Farm Fatale, conception, scénographie et mise en scène de Philippe Quesne

Farm Fatale, conception, scénographie et mise en scène de Philippe Quesne (spectacle en anglais, surtitré en français)

D’abord un coup de gueule:  pourquoi le Centre Georges Pompidou se croit-il autorisé à ne pas respecter les gestes-barrières? Aucun gel de flacon de gel hydro-alcoolique en vue et des gens assis les uns à côté des autres dans un escalier, avec en plus, des visiteurs dans les deux sens? De qui se moque-t-on? Pourquoi aucune place vraiment condamnée dans la salle? Alors qu’un Préfet, sans aucun état d’âme, fait fermer au public le chapiteau de l’Espace-Cirque d’Antony? Une fois de plus, on est dans le deux poids-deux mesures.  Il n’y a pas ici assez d’argent pour rémunérer des vigiles !!!! On aimerait connaître la réponse…
Cette pièce créée l’an passé au Kammerspiele de Munich et coproduite avec Nanterre-Amandiers-Centre Dramatique National que dirige encore pour quelques mois ce metteur en scène hors-normes, a des parfums de douce fable écologique. Philippe Quesne fait les choses sérieusement mais sans se prendre trop au sérieux, et comme en écho à l’installation qu’il a aussi conçue, une île, au centre du festival littéraire Extra, à quelques dizaines de mètres plus loin au niveau:-1 dans le Forum. Une île pour rencontres, lectures, performances…

© Philippe Quesne

© Philippe Quesne

Sur de grands pans de tissu plastique d’un blanc immaculé comme dans les studios de photo, cette Farm Fatal est une évocation déjantée et musicale et comme au second degré, d’un monde disparu, celui du travail à la ferme, avec bottes de paille compressées, gros cochon muni d’une baffle sur le côté, fourche-micro, râteau fait avec une ancienne antenne télé qu’accompagne un de ces beaux anciens râteaux en bois à faner, etc… On entend le chant des oiseaux et du coq. Et ces cultivateurs-musiciens-poètes d’une grande gentillesse aux voix complètement déformées, ont des trognes impossibles (masques sublimes de drôlerie conçus par Brigitte Frank).
Avec une certaine poésie, ils dénoncent un capitalisme multinational qui se soucie bien peu de protéger notre planète. Une pancarte en carton avec, juste écrits au feutre, ces seuls mots : No Nature No Future, qui donne tout de suite le ton…

Raphaël Clamer, Léo Gobin, Damian Rebgetz, Julia Riedler et Gaëtan Vourc’h savent tout faire, un peu acrobates, bons acteurs et surtout mimes et excellents musiciens. Et Philippe Quesne sait réaliser comme peu d’artistes, des images sublimes de poésie teintée de fellinisme  et parfois d’un comique assez grinçant  comme ces  oiseaux en plastique noir, sans doute les seuls qui restent quand toute la nature a été dévastée par les pesticides et autres herbicides, encore récemment adoubés par le Parlement pour la culture betteravière.  Ces clowns essayent de créer une station de  radio militante, archivent des sons de la nature et font une interview exclusive de la dernière abeille…

Suvent drôle et fait de collages dans la pure tradition surréaliste. Cela mériterait d’être plus virulent mais cette  bande de joyeux drilles met le doigt où cela fait mal avec une fausse naïveté et se retrouve, à la fin, avec de gros œufs lumineux en haut d’un grand praticable roulant. Une remarquable image. Au chapitre des réserves: il y a sans doute un peu trop de texte, surtout quand la parole est déformée! Cela devient lassant, quand il faut en plus lire la traduction  en sur-titrage au-dessus du plateau.Trop de messages tue parfois le message que Philippe Quesne voudrait faire passer…

Mais, comme toujours avec les spectacles créés en Allemagne, le jeu, la scénographie, les lumières, le son et la musique… tout ici est impeccablement réglé. De cette rigueur, naît une vraie poésie et ce n’est pas incompatible… Philippe Quesne sait y faire et on ne peut pas rester insensible à ce «théâtre de la décélération post-apocalyptique». On repense à sa Mélancolie des dragons qui l’avait lancé. Et cette Farm Fatale ne manque pas d’humour: une chose rare dans la création théâtrale contemporaine. Alors, autant en profiter même si le texte est parfois un peu faiblard…
Au moment des saluts, les interprètes enlèvent leur masque: une image de pure beauté. Allez, on va encore vous citer la fameuse phrase de Chikamatsu Monzaemon:  » L’art du théâtre se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas une vérité et un mensonge qui n’est pas un mensonge. » Et Les Japonais, au XVII ème siècle, eux aussi, s’y connaissaient déjà en matière de masque…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 3 octobre au Centre Georges Pompidou, Paris (III ème).

 

 

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