Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? d’Emmanuel De Candido et Pierre Solot, co-mise en scène d’Olivier Lenel

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©Lionel Devuyst

Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? d’Emmanuel De Candido et Pierre Solot, co-mise en scène d’Olivier Lenel

Cela se passe au Cet Quatre dans une petite salle. Avec quelque quatre-vingt personnes, bref, un vrai public et même si les places sont parfois espacées, cela fait du bien… Et il y a un rang de douze toutes des spectatrices…Sur le plateau, deux sièges de bureau pivotants, des consoles, écrans et claviers dont l’un allumé, montre les images d’un jeu de chasse aux canards sur lequel on tire avec un revolver électronique. Dans le fond, un grand écran pour images de guerre où est affiché le titre : Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon? Emmanuel De Candido et Pierre Solot  saluent gentiment chaque spectateur qui entre. Une chope Starbucks à la main autour d’une table basse où sont rangés des livres,  dont  quelques-uns de Nietzsche. Déjà amis au lycée en Belgique, ils ont la bonne trentaine et sont complices professionnels depuis dix ans. Ils se présentent réciproquement: Pierre Solot, pianiste, musicologue et acteur mais aussi conférencier et romancier. Emmanuel De Candido, d’abord diplômé de philosophie, comédien, auteur-metteur en scène et producteur artistique de la compagnie MAPS  qui travaille sur les questions de société et les nouvelles écritures.

Puis ils commencent à retracer l’histoire des jeux vidéo en interrogeant de temps à autre le public qui se prête au jeu. Cette introduction, façon pédagogie macronienne pas très légère, est un peu longuette. Et le lien avec Brandon, le personnage principal reste ténu sinon que ce jeune homme est passionné de jeux vidéo et d’informatique. A quelque vingt ans, il ne sait trop quoi faire de sa vie. Un ami lui conseille alors de se faire embaucher par l’armée américaine qui, on le sait, est une sorte d’Etat dans l’Etat. L’U. S. Air Force emploie des femmes et hommes ultra-compétents dans les domaines les plus variés. Soit environ 1.500.000 militaires actifs et, au département de la Défense, travaillent plus de 770.000 civils! Budget, organisation, force de frappe, capacité de déploiement : première armée mondiale, l’U. S. Air Force compte 14.000 pilotes avec 3.700 pilotes de chasse dont soixante-dix femmes et environ soixante-dix de drones. Brandon, particulièrement brillant aux tests, a vite été engagé et on lui confiera des missions de reconnaissance et de frappe commandées par de hauts gradés. Mais leurs effets sur la santé mentale de ces jeunes militaires sont dévastateurs. A cause du stress lié aux dommages collatéraux!

Brandon, enfermé dans un conteneur climatisé en plein désert du Nouveau Mexique, frappe avec détermination, sur ordre, quelque part au Yémen ou au Pakistan… une cible précise avec un ennemi prétendûment virtuel, alors qu’il s’agit bien d’hommes et de femmes ciblés. Alors comme s’étonner qu’à long terme, des troubles psychiques puissent apparaître chez ces pilotes comme chez ceux qui ont une addiction aux jeux vidéo. C’est le thème principal de ce spectacle. « On a l’habitude d’associer réel et réalité, dit le philosophe Stéphane Vendé, voire de les confondre. Là, est l’erreur, source de bien des incompréhensions. Car il ne faut pas confondre, là non plus, ces deux domaines. Si le réel est bien ce qui est et, en tant que tel, un et absolu la réalité en est la représentation, et même la reconstruction de plus en plus «approchée».  » (…) » La réalité n’est donc pas une et absolue comme l’est le réel, elle est multiple et change avec les époques et les différentes civilisations, selon l’état des moyens d’investigation scientifiques et d’opération techniques. » Tout est dit et être pilote de drone n’a rien d’une promenade de santé, même si on ne risque rien physiquement…

Dans une campagne misérable, un enfant, un chien, on ne sait pas trop, est touché par un missile et peut-être aussi, le chef militaire qui a été repéré comme dans un combat aérien mais sans certitude absolue: l’informatique a ses limites… Mais Brandon, après cinq ans et cinq jours, épuisé par ces assassinats légaux mais finalement peu efficaces, démissionne et sera lanceur d’alerte. Il s’aperçoit enfin mais un peu naïvement, qu’en prêtant serment, il s’est fait piéger: la guerre n’est jamais propre et il va vite en payer le prix. Dans un café Starbucks, son amoureuse Jessica lui avoue : «Ou bien tu me parles, ou bien je te quitte.» Brandon alors parlera: maintenant, il va tout révéler mais trop tard, Jessica  s’en ira. Lui, démissionnera de l’armée pour témoigner de son expérience et mobiliser l’opinion publique,  ce qui signera son exclusion sociale… Il y a aussi des dégâts collatéraux dans le pays le plus puissant et le plus technologiquement armé de la planète!

Sur le plateau, toute une gamme d’outils numériques d’une société hyper-connectée : jeux vidéo, projections sur grand écran, musique digitale… Et aussi, remarquablement filmée, une grande maquette de paysage quand Brandon va tirer sur une cible située à des milliers de kms dans un pays où il n’ira jamais. Les États-Unis, on le sait, disposent plus de 7.000 drones en service dont deux cent, comme les redoutables Predator, Repaer, etc. Pour des exécutions à grande distance, en violation absolue du droit international...

 Ce n’est pas la première fois que le théâtre s’empare du récit d’un pilote de drone. Il y a quelques années, Pauline Bayle avait réussi son coup au Théâtre des Déchargeurs dans un solo qui faisait froid dans le dos : Clouée au sol de l’auteur américain George Brant qu’avait magistralement mis en scène Gilles David (voir Le Théâtre du Blog). Et ici cette sorte d »enquête théâtrale qui a pour ambition de reconstituer le puzzle biographique d’un enfant », fonctionne mais a du mal à prendre son envol. «Brandon, disent les auteurs, est un enfant joyeux du numérique: des jeux-vidéos aux réseaux sociaux, le public découvre comment la technologie informatique a profondément bouleversé notre perception du monde. « (…) « Petit génie de l’informatique, Brandon est un «homme-machine» dans un «monde-machine » capable de transformer l’environnement qui l’entoure en appuyant sur un tas de boutons. »

Le spectacle, visiblement bien rodé, a de grandes qualités : rigueur, précision, clarté et les acteurs, très à l’aise, sont toujours justes et ont eu le flair de ne pas tomber dans un réalisme facile. Tout en serrant la réalité de près, ce qui n’est pas la même chose et est déjà un bel exercice de mise en scène. Et même si on la connait, cette piqûre de rappel sur la réalité des drones est loin d’être inutile. Aucun temps mort: le compte à rebours aux chiffres rouges égrène ses minutes de façon implacable et le noir se fera au zéro affiché. Mais on aurait aimé que le scénario de ce Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon? soit mieux construit et le dialogue, moins bavard. Bref, quelques coupes ne nuiraient sans doute pas. A suivre, mais on pourra revoir avec plaisir ce spectacle en Avignon cet été… si le festival a bien lieu.

 Philippe du Vignal

Présentation réservée aux professionnels vue le 15 janvier, au Cent-Quatre, rue Curial, Paris (XVIII ème). Et séances, les 16 et 17 janvier.
Le 19 mai, Centre culturel de Ciney et le 4 juin, Centre culturel de Bastogne (Belgique).
Et, en juillet prochain, à la Manufacture, un de meilleurs lieux du off d’Avignon.  

 

 


Archive pour 16 janvier, 2021

Festival Impatience Home, Morceaux de nature en ruine, mise en scène de Magrit Coulon

 

Festival Impatience:

Home, Morceaux de nature en ruine, mise en scène de Magrit Coulon

Depuis le XVI ème siècle européen, l’âge avancé subit une vision très dure en un temps où les valeurs esthétiques et morales liées à la jeunesse sont partout célébrées. Les représentations artistiques de la vieillesse, notamment féminines, recèlent de la violence. Vision amère et désenchantée de la destinée humaine, cette image est celle d’une dégradation à la fois physique et morale – fragilisation irréversible de l’être.

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 Les « personnes âgées» ou du « troisième âge » ont remplacé les «vieux» ; ils sont des actifs en bonne santé, des consommateurs et pratiquant la vie associative. A soixante-quinze/quatre-vingts ans, la situation est autre: l’expression «grand âge» ne cache pas les problèmes liés à l’idée de vieillesse : solitude, maladie, infirmités, et perte d’autonomie entraînant une dépendance. D’où la création des E.H.P.A.D., Etablissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes.
Home est le terme désignant une maison de retraite en Belgique. Un anglicisme  signifiant: foyer ou chez soi. C’est la première et lumineuse mise en scène de Magrit Coulon, sur un thème peu exploré : la vieillesse confinée dans un «parc de vieux ». La dramaturgie de Bogdan Kikena est en lien avec le travail physique de Natacha Nicora.

Entre fiction et documentaire, Home s’inspire de scènes vécues sur plusieurs mois avec l’équipe d’une maison médicalisée bruxelloise. Soit l’observation portée sur la scène de la vie quotidienne à l’intérieur de cet home: moments de convivialité éprouvée -bonheur ou malheur- dans la salle commune : tracas,  soucis, épisodes tragi-comiques, souvenirs qui affleurent, paroles murmurées, pleurs…

Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels sont les résidents de cet home et incarnent des gens vieillis et usés, à la mémoire chancelante et voués à une disparition prochaine. Les jeunes acteurs prêtent leurs corps aux voix des anciens qui, dans une salle commune, entre une plante verte, une table, trois chaises, une radio, un fauteuil, un piano, n’attendent rien.
Des corps authentiques, grâce à l’acquisition de détails pris sur le vif, signant le grand âge: marche avec déambulateur, main tremblante, regard absent, paroles rares… Pour la galette des rois, l’homme obtient la fève, se moque de lui, le regard rieur mais ses compagnes de résidence, endormies, ne peuvent le féliciter. Et le sol autour de la table est souillé de papiers, détritus, liquide et miettes de galette.

Un lieu aseptisé, à la fois privé et public, que les résidents habitent sans le savoir, absents au temps. Parfois, l’un prend la parole, fredonnant une chanson ou évoquant un souvenir. Ce sont les derniers gestes -des comportements humains- avant que la mort ne prenne son dû : instants de vérité, quand on ne peut plus subvenir à sa survie. Le public entend les voix de ces anciens reproduites en play-back; les comédiens eux, miment les mots, paroles et  soupirs d’échec, insatisfaction et aussi parfois, connivence, parfois. Et face à ce malheur d’être à la fois femme et âgée, l’homme tire son épingle du jeu via la culture, jouant quelques notes de piano, chantant ou déclamant.

Il écoute et ses deux comparses dont il semblerait que l’une soit son épouse, peuvent profiter de l’instant poétique: une version audio de King Lear, une mise en abyme implicite de la situation quotidienne de ces résidents, donnant à entendre la voix affolée d’un vieillard shakespearien, absurde, sans jugement, faible, puis délirant, qui incarne à jamais vingt siècles après Oedipe, la malédiction d’un vieillissement incontournable.

Se déploie le rythme d’un quotidien en huis-clos, la mécanique des gestes, silences, souvenirs et espérances transforme ce mouroir en un feu d’artifice de vies et fantasmes, à travers un sourire, un clin d’œil et la liberté de jouer et se moquer.

Véronique Hotte

Présentation professionnelle vue au Théâtre de Chelles, le 10 janvier. Dans le cadre d’Impatience, douzième Festival du Théâtre émergent du 9 janvier au 2 février.

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