Entretien avec Aude Lebrun

Entretien avec Aude Lebrun

-Comment êtes-vous entrée dans la magie ?

-J’avais vingt ans et, avec mon acolyte de scène, Lili Douard, nous avons monté Râteau un spectacle déjanté Nous jeunes femmes brindezingues chantions et jouions la comédie à cent à l’heure. Lili écrivait les textes  et moi, la musique. Une période folle… Un des fils rouges du spectacle : un pauvre poussin (faux bien entendu !) était notre souffre-douleur et nous lui en faisions voir de toutes les couleurs. Nous avons même utilisé des effets spéciaux pour le faire exploser ! Le metteur en scène nous a présenté Claude de Piante qui dirigeait la compagnie du Scarabée Jaune et il a créé pour nous des trucages géniaux. C’était mon entrée dans le monde, inconnu pour moi, de la magie.

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-Comment avez-vous appris ?

 -Je viens du théâtre contemporain et j’ai aussi fait des études en arts du spectacle. Mais j’ai saturé et j’ai alors appris à vivre fortement les personnages de l’intérieur. C’est une base qui reste très ancrée en moi. Et indispensable pour toute personne sur une scène… Puis j’ai ensuite intégré la compagnie Fiat Lux qui pratiquait un théâtre burlesque muet. Le corps était le seul langage et je complétais donc là le travail intellectuel précédent. Cela a libéré beaucoup de choses en moi. Puis j’ai vite rejoint Le Scarabée Jaune, une compagnie underground, énigmatique et passionnante. On n’y entre pas comme ça. Je pense qu’une  étincelle immédiate s’est produite entre nous. Une vingtaine d’artistes d’univers différents: magie, comédie, marionnettes, burlesque, chant, etc. constituent une grande famille géniale à laquelle j’ai la chance d’appartenir. Le vrai travail de magie a commencé là. Claude de Piante a fait comme avec les autres: il m’a proposé de créer un personnage inspiré de ma vie et a tiré ce qu’il y a de meilleur en moi.  Ainsi est née Eve Opchka…

 

-Qui vous a aidé et quel évènement vous a-t-il freiné ?

-Claude de Piante a le don de vous proposer un personnage haute-couture. Vous ne savez pas quelle part de création, il veut y mettre; ni quelle part de vous, vous allez y placer. Mais il y a une alchimie aboutissant pour chacun à un personnage qui est au fond, nous-même, mais en mieux ! On a donc créé ensemble Eve Opchka, une voyante et j’y travaille maintenant depuis quinze ans. De la grande illusion, en passant par la télépathie jusqu’au mentalisme, elle existe et a une histoire, une famille, un passé tellement fort que je peux le jouer en toutes circonstances. Claude de Piante est aussi doué pour la construction, la narration des spectacles comme de numéros, avec leur sens direct et indirect, inconscient. J’apprends énormément à ses côtés.

 Sinon, rien ni personne ne m’a jamais freiné… Je me suis vite éloignée de ceux qui ont essayé de le faire. Et j’ai toujours  eu la chance d’être entourée de gens bienveillants. J’ai toujours admiré ceux qui, solaires, portent une énergie dont on veut et peut apprendre. Alors de ceux-là, oui, je me suis rapprochée. Comme femme, je n’ai jamais été arrêtée par des barrières, quelles qu’elles soient. Une grande chance. Sans doute ai-je la prétention de croire que je suis comme les autres et que tout est donc possible. Le seul être qui peut me freiner est moi-même! Nous avons tous nos contradictions et nos incertitudes… Sans parler de ce fameux syndrome de l’imposteur… Alors il faut  faire avec tout cela et essayer de le transcender dans une création.

 -Comment travaillez-vous ?

 -Le Scarabée Jaune est une sorte de grand atelier où nous essayons tout, vraiment tout. On a le droit de se tromper mais on a de grandes chances de réussir. Les artistes que j’y côtoie sont talentueux et j’apprends énormément à leur contact, et encore aujourd’hui, alors que cela fait quasiment vingt ans que je les fréquente. J’aime cette famille comme aucune autre et vous ne pouvez pas savoir quel bonheur, nous avons de nous retrouver. Une sorte de grande colonie de vacances en somme… Un jour, alors que nous intervenions dans une convention de psychiatres, l’un d’eux nous a dit : «Nous, nous faisons du curatif et vous, du préventif ». Le plus beau compliment… Nous présentons nos spectacles sur des scènes ou pour des festivals et galas de magie, dans des lieux historiques : châteaux, abbayes… Ou encore dans ma caravane pour le travail de voyance. Les formes sont diverses mais l’essence reste la même.

 -Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?

 -J’adore et adorerai toujours le grand Voronin, un modèle pour moi. On n’est pas alors dans de la magie pure et dure mais quelle présence, quel charisme ! J’admire sa rythmique, son langage corporel et son sens du temps : il est capable de traverser la scène d’un pas si lent que l’on se dit : « Non ! Il ne va pas aller jusqu’à l’autre bout comme ça ? » Mais si ! Et la construction de son personnage est incroyable… Quelle audace, quel talent ! Cet artiste a la capacité de vous emmener loin de notre quotidien. Un autre magicien que j’apprécie est Jean Merlin : difficile d’avoir croisé quelqu’un de plus libre que lui. Je ne sais pourquoi je suis si attachée à cette notion de liberté qui possède une grande valeur à mes yeux. Il faut beaucoup de force et de courage pour être libre et je trouve que Merlin en a toujours été l’incarnation même.

Et Juan Tamariz : avec lui, j’ai eu pour la première fois l’occasion de passer dans une autre dimension, de ne plus savoir où j’étais exactement. Et là encore, il y a la construction d’un personnage fort, un mixte de lui-même avec un style où la personnalité est aussi mise en avant. A bien y réfléchir, l’humanité du magicien et parfois même son apparente faiblesse, sont ce qui me touche le plus. Ce ne sont pas des héros brillants qui contrôlent  tout mais plutôt des hommes aux prises avec la magie et qui en sortent, malgré tout, victorieux.

-Vos influences artistiques ?

 -Une barcarolle de Tchaïkovski peut me tirer des larmes,  Les Racines du ciel de Romain Gary m’emmener  très loin de la terre, et une prestation comme celle de Viktor Kee au Cirque du Soleil, me happer totalement. Les Raboteurs de Caillebotte au Musée d’Orsay est peut-être le tableau pour lequel j’ai la plus grande fascination depuis que je suis enfant. Mais je suis aussi influencée par les comédies musicales qui remplissent mon corps de dopamine. Et j’aime un vêtement bien taillé et bien porté, une actrice d’une grande classe comme Ute Lemper ou une belle architecture… Autant de réservoirs d’émotions et sensations.

 -Des conseils à un magicien débutant ?

 -Je serais bien en peine de conseiller quelque chose. Sinon cela : soyez juste ce que vous êtes, au plus profond de vous-même. Pas un autre, pas une copie… mais vous. Et quelle tâche déjà d’être soi-même !  La plus belle voie et de loin, la plus intéressante qui soit. Vous ne vous en lasserez jamais et vous ne lasserez jamais les autres… dont vous ne pouvez tout attendre. Ne cherchez pas la reconnaissance qui ne flatte finalement que l’ego. J’ai des amis artistes rongés par l’angoisse: ils ont l’impression de ne pas être reconnus par les professionnels ou par les institutions. Cela en fait des gens tristes et aigris. Et pourtant ils sont talentueux. Un vrai paradoxe…. Ils ne voient pas les milliers d’étoiles qu’ils ont allumées dans les yeux du public quand il leur accorde des bravos. Et c’est cela le plus important. Même et surtout, si deux ou trois personnes seulement s’émerveillent devant un magicien au coin d’un rue. C’est le seul repère, la seule mesure véritable de l’art de l’enchantement. Alors faites de votre mieux, observez les étoiles et soyez votre meilleur ami…

 -Et la magie actuelle ?

 -Aujourd’hui, elle est riche, performante, et spectaculaire comme elle ne l’a jamais été. Les magiciens ne sont plus vus comme des ringards mais parfois comme de véritables stars. Notre  art est devenu plein de promesses incroyables et nous devons transformer l’essai qui lui permettra d’être équivalent à la littérature, au théâtre ou au cinéma. Mais pour cela, il faudra explorer nos forces mais aussi nos faiblesses. La magie doit être brillante mais aussi explorer les zones d’ombre. Dans La Voyante, j’essaye de montrer une femme traversée par ses doutes, plus que par des certitudes. Son humanité et son côté faible m’intéressent plus que son apparente performance. Elle véhicule les traditions des gens du voyage, leurs croyances, leurs ruses et leurs échecs. Elle ne se moque pas de la crédulité humaine, même si elle en rit parfois et dénonce le charlatanisme des voyants… qui furent aussi les premiers psychologues. La poésie de la magie est un art de ré-enchanter le monde et nous, les femmes,  avons un autre regard à apporter, plus complexe, plus subtil et plus humain…

On a brûlé les sorcières, non pour leurs pratiques diaboliques -c’était un prétexte- mais parce qu’elles connaissaient l’art de soigner mieux que personne. Ce pouvoir faisait peur aux hommes et on interdira ensuite pendant longtemps aux femmes d’exercer la médecine. La magie est un art de la sensibilité, plus qu’une performance et ne deviendra «actuelle», que si elle retrouve son âme féminine. Qu’elle soit exercée par des hommes ou par des femmes… Et on ne doit pas oublier que sa fonction première fut de soigner les corps et les âmes. Il est bon de savoir d’où nous venons, pour comprendre où nous allons. Elle a encore un peu de chemin à faire pour devenir un art majeur mais est sans doute sur la bonne voie, celle d’une poésie qui donne un sens au chaos. Et n’est-ce pas la fonction d’un chaman ?

 -Quelle est selon vous l’importance de la Culture dans l’approche de la magie ?

 -Immense. Nous apprenons à l’école de la vie et plus on apprend, plus on est grand. S’ouvrir, être curieux, découvrir, rencontrer, se tromper mais réessayer, inventer…La magie doit puiser son inspiration dans le théâtre, le cinéma, la musique, la littérature, la poésie mais aussi l’anthropologie, l’Histoire, les spiritualités, la physique quantique, la science, l’économie, les nouvelles technologies…

 -Et en dehors, que faites-vous ?

 -Des claquettes, du chant mais j’aime aussi bricoler voir pousser les plantes et les enfants. J’ai une grande passion pour le calme et le silence mais, comme toute maman d’aujourd’hui, je n’ai pas vraiment l’occasion de la pratiquer !

 Sébastien Bazou


Archive pour 16 novembre, 2020

Un-Cover de Sun-A Lee

Un-Cover de Sun-A Lee

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Cette pièce brève en forme de longue variation, a fait l’objet d’une captation au festival SIDance de Séoul qui a été diffusée sur internet en accès libre il y a quelques jours. La danseuse-chorégraphe nous emmène dans un monde crépusculaire faunesque. Vêtue de noir et portant un masque de bouquetin avec barbiche et cornes, elle se détache juste d’un décor tout aussi noir. D’abord immobile côté jardin et rivée à une chaise, Sun-A Lee nous offre en prélude des gesticulations animalières. Les quatre fers en l’air et petons dénudés, elle s’exprime surtout par de gracieux jeux de mains. Sans aucune parole, sans un chuchotement ou un cri. Avec les doigts, elle esquisse d’éphémères et délicieux mudras, signes dont nous avons perdu le sens mais beaux en soi. Elle évolue ainsi sur un premier thème de la composition musicale intemporelle de Hyun Hwa Cho et Nathan Davis, avec légers tintements de clochettes et percussions discrètes et réitérées.

La deuxième partie du solo commence sur un andante. Après en avoir pris le temps, la danseuse finit par se mettre debout. Une séquence techniquement et esthétiquement très au point. Toute en micro-mouvements, en ondulations et oscillations dosées de façon subtile. Juste retour des choses, l’animal se met ensuite à mimer l’homme. La gestuelle de Sun-A Lee n’a rien de bestial et sa démarche est fuselée et déliée. L’ambulation s’alentit, jusqu’à l’apesanteur et l’immobilité. Une diagonale, à peine suggérée par un rais de lumière tombant sur l’obscur tapis de danse, guide ses pas et l’aide à élargir son champ d’action et à marquer son territoire.

En une vingtaine de minutes qu’on ne sent pas passer, Sun-A Lee a une rare qualité de mouvements et la structure de sa pièce obéit à la mathématique. Le suspense est donc ménagé. Avant de s’estomper dans la pénombre, la danseuse ôte son masque théâtral mais garde son masque sanitaire. Lui aussi, noir…

 Nicolas Villodre

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