Le Monde est rond de Gertrude Stein, mise en scène de Christian Germain

Dans les forêts roses

© Stella Lannito

Le Monde est rond de Gertrude Stein, traduction de Jacqueline Loehr, mise en scène de Christian Germain

«Ce livre a été écrit pour qu’on ait du plaisir. La plupart des enfants ne seront pas capables de lire eux-mêmes. Lisez-le-leur à voix haute. Si vous avez quelque difficulté, lisez de plus en plus vite jusqu’à ce que vous n’en ayez plus. Ce livre a été ́ écrit pour qu’on en ait du plaisir. » Gertrude Stein, dans son style inimitable, dit bien qu’il faut prendre les enfants par la main, ce que fait Laurence Vielle, la narratrice, en les guidant avec malice à travers une forêt de mots qui tourbillonnent: « En ce temps-là, le monde était rond et on pouvait y tourner tout autour en rond et en rond » (…) « Et puis il y avait Rose. »

 Et Rose, comme tout enfant, se pose des questions: «Rose était son nom et aurait-elle été Rose si son nom n’avait pas été Rose. Elle y pensait et puis elle y pensait à nouveau. Aurait-elle été Rose si son nom n’avait pas été Rose et aurait-elle été Rose, si elle avait été une jumelle.» Et Rose, en se nommant, va apprendre à nommer le monde, les personnes, les animaux et les choses… Il y a aussi son chien, Amour,  son cousin Willy, un lion, Billie… Et comme Rose est une petite fille curieuse et intrépide, elle voit au-delà des rondeurs du monde, une montagne sans nom à gravir… Un voyage vers l’inconnu qu’elle entreprend avec une chaise bleue (sa couleur préférée). L’histoire raconte ainsi le cheminement vers l’adolescence, à travers les tourments enfantins et bientôt la découverte de l’amour.

Dans ce conte initiatique, Gertrud Stein (1874-1946), poète, dramaturge et papesse de l’avant-garde artistique, travaille la langue comme un peintre cubiste les formes et les couleurs. Elle en décompose et recompose les figures, à l’infini des mots. Dans Le Monde est rond, l’un de ses derniers écrits (1939), elle déroule son  fameux: «Rose is a rose is a rose a rose…» que la petite fille égarée dans les bois, grave, pour se repérer, tout autour d’un tronc d’arbre: «Ce n’est pas facile de graver un nom sur un arbre particulièrement si les lettres sont rondes comme R et O et S et E, ce n’est pas facile. Et Rose oublia qu’elle était là seule et toute seule là, il lui fallait graver et graver soigneusement les contours des O et des R et des S et des E dans une Rose est une Rose est une Rose est une Rose. »

Dans cette prose hypnotique et rythmée, portée par une traduction fluide, les comédiens tricotent un spectacle où se mêlent texte, chansons, musiques et bruitages… Phrases et images s’inscrivent sur le décor en fond de scène ouvert comme un grand livre illustré et les personnages s’animent au fil du récit, magistralement orchestré par Laurence Vielle.

Elle-même, poétesse confirmée, épouse les mots avec évidence. Vincent Granger joue le cousin Willie et accompagne le récit sur des instruments aux timbres contrastés: clarinette, flûte, guitare, claviers, jouets d’enfant et percussions… La chanteuse Jehanne Carillon prête à Rose ses interrogations, ses pleurs et ses mimiques. Les trois interprètes croisent leurs voix dans les chansons qui parsèment le texte. Pour ce théâtre de mots et de sons, Christian Germain a choisi de privilégier le dire avec des phrases lancées au tempo impulsé par la narratrice qui nous perd et nous guide à la fois dans les méandres du texte. Un bonheur garanti pour petits et grands.

 Mireille Davidovici

Présentation professionnelle vue le 15 janvier au Théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).  T. :01 46 70 21 55. A voir dans ce théâtre au printemps… si tout va bien.

 

 

 


Archive pour 22 janvier, 2021

Entrailles par la compagnie de la Carotte

Entrailles par la compagnie de la Carotte, mise en scène de Camille Perrin

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La Carotte, implantée depuis 2002 à Orchamps dans le nord du Jura, tisse patiemment des liens entre la population et l’art vivant. Chacun de ses spectacles, entre conte, clown, poésie et burlesque, explore le rapport du théâtre au public, à son lieu de vie et à son imaginaire quotidien.

Ici, Caroline Guidou, Daphné Amouroux et Cécile Druet, actrices expérimentées dans le jeu clownesque, vont passer par une série de situations quotidiennes qui renvoient à la vie de personnages mythologiques. Certains spectateurs reconnaissent Sisyphe, le Minotaure, le Cyclope, etc. D’autres ne captent pas vraiment mais rien de grave.

Les costumes et les divers  objets qui jonchent le sol dont une grosse bouée, sont efficaces et il y a ici parfois des accents beckettiens. Ce trio de clownesses fonctionne bien et on pense aux Pieds Nickelés, les célèbres Croquignol, Ribouldingue et Filochard, ces héros, peu portés sur le travail, de la bande dessinée créée par Louis Forton en 1908.

C’est encore une phase de travail, et certaines scènes seront sans doute revues. Le metteur en scène intervient régulièrement pour remettre les choses en place avec précision. Mais le spectacle parait déjà en très bonne voie. A suivre…

Edith Rappoport

Répétition générale vue le 21 janvier au Studio des Trois Oranges, Audincourt (Doubs).

Face à la mère de Jean-René Lemoine, mise en scène d’Alexandra Tobelaim,

Face à la mère de Jean-René Lemoine, mise en scène d’Alexandra Tobelaim, création musicale d’Olivier Mellano

On voudrait emprunter à Antoine Vitez le titre de son recueil de poésies : La Tragédie, c’est l’histoire des larmes. Face à la mort de sa mère, il a fallu pour l’auteur que les larmes coulent et creusent un ravin de plus en plus profond, à travers les strates de toute une vie, jusqu’à l’horreur de l’assassinat et ensuite à la possibilité d’une parole d’amour. Le titre dit vrai: le narrateur fait face. Il l’annonce dans le prologue, avant de s’adresser à cette mère «parfaite» à qui il dit : vous ». « Il aura fallu trois années de parenthèse, trois années de coma profond, pour pouvoir vous donner rendez-vous dans ce lieu ombragé, devant l’assemblée silencieuse. »

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Se retrouver dans un pays qui n’est plus le sien et dans la dignité un peu égarée des funérailles qui cachent mal un saccage.  Retrouver des photos, des lettres mais aussi ses anciennes élèves qui l’aimaient tant, retrouver sa tendresse pour elles, cette médaille dont il n’a «connu que le revers » et qu’il aurait voulu connaître. Il lui faut refaire le chemin de son enfance, les aéroports, les départs et retours : au Congo, avec son père et en Belgique, avec cette mère “parfaite“ et dure qui voulut faire de lui, un enfant parfait. Avec l’adolescent révolté et, bien plus tard, avec l’homme: «Lorsque nous nous sommes revus, nous avons commencé à nous parler comme des amis fragiles. » (…) « Nous nous apprivoisions, au fil de mes sporadiques et fugaces visites. »

Mais le fil est rompu dans un pays en perdition.  Il s’adresse à une morte assassinée. Le récit n’est pas seulement celui d’un homme en deuil de sa mère mais celui du fils dans un pays qui s’abîme dans l’horreur et l’atrocité. À cela, il faut faire face. Femme et professeur : deux bons moteurs de haine pour des êtres perdus «par la folie d’un seul homme» dont la devise pourrait être: Viva la muerte! Donner la vie, éclairer les esprits !

Le pire : elle n’est pas la seule victime et les mornes verts (des collines) sont devenus gris. On tue partout, femmes, filles, bébés… et par-delà le destin d’un pays, on entre dans le trou noir de l’espèce humaine. «Votre mort qui, longtemps, me sembla unique, incomparable, se dissout peu à peu dans la géographie de la douleur. » Reste l’écriture et la poésie d’un récit exigeant, rigoureux qui coupe le souffle et qui le rend: c’est la fonction de la tragédie.

On comprend que ce texte intimide. D’où une mise en scène sans doute trop respectueuse, trop raide. Les trois comédiens s’adressent à nous avec un vrai engagement et une concentration qui ne faiblit pas. On apprécie que, bien qu’ «appareillés» (et fort bien) pour pouvoir tenir, en harmonie avec les musiciens, ils nous parlent parfois à voix nue, comme le demande le narrateur: « (Se) présenter à vous dans la nudité de l’errance ».

Mais on aimerait qu’ils sachent aussi recevoir l’écoute du public, qu’ils respirent et  lâchent parfois leurs épaules, juste pour avoir à nouveau plus de force. On aimerait qu’ils donnent plus de vie à leurs errances mesurées sur le plateau. Les gestes des musiciens, dans leur sobriété, sont au moins conduits et libérés par le son de leurs instruments. La scénographie d’Olivier Thomas est tout aussi sobre : des rideaux, tombés droit des cintres, figurent les colonnes cannelées d’une Grèce imaginaire. Alexandra Tobelaim a vu juste en donnant pour cadre à ce Face à la mère, la tragédie antique. Elle en retrouve modestement le chœur, soutenu ici par une musique qui accompagne l’effroi. Et qui nous en protège tous, peut-être.

On n’a pas envie d’en dire plus : ce texte nous atteint profondément dans sa tendresse et sa pudeur sans concessions. Rien n’est adouci, artificiellement lyrique et les choses sont évoquées dans leur vérité, toujours. On n’ose pas trop vous dire de lire le texte,. Ce serait pactiser avec la fermeture des théâtres ! Mais on le dit quand même…

Christine Friedel

Présentation professionnelle vue au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, où le spectacle était initialement prévu du 15 janvier au 14 février.

Le texte est publié aux Solitaires intempestifs.

 

 

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