouvante est très belle sur le plan pictural mais bon, Jacques Weber parle très bas et on l’entend donc souvent mal. Quant à Manon Combes, elle n’arrive pas dans ce rôle travesti, à rendre crédible ce souffleur mais à l’impossible, nul n’est tenu… Il aurait fallu le faire jouer par un comédien qui ait l’âge ou presque du personnage. Et aucune indulgence possible, d’autant que c’est sans doute pour économiser un rôle.

Les Méfaits du tabac est un monologue aussi écrit quelques années plus tard mais plus souvent joué. Nioukhine Ivan Ivanovitch  est l’économe d’un pensionnat de jeunes filles dont sa femme est directrice. Et à sa demande, il doit faire une conférence sur les méfaits du tabac dans un cercle de province. Déjà installé derrière un pupitre, il  parle beaucoup, non de tabac mais  de sa femme  qui  gouverne d’une poigne de fer sa famille et qui le tyrannise depuis trente-trois ans! Seul, il peut enfin se défouler et voudrait que l’on s’apitoie sur son sort.. Jacques Weber en grand professionnel  fait le boulot mais comme un peu en retrait. A sa décharge, il faut dire que ce n’est pas la meilleure pièce de ce triptyque.

© La Terrasse

© La Terrasse

Enfin suit cette merveilleuse Demande en mariage dont s’emparent encore avec délice les élèves des écoles de théâtre. Publiée en 1888 et jouée l’année suivante. Chez ces trois personnages, une impossibilité à se contrôler et une tendance à se quereller avec le premier venu. Ivan Vassilievitch Lomov, un jeune propriétaire terrien vient chez son voisin Stepan Stepanovitch Tchouboukov, demander en mariage sa fille Natalia Stepanovna que son père est très heureux de pouvoir marier. C’est l’été, elle est en tablier en  train d’éplucher des petits pois.  Lui, assis sur un grand canapé est endimanché… sans doute un peu trop. Et ils parlent tous les deux comme le font de jeunes et proches  voisins qui se sont toujours connus. Mais la conversation d’abord très courtoise, va déraper et le ton monte vite, alors que Lomov n’a pas encore fait sa demande en mariage… Motif  de la dispute: à qui appartient le pré dit « Le pré aux vaches ». Et les répliques violentes commencent à fuser: «Vous n’êtes pas un voisin, mais un usurpateur ! ». «Vous êtes d’une famille où on a toujours aimé la chicane » « Et votre mère avait une jambe plus courte que l’autre ».
Mais le père apprend à Natalia que Lomov était en fait venu demander sa main. Heureuse d’une telle nouvelle et au bord de l’évanouissement, elle dit dans un souffle : « Qu’il revienne ! » Et alors Lomov revient mais se plaint  de sa santé. Natalia lui présente ses excuses. Zéro partout et le futur mariage au centre. Mais ces  incorrigibles personnages  vont arriver encore à se quereller sur une chose qui semble capitale pour eux : la valeur réelle de leur chien de chasse respectif! Lui, s’évanouit presque… Enfin le père arrive avec une bouteille de champagne, siffle la fin de la récréation et impose le mariage aux jeunes gens qui ne tarderont sans doute pas à se quereller de nouveau : on ne change pas une équipe qui gagne…

Jacques Weber excelle dans ce rôle de gentleman-farmer botté de noir lui aussi ravi de mettre un peu d’huile sur le feu dans cette histoire qui doit le rajeunir. Mais Manon Combes joue les hystériques et hurle sans vraie raison. La Demande en mariage a quelque chose d’une farce mais quand même…  Loïc Mobihan lui, ne semble  pas très à l’aise dans un rôle il est vrai pas facile. On a connu Peter Stein mieux inspiré et là il n’a pas vraiment réussi son coup. Il y avait sans doute une erreur au départ: un personnage pour Jacques Weber dans chacune de ces trois courtes pièces n’était pas vraiment un bon dénominateur commun pour une soirée.  Dommage mais reste le jeu, surtout dans La Demande en mariage, de ce grand acteur et toute la poésie des textes d’Anton Tchekhov. Et à chaque fois aussi le plaisir de retrouver devant une merveilleuse petite place, ce très ancien théâtre où la photo de Charles Dullin nous accueille au contrôle. Hasard de la vie, habitait juste à côté, Martin Lartigue, que nous avions connu élève de sixième au tout proche lycée Jacques Decour: le petit Gibus de La Guerre des boutons… Devenu comédien mais surtout bon peintre, il a maintenant soixante-huit ans…

Philippe du Vignal       

Théâtre de l’Atelier, 1 Place Charles Dullin,  Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 49 24.

Théâtre Romans-Scènes, Romans-sur-Isère (Isère) le 3 novembre ; L’Octogone, Pully, le 7 novembre. Théâtre du Bouscat, Le Bouscat, (Gironde) le 24 novembre.

Théâtre des Sables d’Olonne ( Vendée) le  11 décembre ; Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul ( Haute-Saône), le 15 décembre. Théâtre municipal Ducourneau, Agen, (Lot-et-Garonne) le 18 décembre.

 

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