Festival du Cirque Actuel d’Auch 2020 /2 : trente-troisième édition
Festival du Cirque Actuel d’Auch 2020 /2 : trente-troisième édition
Avec quelque soixante-dix représentations de vingt-sept spectacles, malgré un contexte particulier et l’absence de nombreuses écoles et d’animations qui attirent les familles, le public est au rendez-vous et toutes les séances affichent complet. Il fait toujours bon retrouver l’ambiance du cirque: « C’est plus ouvert que le théâtre, dit l’une des jeunes bénévoles. On est plus dans le partage. »
Mais on sent les artistes nerveux dans les disciplines de haute précision. Le confinement ne leur a pas permis de s’entraîner pendant plusieurs mois et avec l’annulation des événements de d’été, ils n’ont pas joué depuis longtemps. Auch est donc le premier grand festival de cirque de la saison et les spectacles que nous avons pu voir, expriment en filigrane une certaine inquiétude chez eux.
Ghost Light / Entre la chute et l’envol de Nico Lagarde et Ugo Dario
“Lampe-fantôme“, nom anglais de la « servante » : une ampoule électrique qui, sur un haut pied, semble veiller sur le plateau, la nuit. Dans cette maigre clarté, au centre de la scène circulaire, une longue bascule comme animée d’une vie propre, oscille avec lenteur dans un léger gémissement. Les duettistes québécois, élégants, vont se glisser dans la pénombre et évoluer sur cet agrès pendant une heure, accompagnés par la musique crépusculaire du compositeur Félix Boisvert. Deux porte-manteaux sur roulettes, dits « valets de chambre» vont et viennent sur le plateau, pour livrer leurs costumes.
La bascule devient un terrain de jeu pour des sauts aussi périlleux que prodigieux. Dans un ballet d’ombre et de lumière, les artistes s’envoient alternativement à plus de sept mètres de haut, rebondissent et atterrissent souvent dangereusement. Ils maîtrisent l’art de la chute feinte et les roulés-boulés au sol. La lumière monte, la tension aussi, sur une musique métronomique implacable. Ils s’amusent à nous (se) faire peur ou s’adonnent à des exercices plus ludiques, en traitant leur bascule comme un tourniquet d’enfant…
La chorégraphie des corps dans le clair-obscur s’organise dans un espace circulaire entre verticalité et horizontalité. Une belle géométrie variable pour un scénario intense où, dans de poétiques contrejours, se tisse une relation intime entre ces artistes. Quand Ugo quitte le plateau, en proie à une certaine lassitude, Nico reste là, désemparé, seul avec le fantôme lumineux ou la veste vide de son partenaire. Seul, sur cette bascule, il ne peut plus jouer. Pour Nico Lagarde et Ugo Dario, artistes virtuoses et inventifs, le cirque n’est pas une aventure solitaire et même les accessoires sont de la partie.
Low Cost Paradise création collective du Cirque Pardi!, mise en scène de Garniouze
Un brin nostalgique, ce paradis de pacotille dans une atmosphère de cabaret déjanté. “Paradise lost“, annoncent des lettres en tubes fluo… Il faut se faire une raison et, entraîné par la musique d’Antoine Bocquet, danser sur les décombres de notre vieille société.
Cette compagnie basée à Toulouse, a vu le jour en 2011 sous l’impulsion de l’équilibriste Maël Tortel qui est aussi constructeur et machiniste. Depuis, elle balade un peu partout son chapiteau et ses artistes qui maîtrisent tous plusieurs instruments, chantent et jouent la comédie mais peuvent aussi faire des numéros de haute qualité, comme en témoigne ce dernier spectacle, créé l’an passé.
(V)ivre création collective de Circa Tsuïca, mise en scène de Christian Lucas, création musicale de Guillaume Dutrieux et Rémi Sciuto
Cette fanfare-cirque du Cheptel Aleïkoum est un collectif né en 2004 de la quinzième promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne et basé à Saint-Agil (Lot-et-Cher). D’autres artistes, musiciens, compositeurs, scénographes et graphistes l’ont rejoint mais chacun fait ses propres créations, tout en restant lié à la compagnie.
Thème central de cette dernière pièce: comment vivre ensemble ? Le public devait être convié à partager ce questionnement mais les circonstances en ont décidé autrement… Pour chauffer la salle, les spectateurs, depuis les gradins, sont invités à reprendre, en chœur, quelques gestes et notes de musique… « Le public est une partie constituante de notre écriture, car le partage avec l’autre est un désir qui nous réunit », disent les artistes et le chapiteau reste le moyen d’être dans la rue, tout en créant un espace chaleureux unique. »
Douze circassiens/musiciens évoluent sur des vélos d’acrobatie, tout en jouant de leur instrument. Ils tournent en rond ou traversent la piste qui devient alors une rue où se croisent des personnages. Un SDF, un dragueur, quelques coquettes… passent à pied ou virevoltent à bicyclette. Des amoureux s’embrassent, des hommes se bagarrent tout en faisant nombre d’acrobaties. Un meneur de jeu fait claquer son fouet pour remettre la troupe au pas. Mais les artistes ont tôt fait de reprendre leur liberté, à l’instar de l’oiseau-chanteur qui les accompagne et se perche sur les têtes, en sifflotant …
Si le vélo reste l’agrès principal de (V)ivre, il y a aussi quelques jolis numéros de corde et trapèzes volants. Franck Bodin, Guillaume Dutrieux, Olivier Pasquet, Lola Renard, Thomas Reudet, Charlotte Rigaut, Rémi Sciuto, Matthias Penaud, Maxime Mestre, Cécile Berthomier et Anja Eberhart nous communiquent leur joie de vivre dans une ivresse musicale bon enfant.
Chimaera, conception et mise en scène de Julia Christ et Jani Nuutinen
Dans un coin perdu de campagne, une cabane en bois. Un homme aux allures de bûcheron est aux prises avec une créature qui vit sous les lattes du plancher et apparaît sous divers aspects. Feu follet, sorcière et autre goule, ces fantasmagories se déploient dans la chaumière… Peu à peu, une figure féminine se dessine et vient folâtrer avec l’homme des bois qui, après avoir tenté de l’éliminer par la magie, l’alchimie ou à coups de hache, se laisse séduire par ces chimères…
Jani Nuutinen, l’un des fondateurs du Circo Aereo, première compagnie de cirque contemporain en Finlande. Avec, depuis 2001, plus près de trente créations dans son pays et en France. Svelte et rompue à la danse et à l’acrobatie, Julia Christ qui cosigne la pièce, développe un langage corporel fluide, en contraste avec le physique patibulaire de son partenaire. L’artiste berlinoise est depuis deux ans associée au Sirque-Pôle National Cirque de Nexon (Haute-Vienne). Cet étrange duo mêle acrobatie, manipulation d’objets, théâtre d’ombres et tisse une fable fantastique, proche de l’univers des contes nordiques.
Perceptions de Maureen Brown, Benjamin Lissardy et Maryka Hassi, par la compagnie Bivouac
Le trio artistique de cette compagnie fondée il y a deux ans, a conçu, pour ce nouveau spectacle, un agrès gigantesque, inspiré de la recherche spatiale et des vols paraboliques. L’Oculaire, dessiné par la scénographe Maureen Brown, est un cadre carré où est incrustée une roue qui tourne sur elle-même ou pivote sur un axe perpendiculaire aux montants. Chaque partie de cette architecture complexe est mise en mouvement par un moteur qui peut aussi se désactiver. Les formules mathématiques inscrites à la craie blanche sur le cadre de L’Oculaire évoquent une savante géométrie de l’espace, domptée par ces acrobates-danseurs.
Dans les contre-jours qui s’allument à la nuit tombante et sur la musique de Yanier Hechavarria, perché à jardin, évoluent Silvana Sanchirico Barros, Vanessa Petit, Grégoire Fourestier, Antoine Linsale et, parmi eux, Benjamin Lissardy qui a participé à la conception en testant toutes les possibilités du prototype de cet agrès. La mise en scène très chorégraphiée de Maryka Hassi, auteure du scénario avec la scénographe, privilégie le mouvement perpétuel, le passage entre le stable et l’instable.
Les interprètes sont à la fois jouets de l’espace et pilotes de l’impressionnant dispositif. La machine bouscule leurs repères et les force à chercher des appuis. Quand les moteur se désamorce, les corps guident alors les métamorphoses de l’espace. Harnachés, ils volent dans les airs puis se posent… Ils se laissent glisser dans la roue ou encore utilisent sa barre médiane comme un mât chinois ou un fil de funambule, verticalement ou en diagonale. L’esthétique géométrique, affirmée de Perceptions où la courbe s’inscrit dans l’horizontalité et la verticalité, met en valeur ces acrobaties. Beau et impressionnant.
Três , conception et interprétation d’Antonin Bailles, Leonardo Ferreira, Joana Nicioli
Le groupe Zède, issu de la vingt-neuvième promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne, propose une variation sur le nombre trois, comme le titre l’annonce. Ce trio disparate tente de se rassembler autour d’un mât central… D’abord seul, chacun occupe l’espace et développe ses propres figures le long du poteau, prenant de la hauteur et glissant vers le sol. Mais bientôt les mouvements de l’un vont déborder sur l’autre, avant de perturber les acrobaties du troisième…
Pourquoi ne pas s’y mettre à deux ? Mais alors, que devient le troisième ? Solos, duos, trios se succèdent dans un scénario complexe et la bande-son de Robert Benz rythme une alternance de gestes lents et rapides, une succession de jeux d’équilibre, d’acrobaties au mât mais aussi à terre. Dans le titre:Très, on entend aussi tresse: un entrelacement serré que les artistes vont faire et défaire, autour de leur agrès, outil d’appui et d’expression, point de convergences et divergences dans leurs cheminements individuels. Au croisement de la danse et de l’acrobatie, inspiré par le jeu des relations humaines, entre accords et désaccords, le groupe Zède nous propose ici un subtil pas-de-trois.
Mireille Davidovici
CIRCa a eu lieu du 16 au 25 octobre, allée de Arts, Auch (Gers) T. : 05 62 81 65 00. www.circa.auch.fr
Chimarea du13 au 15 janvier, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Haute-Savoie).
Les 11 et 12 mai, Théâtre de l’Union, Limoges (Haute-Vienne).
Du 16 au 18 juillet Le Sirque, Nexon (Haute-Vienne).
(V)ivre du 27 novembre au 2 décembre, Espace-Cirque, Antony (Hauts-de-Seine).