Antis, texte de Perrine Gérard, mise en scène de Julie Guichard
Antis, texte de Perrine Gérard, mise en scène de Julie Guichard
L’auteure a intégré le département d’Écriture Dramatique de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre et fit jouer sa première pièce, Tabitha Lein en 2012. L’année suivante, elle participa à l’élaboration collective du Grand Ensemble, mise en scène de Philippe Delaigue et à la Mousson d’Hiver avec This is not a Witch hunt, un spectacle pour adolescents. Elle a été lauréate des Journées de Lyon des auteurs de théâtre pour Holy Violets. Et La Largeur du Bassin a été créée au Théâtre de Poche à Genève. Depuis six ans, elle travaille avec Julie Guichard et sa compagnie Le Grand Nulle Part. En 2017, Blue Lagoon social club est présentée au festival En Acte(s). Et elle écrit pour Philippe Delaigue Les petites Mythologies autour du personnage de Tirésias et pour l’opération Lieux Secrets, Gris, une pièce sur l’Occupation à Villeurbanne qui a été jouée il y a trois ans au T.N.P.
Julie Guichard qui sort aussi de l’E.N.SA.T.T., collabore avec Maxime Mansion depuis deux ans au festival En Acte(s). Elle a notamment monté Nos cortèges et Meute de Perrine Gérard et Petite Iliade en un souffle d’après Homère, une pièce pour jeune public de Julie Rossello-Rochet au T. N. P. Et elle a créé Part-dieu chant de gare de cette autrice. Mais aussi Et après? de Marilyn Mattei et Entrer, sortir, ne pas s’attarder (Épisode 1), d’après des nouvelles de Raymond Carver.
Antis, un curieux titre… peut-être tiré de «fausse sensation des médias», en argot. Ici, justement, cela se passe dans le milieu du journalisme. Après avoir couvert l’élection d’un nouveau gouvernement, une équipe dirigée par une rédactrice compétente et respectée, cherche un thème qui puisse attirer le public. Une de ses jeunes journalistes semblant fascinée par Internet pense à un thème : des agressions récentes. Mais attention au respect absolu de la déontologie d’un journalisme indépendant ! Il faut toujours se méfier, vérifier ses sources et les croiser. La collecte d’informations exige par ailleurs qu’il y ait des bornes à ne pas dépasser et des interdits, mais où se trouve la limite? Reste aussi -et c’est un problème permanent- a-t-on le droit moral de ne pas publier telle ou telle information, bref, de pratiquer une sorte d’auto-censure même limitée pour de bonnes ou de moins bonnes raisons. Ce qui peut éventuellement revenir d’une certaine façon à prendre parti… Et ensuite à en porter la responsabilité… Surtout quand il s’agit de journalisme d’investigation où la moindre erreur ne pardonne pas. Que ce soit dans la presse papier, audiovisuelle ou numérique…
« Réveiller en nous le désir de se soulever, disent Julie Guichard et Maxime Mansion, représenter l’irreprésentable, donner à voir nos paradoxes et nos faiblesses sans jamais juger ou théoriser mais bien plus questionner, déplacer l’ordre du réel pour pouvoir désobéir au monde actuel et à ses limites. Nous avons besoin d’un futur, et de le mettre en mouvement. Nous avons souhaité nous associer pour cette création, allier nos deux sensibilités artistiques et une intuition partagée du théâtre et de sa nécessité vis-à-vis de la société, Depuis plusieurs projets, nous faisons le choix de l’écriture contemporaine en lien avec l’actualité ; de la fiction comme forme sensible, comme possibilité d’une expérience ; de réalisations scéniques donnant une place fondamentale à l’esthétique et au spectaculaire, tout en s’employant à construire une pensée documentée. »
Sur le plateau noir tout en longueur, des chaises tubulaires d’école, deux tables tout aussi noires et montées sur roulettes et quelques micros: tout est en place de façon minimale pour évoquer une salle de travail ou un studio de radio… Dans le fond, un mur de châssis en tôle ondulée plastique pivotant sur eux-même avec les lettres A N T I S. Une scénographie peu efficaces mais bon… Ewen Crovella, Sophie Engel, Jessica Jargot, Maxime Mansion et Nelly Pulicani, habillés simplement en pantalon et chemise, remarquablement dirigés par Julie Guichard, ont une rare maîtrise de l’espace et une gestuelle d’une précision absolue. Et ils mettent en place avec virtuosité les quelques éléments de décor. On ne voit pas très bien à quoi peuvent servir dans cette petite salle, des micros HF -véritable manie de l’époque- mais au moins, il n’y a aucune criaillerie… Côté texte, il y a, au début du moins, une bonne analyse des enjeux journalistiques. Malheureusement, le texte assez bavard part ensuite un peu dans tous les sens malgré de vagues couleurs de théâtre d’agit-prop: comme celui du fameux groupe Octobre (avec entre autres, excusez du peu, Roger Blin, Margot Capelier, Jacques et Pierre Prévert…). Il manque en fait à Antis une dramaturgie solide et malgré la rigueur du jeu des comédiens, Perrine Gérard a du mal à gérer le temps scénique et une fausse fin n’arrange rien et cette heure et demi semble bien longue. A sa décharge, les représentations de mai puis celles de novembre ont dû être annulée pour cause de covid. A l’évidence, des coupes s’imposent. Mais il y a là une rare exigence de mise en scène qu’il faut saluer. Et en tout cas, un spectacle et une troupe à suivre…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 5 novembre au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.