Entretien avec Robert Ace, un pickpocket honnête
Entretien avec Robert Ace, un pickpocket honnête
Robert Ace vit à Stockholm et se produit depuis 2008 en Suède et un peu partout dans le monde. Il a commencé comme magicien avec un intérêt marqué pour la comédie. Mais après avoir commencé à étudier les techniques de pickpockets, il a maintenant un numéro Comedy Pickpocket. Précisions sur une discipline qui fascine les publics dans son pays comme ailleurs…
-Comment êtes-vous entré dans la magie ?
-J’avais dix-huit ans et venais de voir un magicien à la télévision. C’était juste après mon anniversaire: ma grand-mère m’a emmené dans une librairie pour m’offrir deux livres dont l’un d’eux traitait de la magie de rue … Je l’ai presque dévoré, avant même d’arriver à la caisse. Et le premier déclic eut lieu quand j’ai montré un tour avec une pièce à mes camarades de classe. À partir de là, je suis devenu accro à la magie et j’ai ensuite appris de discussions informelles avec des artistes du vol à la tire. Je m’intéressais déjà aux escrocs et pickpockets et j’avais essayé d’apprendre certaines de leurs astuces pour me protéger d’eux. J’ai donc recherché à me spécialiser et au moment où j’ai subtilisé ma première montre, j’étais excité à l’idée de recommencer. Je suis surtout connu aujourd’hui comme magicien pickpocket.
-Quand avez-vous franchi le premier pas ?
-J’ai commencé à faire des représentations de magie pour des fêtes privées d’enfants dans ma région. J’imprimais des affiches et des dépliants avec mes coordonnées que je déposais dans les boîtes aux lettres et en les placardant sur les panneaux d’affichage de toute la ville. J’ai aussi fait quelques petits spectacles médiocres pour adultes où je mélangeais un peu de magie, d’évasion et d’arts martiaux sans véritable structure narrative. J’ai finalement rassemblé quelques routines qui fonctionnaient bien et j’ai commencé à jouer plus régulièrement.
Le vol à la tire était une discipline plus difficile. J’avais besoin de cobayes pour m’entraîner et j’ai alors conclu un accord avec le propriétaire d’un club de stand up comédie pour distribuer des prospectus en échange d’une place garantie deux fois par mois, lors de soirées. Et sur scène, j’expérimentais mes techniques mais ce n’était pas la meilleure façon d’apprendre à vider les poches… de gens indisciplinés en T-shirts et en jeans. Pendant deux ans, à chaque fois, c’était un véritable combat ! Mais j’ai dû m’adapter…
- Qui vous a aidé à vos débuts?
-Les magiciens que j’ai rencontrés au club local de magie et plusieurs d’entre eux ont pris le temps de me faire des commentaires sur mon travail. Sans eux, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui et je dois aussi remercier le propriétaire du club de stand up comédie club qui m’a laissé tourmenter son public. Trouver en effet un endroit pour jouer est vraiment capital. Et j’ai eu la chance de présenter mon numéro de pickpocket pour une entreprise de sécurité où se trouvait l’élite de la sécurité suédoise : banquiers, officiers, etc. Et là, je me suis lié d’amitié avec les directeurs de cette entreprise de prévention des vols. Je suis resté en contact quelques années avec eux et ils m’ont demandé de travailler comme expert-consultant de leur émission télévisée. Cela m’a ouvert de nombreuses portes pour m’établir et j’y ai ensuite fait plusieurs apparitions. Mais même si cela m’a permis de tester mes compétences, le public du club de stand up comédie était très difficile à affronter pour un débutant : je devais me forcer à monter sur scène encore et encore… Cela m’a appris à jouer, à improviser et vider les poches des gens mais a gravement endommagé ma confiance et il m’a fallu un certain temps pour m’en remettre. Je suis content de tout ce que cela m’a apporté, mais avec le recul, j’aurais pu choisir un moyen plus simple et plus serein pour apprendre le pickpockettisme.
- Comment travaillez-vous?
-Surtout autour des tables pour des événements d’entreprise et sur scène où on me présente au public comme un pickpocket honnête. Donc, tout le monde sait ce qui va se passer. J’ai eu le plaisir de voyager à travers le monde avec mon spectacle, que j’ai présenté dans presque toutes les conditions. Actuellement, avec la pandémie, je reste en Suède et le vol à la tire ne fait donc malheureusement plus partie des numéros que j’ai pu faire cette année…
-Les magiciens ou artistes qui vous ont marqué ?
D’abord et avant tout, le roi des pickpockets, Boris Borra. La première fois que j’ai vu une vidéo de sa performance, j’étais émerveillé. Cela m’a donné le sentiment de regarder un vrai maître au travail. J’ai aussi beaucoup été inspiré par d’autres pickpockets comme Ricki Dunn et Mark Raffles. Et à mes débuts, par le regretté Paul Daniels, que j’ai rencontré une fois. Sa routine de Chop Cup m’a influencé quand il m’a fallu trouver un style de performance. Et bien sûr, le Suédois Tom Stone m’a aussi aidé à grandir.
-Et les styles qui vous attirent ?
-Je préfère regarder un magicien intéressant et ensuite sa prestation. Mais il faut faire les deux. La personnalité de l’interprète doit être au premier plan. J’aime quand la magie se passe dans un contexte particulier, ou qu’elle raconte une histoire. Une chose que je n’ai pas toujours fait moi-même… J’ai aussi un faible pour la comédie dans la magie. Parmi les grands, Paul Daniels et Boris Borra ont influencé mon jeu et mon style. Je regarde aussi vers d’autres arts comme ceux des jongleurs et des chorégraphes, pour voir quelles structures, ils utilisent et si cela peut s’appliquer à mon travail. Je m’inspire beaucoup de films et bandes dessinées pour concevoir mes « routines ». Et je réfléchis à ce que je ferais, si je jouais un pickpocket dans un film pour mettre en valeur une scène ?
-Des conseils à un magicien et pickpocket débutant…
-Expérimentez vos numéros au maximum et avec différents personnages et styles de présentation : une fois que vous aurez gagné en notoriété, il vous sera plus difficile d’expérimenter quelque chose de nouveau… Le public aura des attentes quant à votre travail et vous payera pour cela. Si vous voulez vous essayer au pickpocketisme, ne faites pas comme moi au début et orientez-vous directement vers un numéro complet… Mais vous ferez beaucoup de travail, avant de voir des résultats positifs. Commencez d’abord par apprendre à voler UNE chose et travaillez-y lentement. Incorporez votre pratique petit à petit dans un numéro. N’oubliez surtout pas qu’un cobaye est la personne la plus importante que vous rencontrerez. Donc prenez bien conscience que, sans elle, vous n’existez pas, alors traitez-la correctement…
-Et la magie actuelle ?
- J’ai un sentiment ambigu et je ne peux répondre en quelques phrases. D’un côté, je suis en colère chaque fois que je vois quelqu’un révéler des techniques de magie sur You tube pour obtenir des vues. Mais un grand nombre de gens découvrent cet art à travers ces vidéos et ces magiciens construisent un nouveau type de magie grâce aux médias sociaux. Mais je ne comprends pas l’idée de présenter des tours devant une caméra… La pandémie a accéléré cette voie numérique avec l’explosion de spectacles virtuels à voir. La magie vivante subit des attaques croissantes mais je reste confiant dans l’avenir…
Il me semble important de savoir quelle expérience on souhaite offrir à un public et comment on va utiliser tous les outils nécessaires. Le théâtre et le jeu d’acteur sont essentiels pour obtenir ce que vous désirez. Plus vous avez de connaissances sur des formes artistiques ou autres, plus vous avez d’outils à utiliser dans la magie.
Comédie, chant, danse, etc. : quand vous avez comme objectif, l’expérience que vous souhaitez offrir au public, c’est l’essentiel. Mais n’ajoutez pas d’autres formes artistiques pour cacher les faiblesses d’un numéro mais cherchez plutôt à le sublimer pour créer un spectacle unique et personnel.
-Et en dehors de votre travail ?
-La psychologie et les arts martiaux. Je fais un peu de dessin et j’aime beaucoup lire des bandes dessinées…
Sébastien Bazou