Dans les murs de Vincent Farasse, mise en scène de Didier Girauldon

Dans les Murs de Vincent Farasse, mise en scène de Didier Girauldon
 
Cela commence mal… On nous offre un programme sur papier couché (c’est toujours suspect..), assez laid avec nombreuses photos, note d’intention et extraits de texte imprimés blanc sur noir, assez dissuasifs à la lecture… Sur le plateau, un gros cube avec une couverture, une chaise et deux blocs sur roulettes avec chacun, une porte sombre. Un certain Richard entre sans frapper chez Eddy et revendique très vite la propriété de cet appartement de banlieue. Mais Eddy ne se laisse pas faire: il prétend aussi y habiter même si c’est depuis peu. Le ton monte et un début de dialogue s’installe pourtant entre eux, puis ils boivent un apéro ensemble. Sinon, il n’y aurait évidemment pas de pièce… Et on aura seulement droit à deux monologues bavards. Et cela n’en finit pas de finir pendant une heure dix : soit en ressenti, comme on dit à la météo, au moins plus d’une heure et demi! Que sauver de cela? Peut-être quelques minutes du récit d’une rapide descente aux enfers de cet homme qui va devoir dormir sous une tente parmi des émigrés qui, comme lui, travaillent mais ne peuvent même pas payer un  faible loyer. Mais c’est bien tout…
 

© Jonathan Michel

© Jonathan Michel


Pourtant à en croire le metteur en scène, le texte de Vincent Farasse «porte avec un verbe cinglant, un suspense et un humour beckettien » (sic). Puisqu’on vous le dit ! Bien entendu, aucun suspense: on s’ennuie très vite et il n’y a pas la moindre trace d’humour dans ces monologues bavards et prétentieux. «Autant de plongées dans un monde intérieur où le surnaturel affleure, peuplé d’hommes à tête de castor et de mystérieux voleurs d’herbes aromatiques en pot. » (sic) Selon l’auteur, l’écriture de cette piécette au scénario des plus minces, qui  fait vaguement penser à celle d’un théâtre documentaire, «a commencé par une discussion avec les bénévoles d’un centre Emmaüs. Ils m’ont appris une chose que j’ignorais : depuis quelques années, parmi les gens sans domiciles (sic),  on en croise de plus en plus qui ont un travail. Sous-payé, parfois à temps partiel, parfois non-déclaré, mais un travail. Ils travaillent et cotisent, donc, mais la flambée de l’immobilier et la dégradation des salaires sont telles qu’ils ne parviennent pas à trouver un logement. »

Que Vincent Farasse ait eu envie d’écrire sur ce thème, libre à lui mais  si ce projet a bénéficié de l’aide de la D.R.A.C. et de la Région Centre-Val de Loire… cela dépasse l’entendement! Les experts comme les conseillers de la dite D.R.A.C. ont-ils jeté un œil sur ce texte? Alors qu’un véritable théâtre documentaire, réalisé à partir de témoignages, hélas faciles à recueillir, aurait été plus convaincant que cette ennuyeuse bouillie… Il y a des gens qui savent très bien faire cela en Allemagne, comme en France: entre autres, Nicolas Lambert.
Côté mise en scène et direction, ici rien ne nous est épargné: médiocrité absolue de l’interprétation comme si les acteurs ne croyaient en rien à qu’ils profèrent souvent en criaillant, temps morts et, à la fin, cerise sur le gâteau; un des pires stéréotypes du théâtre actuel: dans un épais jet de fumigène blanc et une lumière rouge, une bagarre entre les deux hommes, mal réglée et pas crédible pour une rondelle…

Reste à savoir pourquoi ce texte à l’intrigue cent fois vue (un intrus arrive dans un appartement ou une maison) a pu arriver jusqu’à la Reine Blanche et être aussi publié par un grand et bon éditeur. De quoi brouiller en tout cas et à jamais un public jeune (ou pas d’ailleurs) avec ce qu’on nomme « le théâtre contemporain »! Et de beaux penseurs se demanderont ensuite pourquoi Eugène Labiche et Georges Feydeau ont encore autant de succès! On voudrait nous faire prendre ce Dans les murs  pour «un portrait au vitriol d’une société malade» (sic). Tous aux abris! Il y a des limites à la bienveillance et nous sommes en colère: comment croire une seconde que «l’écriture de Vincent Farasse nous interpelle et nous remet en question », comment être d’accord avec cette mise en scène qui ne mérite même pas son nom! Habitants de Paris, Tours ou Vierzon où le spectacle doit en principe être joué, en ces temps difficiles économisez votre énergie et évitez cette pauvre chose…

Philippe du Vignal
 
Présentation professionnelle vue le 21 janvier au Théâtre de la Reine Blanche, impasse Ruelle, Paris (XVIII ème).

La pièce est éditée chez Actes-Sud Papiers.


Archive pour janvier, 2021

One Shot,chorégraphie d’Ousmane Sy

One Shot,chorégraphie d’Ousmane Sy

Découvrir une pièce posthume est toujours rare… Le 8 décembre 1990, le grand artiste et créateur polonais Tadeusz Kantor meurt à soixante-quinze ans d’un a.v.c., à Cracovie où il travaillait régulièrement. Juste après une répétition d’Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, son dernier spectacle qui avait été coproduit par le Théâtre Garonne à Toulouse où il avait été longuement préparé. Son public, puis celui du Centre Georges Pompidou à Paris, découvrent cette œuvre magnifique mais sans son metteur en scène qui, tout habillé de noir, donnait des indications sur le plateau au cours de chaque représentation de ses pièces. Aux saluts d’Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, ses fidèles comédiens étaient accablés d’une profonde douleur que les spectateurs partagèrent. Un instant unique…

© Dan Aucante

© Dan Aucante

Même impression aujourd’hui avec les treize danseuses de la compagnie d’Ousmane Sy à cette représentation qui a eu lieu sans public devant quelques professionnels, dont Roselyne Bachelot, ministre de la Culture. Star du hip-hop, que tout le monde appelait Baba, le jeune danseur et chorégraphe, codirecteur du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne depuis 2019, Ousmane Sy est mort d’un arrêt cardiaque, dans la nuit du 26 au 27 décembre à Antony (Hauts-de-Seine). Il avait quarante-cinq ans!

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Au début et au final de One Shot qui devait ouvrir le festival Suresnes-Cités Danseles danseuses, dos au public, regardent l’écran blanc en fond de scène semblent s’adresser à leur chorégraphe et masquent ainsi leur grande tristesse.

Plusieurs tableaux se succèdent mêlant « battle” de danse urbaine, hip hop, danses africaines, flamenco… Le DJ Sam One rythme les pas de ces orphelines. Une métaphore de ce qui a lieu aujourd’hui dans le monde du spectacle, cette représentation est aussi un hommage à Ousmane Sy et à ses artistes qui ont continué à répéter pour danser cet après-midi. Un moment d’émotion, un instant suspendu dans un temps bouleversé où se bousculent les interdits sanitaires. Olivier Meyer, directeur du théâtre de Suresnes et son équipe ont relevé ce défi. Il faut les en remercier, eux et les danseuses qui nous ont offert cette performance avec une grande générosité.

Jean Couturier

Le spectacle a été diffusé en  direct sur France.tv/Culturebox depuis le Théâtre de Suresnes-Jean Vilar (Hauts-de-Seine) le 10 janvier. Disponible en replay.

Encore un beau petit cadeau…

Encore un beau petit cadeau du Théâtre de l’Odéon…

Un festival 100% numérique, chacune des institutions participantes a sélectionné un spectacle et chaque jour, de 19h à minuit, une captation de spectacles en langue originale mais sous-titrés en anglais sera disponible et accessible en ligne: www.thalia-theater.de/en/lessingtage et www.dramaten.se/lessingtage. Une plateforme du réseau de théâtre européen: mitos21, co-produite par le Thalia Theater de Hambourg et le Dramaten de Stockholm.

Le Dramaten de Stockholm ©x

Le Dramaten de Stockholm
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Le Thalia à Hambourg ©x

Le Thalia à Hambourg
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Chaque jour, on peut aussi en apprendre davantage sur la captation proposée. Au programme en janvier, des créations ou des adaptations le plus souvent de pièces classiques ou de romans célèbres, montées par des metteurs en scène bien connus dans leur pays et moins chez nous: une bonne occasion de les découvrir… Même si ce n’est pas tout à fait pareil que d’être parmi un vrai public et même si les sous-titrages sont en anglais.

Le 21, Voix d’Europe : un film où des metteurs en scène européens parlent de leur vision du théâtre de l’avenir.

Le 22: Dramaten, Stockholm, Suède. L’Idiot d’après Fiodor Dostoïevski, mise en scène de Mattias Andersson.

Le 23: Toneelhuis, Anvers, Belgique. Antigone à Molenbeek de Stefan Hertmans. Et Tirésias, de Kate Tempest, mise en scène Guy Cassiers.

Le 24: Berliner Ensemble, Berlin, Allemagne. Le Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht, mise en scène de Michael Thalheimer.

Le 25: Teatro Stabile Torino, Turin, Italie. Chacun sa vérité de Luigi Pirandello, mise en scène de Filippo Dini.

Le 26: Deutsches Theater, Berlin, Allemagne. Mary Stuart de Friedrich Schiller, mise en scène d’Anne Lenk.

Le 27: Théâtre des Nations, Moscou, Russie, L’Idiot d’après Fiodor Dostoïevski, mise en scène de Maxim Didenko.

Le 28: Teatro Lliure, Barcelone, Espagne. UNA (One Woman) de Raquel Cors et Dani Lacasa, mise en scène de Raquel Cors. 
Le 29: Düsseldorfer Schauspielhaus, Düsseldorf, Allemagne. Un Ennemi du peuple for Future, d’après Henrik Ibsen, mise en scène de Volker Lösch.

Le 30: Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris, France (coproducteur). Il Cielo non è un fondale, une performance de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini.

Le 31: Théâtre Katona József, Budapest, Hongrie. Nora-Noël chez les Helmer, d’après Henrik Ibsen, mise en scène de Kriszta Székely.

Tropique de la violence, d’après le roman de Nathacha Appanah, adaptation et mise en scène d’Alexandre Zeff

Tropique de la violence, d’après le roman de Nathacha Appanah, adaptation et mise en scène d’Alexandre Zeff

Une mise scène, avec un beau souffle tendu et une direction d’acteurs à la rigueur lumineuse, d’une situation sociale dégradée. L’autrice a découvert, lors d’un séjour à Mayotte, la tragédie d’une jeunesse à la dérive. Un paysage de carte postale, avec «son lagon le plus beau du monde»… mais aussi le département français le plus pauvre! Tous les ans, des migrants par milliers risquent leur vie pour y accoster, avant de faire l’expérience du chômage et d’être à la dérive, sans-papiers et délinquants.

Déplacement des populations, écologie, identité: les problèmes du monde semblent concentrés à Mayotte. Trois mille mineurs vivent dans le bidonville de Koweni, surnommé Gaza: «C’est un no man’s land où des bandes de gamins shootés au chimique font la loi. C’est Cape Town, c’est Calcutta, c’est Rio. Gaza, c’est Mayotte, Gaza, c’est la France», dit Olivier, le policier. Comme nombre de migrants qui tentent la traversée depuis les îles des Comores, le nouveau-né Moïse arrive en kwassa-kwassa ( une petite barque) dans les bras de sa mère qui le donne à Marie, infirmière venue de la métropole, souffrant de ne pouvoir donner naissance à un enfant.

Moïse, le protagoniste et narrateur -et les autres personnages commentent à leur tour leur situation- raconte ses origines que lui a transmises sa mère adoptive qui lui offre une vie protégée jusqu’à l’adolescence. Elle l’élève comme un « Blanc », lui lit L’Enfant et la Rivière d’Henri Bosco. Et l’enfant a appelé son chien: Bosco. Mais cette mère meurt brutalement d’un accident cardio-vasculaire…

Livré à lui-même, il rejoindra Gaza où vit un mauvais sujet, Bruce, qui s’autoproclame «Roi de Gaza», auprès d’une micro-société d’adolescents livrés à eux-mêmes, soumettant chacun en exerçant une force brutale: humiliation, rivalité physique et concurrence morale pour asseoir une prétendue autorité. Heureusement, aux côtés de Moïse, Olivier et un humanitaire, Stéphane, vont essayer de gérer, autant que faire se peut, l’histoire sombre et hautement risquée de cet enfant malmené.

Qu’on soit en Europe ou en Outre-Mer, la violence est identifiable. «Il y avait,  écrit Jean-Marie Gustave Le Clézio, dans Journal de l’An I, Quatre-vingt-treize, Le Roman de l’Europe, des flambées de violences inouïes, je ne peux pas oublier cela, dans les rues, des voitures incendiées, des slogans affreux et racistes barbouillés sur les murs, des idées ignobles qui couraient comme un feu sous la cendre. »

Tropique de la violence saute à la figure du spectateur, comme Bruce, le mauvais sujet, à celle de Moïse. Une polyphonie scénique créée par un concepteur inventif, au croisement d’un thriller et de la tragédie documentaire. Ici, le théâtre est associé à la danse, à la musique sur scène, à la vidéo, pour transcender la brutalité. Un engagement poétique et politique qui donne à voir… ce qu’on refuse de voir- une démarche transdisciplinaire qui brise les frontières entre les arts – une création «métisse».

Aussi, métaphore de la démarche scénique, la brutalité du viol par «un plus fort», le mauvais Bruce, sur «un plus faible», l’innocent Moïse, est donnée à voir en filigrane, filtrée et devinée, tout autant balancée aux spectateurs et qui ne saurait se parer d’un voile de pudeur. L’installation plastique offre images et vidéo projetées sur des parois transparentes de tulle noir, avec un jeu sur la profondeur des perspectives, sur un imaginaire en va-et-vient, de la réalité au rêve.

D’abord, une séquence documentaire sur de jeunes Comoriens qui espèrent rejoindre Mayotte où l’on découvre, en pleine nuit, le visage de la mère biologique de Moïse sur une kwassa-kwassa, au milieu de l’océan. Puis, entre autres, est projetée aussi une séquence où Olivier œuvre sur Mayotte aujourd’hui : des enfants courent en pagaïe, pris en charge par des animateurs, des travailleurs sociaux et des instituteurs trop peu nombreux.

© jules-beautemps

© jules-beautemps

Sur le plateau, une terre rouge volcanique que borde une étendue aquatique -l’île au milieu de la mer- une cabine individuelle un peu plus grande: un élément  scénographique familier à Alexandre Zeff. Soit la cellule de rétention dans un commissariat ou une prison où gît Moïse dont l’histoire est racontée à rebours. L’espace se transforme, selon les scènes, en conteneur où règne le malfrat Bruce. Il y danse et prépare du «bon chimique» pour obtenir l’état d’un: no past, no future, happiness. Avant que ne se profile le dénouement énigmatique de l’aventure cruelle de Moïse.

Sur les écrans de tulle, sont projetées des images atmosphériques, démultipliant partout celles de Bruce, l’anti-héros- des moments de peur et de terreur. Ainsi, l’épouvante encore d’une scène où Bruce se saisit d’un coupe-coupe descendu des cintres, pour entailler le visage de Moïse. Les situations d’horreur sont contrebalancées par les apparitions sur le plateau, comme à l’écran, du fantôme de la douce Marie chantant des comptines mahoraises ou comoriennes, ou le ballet vidéo d’une faune et d’une flore marines transparentes et colorées sur le quatrième mur.

Le spectacle trouve son incarnation grâce à la qualité des interprètes et à la composition musicale électronique écrite pour synthétiseur modulaire, mais aussi instrumentale, interprétée par un claviériste au synthétiseur et par Yuko Oshima, une batteuse-percussionniste jouant, avec fougue et colère, jazz contemporain et musique improvisée.

Résonne alors une musique furieuse et rythmée coupant court à la respiration paisible. La batteuse-percussionniste donne ainsi un souffle puissant à la représentation, livrant sa livre de courroux: déchaînement, intensité, virulence et frénésie… La violence musicale brise les résistances, infligeant une terreur magistrale au public tétanisé -force précieuse d’une jeunesse que l’on n’écoute pas, luttant contre l’ennui et la solitude avec une énergie secrète.

Une magnifique distribution chorale avec des interprètes talentueux: Mia Delmaë, musicienne et compositrice, chante aussi sur le plateau et incarne Marie, la mère, fantôme et vivante. Thomas Durand, fidèle au théâtre d’Alexandre Zeff, joue Stéphane, l’humanitaire, articulant avec brio ses doutes et convictions. Mexianu Medenou prend plaisir à interpréter Bruce, le Bruce Wayne de Batman, se moquant et menaçant…  Un dangereux cynique, maître de son corps dansant. Alexis Tieno joue Moïse avec cran, dessinant une chorégraphie contemporaine. Assane Timbo interprète Olivier, le policier, un honnête homme lucide, mesuré et raisonnant. Un spectacle puissant, de par l’expression et le sens, dont les fils de manipulation sont tenus serrés et avec habileté.

Véronique Hotte

Représentation professionnelle vue au Théâtre de la Cité Internationale, boulevard Jourdan Paris (XIV ème) le 19 janvier.
Théâtre de la Cité Internationale, du 13 au 24 septembre.
Théâtre Romain Rolland, Villejuif, les 9 et 10 novembre. Et à l’E.M.C, Saint-Michel-sur Orge, le 11 novembre

Andys-Gone I et II de Marie-Claude Verdier, mise en scène de Julien Bouffier

Andys-Gone I et II de Marie-Claude Verdier, mise en scène de Julien Bouffier

A l’entrée, on munit les quelque vingt spectateurs autorisés, d’un casque audio et chaque acteur est appareillé d’un micro HF. (Nous vivons une époque moderne!  Et on n’est pas chez les amish, dirait Macron…) Sur le plateau, un tapis de danse noir, des plaids rouge vif pliés en quatre qui serviront de sièges mais ceux de la salle ne seront pas utilisés. Il y a aussi quelques chaises pour les allergiques à cette position, comme nous, qui avons beaucoup donné dans les années soixante dix quand le confort était vu comme bourgeois. Deux heures durant ou presque, cela aurait fait vraiment long…

© Marc Ginot

© Marc Ginot

Rien d’autre qu’une table de régie et un H articulé en tubes fluo (qui deviendra un A comme Alison, le double d’Antigone) dispensant un éclairage blanc cru. Nous sommes dans la tragédie au cas où cela vous aurait échappé et nous sommes censés être aussi les citoyens de la Cité… Entre Alison, une presque adolescente, fille du précédent roi et donc nièce de la Reine Régine en robe et escarpins noirs qui a mis la cité en état d’urgence. Et selon Alison, cela cache quelque chose… Question de génération sans doute mais aussi de caractère. D’un côté, la puissante raison d’État invoquée par Régine: « J’écoute. Le couvre-feu sera maintenu tant et aussi longtemps que la menace sera apparente. Je me fous des prédictions des météorologues : vos unités vont demeurer sur place et patrouiller les murs aussi longtemps que je le dirai. Personne ne doit se promener sur les murs, sous peine de mort. Immédiate. Pas d’exception. C’est clair? Non. Je suis allée dans sa chambre ce matin et elle n’y était pas. Je ne sais pas. Vous devez la retrouver. Tout est changé maintenant. Tenez-moi informée. »
Et d’un autre côté, la liberté et la fraternité  revendiquées par la jeune fille, en jeans bien entendu, sans doute pour marquer la différence avec sa tata. Un affrontement des plus âpres entre elles, à propos de l’enterrement interdit du frère d’Alison- « Entre la raison d’Etat et les valeurs, je choisis les valeurs, chaque fois! Il y a quelque chose de plus grand, non? La vie, ce n’est pas que les règles, non? Il n’y a pas quelque chose de plus fondamental? Je pensais Je pensais que vous comprendriez. Parce que oui, avant d’être les habitants d’une ville. D’une ligne tracée sur le sol. Avant d’inventer une ligne. Imaginaire. Une petite ligne qui nous sépare. Nous sommes tous de la même espèce De la même planète. Un pays est une invention. Un peuple est une invention. Combien de temps ça prend pour être un peuple? » On aura vite reconnu une lecture, une vision personnelle et «moderne» de la célèbre et très remarquable Antigone de Sophocle (442 avant J.C. ).

Cette jeune fille, pour avoir enterré son frère Polynice tué par son frère  Etéocle, a enfreint le décret de Créon, son oncle et doit être punie de mort. Le casque nous transmet à la fois les répliques des actrices mais aussi le bruit de rafales de fusils-mitrailleurs. Mais on peut aussi choisir et n’écouter, en enlevant le casque, que le dialogue… Ce qui, de temps à autre, fait du bien, cette bande-son diffusée en permanence parasitant le texte…

Suit une petite demi-heure d’entracte. Mais nous ne sommes plus que dix pour assister à la seconde partie du spectacle, Andy’s 2 Gone-La Faille, jouée cette fois sur le plateau par Vanessa Liautey (la Reine) et  Maxime Lélue (Andy). Et, au casque, par Zoé Martelli (Alison). Sur le plateau, juste une table de maquillage avec huit ampoules nues et un cadre noir avec une vitre et aussi des ampoules nues. Le tout dispensant un éclairage blanc et cru identique au premier.

Les acteurs, comme dans la première partie jouent parmi les spectateurs. On nous a signalé à l’entrée qu’ils avaient été testés négatif ! Bon, tant mieux pour nous… Cela se passe maintenant dans la Cité où on a laissé entrer les réfugiés qui mourraient de faim devant ses murs. Mais la Reine a réussi faire fermer les portes et à liquider sa nièce, l’encombrante Alison dont, grâce au casque, on entendra la voix d’outre-tombe. Laquelle était en effet normalement destinée à gouverner la cité. Ce second épisode est une longue discussion entre la Reine et ce jeune homme, Andy qui appelle ses concitoyens à la révolte contre la Reine… Et visiblement décidé à prendre de force le pouvoir.

Mais tout cela- y compris ce titre au mauvais jeu de mots (à la résonance anglaise? pour faire moderne et on se demande bien pourquoi!) n’a rien de bien convaincant et la deuxième partie est nettement en-dessous de la première. Un texte souvent prétentieux et sans guère d’émotion que celle créée artificiellement par la bande-son… Celui du génial scénariste et dialoguiste que fut Sophocle, reste, lui, vingt-cinq siècles après, aussi éblouissant de force et de vérité. Interprétation très inégale: Vanessa Liautey, plus solide dans la première partie et Maxime Lélue font le boulot, avec parfois des accents d’une belle sincérité. Mais Zoé Martelli a une diction trop approximative, qu’on l’écoute au casque, ou non. Bref, il y a de bonnes intentions mais le compte n’y est pas, on s’ennuie un peu et mieux aurait valu mettre en scène l’Antigone de Sophocle (la pièce n’est pas très longue). Heureusement, vous pouvez aussi le lire ou le relire…

Philippe du Vignal  

Présentation professionnelle des deux volets du spectacle vue le 18 janvier, Théâtre Dunois, 7 rue Louise Weiss, Paris (XIII ème). T. : 01 45 84 72 00.  contact@theatredunois.org

Andys-Gone 1 (sous réserve): 16 au 19 février, Scène Nationale-Le Tangram, Evreux (Eure).

Le 3 avril, La Manekine, Pont-Sainte-Maxence (Oise).

Du 17 au 22 mai, Scène Nationale L’Estive, Foix (Ariège). Andy’s gone 2-La Faille(sous réserve).

Andys-Gone 2 le  9 février, Cité scolaire Françoise Combes, Montpellier (Hérault);

22 mai, Scène Nationale-L’Estive, Foix (Ariège)

Johny d’Alexandre Moisescot par les compagnies Gérard Gérard et Rapsodies nomades

Johny d’Alexandre Moisescot par les compagnies Gérard Gérard  et Rapsodies nomades, sous le regard bienveillant de Carmela Acuyo, Anne-Eve Seignalet et Philippe FreslonAlexandre Moisescot interprète avec  maestria le rôle de Johnny Halliday auprès de Chloé Desfachelle prostrée au sol et qui se relève: «Les Dieux avaient condamné Sisyphe, il faut l’imaginer heureux! « Le spectacle participe d’une certaine cannibalisation du personnage de Johnny Halliday, né Jean-Philippe Smet, mort en 2017. «Mes frères mes sœurs, prions. Johnny a donné son corps pour nous sauver, pauvres brebis égarées. Je vous rappelle que vous pouvez soutenir notre mouvement en achetant des mugs et des chaussettes. » (…) “Les vivants ferment les yeux des morts, les morts ouvrent ceux des vivants” écrivait Anton Tchekhov. Mais pour déterrer un mort pareil, il faut bien une grande pelleteuse, jaune comme un gilet, pour nous faire valser, rocker et twist again. »

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« Pour des millions de Français, poursuit Alexandre Moisescot, Johnny a été «bien plus qu’un chanteur, un héros, un modèle, un père, un humoriste, un philosophe, un gladiateur, une agence de voyage, un concepteur de vêtements, un opticien, une idole, un beauf, un grand-père, un sexe-symbole, un produit de supermarché, un ovni, un acteur de cinéma, un Diable, un Dieu… Ce n’est pas simple de faire théâtre avec un type qui commençait ses spectacles en descendant en rappel depuis un hélico. Nous nous sommes alors donné un principe simple, clair et sincère : faire un spectacle sur Johnny…qui plairait à Johnny! » Pour cette sortie de résidence, la compagnie Gérard Gérard n’a pu louer une pelleteuse. Mais Alexandre Moisescot a une belle présence et nous dit que son père l’avait emmené au stade de France le 5 septembre 1998 pour voir Johnny:  il avait treize ans.

Masqués en cochon et en singe, les acteurs jettent par terre des boîtes de bière vides et déchirent les journaux. On entend aussi une ode à Marguerite Duras. «On va vous présenter notre dramaturgie qui raconte le suicide de Johnny. Johnny, est-ce que tu nous entends ? »

Au total, vingt-trois scènes bien maîtrisées: on attend la suite avec impatience…

Edith Rappoport

Avant-première vue le 16 janvier, au Studio des Trois Oranges, Audincourt (Doubs).

Première représentation le 14 mai, festival d’Olt, Le Bleymard (Lozère). http://www.ciegerardgerard.fr

Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? d’Emmanuel De Candido et Pierre Solot, co-mise en scène d’Olivier Lenel

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©Lionel Devuyst

Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? d’Emmanuel De Candido et Pierre Solot, co-mise en scène d’Olivier Lenel

Cela se passe au Cet Quatre dans une petite salle. Avec quelque quatre-vingt personnes, bref, un vrai public et même si les places sont parfois espacées, cela fait du bien… Et il y a un rang de douze toutes des spectatrices…Sur le plateau, deux sièges de bureau pivotants, des consoles, écrans et claviers dont l’un allumé, montre les images d’un jeu de chasse aux canards sur lequel on tire avec un revolver électronique. Dans le fond, un grand écran pour images de guerre où est affiché le titre : Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon? Emmanuel De Candido et Pierre Solot  saluent gentiment chaque spectateur qui entre. Une chope Starbucks à la main autour d’une table basse où sont rangés des livres,  dont  quelques-uns de Nietzsche. Déjà amis au lycée en Belgique, ils ont la bonne trentaine et sont complices professionnels depuis dix ans. Ils se présentent réciproquement: Pierre Solot, pianiste, musicologue et acteur mais aussi conférencier et romancier. Emmanuel De Candido, d’abord diplômé de philosophie, comédien, auteur-metteur en scène et producteur artistique de la compagnie MAPS  qui travaille sur les questions de société et les nouvelles écritures.

Puis ils commencent à retracer l’histoire des jeux vidéo en interrogeant de temps à autre le public qui se prête au jeu. Cette introduction, façon pédagogie macronienne pas très légère, est un peu longuette. Et le lien avec Brandon, le personnage principal reste ténu sinon que ce jeune homme est passionné de jeux vidéo et d’informatique. A quelque vingt ans, il ne sait trop quoi faire de sa vie. Un ami lui conseille alors de se faire embaucher par l’armée américaine qui, on le sait, est une sorte d’Etat dans l’Etat. L’U. S. Air Force emploie des femmes et hommes ultra-compétents dans les domaines les plus variés. Soit environ 1.500.000 militaires actifs et, au département de la Défense, travaillent plus de 770.000 civils! Budget, organisation, force de frappe, capacité de déploiement : première armée mondiale, l’U. S. Air Force compte 14.000 pilotes avec 3.700 pilotes de chasse dont soixante-dix femmes et environ soixante-dix de drones. Brandon, particulièrement brillant aux tests, a vite été engagé et on lui confiera des missions de reconnaissance et de frappe commandées par de hauts gradés. Mais leurs effets sur la santé mentale de ces jeunes militaires sont dévastateurs. A cause du stress lié aux dommages collatéraux!

Brandon, enfermé dans un conteneur climatisé en plein désert du Nouveau Mexique, frappe avec détermination, sur ordre, quelque part au Yémen ou au Pakistan… une cible précise avec un ennemi prétendûment virtuel, alors qu’il s’agit bien d’hommes et de femmes ciblés. Alors comme s’étonner qu’à long terme, des troubles psychiques puissent apparaître chez ces pilotes comme chez ceux qui ont une addiction aux jeux vidéo. C’est le thème principal de ce spectacle. « On a l’habitude d’associer réel et réalité, dit le philosophe Stéphane Vendé, voire de les confondre. Là, est l’erreur, source de bien des incompréhensions. Car il ne faut pas confondre, là non plus, ces deux domaines. Si le réel est bien ce qui est et, en tant que tel, un et absolu la réalité en est la représentation, et même la reconstruction de plus en plus «approchée».  » (…) » La réalité n’est donc pas une et absolue comme l’est le réel, elle est multiple et change avec les époques et les différentes civilisations, selon l’état des moyens d’investigation scientifiques et d’opération techniques. » Tout est dit et être pilote de drone n’a rien d’une promenade de santé, même si on ne risque rien physiquement…

Dans une campagne misérable, un enfant, un chien, on ne sait pas trop, est touché par un missile et peut-être aussi, le chef militaire qui a été repéré comme dans un combat aérien mais sans certitude absolue: l’informatique a ses limites… Mais Brandon, après cinq ans et cinq jours, épuisé par ces assassinats légaux mais finalement peu efficaces, démissionne et sera lanceur d’alerte. Il s’aperçoit enfin mais un peu naïvement, qu’en prêtant serment, il s’est fait piéger: la guerre n’est jamais propre et il va vite en payer le prix. Dans un café Starbucks, son amoureuse Jessica lui avoue : «Ou bien tu me parles, ou bien je te quitte.» Brandon alors parlera: maintenant, il va tout révéler mais trop tard, Jessica  s’en ira. Lui, démissionnera de l’armée pour témoigner de son expérience et mobiliser l’opinion publique,  ce qui signera son exclusion sociale… Il y a aussi des dégâts collatéraux dans le pays le plus puissant et le plus technologiquement armé de la planète!

Sur le plateau, toute une gamme d’outils numériques d’une société hyper-connectée : jeux vidéo, projections sur grand écran, musique digitale… Et aussi, remarquablement filmée, une grande maquette de paysage quand Brandon va tirer sur une cible située à des milliers de kms dans un pays où il n’ira jamais. Les États-Unis, on le sait, disposent plus de 7.000 drones en service dont deux cent, comme les redoutables Predator, Repaer, etc. Pour des exécutions à grande distance, en violation absolue du droit international...

 Ce n’est pas la première fois que le théâtre s’empare du récit d’un pilote de drone. Il y a quelques années, Pauline Bayle avait réussi son coup au Théâtre des Déchargeurs dans un solo qui faisait froid dans le dos : Clouée au sol de l’auteur américain George Brant qu’avait magistralement mis en scène Gilles David (voir Le Théâtre du Blog). Et ici cette sorte d »enquête théâtrale qui a pour ambition de reconstituer le puzzle biographique d’un enfant », fonctionne mais a du mal à prendre son envol. «Brandon, disent les auteurs, est un enfant joyeux du numérique: des jeux-vidéos aux réseaux sociaux, le public découvre comment la technologie informatique a profondément bouleversé notre perception du monde. « (…) « Petit génie de l’informatique, Brandon est un «homme-machine» dans un «monde-machine » capable de transformer l’environnement qui l’entoure en appuyant sur un tas de boutons. »

Le spectacle, visiblement bien rodé, a de grandes qualités : rigueur, précision, clarté et les acteurs, très à l’aise, sont toujours justes et ont eu le flair de ne pas tomber dans un réalisme facile. Tout en serrant la réalité de près, ce qui n’est pas la même chose et est déjà un bel exercice de mise en scène. Et même si on la connait, cette piqûre de rappel sur la réalité des drones est loin d’être inutile. Aucun temps mort: le compte à rebours aux chiffres rouges égrène ses minutes de façon implacable et le noir se fera au zéro affiché. Mais on aurait aimé que le scénario de ce Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon? soit mieux construit et le dialogue, moins bavard. Bref, quelques coupes ne nuiraient sans doute pas. A suivre, mais on pourra revoir avec plaisir ce spectacle en Avignon cet été… si le festival a bien lieu.

 Philippe du Vignal

Présentation réservée aux professionnels vue le 15 janvier, au Cent-Quatre, rue Curial, Paris (XVIII ème). Et séances, les 16 et 17 janvier.
Le 19 mai, Centre culturel de Ciney et le 4 juin, Centre culturel de Bastogne (Belgique).
Et, en juillet prochain, à la Manufacture, un de meilleurs lieux du off d’Avignon.  

 

 

Festival Impatience Home, Morceaux de nature en ruine, mise en scène de Magrit Coulon

 

Festival Impatience:

Home, Morceaux de nature en ruine, mise en scène de Magrit Coulon

Depuis le XVI ème siècle européen, l’âge avancé subit une vision très dure en un temps où les valeurs esthétiques et morales liées à la jeunesse sont partout célébrées. Les représentations artistiques de la vieillesse, notamment féminines, recèlent de la violence. Vision amère et désenchantée de la destinée humaine, cette image est celle d’une dégradation à la fois physique et morale – fragilisation irréversible de l’être.

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 Les « personnes âgées» ou du « troisième âge » ont remplacé les «vieux» ; ils sont des actifs en bonne santé, des consommateurs et pratiquant la vie associative. A soixante-quinze/quatre-vingts ans, la situation est autre: l’expression «grand âge» ne cache pas les problèmes liés à l’idée de vieillesse : solitude, maladie, infirmités, et perte d’autonomie entraînant une dépendance. D’où la création des E.H.P.A.D., Etablissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes.
Home est le terme désignant une maison de retraite en Belgique. Un anglicisme  signifiant: foyer ou chez soi. C’est la première et lumineuse mise en scène de Magrit Coulon, sur un thème peu exploré : la vieillesse confinée dans un «parc de vieux ». La dramaturgie de Bogdan Kikena est en lien avec le travail physique de Natacha Nicora.

Entre fiction et documentaire, Home s’inspire de scènes vécues sur plusieurs mois avec l’équipe d’une maison médicalisée bruxelloise. Soit l’observation portée sur la scène de la vie quotidienne à l’intérieur de cet home: moments de convivialité éprouvée -bonheur ou malheur- dans la salle commune : tracas,  soucis, épisodes tragi-comiques, souvenirs qui affleurent, paroles murmurées, pleurs…

Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels sont les résidents de cet home et incarnent des gens vieillis et usés, à la mémoire chancelante et voués à une disparition prochaine. Les jeunes acteurs prêtent leurs corps aux voix des anciens qui, dans une salle commune, entre une plante verte, une table, trois chaises, une radio, un fauteuil, un piano, n’attendent rien.
Des corps authentiques, grâce à l’acquisition de détails pris sur le vif, signant le grand âge: marche avec déambulateur, main tremblante, regard absent, paroles rares… Pour la galette des rois, l’homme obtient la fève, se moque de lui, le regard rieur mais ses compagnes de résidence, endormies, ne peuvent le féliciter. Et le sol autour de la table est souillé de papiers, détritus, liquide et miettes de galette.

Un lieu aseptisé, à la fois privé et public, que les résidents habitent sans le savoir, absents au temps. Parfois, l’un prend la parole, fredonnant une chanson ou évoquant un souvenir. Ce sont les derniers gestes -des comportements humains- avant que la mort ne prenne son dû : instants de vérité, quand on ne peut plus subvenir à sa survie. Le public entend les voix de ces anciens reproduites en play-back; les comédiens eux, miment les mots, paroles et  soupirs d’échec, insatisfaction et aussi parfois, connivence, parfois. Et face à ce malheur d’être à la fois femme et âgée, l’homme tire son épingle du jeu via la culture, jouant quelques notes de piano, chantant ou déclamant.

Il écoute et ses deux comparses dont il semblerait que l’une soit son épouse, peuvent profiter de l’instant poétique: une version audio de King Lear, une mise en abyme implicite de la situation quotidienne de ces résidents, donnant à entendre la voix affolée d’un vieillard shakespearien, absurde, sans jugement, faible, puis délirant, qui incarne à jamais vingt siècles après Oedipe, la malédiction d’un vieillissement incontournable.

Se déploie le rythme d’un quotidien en huis-clos, la mécanique des gestes, silences, souvenirs et espérances transforme ce mouroir en un feu d’artifice de vies et fantasmes, à travers un sourire, un clin d’œil et la liberté de jouer et se moquer.

Véronique Hotte

Présentation professionnelle vue au Théâtre de Chelles, le 10 janvier. Dans le cadre d’Impatience, douzième Festival du Théâtre émergent du 9 janvier au 2 février.

Les Femmes de la maison, écriture et mise en scène de Pauline Sales

Les Femmes de la maison, écriture et mise en scène de Pauline Sales

 Une entreprise ambitieuse… Rendre compte, à travers la pratique de la «résidence d’artistes », de l’évolution du statut de la femme, puis des femmes, en trois carottes sociologiques: années cinquante-soixante, soixante-dix, aujourd’hui. Quand on dit: statut, c’est aussi l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. Conscience d’être femmes, de leurs révoltes -ou pas- de leur corps et des tabous : clitoris et menstruations.
Et la sororité ? Et si la femme n’existe pas, qu’en est-il de l’homme, sinon qu’au XXème siècle, toute femme doit en trouver un -ou pas ?

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 A partir d’une sérieuse documentation, nous voilà embarquées pour un immense détricotage. Et le mot fait penser aussitôt aux gigantesques «ouvrages de dame» d’artistes contemporaines majeures comme Marinette Cueco ou Joana Vasoncelos.  Détricotons pour voir ce que cachent l’habitude et l’évidence. Par exemple : «Le masculin l’emporte sur le féminin». Quand nous avons appris cette règle grammaticale, nous imaginions aussitôt le loup et le petit chaperon rouge et cela ne faisait pas plaisir. Nous nous permettrons alors d’accorder au féminin, le plus grand nombre : trois comédiennes, un comédien et une autrice à la barre.

Olivia Chatain, Anne Cressent et Hélène Viviès pour neuf rôles et trois époques. Et Vincent Garanger (le Dandin dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent il n’y a pas si longtemps…) dans les rôles de l’Homme. Pas un macho: un mécène un peu énigmatique qui offre une maison à des femmes-artistes, pourvu qu’elles lui laissent, si elles le veulent bien, un petit quelque chose pour sa collection. Il joue aussi un autre rôle de façon si bluffante qu’on ne va pas le «divulgâcher». Et il y a un «actrice» invisible dont le travail est essentiel: Cécile Kretschmar. Elle a réalisé les maquillages et perruques (et a travaillé pour des centaines de spectacles). Un rôle décisif: il s’agit de caractériser chaque personnage féminin. Illusion quasi parfaite: on se demande combien d’actrices jouent dans cette superproduction… avant de comprendre le fonctionnement de ces “fregoli ». Mais était-il nécessaire de s’ôter le plaisir du théâtre à vue? Une seule fois, une comédienne change de perruque et loin de casser le jeu, cela donne un joli coup de fouet.

Il y à là un piège dans l’écriture, surtout pour la période la plus ancienne: l’autrice hésite entre une dramaturgie très contemporaine et un naturalisme un peu explicatif. Trop de mots et des traits appuyés, pour donner à voir une époque si lointaine… Dans un souci illusoire d’exhaustivité. Mais avec   une scénographie un peu lourde.  Pauline Salles  est plus à l’aise avec les années soixante-dix, documentées par la maison des femmes:  (Womanhouse, exposition et performance féminines et féministes de Judy Chicago et Miriam Shapiro (1972). Encombrée, il est vrai d’une trop longue “fête“.

Mais, pour les temps actuels, la pièce monte vraiment en puissance et nous accroche de plus en plus. L’autrice ne laisse rien tomber: ni la vérité des situations ni les contradictions de la sororité, ni la réalité d’une lutte des classes réelle, bien que «soft». Pauline Sales sait de quoi elle parle, avec cette résidence d’écriture et l’angoisse, la difficile cohabitation, les rivalités et même l’intolérance mais aussi la complicité entre les trois autrices de la maison.

Un regard sans indulgence mais non sans amour et humour, sur des femmes différentes les unes des autres et libres, même si cela prend du temps pour le comprendre. La femme n’existe pas, mais le féminin pluriel, oui. Quant à l’homme, il est sorti sur la pointe des pieds, pour revenir, mais sous quelle forme ? Il y a là, matière à roman…

La  trop longue scène d’exposition gagnerait à être resserrée. Cela aiguiserait notre appétit pour la suite, riche de réflexions et expérimentations entre les comédiennes et le comédien.. Du «trop» mais qui ne craint pas d’exposer ses contradictions et qui laisse à penser, une fois le noir tombé sur le plateau. Et le titre remet bien les choses à leur place. Les Femmes de la maison comptent et plus que La Maison des femmes, un enclos protecteur dont elles ne devraient plus avoir besoin. « Féministes tant qu’il le faudra» : un slogan du ministère de l’Egalité… au Québec.

Christine Friedel

Présentation professionnelle vue le 11 janvier, à la Scène Nationale du Mans (Sarthe).

Représentations prévues sous réserve des  directives gouvernementales :

Du 20 au 23 janvier, Comédie-Centre Dramatique National de Reims ; du 27 au 29 janvier, Comédie de Saint-Etienne-Centre Dramatique National .

Le 3 févier, Théâtre Jacques Carat, Cachan( Val-de-Marne).


Les 2 et 3 mars, Scènes du Jura, Lons-le-Saunier ( Doubs) ; du 10 au 13 mars, Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine (Gironde).

 Du 3 au 16 avril, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

 

Adieu Vassilis Alexakis

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Adieu Vassilis Alexakis

Né le 25 décembre 1943 à Athènes, cet auteur d’une importante œuvre romanesque et théâtrale qu’il a écrite en français et en grec, nous a quittés cette semaine. En 1960, -à dix-sept ans- il vient suivre les cours de l’Ecole de journalisme à Lille. Après ses études, il retourne en Grèce mais, en 1967, après le coup d’Etat des colonels, il choisit de vivre à Paris. Dessinateur et romancier, il a collaboré au Monde, La Croix, France-Culture… Il a d’abord écrit en grec plusieurs scénarios et un roman, puis a publié son œuvre en français. Il parlait souvent de la relation ambigüe qu’il avait avec ces deux langues, et de sa manière de les pratiquer: ce sera aussi l’un des thèmes essentiels de son œuvre…

Il y a ainsi dans La Tête du chat (1978), une réflexion sur le bilinguisme et dans Paris-Athènes (1989), une interrogation sur l’identité et le statut de l’écrivain francophone: «Le grec est la langue de ma mère, le français, celle de mes enfants. » Talgo (1983),premier livre écrit en grec puis traduit en français par l’auteur, a été adapté au cinéma par George Tsemberopoulos.    Il publie aussi des nouvelles comme Papa (prix de la Nouvelle de l’Académie française 1997 )et des récits comme La Langue maternelle (prix Médicis 1995), Le Cœur de Marguerite (1999), Les Mots étrangers (2002), Je t’oublierai tous les jours (2005)… Et l’ensemble de son œuvre a été couronné par le Grand Prix du roman de l’Académie française.  Ap. J.-C. (2007) est une critique du monothéisme et ses derniers romans: Le Premier mot (2010), L’Enfant grec (2012) et La Clarinette (2015) ont eu beaucoup de succès.

Il y a quatre ans, Vassilis Alexakis était l’invité d’honneur à Athènes du neuvième Congrès Panhellénique et International des professeurs de français. L’Association grecque des professeurs de français de formation universitaire et la revue scientifique Contact ont présenté plusieurs fois son travail. Et le Département de langue et littérature française de l’Université d’Athènes l’a nommé Docteur honoris causa en 2017.

Dimitris Alexakis, son fils et Fotini Banou ont créé Κέντρο Ελέγχου Τηλεοράσεων dans le centre d’Athènes, un studio de théâtre expérimental où sont présentés spectacles, performances alternatives et installations artistiques, expositions, concerts… et où il y aussi des ateliers d’écriture. C’est un vrai carrefour de cultures et d’échanges.

Vassilis Alexakis a aussi écrit des pièces en français et en grec. Notamment, en collaboration avec Vassilis Papavassiliou, un texte pour Delirium, créé au Théâtre National de Grèce du Nord.  En 2004, Konstantinos Tzoumas a aussi excellé dans Moi, non… quatre monologues de l’écrivain, mis en scène par Georges Oikonomou au Proskinio. L’an dernier, son roman Talgo a été adapté et mis en scène par Dimitra Messimerli au Théâtre Alcmène. Dernier spectacle de lui créé : Ne m’appelle pas Fofo au Studio Mavromichali à Athènes, mise en scène de Tryfonas Zacharis. Vassilis Alexakis. Influencé par les années vécues en France, par le théâtre de l’absurde et surtout par celui de Samuel Beckett, il propose une version surréaliste du mythe de Phèdre.  

Nektarios-Georgios Konstantinidis  

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