Adieu Lars Norén

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Adieu Lars
Norén

Le grand poète et dramaturge et metteur en scène suédois est mort du covid à Stockholm. Il avait soixante-seize ans.  On l’a souvent comparé son œuvre à celle de ses compatriotes August Strindberg et Ingmar Bergman mais aussi à Henrik Ibsen et Anton Tchekhov.
En France, il s’était imposé avec La Force de tuer qu’avait créée en 88 Jean-Louis Jacopin mort il y a quelques années et où un jeune homme tuait son père. Puis il y eut La Veillée montée par Jorge Lavelli où deux frères et leurs épouses se déchirent autour de l’urne renfermant les cendres de leur mère.

Dans ses quelque quarante pièces, il s’inspira surtout de ce qu’il avait vécu et mit l’accent sur la vie dans les institutions psychiatriques, sur les perversions notamment sexuelles et les violents conflits au sein d’un couple ou d’une famille. Bien connue dans son pays, son œuvre a aussi, et depuis longtemps, fait l’objet en France de nombreuses mises en scène comme (voir Le Théâtre du Blog).  Les Démons est l’ une de ses pièces les plus connues, montée entre autres par Jorge Lavelli, Thomas Ostermeier, Lorraine de Sagazan, Marcial di Fonzo di Bo. On y assiste au nième épisode d’une relation amoureuse difficile sur fond d’alcool (on boit beaucoup et très souvent!), de violent érotisme, solitude jamais avouée et agressivité chez deux amants mais aussi parfois de tendresse. « Ou je te tue, dit Katarina, ou tu me tues, ou on se sépare, ou on continue comme ça. Choisis ! » « Je ne peux pas choisir. Choisis, toi », lui répond Frank.
Dans Bobby Fischer vit à Pasadena, on assiste impuissant au délabrement d’un couple et de ses enfants: un pauvre Thomas sorti, mais mal guéri, d‘un hôpital psychiatrique et Ellen, devenue alcoolique après la mort de son bébé… Et dans Fragments, une de ses dernières pièces, comme dans Kliniken ou Catégorie 3 qu’avait montées Jean-Louis Martinelli, Lars Norén met en scène de durs conflits entre parents et enfants, la maladie des proches et leur mort à l’hôpital, des relations sexuelles instables et sans amour, le recours presque permanent à la violence verbale, voire physique, le désœuvrement et le manque d’intimité de personnages qui ont souvent un passé douloureux, un présent difficile dans une société qui les rejette et  aucun espoir d’un avenir meilleur!

Dans 20 November, l’auteur juste après la fusillade qui avait frappé la ville d’Emsdetten en 2006, a repris le journal intime et des textes du  jeune homme qui s’est suicidé, après avoir ouvert le feu sur les élèves et les professeurs de son lycée. Lars Noren dépeint les frustrations de Sebastian, les violences et humiliations subies à l’école.

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Dans Calme, quatrième mise en scène de cet auteur par Jean-Louis Martinelli, après Catégorie 3.1 en 2001, Kliniken (2007) et Détails (2008) une œuvre que Lars Norén a écrite à cinquante ans en 84. « C’est, dit Jean-Louis Martinelli, la plus autobiographique et il applique à sa famille, le même traitement d’écriture que dans Catégorie1.3. Calme est un peu le condensé d’une vie de famille sur une journée… Avec une bonne dose d’autobiographie. John représente Lars Norén à 25 ans : «J’ai peut-être continué à développer ça : un œil d’enfant qui espionne, le détective privé de la famille», dit le dramaturge qui a eu une triste enfance:  père alcoolique, mère esseulée qu’il perçoit distante et frère rival, parce que plus aimé.

En 2007, Lars Norén publiera et mettra en scène À la mémoire d’Anna Politkovskaïa,  la célèbre journaliste russe de l’opposition assassinée en octobre 2006. Il a succédé à Ingmar Bergman à la tête du Théâtre National de Suède puis sera directeur artistique du Riks Drama, le théâtre national itinérant de Suède. Devenu un auteur contemporain joué partout dans le monde et bien connu depuis longtemps en France, il mit en scène Pur au Vieux-Colombier à Paris en 2008  puis Poussière, il y a trois ans un long poème-monologue qu’il a conçu pour, et avec, les comédiens du Français. Cela pourrait se passer dans une maison de retraite ou un E.P.H.A.D. comme on dit maintenant. Ici, dix hommes et femmes de plusieurs milieux sociaux qui ont en commun  une fin de vie proche et de sérieux ennuis physiques et/ou psychiques. Chaque année depuis trente ans, ils s’en vont quand même passer une semaine au soleil au bord d’un pays  méditerranéen.

Que du bonheur ! Un concentré de solitudes… Un ouvrier du bâtiment dans un état lamentable raconte que son père adoptif vient de mourir à 94 ans. Une médecin à la retraite, anorexique et très seule, parle beaucoup de sa fille morte d’une sclérose en plaques à trente et un ans. Près d’elle, un pasteur de soixante-trois ans qui a été violé, enfant, cumule psoriasis, arthrose et Parkinson. Une veuve a eu récemment un A.V.C. et est aussi seule que l’ancien médecin. Un ancien travailleur de nuit qui a des troubles du langage, dit qu’il a eu des enfants et que son père s’est suicidé quand il était petit. Grand et trapu, un ex-chauffeur routier parfois bagarreur, a toujours avec lui dans un petit sac, les cendres de son chien qu’il dispersera sur la plage… Certains se sont résignés à vivre dans le ghetto que la société leur a imposé : « Quelle chance de ne pas se souvenir comment c’était avant ». D’autres sont angoissés à l’idée que leur corps reste sans sépulture: « Je me demande qui viendra nous enterrer! » «Je n’aurais pas pu écrire ce texte, dit Lars Norén, avant d’avoir l’âge que j’ai aujourd’hui. C’est une pièce sur les « au revoir » et les souvenirs, sur les dernières vagues à traverser avant la fin. »
Voilà, le covid a encore frappé après Jean-Pierre Vincent, Michel Robin. Nos amis suédois mais aussi le monde entier où ses pièces aussi noires qu’attachantes ont été  jouées, perdent un grand dramaturge… Malgré le covid, vive Lars Norén…

Philippe du Vignal

Le théâtre de Lars Norén est publié chez l’Arche éditeur.

 

 

 

 

 

 


Archive pour janvier, 2021

Entretien avec Julie Eng

Entretien avec Julie Eng

Il y avait un dicton à la maison: «Je n’ai pas été livrée par une cigogne, j’ai été tirée d’un chapeau!» Mon père, Tony Eng, était magicien à Victoria, une ville portuaire de Colombie-Britannique sur la côte Ouest du Canada. Le monde du spectacle a eu une place centrale dans mon enfance et l’éducation que j’ai eue en magie s’est faite dans un flux naturel et presque évident, comme si la vie était censée être cela pour moi. J’ai appris très jeune et n’ai pas été selon un vieux cliché, « »mordu par un insecte magique » comme beaucoup de mes amis. Mon père m’appris un premier tour quand je devais avoir quatre ans. Et ensuite, nous avons toujours travaillé ensemble. J’ose dire qu’il était fier de moi, aussi satisfaite de ses commentaires positifs.

-Et ensuite?

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-J’ai d’abord été l’assistante de mes parents dans leur grand spectacle; quand j’avais onze ans, mon père m’a aidé à créer mes numéros. Avec ma mère, il avait de nombreuses activités commerciales, y compris la gestion de leur magasin Tony’s Trick and Joke Shop à Victoria. Des années formatrices pour moi quand il était derrière le comptoir. J’ai acquis beaucoup d’expérience, à la fois dans la vente au détail et comme artiste. Notre boutique était devenue un lieu incontournable à visiter: mon père en avait fait une destination touristique de premier ordre. Réputé pour son hospitalité et son sens du spectacle, il faisait  des  tours dans  un décor soigneusement conçu pour les vendre et divertissait vraiment les foules qui voulaient juste l’apercevoir derrière le comptoir. 

-Je travaillais de longues heures à côté de lui, apprenant comment susciter la curiosité avec une démonstration intelligente et surtout conclure une vente. C’est tout un art et n’est pas évident… Il faut être compétent, digne de confiance, expert dans les produits qu’on vend et faire des commentaires nuancés. Mais aussi être courtois, respectueux de ses clients. Tout cela avec un seul objectif : vendre. Ce furent pour moi de vraies leçons de vie…

- Comment vous êtes-vous lancée?

-La magie est couverte d’un voile masculin. A cause de son histoire où des hommes importants ont dominé les scènes? Ou parce qu’il y a peu de modèles féminins pour nous inspirer et encore moins de championnes attirant l’attention?  Sans doute  y-a-t-il encore un réseau de vieux garçons en activité et elle a été longtemps vue comme un divertissement «geek»? Ou à cause des traditions et stéréotypes sociaux selon lesquels elle est faite pour, et par des  hommes? Et donc inadaptée au sexe féminin… Ou parce qu’elle a été tenue -et elle l’est encore- comme une profession discrète avec un manque général de visibilité? Donc pas toujours accessible: c’est souvent portes closes et  plafonds de verre… pour nous, les femmes!

-Vous vous produisez souvent ensemble avec Tony Eng ?

Quand j’ai commencé encore jeune, l’influence de mon père, le fait qu’il m’ait introduit dans la communauté de la magie et qu’il m’ait accompagné, m’a a heureusement compté, m’a aussi protégé à bien des égards et offert encore plus d’opportunités. J’ai eu de la chance: j’étais souvent là au bon endroit et au bon moment. Mais je devais aussi construire ma place dans cette communauté. Alors que, maintenant, de plus en plus de femmes arrivent à franchir les obstacles et à remettre en cause les traditions. J’espère qu’avec toutes celles qui veulent travailler dur, nous aurons ensemble plus d’occasions de gagner et qu’il y aura plus d’égalité…

-Comment exercez-vous votre métier ?

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-J’ai travaillé dans la plupart des lieux typiques, pour des événements privés en « close-up » ou publics mais aussi pour des tournées, festivals, collectes de fonds caritatives. Au cours des vingt-trois dernières années, j’ai quitté Victoria et habité à Toronto où j’ai été aussi productrice et directrice de projets. Comprendre et travailler des deux côtés du système a été très important pour ma carrière...

-Parlez-nous un peu de Magicana…

-Cette organisation a été conçue pour faire avancer la magie comme art du spectacle. Impliquée  depuis 2004, aujourd’hui j’en suis la directrice exécutive. Au tout début,  j’ai travaillé à la réalisation de programmes de sensibilisation fondamentaux : My Magic Hands, un module d’enseignement pour les jeunes « en difficulté » et Senior Sorcery, un spectacle pour personnes âgées, réalisé dans leur maison ou dans des centres communautaires.

Magicana a aussi acquis une importante collection de vidéos, audios et documents sur la magie et son histoire. Grâce au soutien de la Slaight Family Foundation, nous avons lancé The Screening Room pour visionner gratuitement des archives vidéo: clips, documentaires, etc. Avec comme objectif, de fournir un contenu éducatif précieux sur l’histoire de cet art. Nous publions aussi des livres et mettons en ligne des expositions  pour un large public et les communautés de magie. Ceci afin d’en faire progresser l’étude et l’appréciation…  

-Et les autres arts dans votre vie?

-Attirée par ceux impliquant le mouvement et le flux, j’ai grandi en prenant beaucoup de leçons de danse et j’ai même participé à des concours de gymnastique rythmique… De bonnes bases pour la mise en scène, la chorégraphie, la musicalité et le rythme. Après le lycée, j’ai arrêté la gymnastique comme les cours de danse dont j’ai redécouvert les joies à l’âge adulte avec le tango argentin. J’y ai trouvé une profondeur, surtout avec les dichotomies qu’il présente…

Toutes les formes d’art non figuratif et minimaliste, et la représentation de thèmes complexes mais aux lignes simples ou inhabituelles, m’intéressent. Mais celle qui m’influence le plus est la narration. Quel que soit le support: film d’animation, chorégraphie ou histoire charmante écrite pour susciter l’imagination des enfants… Tout ce que je trouve émouvant, je le considère comme de l’art et je me demande alors pourquoi une pièce ou une image en particulier remue quelque chose en moi. J’adore explorer ce curieux chemin…

-Des conseils à un débutant(e) ?

-Soyez curieux, attentifs et pensez bien à celle ou celui à qui vous posez une question. Réfléchissez-y auparavant. Investissez dans la recherche: il y a tellement de ressources disponibles! Creusez un peu et pensez aussi à ce que vous pouvez déjà trouver vous-même: cela changera la qualité de vos questions et de vos recherches. En découvrant ce que vous ne savez pas, là commence le voyage…

Sébastien Bazou

Entretien réalisé le 30 décembre 2020.

Sites de Julie Eng et Magicana.

 

Danse et Histoire: repos, vitesse et lenteur…

Danse et Histoire: repos, vitesse et lenteur…

Philippe Lançon,  journaliste à Libération et Charlie Hebdo où il a survécu à l’attentat du 7 janvier 2015 qui a causé la mort de quatorze personnes… Mais les balles des tueurs lui ont gravement endommagé la mâchoire: dans un livre formidable, Le Lambeau (2018), il raconte l’histoire de sa reconstruction (il a dû subir treize opérations de la mâchoire!) mêlant descriptions physiques, expériences de rêves et voyages lucides dans des espaces proches d’Henri Michaux. Philippe Lançon tenait une chronique culturelle à Libération et, la veille de l’attentat, il avait assisté aux Théâtre des Quartiers d’Yvry à La Nuit des rois.

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A l’hôpital, plongé dans le non-sens, il a lu et relu cette pièce bien connue: « Shakespeare est toujours un excellent guide, quand il s’agit d’avancer dans le brouillard équivoque et sanglant. Il donne forme à ce qui n’a aucun sens et, ce faisant, donne sens à ce qui a été subi, vécu. » Chacun des jumeaux: Viola et Sébastien pense que l’autre est mort. Une histoire de survivants travestis…

L’espace shakespearien permettra à l’écrivain d’enlacer rêves et pensée et de rendre plus rapide sa guérison. Ce récit donne aussi confiance et rend hommage à la puissance de métamorphose de l’écriture et à la précision de la chirurgie. Les dialogues avec Chloé Bertolus qui, depuis janvier 2019, est cheffe de service de chirurgie maxillo-faciale à la Pitié-Salpêtrière, sont une merveille de simplicité. La vie a été pour lui un chemin avec quelques carrefours: rester à Bagdad ou quitter Bagdad, se rendre d’abord à Libé ou au contraire à Charlie, filer à Libé ou partager une friandise avec Cabu… On ne connait pas l’ampleur d’un choix. Il fait le mort. Il n’articulera pas de mots avant longtemps. Sa parole chute (elle lévite?). Elle change de niveau, atteint un grand silence, plus largement que dans l’existence quotidienne, en-deça de lui. Il opère des distinctions entre vie et mort, entre réalité et rêve entrant dans un continuum. Il parle dans la mort. Il parle aux morts, « aux pauvres morts » qui recourbent son chemin… Chez lui, existe un « excès de réalité », un excès de rêve, puisqu’il y a excès de mort…

« Que peut un corps? « La célèbre phrase de Spinoza dans L’Ethique ne se limite pas à une évaluation des forces mais le philosophe met à jour, dans la nature et les êtres, une  variable : un rapport de repos, vitesse et lenteur.

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La danse contemporaine, en supprimant l’obligation de spectacle à présenter et/ou modèles à imiter, travaille ce rapport comme une matière à expérimenter. Danser est alors et avant tout, s’explorer soi-même, découvrir des relations. Isadora Duncan (1877-1927) face à l’Océan Pacifique, commençait immobile: elle parcourait son repos et le changeait en sensations. Avant de danser, elle préleva sur les vagues, des lignes rythmiques, abstraites…

Son corps les incorpora et ces lignes introduisirent entre les organes, des rapports de vitesse et lenteur. Et les oscillations, balancements et enjambements d’Isadora Duncan naquirent de là. En Europe, elle créa des écoles de danse: elle se sentait à l’aise  au centre des villes et dans les nouveaux mouvements échappés au cycle final du temps historique et de la civilisation rurale.

Mais une autre Histoire alors traversait la société: que se passe-t-il quand la notion de vitesse surpasse celle de lenteur? En 1941, Stefan Zweig dans Le Monde d’hier se demandait si la guerre de 14-18 était née, non pas de conflits territoriaux mais d’une apparition fulgurante de nouvelles techniques: avions, navires, etc. Le tank juste après l’automobile?

Isadora Duncan avait précédé la catastrophe.** Merce Cunningham (1919-2009)  commença, lui, à danser en 46. Mais, treize ans avant dans l’Allemagne nazie, les rapports de vitesse et lenteur s’étaient déjà brisés. Subsistait alors une vitesse pure quand Hitler nommé chancelier en 33, confisqua progressivement le pouvoir et modifia les structures politiques, ce qui entraîna la fin de la République de Weimar. Et cette vitesse seule, diffusa une mort perverse, multiple, ondoyante. Les nazis voulaient abolir l’Etat pour libérer les forces de production. Ils libérèrent la mort. La mort pour tous.*

Klaus Mann, le fils de Thomas Mann, écrit dans Méphisto, une carrière (1936)***: « Nous avançons en titubant… Notre Führer nous entraîne dans les ténèbres et le néant… Des éclairs de feu à l’horizon, des ruisseaux de sang sur tous les chemins, une danse de possédés des survivants ». Himmler inventa, lui, la fiction d’une Germanie au sol vital, imprégné d’instincts et pulsions, et réservé aux Aryens… Klaus Mann, homosexuel, sentant venir le danger, préféra en 33 quitter l’Allemagne pour les Etats-Unis où il s’engagea dans l’armée. Face à la fantasmagorie nazie, il présente une terre qui saigne et en ruines. Et cela, dès le commencement… Il finira par se suicider avec un barbiturique…

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Plus tard, Pina Bausch (1940-2009) construisit des sols d’eau, fleurs et terre… Dans Café Muller, elle reprend les choses là où Klaus Mann s’effondrait: elle danse en titubant, mais du côté de la vie. Ses tremblements, saccades et piétinements creusent et font remonter au jour un nouveau plan d’existence, des fragments de mouvements déchiquetés par d’anciennes vitesses. Sans doute Merce Cunningham savait aussi qu’il existait une relation entre langage hyperbolique, gestes trop accentués et violence… L’appel au calme n’est pas chez lui une attitude psychologique mais un filtre qui permet de tenir ensemble des forces qui divergent dans l’événement que constitue une grande ouverture de champ. Soit une multitude de coordinations qui apparaissent puis disparaissent.

© Charles Atlas

© Charles Atlas

Dans Channels inserts de Merce Cunningham  une pièce filmée en 1982 par Charles Atlas, l’espace n’est plus assujetti à un point de fuite ou à une perspective: verticales et horizontales  ne quadrillent plus l’espace. Et tout s’ensuit. Les courses multi-directionnelles avec pliure des articulations, servent de contrepoint. Tête,  genoux et bras ne cessent de se plier en plusieurs sens. Et le torse tient l’ensemble de ces simultanéités kaléidoscopiques. Torse: titre de l’une de ses chorégraphies… Plusieurs lignes relient ainsi de façon mentale le décentrement des courses et celui des parties du corps. Un groupe s’immobilise, puis un danseur court autour et le rejoint. La lenteur vibre de vitesse. L’immobilité demeure un peu en suspension et d’autres interprètes passent devant ou derrière. Les points de l’espace, en dehors de toute hiérarchie, offrent des luminosités variables.

Repos, vitesse, lenteur, cela n’arrête pas… Les passages des danseurs module l’air, comme un peintre le fait sur une toile. « Air » chorégraphique, air de lumière. Merce Cunningham retrouve le théâtre du merveilleux et l’espace devient ainsi un milieu maritime où les axes directionnels ne préexistent pas. Chaque interprète surgit en créant une ligne d’apparition, là où peut se loger une caméra. Là où peut aussi se loger l’œil de l’esprit. « Qui a un corps apte au plus grand nombre d’actions,  dit encore Spinoza, a un esprit dont la plus grande partie est immortelle. »

Bernard Rémy

*Libres d’obéir: le management, du nazisme à aujourd’hui de Johann Chapoutot, 2020, Gallimard.

**Isadora Duncan de Jérôme Bel est inspiré de l’autobiographie Ma Vie de la célèbre danseuse. Le spectacle a été joué à Berlin, Paris, Aubervilliers, Varsovie… et devrait être à nouveau présenté au prochain festival d’Automne.

***Méphisto, Histoire d’une carrière, Denoël (1975). Réédition chez Grasset. Ariane Mnouhckine en avait fait, en 1979 au Théâtre du Soleil, une très belle adaptation.

 

Entretien avec Hiro : Une école de magie en ligne…

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Entretien avec Hiro

-Comment êtes-vous entré dans la magie ?

-Je suis arrivé en France à cinq ans et je me souviens avoir vu un magicien à un spectacle de fin d’année. Même si je ne comprenais pas grand-chose au propos, j’ai tout de suite été fasciné par les effets. Comment un œuf en plastique pouvait devenir réel? Ou comment il faisait disparaître des colombes avec leur cage? Je ne comprenais rien mais je me laissais embarquer par l’histoire et les émotions. Second déclic : à douze ans, j’ai vu Bernard Bilis dans Le plus grand Cabaret du monde avec un «close-up» et j’enregistrais tous les numéros. Ensuite, j’ai reçu comme cadeau d’anniversaire de mes seize ans, une VSH de Pierre Switon sur la magie des cordes, et des balles en mousse. (J’ai encore cette sensation incroyable de découvrir ses performances!) Alors, je suis allé acheter des mètres de corde chez Leroy-Merlin et j’ai appris chaque effet. Donc en autodidacte… avec des ouvrages et des vidéos!

-On vous a aidé ?

-J’ai rencontré Orion, un magicien professionnel peu connu dans le milieu mais qui a été très important dans ma «carrière». Il m’a guidé, m’a appris toutes les bases et j’ai pu avec lui, me perfectionner dans la magie des pièces, gobelets, etc. Il était vraiment polyvalent:  j’aimais  cela et j’ai eu la chance de le rencontrer. Ensuite arrivé à Paris, j’ai été en contact avec Eric Sagot qui m’a fasciné par sa maîtrise dans la magie des cartes… Je parlais avec lui des soirées entières sur les spécialités et j’ai beaucoup appris. Il m’a aussi procuré ma première soirée rémunérée! Bien entendu, d’autres m’ont fait avancer dans cette passion! Mais Orion et Eric Sagot m’ont véritablement lancé. A l’inverse, j’ai été freiné quand, dans certaines réunions d’artistes, je voyais que l’objectif était alors plutôt une comparaison des techniques! L’art se partage et la connaissance se multiplie. Mais je n’ai pas toujours retrouvé cette philosophie dans le métier! Je ne devais certainement pas être au bon endroit, au bon moment et avec les bonnes personnes. Mais c’est un détail…

-Comment travaillez-vous ?

Ma spécialité : la magie événementielle. J’ai donc exercé en impromptu à Paris dans les restaurants en close-up et mentalisme. Et je me définis comme artiste dans ces spécialités. Avec le temps, les salons professionnels, les entreprises et agences événementielles m’ont sollicité. J’aime rencontrer des inconnus et sortir de ma zone de confort…

– Et cette école de magie en ligne : Devenir Magicien 

-J’ai d’abord été enseignant dans le secondaire. Passionné à la fois par la magie et le sport, j’ai encadré des activités de vacances en Suisse, il y a quinze ans et j’ai pu alors diriger des stages de magie pour stimuler concentration, dextérité mais aussi confiance en soi, gestion des émotions… Une première expérience très enrichissante. Et je me suis dit que je créerai peut-être un jour une école de magie. Mais le temps passe et nous n’avons pas toujours le temps de construire un projet. Avec le recul et l’expérience, je me suis sentis prêt à créer un enseignement en ligne et atteindre ainsi le maximum de gens en respectant les consignes sanitaires…

Devenir Magicien est le fruit d’une longue réflexion et pas simplement un effet de mode! Actuellement, il est facile d’accéder aux secrets. Mais je voulais proposer une autre expérience en rapport avec mes conceptions pédagogiques et me suis alors posé la question: «Quelle est la formation idéale pour se lancer? Quels conseils aurais-je aimé recevoir?» Je suis parti sur ces principes: faire apprendre un art polyvalent et impromptu, avec les techniques indispensables. Cela pour établir une rupture entre la magie des débutants et celle des professionnels. Objectif: s’épanouir dans l’art de l’illusion, créer les bons exercices et les bons tours… Mais aussi procurer le suivi pédagogique d’un magicien professionnel. Non pour dévoiler des secrets mais pour amener l’élève à comprendre pourquoi il veut apprend cet art… Chaque formation a donc été faite dans une logique d’épanouissement et de progression. J’ai  établi chaque module pour voir comment il pouvait s’articuler facilement avec le suivant. Mais il était hors de question de vendre des tours sans objectif final.

Il m’a fallu aussi du temps pour trouver le nom de cette école mais: Devenir Magicien fut une évidence! En effet, cela signifie être quelquefois professionnel et vivre de sa passion. Mais aussi vouloir surprendre et amuser ses proches et invités, sortir de son confort. Tout le monde, à son niveau, peut devenir magicien…

-Quels sont ceux qui, dans cette aventure, vous ont marqué ?

-D’abord Orion, mon mentor qui avait une polyvalence extraordinaire: tours avec cordes, pièces, gobelets, anneaux, foulards. Ma première claque quand je suis devenu magicien professionnel? Le spectacle de Luc Apers à Paris. Après avoir eu un telle impression d’excellence, j’ai alors mis beaucoup de temps à monter sur scène. En effet, comment pouvais-je me lancer, si je n’arrivais pas moi-même les dix pour cent que ces artistes eux, me transmettaient? Dans la magie événementielle, j’ai toujours été séduit par le travail d’Antonio Bembibre et j’ai eu la chance de travailler avec lui sur certains événements. Il a vraiment un incroyable talent !

-Quels sont les styles et influences qui vous attirent ?

-A l’origine, beaucoup le close-up et la magie visuelle. En ce moment, je suis intrigué par la magie scénique quand je vois Shin Lim ou Bond Lee. Ils stimulent ma créativité et cela modifie mon approche. J’essaie d’établir des ponts artistiques entre magie de scène et close-up. Je me suis rendu compte que, si on transposait ces effets sur un plateau, l’effet pouvait être décuplé. Et, si on fait apparaître des cartes ou une colombe, la réaction est souvent incroyable et inattendue. Quand on change certaines règles et que l’on bouscule les habitudes, le public est alors très surpris. Donc, je m’intéresse à cette école, peut-être aussi parce que je suis asiatique.

-Des conseils à un débutant?

- Suivre le programme initiation de l’incroyable école Devenir Magicien… Je plaisante bien entendu! L’apprentissage a un caractère buissonnant et les chemins sont multiples. Impossible pour un débutant de trouver la bonne voie, si on ne fait pas une évaluation avec lui. Certains ont besoin d’apprendre seuls et d’autres avec un professionnel. Mais il ne faut  pas aller trop vite vers des cours privés. Mais on doit chercher et expérimenter. Et pourquoi pas acheter quelques livres et DVD. Ensuite, quand on souhaite franchir un niveau C.A.P. et évoluer, il faut sans doute acquérir une formation avec un professionnel…

-Et la Culture dans tout cela ?

-Elle a une grande importance dans l’approche de notre discipline. Connaître certaines thématiques artistiques permet de s’éloigner des autres magiciens. Tout le monde peut faire une «levée double» ou une «carte ambitieuse». Mais ce qui fera la différence, c’est votre personnage, votre expérience et votre culture. Personnellement, j’aime développer des effets en rapport avec mes origines et parler d’harmonie ou philosophie de manière ludique. Et cela accroit certains effets de mentalisme. Surtout dans le milieu événementiel! S’approprier la culture d’une entreprise, ses techniques de communication et de vente n’est jamais un luxe quand il faut se synchroniser au mieux avec un public.

-Vos passe-temps?

Le sport ! Il y a de nombreux points communs entre l’exercice de la magie et la pratique d’activités physiques dont j’ai besoin pour appuyer sur pause, ouvrir une parenthèse là où la pensée s’arrête, et pour me ressourcer…

Sébastien Bazou

Entretien réalisé le 10 janvier.

https://www.devenirmagicien.fr  https://www.hiromagie.fr

 

Les Présomptions saison 2 Morceaux de vie en transit, texte de Guillaume Poix, mise en scène de Louis Sergejev

Les Présomptions saison 2 Morceaux de vie en transit, texte de Guillaume Poix, mise en scène de Louis Sergejev

Dix ans plus tard, l’équipe du Printemps du machiniste retrouve les personnages de la saison I. A l’entrée, test olfactif obligatoire pour savoir si le parfum sur deux languettes de papier est senti comme féminin ou masculin aux allures de test covid camouflé. Et selon la couleur du ticket … On est alors dirigé vers une entrée ou une autre. Arrivée directement sur le plateau, c’est à dire dans une représentation de ces allées interminables d’aéroport international faites de potelets pour accéder à un guichet. Avant d’être autorisé à rejoindre la salle.

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En fond de scène, trois amis incarnés par des marionnettes à fil à taille humaine, plus vrais plus justes que nature- de vraies et belles sculptures à la fois réalistes et pas, remarquablement interprétées et manipulées à vue avec contrepoids blancs, par Dorine Dussautoir et Noé Mercier. Il y aura ensuite aussi un escalier d’embarquement sur un praticable à grosses roues caoutchoutées, avec quatre jeunes femmes et quatre jeunes hommes assis sur les marches: il est question des rapports difficiles entre les sexes. « La marionnette est une parole qui agit ». Jamais la phrase de Paul Claudel n’aura aussi été justifiée.

Cette curieuse et énigmatique petite bande est interprétée avec une grande précision et une étonnante vérité par de petites marionnettes aux pieds magnétisés qui leur permettent de se tenir en équilibre sur cette échelle horizontale en fer. Toujours aussi bien manipulés par Dorine Dussautoir et Noé Mercier.

Regards en biais, rapprochements ou éloignements entre eux, ils sont là face public et nous regardent fixement. Vraiment étonnant. «Les vrais grands sont moins jolis que des petits bonhommes comme cela dans cette maquette de gare, nous avait dit autrefois un petit garçon de cinq ans.» Effectivement ici, avec ces marionnettes à différentes échelles et tout un jeu sur la distance, Louis Sergejev aura réussi son coup : on est dans un autre monde à la fois vraiment poétique… et double du nôtre! Un bonheur visuel qui rappelle souvent à la fois les poupées du grand Bread and Puppet de Peter Schuman et celles des merveilleux théâtre bunraku japonais que nous découvrions avec admiration au festival d’automne dans les années soixante-dix.

Au chapitre des réserves: un texte inégal, beaucoup plus solide sur la fin, une mise en place parfois longuette quand il s’agit de changer l’environnement scénique. Et on aurait aussi aimé que la manipulation se fasse à visage masqué (mais ce n’est pas très à la mode !) Ce qui aurait permis de mieux mettre en valeur ces huit petites marionnettes. Mais encore une fois, ce spectacle, qui a sans doute besoin d’être encore rodé, a un climat poétique assez rare. Et par les temps qui courent, cela fait le plus grand bien…

Philippe du Vignal

Présentation professionnelle vue le 21 janvier au Mouffetard-Théâtre, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème).

Borderlines, chorégraphie de Taoufiq Izzediou

Taoufiq Izeddiou - 3e Biennale du festival Altérité, pas à pas! - 3e Biennale du festival Altérité, pas à pas!Tangente DanseÉDIFICE WILDER – Espace danse1435, rue De Bleury, Montréal H3A 2H7Bureau 10110. 11. 12 OCTOBRE 2019 - 19H3013 OCTOBRE 2019 - 16HChorégraphie Taoufiq IzeddiouInterprétation Yassmine Benchrifa, Moad Haddadi, Mohamed Lamqayssi, Chourouk El Mahati, Hassan OumziliCréation sonore Saïd Ait El Moumen et Taoufiq IzeddiouMusique Saïd Ait El MoumenConception lumière Chantal LabontéConception costume Tarik RibhPartenaires ESAVM, AFAC, Festival On Marche, CCN Belfort (VIADANSE)3e Biennale du festival Altérité, pas à pas!Tangente DanseÉDIFICE WILDER – Espace danse1435, rue De Bleury, Montréal H3A 2H7Bureau 10110. 11. 12 OCTOBRE 2019 - 19H3013 OCTOBRE 2019 - 16HChorégraphie Taoufiq IzeddiouInterprétation Yassmine Benchrifa, Moad Haddadi, Mohamed Lamqayssi, Chourouk El Mahati, Hassan OumziliCréation sonore Saïd Ait El Moumen et Taoufiq IzeddiouMusique Saïd Ait El MoumenConception lumière Chantal LabontéConception costume Tarik RibhPartenaires ESAVM, AFAC, Festival On Marche, CCN Belfort (VIADANSE)

Borderlines, chorégraphie de Taoufiq Izzediou

Le chorégraphe a rassemblé quatre de ses anciens élèves, pour composer une pièce fougueuse d’une heure qu’il avait hâte de montrer en France. «Au Maroc, depuis un an, tout est fermé, dit-il, et les danseurs ne bénéficient d’aucune aide. Beaucoup sont obligés de quitter le métier pour aller travailler ailleurs.» Reconnu sur la scène internationale, fondateur et directeur artistique du Festival de danse contemporaine On Marche, à Marrakech, Taoufiq Izzediou continue de présenter ses créations en Belgique, au Canada et en France… Pour cette nouvelle pièce, il bénéficie notamment du soutien du Théâtre Jean-Vilar à Vitry-sur-Seine qui coproduira aussi son prochain spectacle.

Sur le plateau, un grand carré couleur sable, cerné par des coins métalliques. Un premier danseur apparaît sur les bords, puis un deuxième. Et, comme si cet espace leur était interdit, ils en arpentent longuement les contours et en mesurent les limites. Ils franchiront ces frontières avec précaution, bientôt rejoints par les deux autres interprètes.

Sur ce domaine enfin conquis, ils vont donner libre cours à leur énergie, chacun développant son propre style. Ensemble ou séparés. Parfois, comme bloqué, l’un ou l’autre suspend son geste. Un autre s’agite à terre, dans un semblant de transe.  Avec précaution, les corps s’affrontent, s’engluent comme empêchés, dans cette périlleuse traversée, puis s’échappent, cherchent à inventer leur propre territoire et enfin l’habitent. Ils donnent parfois de la voix, et crient leur colère. La seule femme, Chourouk El Mahat déploie une danse sinueuse. A la fin, les artistes pervertissent l’espace vide avec des accessoires métalliques, prothèses prolongeant leur corps dans une lumière cauchemardesque.

Taoufiq Izzediou, en référence aux crises migratoires, veut interroger «les checkpoints, visibles ou invisibles, entre ici et là-bas, entre masculin et féminin, entre chaud et froid, entre modernité et tradition. » La création sonore de Saïd Ait Elmoumen -musique contemporaine et rythmes africains- exprime ainsi la porosité des frontières réelles ou imaginaires qui restreignent notre désir universel de mobilité.

Avec un épilogue en forme de rêve, sur Hello my Love, une chanson de Léonard Cohen, Taouffiq Izzediou ouvre un espace imaginaire tranchant radicalement avec le reste de la pièce. Le décor se défait, la danse s’apaise et ,sur ce refrain lancinant, «Hello, my love/And my love, Goodbye», retrouve les mouvements circulaires chers au chorégraphe. Une échappée belle, teintée de mélancolie. Mais Taoufik Izeddiou, qui a aussi fondé la première  école de danse contemporaine du Maroc, garde foi en l’avenir  : «Ils essayent de nous enterrer mais il ne faut pas oublier qu’on est des graines. »

Mireille Davidovici

Présentation professionnelle vue le 18 janvier, Théâtre Jean-Vilar 1 Place Jean-Vilar  Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Le 27 février, Viadanse, Centre Chorégraphique National de Belfort (Territoire de Belfort).

En juillet, Théâtre Jean-Vilar, Vitry-sur-Seine.

Du 20 au 27 septembre, Biennale de la danse en Afrique, Marrakech (Maroc).

Et début novembre, Centre Chorégraphique National de Roubaix (Nord).

 

La Ménagerie de verre de Tennessee Williams,mise en scène de Georges Nanouris

La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, traduction de Stelios Vafeas, mise en scène de Georges Nanouris
 
Dans un deux-pièces à Saint-Louis (Missouri), Amanda Wingfield abandonnée par son mari, vit dans le monde fantasque de ses anciens amoureux, entourée par ses grands enfants: Tom rêve de quitter son travail dans une usine de chaussures mais aussi l’étouffant cocon familial. Et la jeune Laura, à la timidité maladive et que tourmente une jambe infirme, prend le plus grand soin de sa ménagerie de verre: de fragiles animaux miniatures. Amanda a demandé à Tom d’inviter Jim O’ Connor, un copain, ouvrier dans la même usine… Elle y voit un amoureux possible pour Laura.

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De nombreuses similitudes existent entre la famille Wingfield et celle de Tennessee Williams.  La Ménagerie de verre, écrite en 1944, est contemporaine de la fondation de l’Actor’s Studio. Comme toute son œuvre théâtrale, la pièce est liée aux pratiques d’acteur de cette école où la construction du personnage est essentielle. Tout dans le texte est décrit avec précision: environnement, âge, milieu social, métier et habitudes des protagonistes… Pour une juste analyse du comportement humain.  Et Tennessee Williams commente la situation par le biais du narrateur, ou grâce à des projections d’images.

Il y a dans La Ménagerie de verre écrite avec le décalage qu’autorise la mémoire, des didascalies précises: elle, dit son auteur, « se passe dans la mémoire et n’est donc pas réaliste. Elle se permet beaucoup de licences poétiques. Elle omet certains détails; d’autres sont exagérés, selon la valeur émotionnelle des souvenirs, car la mémoire a essentiellement son siège dans le cœur. »

La Ménagerie de verre
dépasse son époque: complexe et polysémique et peut, après  plus de soixante-quinze ans, être encore réinventée… Georges Nanouris a créé un spectacle avec un rythme et des couleurs qui lui permettent de saisir le quotidien avec  justesse et réalisme. Seuls, les objets indispensables à la compréhension d’une scène sont ici gardés. Des lampes montent et descendent comme des pendules, soulignant le symbolisme de cette ménagerie de verre et renforçant la poésie du texte.

Mais Anna Massha (Amanda) a une voix monotone, des gestes répétitifs et une certaine  hystérie qui affaiblissent le personnage… Lena Papaligoura montre bien le passage impossible de l’enfant à la femme chez Laura, ses traumatismes psychiques et son caractère introverti mais l’actrice n’évite pas toujours un ton mélodramatique facile pour créer l’émotion. Konstantinos Bibis criaille souvent et joue Tom de façon superficielle. Mais Anastassis Roilos, lui, excelle en Jim O’Connor et a une belle présence scénique. Notamment, à la fin quand le jeune homme et Laura se livrent à des confidences et s’embrassent (on voit le baiser en ombre à cause des limites imposées par la crise du covid!). Mais c’est la seule scène poétique et touchante du spectacle…
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Spectacle vu le 23 janvier, en retransmission depuis le Théâtre National d’Athènes.

Le Monde est rond de Gertrude Stein, mise en scène de Christian Germain

Dans les forêts roses

© Stella Lannito

Le Monde est rond de Gertrude Stein, traduction de Jacqueline Loehr, mise en scène de Christian Germain

«Ce livre a été écrit pour qu’on ait du plaisir. La plupart des enfants ne seront pas capables de lire eux-mêmes. Lisez-le-leur à voix haute. Si vous avez quelque difficulté, lisez de plus en plus vite jusqu’à ce que vous n’en ayez plus. Ce livre a été ́ écrit pour qu’on en ait du plaisir. » Gertrude Stein, dans son style inimitable, dit bien qu’il faut prendre les enfants par la main, ce que fait Laurence Vielle, la narratrice, en les guidant avec malice à travers une forêt de mots qui tourbillonnent: « En ce temps-là, le monde était rond et on pouvait y tourner tout autour en rond et en rond » (…) « Et puis il y avait Rose. »

 Et Rose, comme tout enfant, se pose des questions: «Rose était son nom et aurait-elle été Rose si son nom n’avait pas été Rose. Elle y pensait et puis elle y pensait à nouveau. Aurait-elle été Rose si son nom n’avait pas été Rose et aurait-elle été Rose, si elle avait été une jumelle.» Et Rose, en se nommant, va apprendre à nommer le monde, les personnes, les animaux et les choses… Il y a aussi son chien, Amour,  son cousin Willy, un lion, Billie… Et comme Rose est une petite fille curieuse et intrépide, elle voit au-delà des rondeurs du monde, une montagne sans nom à gravir… Un voyage vers l’inconnu qu’elle entreprend avec une chaise bleue (sa couleur préférée). L’histoire raconte ainsi le cheminement vers l’adolescence, à travers les tourments enfantins et bientôt la découverte de l’amour.

Dans ce conte initiatique, Gertrud Stein (1874-1946), poète, dramaturge et papesse de l’avant-garde artistique, travaille la langue comme un peintre cubiste les formes et les couleurs. Elle en décompose et recompose les figures, à l’infini des mots. Dans Le Monde est rond, l’un de ses derniers écrits (1939), elle déroule son  fameux: «Rose is a rose is a rose a rose…» que la petite fille égarée dans les bois, grave, pour se repérer, tout autour d’un tronc d’arbre: «Ce n’est pas facile de graver un nom sur un arbre particulièrement si les lettres sont rondes comme R et O et S et E, ce n’est pas facile. Et Rose oublia qu’elle était là seule et toute seule là, il lui fallait graver et graver soigneusement les contours des O et des R et des S et des E dans une Rose est une Rose est une Rose est une Rose. »

Dans cette prose hypnotique et rythmée, portée par une traduction fluide, les comédiens tricotent un spectacle où se mêlent texte, chansons, musiques et bruitages… Phrases et images s’inscrivent sur le décor en fond de scène ouvert comme un grand livre illustré et les personnages s’animent au fil du récit, magistralement orchestré par Laurence Vielle.

Elle-même, poétesse confirmée, épouse les mots avec évidence. Vincent Granger joue le cousin Willie et accompagne le récit sur des instruments aux timbres contrastés: clarinette, flûte, guitare, claviers, jouets d’enfant et percussions… La chanteuse Jehanne Carillon prête à Rose ses interrogations, ses pleurs et ses mimiques. Les trois interprètes croisent leurs voix dans les chansons qui parsèment le texte. Pour ce théâtre de mots et de sons, Christian Germain a choisi de privilégier le dire avec des phrases lancées au tempo impulsé par la narratrice qui nous perd et nous guide à la fois dans les méandres du texte. Un bonheur garanti pour petits et grands.

 Mireille Davidovici

Présentation professionnelle vue le 15 janvier au Théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).  T. :01 46 70 21 55. A voir dans ce théâtre au printemps… si tout va bien.

 

 

 

Entrailles par la compagnie de la Carotte

Entrailles par la compagnie de la Carotte, mise en scène de Camille Perrin

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La Carotte, implantée depuis 2002 à Orchamps dans le nord du Jura, tisse patiemment des liens entre la population et l’art vivant. Chacun de ses spectacles, entre conte, clown, poésie et burlesque, explore le rapport du théâtre au public, à son lieu de vie et à son imaginaire quotidien.

Ici, Caroline Guidou, Daphné Amouroux et Cécile Druet, actrices expérimentées dans le jeu clownesque, vont passer par une série de situations quotidiennes qui renvoient à la vie de personnages mythologiques. Certains spectateurs reconnaissent Sisyphe, le Minotaure, le Cyclope, etc. D’autres ne captent pas vraiment mais rien de grave.

Les costumes et les divers  objets qui jonchent le sol dont une grosse bouée, sont efficaces et il y a ici parfois des accents beckettiens. Ce trio de clownesses fonctionne bien et on pense aux Pieds Nickelés, les célèbres Croquignol, Ribouldingue et Filochard, ces héros, peu portés sur le travail, de la bande dessinée créée par Louis Forton en 1908.

C’est encore une phase de travail, et certaines scènes seront sans doute revues. Le metteur en scène intervient régulièrement pour remettre les choses en place avec précision. Mais le spectacle parait déjà en très bonne voie. A suivre…

Edith Rappoport

Répétition générale vue le 21 janvier au Studio des Trois Oranges, Audincourt (Doubs).

Face à la mère de Jean-René Lemoine, mise en scène d’Alexandra Tobelaim,

Face à la mère de Jean-René Lemoine, mise en scène d’Alexandra Tobelaim, création musicale d’Olivier Mellano

On voudrait emprunter à Antoine Vitez le titre de son recueil de poésies : La Tragédie, c’est l’histoire des larmes. Face à la mort de sa mère, il a fallu pour l’auteur que les larmes coulent et creusent un ravin de plus en plus profond, à travers les strates de toute une vie, jusqu’à l’horreur de l’assassinat et ensuite à la possibilité d’une parole d’amour. Le titre dit vrai: le narrateur fait face. Il l’annonce dans le prologue, avant de s’adresser à cette mère «parfaite» à qui il dit : vous ». « Il aura fallu trois années de parenthèse, trois années de coma profond, pour pouvoir vous donner rendez-vous dans ce lieu ombragé, devant l’assemblée silencieuse. »

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Se retrouver dans un pays qui n’est plus le sien et dans la dignité un peu égarée des funérailles qui cachent mal un saccage.  Retrouver des photos, des lettres mais aussi ses anciennes élèves qui l’aimaient tant, retrouver sa tendresse pour elles, cette médaille dont il n’a «connu que le revers » et qu’il aurait voulu connaître. Il lui faut refaire le chemin de son enfance, les aéroports, les départs et retours : au Congo, avec son père et en Belgique, avec cette mère “parfaite“ et dure qui voulut faire de lui, un enfant parfait. Avec l’adolescent révolté et, bien plus tard, avec l’homme: «Lorsque nous nous sommes revus, nous avons commencé à nous parler comme des amis fragiles. » (…) « Nous nous apprivoisions, au fil de mes sporadiques et fugaces visites. »

Mais le fil est rompu dans un pays en perdition.  Il s’adresse à une morte assassinée. Le récit n’est pas seulement celui d’un homme en deuil de sa mère mais celui du fils dans un pays qui s’abîme dans l’horreur et l’atrocité. À cela, il faut faire face. Femme et professeur : deux bons moteurs de haine pour des êtres perdus «par la folie d’un seul homme» dont la devise pourrait être: Viva la muerte! Donner la vie, éclairer les esprits !

Le pire : elle n’est pas la seule victime et les mornes verts (des collines) sont devenus gris. On tue partout, femmes, filles, bébés… et par-delà le destin d’un pays, on entre dans le trou noir de l’espèce humaine. «Votre mort qui, longtemps, me sembla unique, incomparable, se dissout peu à peu dans la géographie de la douleur. » Reste l’écriture et la poésie d’un récit exigeant, rigoureux qui coupe le souffle et qui le rend: c’est la fonction de la tragédie.

On comprend que ce texte intimide. D’où une mise en scène sans doute trop respectueuse, trop raide. Les trois comédiens s’adressent à nous avec un vrai engagement et une concentration qui ne faiblit pas. On apprécie que, bien qu’ «appareillés» (et fort bien) pour pouvoir tenir, en harmonie avec les musiciens, ils nous parlent parfois à voix nue, comme le demande le narrateur: « (Se) présenter à vous dans la nudité de l’errance ».

Mais on aimerait qu’ils sachent aussi recevoir l’écoute du public, qu’ils respirent et  lâchent parfois leurs épaules, juste pour avoir à nouveau plus de force. On aimerait qu’ils donnent plus de vie à leurs errances mesurées sur le plateau. Les gestes des musiciens, dans leur sobriété, sont au moins conduits et libérés par le son de leurs instruments. La scénographie d’Olivier Thomas est tout aussi sobre : des rideaux, tombés droit des cintres, figurent les colonnes cannelées d’une Grèce imaginaire. Alexandra Tobelaim a vu juste en donnant pour cadre à ce Face à la mère, la tragédie antique. Elle en retrouve modestement le chœur, soutenu ici par une musique qui accompagne l’effroi. Et qui nous en protège tous, peut-être.

On n’a pas envie d’en dire plus : ce texte nous atteint profondément dans sa tendresse et sa pudeur sans concessions. Rien n’est adouci, artificiellement lyrique et les choses sont évoquées dans leur vérité, toujours. On n’ose pas trop vous dire de lire le texte,. Ce serait pactiser avec la fermeture des théâtres ! Mais on le dit quand même…

Christine Friedel

Présentation professionnelle vue au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, où le spectacle était initialement prévu du 15 janvier au 14 février.

Le texte est publié aux Solitaires intempestifs.

 

 

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