Hamlet de William Shakespeare, traduction et mise en scène de Gérard Watkins

Hamlet de William Shakespeare, traduction et mise en scène de Gérard Watkins

 «Le temps est hors de ses gonds. Maudit le jour qui m’a fait naître pour le remettre en place.» L’histoire est connue: pas loin d’une guerre avec la Norvège, le jeune Hamlet, prince de Danemark, apprend du spectre de son père qu’il a été assassiné. Et par qui ? Par son frère Claudius que la veuve de ce père, Gertrude, s’est empressée d’épouser. Alors tout change. Amertume est presque l’anagramme de maturité : Hamlet devient le spectateur pensif de sa vie et de ses proches. Il s’y mêle peu, lance des allusions sévères à l’ «inceste» commis entre sa mère et le nouveau roi, écarte Ophélie qu’il a paru aimer. Elle ne s’en remettra  pas, d’autant qu’il tue  -par inadvertance ?- son père Polonius qu’il prend -et il n’a pas tort- pour un espion de Claudius. Lequel, à la fin, se débarrassera du jeune fou avec Laerte, le frère d’Ophélie qui, a deux morts à venger…

Pour le moment, Hamlet se sert d’une troupe d’acteurs qui va jouer pour son oncle et  sa mère, en miroir, leurs crimes honteux. Bref, après, au début d’Hamlet, une plaisante réflexion philosophique au cimetière, tout cela finit tragiquement : les deux garçons s’entretuent -mais se réconcilient in extremis-, la Reine meurt par erreur et le Roi aussi, sous les ultimes coups d’un Hamlet mourant. Pas un d’entre eux n’avait échappé à la folie. Reste Horatio, l’ami raisonnable qui a ouvert la pièce et qui la clôt. Sans doute est-il superflu d’en raconter la fable. Tom Stoppard a bien écrit, dans les années soixante-dix, un Hamlet en  quinze minutes… Mais la pièce fait partie des œuvres trop célèbres pour qu’on les connaisse vraiment.

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La version de Gérard Watkins, sous une forme qu’on pourrait  qualifier de «comédie dramatique», ne perd rien du caractère énigmatique, de la complexité et de l’humour d’Hamlet, y compris dans ses moments les plus dramatiques. François Gauthier-Lafaye a créé un salon ressemblant au bar d’un hôtel vieillot : canapés à franges un peu fanés, bar avec tabourets hauts et éclairage en cloche assez morose, transformé plus tard en temple évangéliste. Le tout fermé au lointain par un rideau de perles qui cache et permet aussi de voir au travers. Mais l’image est recouverte par l’entrée, à l’avant-scène  sur la terre, d’Horatio et de ses amis qui guettent le retour du spectre royal, à minuit. Des soldats manœuvrent comme des jouets, Hamlet le fils, lâche le bar pour aller affronter le spectre…

Gérard Watkins a monté la pièce pour le plaisir de retourner au texte original et se plonger dans la vraie, l’authentique «langue de Shakespeare», mais aussi pour Anne Alvaro. Après Denis Llorca et  Andrzej Wajda, il n’est pas le premier à lui donner un rôle d’homme ni à faire jouer Hamlet par une femme. Déjà Sarah Bernhardt… Et ce choix a une double légitimité : d’abord le jeune Hamlet est féminin: il n’épouse pas le schéma viril de son oncle et est à la fois le personnage de la fable et une parole intérieure qui s’exprime.

Et cela, Anne Alvaro le porte avec simplicité, modestement, sans emmener la mélancolie d’Hamlet vers d’inutiles effets émotionnels. Elle remet dans leur contexte et avec une parfaite justesse les «mots» les plus cités, au point d’être devenus proverbes. Quand elle décolle du bar, la comédienne en descend les trois marches sur le mode du: «l’ai-je bien descendu», avec une élégance souveraine. Femme une fois pour toutes. Ensuite, on n’en parle plus : elle porte la parole, les émotions d’Hamlet et ses questions sans réponse. La troupe joue dans un style un peu B.D. avec une gestuelle élastique.

Que le visage découvert du spectre soit celui d’une malicieuse jeune fille, pourquoi pas ? Freud dit bien que l’inconscient -et qu’est-ce qu’un présage, sinon l’expression de l’inconscient ?- se révèle dans la plaisanterie. Gérard Watkins joue lui-même Claudius, un roi un peu empêtré mais pas gêné, hédoniste et craintif, flanqué d’une Gertrude (Julie Denisse) à la sensualité trébuchante. Fabien Orcier est un Polonius inébranlable dans sa confiance de patriarche. Basile Duchmann s’énerve un peu trop en Laërte : il devrait suivre les conseils qu’Hamlet donne aux acteurs qu’il a recrutés : «Ne jamais surenchérir la modestie de la nature. /Car toute chose surfaite/ S’éloigne de la raison d’être du jeu/ Qui est et a toujours été/De brandir un miroir à la nature humaine. »

Les jeunes  Solène Arbel et Mama Bouras sont l’une Ophélie, et l’autre, une joyeuse incarnation du spectre et d’une piquante fossoyeuse, stagiaire du titulaire David Gouhier. Salomé Ayache offre de la jeunesse aux rôles de garçons et Gaël Baron, est lui, un Horatio digne de survivre au chaos. Il soulignait au début de la pièce un aspect politique qui disparaît bizarrement à la fin. Il y a dans le spectacle, une pause de quelques minutes. On savait Gérard Watkins, musicien mais on le découvre interprète de grand talent : ses versions de My Way ou d’Hallelujah, tout en restant classiques, sont de magnifiques créations et en prime, il les enchaîne à merveille avec la reprise de la pièce.

Tout cela donne un Hamlet freiné par quelques longueurs, pas forcément beau (à l’exception de l’armure du spectre!) mais qui ne nous lâche pas jusqu’à la fin… vivement expédiée. Avec une mélancolie passée au filtre de l’humour, sans tomber dans la parodie donc sans prendre la pose. Un vrai spectacle populaire, si les circonstances actuelles lui permettent de vivre : « Occupez-vous bien de ces acteurs, dit Hamlet, il faut les choyer. Car ils sont la brève et abstraite chronique du temps. » 

 Christine Friedel

Présentation professionnelle vue au T.N.B.A., Bordeaux, le 7 janvier.
Sous réserve: Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, du 4 au 14 février et Comédie de Caen, (Calvados) les 21 et 22 avril.

 

 

 


Archive pour janvier, 2021

Que faut-il dire aux Hommes ? mise en scène de Didier Ruiz

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© Emilia Stefani-Law

Que faut-il dire aux Hommes ? mise en scène de Didier Ruiz

Après les ex-prisonniers d’Une longue peine, après les personnes transgenres de TRANS (me’s enlla »), (voir Le Théâtre du blog), le metteur en scène donne ici la parole à sept hommes et femmes engagés dans leur foi. Ils viennent dire leur parcours spirituel,  leurs doutes et questionnements, et partager leurs réponses. «Dans une société en manque de spiritualité et où les religions sont synonymes de déchirements et de haine, remarque Didier Ruiz, il me semble que nous avons besoin de nous reconnaitre, de nous retrouver. Nous avons besoin de soleil. Oui, de soleil. »

Parler de spiritualité au théâtre est chose délicate et il a fallu faire confiance à ceux qui se sont prêtés à ce jeu pour trouver la juste distance. Pari réussi : il n’y a chez ces protagonistes aucune ombre de prosélytisme. Ils ne sont pas enfermés dans les dogmes et nous montrent seulement la voie vers la lumière que leur apporte leur engagement religieux.

 Chemin parfois rocailleux et exigeant que nous suivons pas à pas. Brice, un frère dominicain, vit dans un couvent parisien et s’interroge sur le sens du péché. Marie-Christine, catholique, a quitté sa congrégation et devenue théologienne, fait des conférences et du «coaching» d’entreprise. Grace, originaire du Kenya, après avoir fui une famille ultra-religieuse, a gagné la France, chef de file de la laïcité et elle est maintenant pasteure à Paris. Jean-Pierre, juif d’Algérie, avocat à la retraite, est resté pratiquant, même après s’être rebellé contre l’autorité d’un rabbin. Éric, bouddhiste, travaille auprès d’ O.N.G. à l’étranger et Olivier, chamane, exerce le métier de clown… Enfin, Adel, un artiste, nous donne une vision très personnelle de l’Islam.

 Dans une scénographie sobre : un plateau en bois nu suspendu par des filins d’acier, leurs paroles d’abord à tour de rôle, viennent bientôt s’orchestrer en un chœur pour résonner ensemble, révélant des convergences inattendues. «Comme pour les précédentes créations,  précise le metteur en scène,  je travaille selon le procédé de la parole accompagnée qui m’est cher, et j’ai fait le choix d’une partition orale et non d’un texte. »

Depuis plus de quinze ans, avec sa Compagnie des Hommes, Didier Ruiz rassemble des personnes qui ne sont pas du métier et qu’il appelle «innocents» ou «intervenants». Son travail va au-delà du théâtre documentaire et tend à traquer «ces invisibles, engagés pour atteindre la liberté». Les questions et thèmes abordés dans ses créations, comme le parcours effectué, se révèlent sensibles, brûlants, parfois risqués. Actuellement, la religion n’a pas bonne presse  mais il est plutôt question ici du supplément d’âme qui fait notre humanité…

Mireille Davidovici

Présentation professionnelle vue à la MC 93 de Bobigny  (Seine-Saint-Denis) le 9 janvier.

Prochaines dates sous réserve: 9 février, Théâtre de Chevilly-Larue (Val-de-Marne); 18 février, Châteauvallon-Scène Nationale, Ollioules (Var).
17 mars,Théâtre de La Coupole, Saint-Louis (Haut-Rhin).
Et du  4 au 20 mai, Théâtre de la Bastille, Paris (XIème).

 

Grand ReporTERRES #2 par le collectif Marthe, avec la concours de Claire Richard

THEATRE DU POINT DU JOUR

© Bertrand Gaudillère

Grand ReporTERRES #2 par le collectif Marthe, avec la concours de Claire Richard

 

Angélique Clairand et Eric Massé, à la tête du Théâtre du Point du Jour à Lyon depuis un an, veulent en faire une « maison de création » en prise sur le monde et se mobilisent pour offrir une programmation nomade décentralisée dans le V ème, un vaste arrondissement…

Ces metteurs en scène tissent aussi des liens avec des compagnies allemandes, espagnoles, italiennes, coréennes… pour des projets socialement engagés. Et ils accueillent pendant trois ans en résidence, deux équipes de la région Rhône-Alpes : la compagnie Y d´Etienne Gaudillère et le collectif Marthe. Chacune a été   invitée à participer au cycle les Grands ReporTERRES, où journalistes et artistes croisent leurs regards sur des questions d’actualité.

Cette saison, sur le thème : “zone à défendre“, le collectif Marthe aborde les luttes des cyber-féministes contre l’hégémonie du capitalisme patriarcal dans le numérique. Les actrices-metteuses en scène, issues de l’école de la Comédie de Saint-Etienne, ont été interpellés par Pas d’internet féministe sans serveurs féministes, un article de Claire Richard dans le magazine Panther Première. Et elles ont demandé à la journaliste de les rejoindre pour écrire en deux semaines, une pièce d’une heure sous forme de théâtre d’intervention.

« L’internet féministe, dit Claire Richard, est une histoire fantôme. » Avec Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, et Maybie Vareilles, elle a entrepris une plongée dans les archives et écrit le texte de la voix off qui déroule cette histoire tout au long du spectacle. Des tubes fluo baladeurs éclairent des châssis  mobiles où seront affichés les documents collectés. Dans ce décor sommaire, les actrices remontent aux sources de la division du travail, qui, progressivement, a tenu les femmes à l’écart des progrès techniques.

Nous revenons à l’aube de l’humanité : « Parce que nous saignons tous les mois, nous ne devons pas faire couler le sang. On nous a retiré les armes. » Ce sont pourtant les femmes qui ont fabriqué les paniers et les poteries essentiels pour transporter les viandes de la chasse. Elles encore, qui ont manœuvré les cartes perforées des métiers à tisser automatiques puis celles des premiers ordinateurs… Qui connaît l’Anglaise Ada Lovelace (1815-1852)? Elle réalisa pourtant le premier programme informatique en travaillant sur un ancêtre de l’ordinateur…  Ou Grace Hopper (1906-1992), une amirale de la Marine américaine qui, pour I.B.M., conçut les premiers langages évolués de programmation Fortran et Cobol. Leurs noms, comme ceux de nombreuses créatrices, ont été effacés de l’Histoire…

Parallèlement à cette recherche archéologique, les actrices se livrent à un joyeux bidouillage pour construire leur propre serveur internet, à l’instar de nombreux réseaux  autonomes gérés par et pour les femmes. On écoute en voix off et sous-titrée, la militante catalane Margarita Padilla. Cette ingénieure analyse l’emprise du capitalisme numérique sur nos vies et pointe la nécessité de construire des réseaux indépendants… Dans un intermède ludique, sont  exposées les thèses de la philosophe cyber-féministe Sadie Plant qui, dans Zeros and Ones (Les Zéros et les uns), déconstruit le mythe selon lequel la pratique d’Internet est naturellement réservée au genre masculin…  

 Le collectif Marthe nous offre ici un tract théâtral qui allie fantaisie et réflexion. Salutaire en ces temps où les G.A.F.A.M.  (Google Apple Facebook Amazone Microsoft ) étendent leur empire, au point de mettre en danger notre liberté et nos vies privées. Comme le théâtre est fermé jusqu’à nouvel ordre, le collectif Marthe et l’équipe du Point du jour, en ont imaginé une version « podcast » accessible au plus grand nombre : https://soundcloud.com/user-861304615/grand-reporterre-2/s-6cQHutLqGf7

 Mireille Davidovici

Présentation professionnelle vue le 8 janvier, Théâtre du Point du jour, 7 rue des Aqueducs, Lyon (Vème). T. :  04 78 25 27 59.
 www.pointdujourtheatre.fr  

Soaf par la compagnie Oxyput

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Soaf par la compagnie Oxyput, d’après une idée originale de Marine Chervola

Répétition générale de ce spectacle à Audincourt après deux semaines de travail dans la Meuse. La musique et les costumes des trois danseuses ne sont pas encore définitifs mais, depuis le 15 avril, les images se sont fixées. Les interprètes jouent avec des dizaines de bouteilles en plastique et en font des cercles.
«Bienvenue sur les couloirs de la faim! » Une  mise en scène énergique: les performeuses se roulent par terre, ramassent les bouteilles puis les jettent, dansent en rythme.L’une dirige les autres à la voix pour ce  spectacle dont la durée est estimée à quarante-cinq minutes. A la manière d’une « battle », Julia Berrocal, Marine Chervola et Laurie-Anne Clément demandent au public de prendre parti pour l’une d’elles mais aussi de changer de camp.

« Nous développons ici l’idée que le positionnement du public,  comme le choix de changer de point de vue, sont des actes forts et créateurs. Le spectre de la fin du monde s’infiltre dans les consciences, les médias, les discussions au bar, les livres pour grand public, les blockbusters, les rêves, Paris-Match, les arts vibrants… La question de la disparition d’une ressource vitale coule donc de source. » (…) « Nous sommes arrivés à un point de non-retour écologique. L’avenir est sec et face à la soif, nous sommes égaux. Il va donc falloir se regrouper et s’organiser! Sommes-nous seulement capables de cohabiter pour notre propre survie? »
Beaucoup d’énergie, de fantaisie et d’imagination: ce court spectacle ne roule pas dans le vide, puisque l’eau est bien déjà un des problèmes majeurs de l’humanité… Que faire si cet élément primordial venait à s’épuiser ? Soaf, avec une belle expression chorégraphique,  a le grand mérite de mettre le doigt là où cela fait mal…
Edith Rappoport

Répétition générale vue le 8 janvier au Studio des Trois oranges, Audincourt (Doubs).

 

Adieu Dominique Darzacq

Adieu Dominique Darzacq

3CbQI_-m2Y8vAI-r3NWiU82kUAYJOy_RjSohNTK8POC_42ZO1Pnh7mRKNBKavW5kgzmoLg=s152Disparue à quatre-vingts huit ans, elle dirigea la revue de l’A.T.T.A.C, mais écrivit aussi dans Connaissance des arts, Révolution, Théâtre d’aujourd’hui…
Dominique Darzacq connaissait très bien le monde du spectacle contemporain et publia des livres  comme C’était du théâtre comme il n’était pas à prévoir mais comme il est à espérer (1985) sur le théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, mais aussi L’Abécédaire Heyoka Sartrouville (1999); son épouse Martine Spangaro décédée en juin dernier (voir Le Théâtre du Blog) travailla aux côtés de Claude Sévenier, le directeur du Théâtre de Sartrouville. Elle aura aussi eu une grande activité au Syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse et elle en avait été faite vice-présidente d’honneur.

Mais son œuvre la plus remarquable fut sans doute pour TF I le tournage de documentaires Mémoire du théâtre sur notamment Hubert Gignoux, Roger Planchon, René Allio, Jean-Pierre Vincent, Jorge Lavelli, Aurélien Recoing, Pierre Vial, Antoine Bourseiller… Ces documentaires, de par la qualité des metteurs en scène qu’elle avait interviewés, seront de précieux repères pour l’histoire du théâtre contemporain.

 Malade depuis longtemps, elle gardait cependant  la tête haute et allait encore souvent au spectacle. Avec elle, disparaît une journaliste aux avis souvent tranchants mais d’une honnêteté scrupuleuse et qui aura été une des figures  de la critique théâtrale.

Philippe du Vignal

Les Étoiles, texte et mise en scène de Simon Falguières

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© Simon gosselin

Les Étoiles, texte et mise en scène de Simon Falguières

 « Le Vieil Ezra : Je m’appelle Ezra./J’étais le Poète de cette histoire./J’étais né dans une maison blanche à la périphérie d’une ville du Nord. /J’étais né de Pierre et de Zocha. D’un amour sans étreinte. D’un amour inégal comme toujours. » Ainsi commence un flash-back de deux heures, avec allers et retours dans l’espace et le temps, entre un univers terre à terre et un autre onirique…

 Une petite maison, comme celle d’un dessin d’enfant au milieu du plateau nu. Zocha vient de mourir : son mari, un taiseux et son frère, l’Oncle Jean, désigné comme l’idiot du village, préparent l’enterrement. Au moment de prononcer l’oraison funèbre de sa mère, Ezra perd ses mots et s’enferme dans sa chambre… Dehors, il se met à pleuvoir. L’eau recouvre le village et la rivière devient un lac.

Sur son lit, transformé en radeau, Ezra vogue vers des pays imaginaires avec un chien et un oiseau. Sous la conduite de la déesse indienne Kowagountata Papo et de Dionysos, personnages extravagants et incarnations des marionnettes de son enfance… Le jeune homme remonte le temps, rencontre des fantômes : Zocha, petite fille juive rescapée de Pologne, Monsieur Dieu, la Reine et le Roi de conte, et même Ingmar Bergman qui l’invite à une projection dans une cinéma miteux, après que son embarcation se soit échouée sur les côtes suèdoises.

 Autour de ce Little Nemo au pays des merveilles, la vie continue… Oncle Jean tombe amoureux, une petite fille nait des amours d’Ezra et Sarah, Pierre part dans le Sud… Ces deux mondes coexistent sur le plateau : le décor  se déplie et se referme comme un accordéon, tourne au gré du récit et des lieux visités… La scénographie d’Emmanuel Clolus dévoile ironiquement les artifices du théâtre : changement à vue de costumes et décor, manipulation à découvert des guindes qui règlent les envols des objets et d’un petit peuple de marionnettes et d’effigies d’animaux, grandes et petites .

Simon Falguières se refuse à employer des effets spéciaux vidéo et a préféré rendre un hommage direct au cinéma, en projetant un vrai film en super 8 tourné par son frère Emmanuel : « Je voulais que cet espace soit celui de la lanterne magique. » Il apparait lui-même en un Ingmar Bergman fantomatique. «Cet artiste, dit-il, a une place centrale dans la pièce. Bergman adorait les marionnettes et y jouait, enfant, comme le petit Ezra. Les Étoiles emprunte aux procédés cinématographiques avec un montage faisant dialoguer plusieurs segments narratifs, le tout dans un joyeux artisanat du plateau… »

Rêve et réalité se superposent habilement dans l’écriture, comme dans la mise en scène. Au fil de séquences qui s’entrecroisent, les six acteurs jouent une quinzaine de rôles : ceux de la sphère familiale ou du peuple des fantasmagories d’Ezra, inspirée des sculptures naïves de l’Oncle Jean et de héros des contes pour enfants.  Charlie Fabert, sorte d’Alice au masculin, est un Ezra plus concret qu’évanescent. Stanislas Perrin confère à l’Oncle Jean une tendresse empruntée. John Arnold joue un père bourru mais sensible. Agnès Sourdillon donne toute sa fantaisie à Zocha et à Kowagountata Papo. Pia Lagrange joue tous les rôles de jeunes filles avec piquant. Le metteur en scène confie à ses personnages quelques adresses au public pour signifier qu’on est bien dans une fiction théâtrale.

Cette féérie baroque nous révèle l’univers très personnel de cet artiste qui s’était fait connaître avec une pièce-feuilleton, Le Nid de Cendres*  (voir Le Théâtre du blog). Une “épopée théâtrale“ devenue un spectacle de treize heures au Festival dAvignon*. 

Mireille Davidovici

Présentation professionnelle vue au Théâtre du Nord-Centre Dramatique National de Lille-Tourcoing (Nord) le 7 janvier .

Du 6 janvier au 5 février  Théâtre de la Tempête Cartoucherie de Vincennes.à Paris  T. 0143 28 36 36

9 février> Transversales, Verdun,

 Le nid de cendres reprise  en 2023 :  11 mars Comédie de Caen – CDN de Normandie; 11 au 20 mai  Théâtre Nanterre-Amandiers  
3 et 4 juin |  Théâtre de laCité à Toulouse

 La pièce est éditée chez Actes Sud-Papiers.

 

 

 

Kolik de Rainald Goetz, mise en scène d’Alain Françon

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© Ina Seghezzi

Kolik de Rainald Goetz, mise en scène d’Alain Françon

 Seul en scène, hormis un fauteuil, Antoine Mathieu donne voix et corps à un texte âpre et charriant des obsessions existentielles. Armé d’une bouteille, il boit tout aussi obsessionnellement devant un écran où se hasardent quelques mots et où s’égrènent les numéros de dix-sept occurrences titrées : homme, renversement, force, musique, science, doute, travail… pour finir dans la mélancolie avec : douleur, faible, stop, meurs…

 Plus qu’un personnage, c’est une figure de l’homme face à lui-même et à la déliquescence de son être physique et moral, que le comédien habite. Avec les mots récurrents d’un individu qui se répand en colique corporelle et  verbale. « Le virus virulent de la vie vit en tant que mort ». Mais, dans un même élan : « Le doute c’est  douter… Calculer c’est penser, penser c’est douter, douter c’est penser. »

De ces étranges syllogismes, de ces énoncés qui tournent sur eux-mêmes, naît une progression dramatique d’une économie particulière, faite de retours en arrière, répits et moments lumineux mais allant vers une fin inéluctable. En même temps que la vie, la parole s’en va, réduite à des bribes de langage, brutes, désarticulées, asyntaxiques soulignant la perte du sens. Quand il se tait enfin, c’est la paix !

 Kolik est le troisième volet d’une trilogie publiée en 1986 : Guerre. Le premier traite de la guerre en général le deuxième, Batailles, des luttes intestines dans le couple.  «Guerre à la fin, dit Rainald Goetz, signifie ici : «tractat contre la résistance du matériau, égal ni matériau ni résistance mais summa summarum tractat nommé cordialement Kolik ; je, mot, mort. »

 Couvert de prix littéraires outre-Rhin, le poète et romancier est peu joué en France malgré l’édition chez P.O.L. d’une traduction d’Olivier Cadiot. Alain Françon avait monté Katarakt en 2004, au Théâtre de la Colline, un monologue tout aussi touffu, qu’interprétait Jean-Paul Roussillon.

Le metteur en scène avait fait connaître l’auteur à Antoine Mathieu qui dès lors s’est emparé de Kolik, jusqu’à le faire sien, comme dans cette mise en scène sobre, et éclairante. Ina Seghezzi avec Antoine Mathieu et Alain Françon, en a établi la version actuelle : «La langue de Goetz est difficile à traduire, dit-elle. Afin que la circulation du sens dans cette écriture hautement dense soit la plus ouverte, j’ai opté pour une langue dans un état brut et rugueux.  » Une collaboration qui porte ses fruits.

 On suit Antoine Mathieu pas à pas dans cet inventaire d’une vie, quand la guerre, à l’intérieur du cerveau cherche à se frayer un chemin, vers une condensation extrême, à l’ultime instant de vie avant la mort. Il sait, grâce à différentes postures, nous conduire avec beaucoup d’humour dans cet épais labyrinthe, en tirer du sens, sans s’appesantir sur la noirceur de la pièce. Il faut se laisser guider par lui à travers ces petites unités de parole -parfois absconses- et déchiffrer cette œuvre étonnante  conçue par le comédien comme « une exploration faite en commun de ce texte inouï, qui parle au corps, à partir du corps. »

Nous avons assisté à cette présentation professionnelle le 6 janvier au Théâtre 14, où le spectacle devait avoir lieu. Mathieu Touzé et Édouard Chapot qui en ont repris dernièrement la direction, ont travaillé disent-ils, plus d’un an et demi à donner pendant cette première saison, un nouvel élan à cette salle :  « Avec un plan A, un plan B, un plan C mais tout a explosé ! Nous nous sommes plongés sans réfléchir dans le torrent acceptant cette nouvelle normalité, nous avons mis en place, projeté, annulé, stoppé, tenté. « (…) «Nous nous sommes amarrés au concret, nous avons relevé nos manches pour une première réouverture en juin, puis un festival en juillet, intégralité de la saison reportée, participation au référé liberté.  Comment aborder cette nouvelle année ? Que va-t-il se passer dans les prochains mois ? Nous avons choisi notre meilleure ressource : l’imaginaire. (…). Voilà où nous plaçons maintenant nos efforts dans une tentative poétique de penser notre avenir. Nous résistons par notre plus grande force, celle de l’esprit, celle du rêve. »

Mireille Davidovici

Théâtre 14,  20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème).

Du 5 au 13 février,  Théâtre du Nord, Lille (Nord) 

 Di 5 au 13 février 2021

Adieu Melly Puaux

Adieu Melly Puaux

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© x Avec François Mitterrand, Jack Lang et Paul Puaux

Peu connue du grand public, Melly Toouzoul Puaux qui vient de mourir à soixante-dix sept ans ans dans sa maison de Prat-Souteyran (Lozère). Avec Paul Puaux,  de 1971  jusqu’au début des années 2000, elle a œuvré, avec dévouement à la mémoire de Jean Vilar et du festival d’Avignon, et au rayonnement de la Maison Jean Vilar.

Actrice, elle avait commencé dans la troupe de Patrice Chéreau et Jean-Pierre Vincent,  puis Melly Touzoul fut secrétaire permanente au festival d’Avignon en 1967 et dix ans plus tard,  épousera Paul Puaux, directeur du festival qu’elle accompagna jusqu’à sa mort en 1998.

À la Maison Jean Vilar, Melly Puaux a pris surtout en charge les archives personnelles du metteur en scène et directeur du T.N.P. et y organisa des expositions et rencontres. Elle a aussi collecté les archives et témoignages de ses collaborateurs et écrit de nombreux ouvrages* sur le théâtre populaire. Melly Puaux aura fait partie toute sa vie de celles et ceux qui ont fait le théâtre contemporain, discrètement mais avec efficacité…

Philippe du Vignal 

Entre autres ouvrages: Mot pour mot / Jean Vilar, textes réunis et présentés par Melly Touzoul et Jacques Téphany, Paris : Stock, 1972.

Jean Vilar : du tableau de service au théâtre, notes de service de Jean Vilar rassemblées par Melly Puaux, Louvain : Cahiers théâtre Louvain, 1985.

L’Aventure du théâtre populaire : d’Épidaure à Avignon, Melly Puaux, Paul Puaux, Claude Mossé, Monaco ; Paris : Éd. du Rocher, 1996.

Paul Puaux, l’homme des fidélités, Association Jean Vilar, 2000.
 
Jean Vilar par lui-même, Association Jean Vilar, Avignon : Maison Jean Vilar, 2003.
 
Les Amis du Théâtre Populaire hier et aujourd’hui..., coordination Melly Puaux, Montreuil : Association Théâtre Populaire, 2017.

Petits cadeaux pour une rentrée qui n’en est pas vraiment une…

Petits cadeaux pour une rentrée qui n’en est pas vraiment une…

Political Mother Unplugged d’Hofesh Shechter

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Aujourd’hui en direct lundi 5 janvier à 19h; le 6 janvier à 18h; le 08 janvier à 14h30e-représentation scolaire retransmission en direct du Théâtre des Abbesses (sans public) gratuit.

Et le 9 janvier à 15 h en direct et  à 18h30-19h45 (en attente de confirmation )

https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/gardons-le-lien/les-directs/political-mother-unplugged-1

 

Jeune couple Bacchus et Ariane de Tullio Lombardo

©x Jeune couple Bacchus et Ariane de Tullio Lombardo

 Le Corps et l’âme

Une visite guidée  de cette exposition encore pas accessible comme les autres   en compagnie de Marc Bormand, conservateur en chef du département sculptures du Louvre.

Une remarquable analyse de certaines des cent quarante œuvres de cette exposition, organisée avec le musée du Castello Sforzesco de Milan, de la seconde moitié du Quattrocento au début du 16e siècle un moment d’apogée de la sculpture de la Renaissance. Avec des formes très novatrices d’expression des sentiments, depuis Donatello jusqu’à Michel-Ange.

L’exposition propose aussi d’aller à la découverte d’artistes moins réputés, d’admirer des œuvres peu accessibles, de par leur lieu de conservation : églises, petites communes, situation d’exposition dans les musées, pour les mettre en lumière et dans leur contexte.

Une exposition  qui fait suite à celle remarquable du Printemps de la Renaissance en 2013 au Louvre et au Palazzo Strozzi et consacrée aux prémices de l’art de la Renaissance à Florence dans la première moitié du Quattrocento.

 YouTube Le Scribe accroupi

135 façons de sauver la terre de Kapser T. Toepilitz et François Bon
 

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Le compositeur et l’écrivain présentent quelques-unes des 135 façons de sauver la Terre… Un projet politique de poétisation du monde sous la  forme d’un registre numéroté de brefs thèmes d’improvisation conduits lors de répétitions en duo avec Kasper Toeplitz, en studio ou en concert, in situ, en public ou en privé. Et systématiquement filmées et archivées. « Dans chacune de ces répétitions ou performances, en public ou en studio, nous parcourons un certain nombre des improvisations (…) Les improvisations sont ensuite transcrites, et intégrées dans le fichier texte principal sous forme de variation (plus lieu et date) pour chaque thème.

 

Les numérotations des thèmes sont mobiles et arbitraires. Certaines des improvisations filmées sont retranscrites et inclues dans le livre sous forme de variations uniques ou multiples, mais l’idée de partition pour l’improvisation demeure prévalente.Dans l’idéal, soit en situation de performance, soit dans cette version écrite, des interruptions régulières sont ménagées pour des histoires parlées, qui sont répertoriées ici comme les autres improvisations.Merci au compositeur Kasper T. Toeplitz de sa collaboration pour donner à ce projet sa vraie ampleur. « 

« C’était comme si des fois on en avait trop marre
c’était comme si des fois tu te dis mais ça peut pas continuer ça peut pas durer ça peut pas aller tout droit comme ça
c’est comme des fois tu te dis pas de solution là sur le côté pas de solution là sur le côté pas de solution dessus pas de solution dessous et devant quoi tu cognes tu heures
alors tu fais quoi tu crois qu’on peut s’en sortir quand même tu crois
alors on se dirait il est temps de se protéger
alors on se dirait il est temps de se cacher
il est temps de s’armure de cocon de couverture de capitonner
alors on ferait quoi… »

Ce soir mardi 5 janvier à 18h 30.  Concert retransmis en direct sur Youtube live.

Alice traverse le miroir, texte sur une idée d’Emmanuel Demarcy-Mota, de Fabrice Melquiot d’après Lewis Carroll, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Motta

Une diffusion en direct  avec la troupe du Théâtre de la Ville Aux frontières de la logique et du non-sens, du réel et de l’absurde, du poétique et du scientifique.  » Carroll redonne à chacun le goût des jeux de langages et de l’inconnu. Son épopée si réellement fantastique s’offre avec la même saveur à tous les âges de la vie, à toutes les cultures.
« Alice, dit Odile Quirot, vole en apesanteur dans une image d’escalier et rencontre des héroïnes qui pourraient être ses descendantes: Dorothy, née du Magicien d’Oz, Zazie la môme de Queneau, et Rose, une fille d’aujourd’hui. À propos, qui est dans le rêve de qui ? Alice, en tout cas, est à jamais dans le beau rêve de théâtre total d’Emmanuel Demarcy-Mota. »

Le samedi 9 janvier à 17 h 30 et le jeudi 14 janvier à 14h 30 sur le site du Théâtre de la Ville.

Philippe du Vignal

 

 


 

 

Pieds nus dans le parc de Neil Simon, mise en scène de Reïna Eskenazi

Pieds nus dans le parc de Neil Simon, traduction en grec d’Antonis Galéos, mise en scène de Reïna Eskenazi
 
Producteur, dramaturge et scénariste américain, Neil Simon  (1927-2018), surnommé le roi de la comédie, a aussi adapté en 1967 cette pièce au cinéma avec Robert Redford et Jane Fonda.  Dans cette comédie romantique pleine d’humour, traduite et montée dans le monde entier avec grand succès, l’auteur met en valeur l’amour, comme sentiment omniprésent et… omnipotent.

Mais il y a toujours dans les relations humaines un quelque chose porteur d’ambiguïtés et d’antinomies. Et l’homme comme la femme souffrent de doutes, soupçons et  manque de confiance en soi. La routine du mariage semble un cauchemar, le couple a besoin d’un changement, d’une surprise ou d’une folie qui écraserait la monotonie : ce «marchons pieds nus dans le parc » est peut-être un remède…

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Après six jours de lune de miel, Paul, jeune avocat plein d’avenir, découvre le « petit nid d’amour » que leur a  trouvé Corie : un loft insalubre au huitième étage sans ascenseur ! Le couple est brutalement plongé dans la réalité d’une vie à deux. Paul découvre l’endroit le jour de leur installation et c’est l’enfer. Impossible pour lui de travailler dans cet espace  inconfortable! Et il doit plaider sa première affaire le lendemain matin! En fait, rien ne se passe comme prévu : leurs meubles tardent à arriver, leur nouveau voisin cherche visiblement à squatter et Esther, la mère de Corie, aurait tendance à prendre racine… Tout cela risque fort d’aboutir à une situation explosive.

Reïna Eskenazi  a réalisé une mise en scène rythmée où alternent comique des situations et émotion. Le décor et les costumes soulignent le burlesque de la pièce. Un spectacle léger et touchant qui provoque le rire, mais où Neil Simon  rappelle les difficultés de la cohabitation comme du mariage. Argiris Aggelou (Paul) et Vassiliki Troufakou (Corie) sont  un couple  de personnages aux contradictions évidentes mais qui ont une profonde sensibilité. Aris Lembessopoulos excelle en Victor Velasko, le vieux et dingue voisin qui n’hésite pas à flirter avec Corie pour gagner le cœur de sa mère. Hélène Krita interprète Esther avec brio et Jérome Kaluta est magnifique à la fois en technicien et en serviteur. Ici la parodie fait aussi merveille.  
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Spectacle vu le 1 er janvier  en retransmission depuis le Théâtre Akadimos, Athènes.

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