Adieu Lars Norén
Adieu Lars Norén
Le grand poète et dramaturge et metteur en scène suédois est mort du covid à Stockholm. Il avait soixante-seize ans. On l’a souvent comparé son œuvre à celle de ses compatriotes August Strindberg et Ingmar Bergman mais aussi à Henrik Ibsen et Anton Tchekhov.
En France, il s’était imposé avec La Force de tuer qu’avait créée en 88 Jean-Louis Jacopin mort il y a quelques années et où un jeune homme tuait son père. Puis il y eut La Veillée montée par Jorge Lavelli où deux frères et leurs épouses se déchirent autour de l’urne renfermant les cendres de leur mère.
Dans ses quelque quarante pièces, il s’inspira surtout de ce qu’il avait vécu et mit l’accent sur la vie dans les institutions psychiatriques, sur les perversions notamment sexuelles et les violents conflits au sein d’un couple ou d’une famille. Bien connue dans son pays, son œuvre a aussi, et depuis longtemps, fait l’objet en France de nombreuses mises en scène comme (voir Le Théâtre du Blog). Les Démons est l’ une de ses pièces les plus connues, montée entre autres par Jorge Lavelli, Thomas Ostermeier, Lorraine de Sagazan, Marcial di Fonzo di Bo. On y assiste au nième épisode d’une relation amoureuse difficile sur fond d’alcool (on boit beaucoup et très souvent!), de violent érotisme, solitude jamais avouée et agressivité chez deux amants mais aussi parfois de tendresse. « Ou je te tue, dit Katarina, ou tu me tues, ou on se sépare, ou on continue comme ça. Choisis ! » « Je ne peux pas choisir. Choisis, toi », lui répond Frank.
Dans Bobby Fischer vit à Pasadena, on assiste impuissant au délabrement d’un couple et de ses enfants: un pauvre Thomas sorti, mais mal guéri, d‘un hôpital psychiatrique et Ellen, devenue alcoolique après la mort de son bébé… Et dans Fragments, une de ses dernières pièces, comme dans Kliniken ou Catégorie 3 qu’avait montées Jean-Louis Martinelli, Lars Norén met en scène de durs conflits entre parents et enfants, la maladie des proches et leur mort à l’hôpital, des relations sexuelles instables et sans amour, le recours presque permanent à la violence verbale, voire physique, le désœuvrement et le manque d’intimité de personnages qui ont souvent un passé douloureux, un présent difficile dans une société qui les rejette et aucun espoir d’un avenir meilleur!
Dans 20 November, l’auteur juste après la fusillade qui avait frappé la ville d’Emsdetten en 2006, a repris le journal intime et des textes du jeune homme qui s’est suicidé, après avoir ouvert le feu sur les élèves et les professeurs de son lycée. Lars Noren dépeint les frustrations de Sebastian, les violences et humiliations subies à l’école.
Dans Calme, quatrième mise en scène de cet auteur par Jean-Louis Martinelli, après Catégorie 3.1 en 2001, Kliniken (2007) et Détails (2008) une œuvre que Lars Norén a écrite à cinquante ans en 84. « C’est, dit Jean-Louis Martinelli, la plus autobiographique et il applique à sa famille, le même traitement d’écriture que dans Catégorie1.3. Calme est un peu le condensé d’une vie de famille sur une journée… Avec une bonne dose d’autobiographie. John représente Lars Norén à 25 ans : «J’ai peut-être continué à développer ça : un œil d’enfant qui espionne, le détective privé de la famille», dit le dramaturge qui a eu une triste enfance: père alcoolique, mère esseulée qu’il perçoit distante et frère rival, parce que plus aimé.
En 2007, Lars Norén publiera et mettra en scène À la mémoire d’Anna Politkovskaïa, la célèbre journaliste russe de l’opposition assassinée en octobre 2006. Il a succédé à Ingmar Bergman à la tête du Théâtre National de Suède puis sera directeur artistique du Riks Drama, le théâtre national itinérant de Suède. Devenu un auteur contemporain joué partout dans le monde et bien connu depuis longtemps en France, il mit en scène Pur au Vieux-Colombier à Paris en 2008 puis Poussière, il y a trois ans un long poème-monologue qu’il a conçu pour, et avec, les comédiens du Français. Cela pourrait se passer dans une maison de retraite ou un E.P.H.A.D. comme on dit maintenant. Ici, dix hommes et femmes de plusieurs milieux sociaux qui ont en commun une fin de vie proche et de sérieux ennuis physiques et/ou psychiques. Chaque année depuis trente ans, ils s’en vont quand même passer une semaine au soleil au bord d’un pays méditerranéen.
Que du bonheur ! Un concentré de solitudes… Un ouvrier du bâtiment dans un état lamentable raconte que son père adoptif vient de mourir à 94 ans. Une médecin à la retraite, anorexique et très seule, parle beaucoup de sa fille morte d’une sclérose en plaques à trente et un ans. Près d’elle, un pasteur de soixante-trois ans qui a été violé, enfant, cumule psoriasis, arthrose et Parkinson. Une veuve a eu récemment un A.V.C. et est aussi seule que l’ancien médecin. Un ancien travailleur de nuit qui a des troubles du langage, dit qu’il a eu des enfants et que son père s’est suicidé quand il était petit. Grand et trapu, un ex-chauffeur routier parfois bagarreur, a toujours avec lui dans un petit sac, les cendres de son chien qu’il dispersera sur la plage… Certains se sont résignés à vivre dans le ghetto que la société leur a imposé : « Quelle chance de ne pas se souvenir comment c’était avant ». D’autres sont angoissés à l’idée que leur corps reste sans sépulture: « Je me demande qui viendra nous enterrer! » «Je n’aurais pas pu écrire ce texte, dit Lars Norén, avant d’avoir l’âge que j’ai aujourd’hui. C’est une pièce sur les « au revoir » et les souvenirs, sur les dernières vagues à traverser avant la fin. »
Voilà, le covid a encore frappé après Jean-Pierre Vincent, Michel Robin. Nos amis suédois mais aussi le monde entier où ses pièces aussi noires qu’attachantes ont été jouées, perdent un grand dramaturge… Malgré le covid, vive Lars Norén…
Philippe du Vignal
Le théâtre de Lars Norén est publié chez l’Arche éditeur.