Entretien avec Julie Eng

Entretien avec Julie Eng

Il y avait un dicton à la maison: «Je n’ai pas été livrée par une cigogne, j’ai été tirée d’un chapeau!» Mon père, Tony Eng, était magicien à Victoria, une ville portuaire de Colombie-Britannique sur la côte Ouest du Canada. Le monde du spectacle a eu une place centrale dans mon enfance et l’éducation que j’ai eue en magie s’est faite dans un flux naturel et presque évident, comme si la vie était censée être cela pour moi. J’ai appris très jeune et n’ai pas été selon un vieux cliché, « »mordu par un insecte magique » comme beaucoup de mes amis. Mon père m’appris un premier tour quand je devais avoir quatre ans. Et ensuite, nous avons toujours travaillé ensemble. J’ose dire qu’il était fier de moi, aussi satisfaite de ses commentaires positifs.

-Et ensuite?

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-J’ai d’abord été l’assistante de mes parents dans leur grand spectacle; quand j’avais onze ans, mon père m’a aidé à créer mes numéros. Avec ma mère, il avait de nombreuses activités commerciales, y compris la gestion de leur magasin Tony’s Trick and Joke Shop à Victoria. Des années formatrices pour moi quand il était derrière le comptoir. J’ai acquis beaucoup d’expérience, à la fois dans la vente au détail et comme artiste. Notre boutique était devenue un lieu incontournable à visiter: mon père en avait fait une destination touristique de premier ordre. Réputé pour son hospitalité et son sens du spectacle, il faisait  des  tours dans  un décor soigneusement conçu pour les vendre et divertissait vraiment les foules qui voulaient juste l’apercevoir derrière le comptoir. 

-Je travaillais de longues heures à côté de lui, apprenant comment susciter la curiosité avec une démonstration intelligente et surtout conclure une vente. C’est tout un art et n’est pas évident… Il faut être compétent, digne de confiance, expert dans les produits qu’on vend et faire des commentaires nuancés. Mais aussi être courtois, respectueux de ses clients. Tout cela avec un seul objectif : vendre. Ce furent pour moi de vraies leçons de vie…

- Comment vous êtes-vous lancée?

-La magie est couverte d’un voile masculin. A cause de son histoire où des hommes importants ont dominé les scènes? Ou parce qu’il y a peu de modèles féminins pour nous inspirer et encore moins de championnes attirant l’attention?  Sans doute  y-a-t-il encore un réseau de vieux garçons en activité et elle a été longtemps vue comme un divertissement «geek»? Ou à cause des traditions et stéréotypes sociaux selon lesquels elle est faite pour, et par des  hommes? Et donc inadaptée au sexe féminin… Ou parce qu’elle a été tenue -et elle l’est encore- comme une profession discrète avec un manque général de visibilité? Donc pas toujours accessible: c’est souvent portes closes et  plafonds de verre… pour nous, les femmes!

-Vous vous produisez souvent ensemble avec Tony Eng ?

Quand j’ai commencé encore jeune, l’influence de mon père, le fait qu’il m’ait introduit dans la communauté de la magie et qu’il m’ait accompagné, m’a a heureusement compté, m’a aussi protégé à bien des égards et offert encore plus d’opportunités. J’ai eu de la chance: j’étais souvent là au bon endroit et au bon moment. Mais je devais aussi construire ma place dans cette communauté. Alors que, maintenant, de plus en plus de femmes arrivent à franchir les obstacles et à remettre en cause les traditions. J’espère qu’avec toutes celles qui veulent travailler dur, nous aurons ensemble plus d’occasions de gagner et qu’il y aura plus d’égalité…

-Comment exercez-vous votre métier ?

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-J’ai travaillé dans la plupart des lieux typiques, pour des événements privés en « close-up » ou publics mais aussi pour des tournées, festivals, collectes de fonds caritatives. Au cours des vingt-trois dernières années, j’ai quitté Victoria et habité à Toronto où j’ai été aussi productrice et directrice de projets. Comprendre et travailler des deux côtés du système a été très important pour ma carrière...

-Parlez-nous un peu de Magicana…

-Cette organisation a été conçue pour faire avancer la magie comme art du spectacle. Impliquée  depuis 2004, aujourd’hui j’en suis la directrice exécutive. Au tout début,  j’ai travaillé à la réalisation de programmes de sensibilisation fondamentaux : My Magic Hands, un module d’enseignement pour les jeunes « en difficulté » et Senior Sorcery, un spectacle pour personnes âgées, réalisé dans leur maison ou dans des centres communautaires.

Magicana a aussi acquis une importante collection de vidéos, audios et documents sur la magie et son histoire. Grâce au soutien de la Slaight Family Foundation, nous avons lancé The Screening Room pour visionner gratuitement des archives vidéo: clips, documentaires, etc. Avec comme objectif, de fournir un contenu éducatif précieux sur l’histoire de cet art. Nous publions aussi des livres et mettons en ligne des expositions  pour un large public et les communautés de magie. Ceci afin d’en faire progresser l’étude et l’appréciation…  

-Et les autres arts dans votre vie?

-Attirée par ceux impliquant le mouvement et le flux, j’ai grandi en prenant beaucoup de leçons de danse et j’ai même participé à des concours de gymnastique rythmique… De bonnes bases pour la mise en scène, la chorégraphie, la musicalité et le rythme. Après le lycée, j’ai arrêté la gymnastique comme les cours de danse dont j’ai redécouvert les joies à l’âge adulte avec le tango argentin. J’y ai trouvé une profondeur, surtout avec les dichotomies qu’il présente…

Toutes les formes d’art non figuratif et minimaliste, et la représentation de thèmes complexes mais aux lignes simples ou inhabituelles, m’intéressent. Mais celle qui m’influence le plus est la narration. Quel que soit le support: film d’animation, chorégraphie ou histoire charmante écrite pour susciter l’imagination des enfants… Tout ce que je trouve émouvant, je le considère comme de l’art et je me demande alors pourquoi une pièce ou une image en particulier remue quelque chose en moi. J’adore explorer ce curieux chemin…

-Des conseils à un débutant(e) ?

-Soyez curieux, attentifs et pensez bien à celle ou celui à qui vous posez une question. Réfléchissez-y auparavant. Investissez dans la recherche: il y a tellement de ressources disponibles! Creusez un peu et pensez aussi à ce que vous pouvez déjà trouver vous-même: cela changera la qualité de vos questions et de vos recherches. En découvrant ce que vous ne savez pas, là commence le voyage…

Sébastien Bazou

Entretien réalisé le 30 décembre 2020.

Sites de Julie Eng et Magicana.

 

 

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