Les Femmes de Barbe-Bleue, création collective librement inspirée de Charles Perrault, mise en scène de Lisa Guez
Les Femmes de Barbe-Bleue, création collective librement inspirée de Charles Perrault, mise en scène de Lisa Guez
Chacune selon leur personnalité, cinq femmes nous racontent leur aventure avec le bourreau des cœurs et des corps. Il y a, comme chez Charles Perrault, la fameuse chambre interdite et la clef qui en ouvre la porte. Mais Liza Guez donne la parole à celles qui, dans le conte, n’ont pas voix au chapitre.
D’abord une jeune mariée (Valentine Krasnochok qui est aussi la dramaturge du spectacle). «C’est la seule chose qu’il m’a interdit de faire, et la seule chose que j’ai envie de faire » , dit-elle en tripotant la petite clef. En l’absence de son époux adoré, dans la riche demeure elle a organisé une fête qui bat son plein… Rongée par la curiosité, la jeune femme ose braver l’interdit et ouvrir la porte : surgissent alors quatre fantômes : des victimes de Barbe-Bleue qui envahissent la scène. A tour de rôle, sous l’œil critique des autres, elles y vont de leur récit pour essayer de comprendre, ensemble comment elles ont pu tomber sous l’emprise de leur assassin.
Anne Knosp mène la séance (son personnage s’avère être la première femme du monstre). Des histoires différentes mais à la même issue tragique. Chacune en déroule le fil que les autres décryptent ironiquement… L’une dit avoir été étranglée avec amour et douceur, ce qui fait bondir ses camarades ! Une autre, toute ingénue, est terrorisée par l’ogre bourru : «Reprend la scène, lui disent ses compagnes. Tu vas lui tenir tête, tu vas devenir une pirate! » Ce qu’elle fait.
Ces fictions, loin d’un féminisme primaire, interrogent les ambiguïtés du désir amoureux et sexuel. La mise en scène de ces féminicides débusque la naïveté, l’obéissance aveugle, la soumission, la peur, voire la complaisance qui ont mené chacune à tomber sous le charme du violent barbu se cachant derrière le beau séducteur.
Lisa Guez s’est appuyée sur la lecture de Femmes qui courent avec les loups : Mythes et histoire d’une femme sauvage de Clarissa Pinkola Estés. La conteuse et psychanalyste américaine y aborde l’inconscient collectif féminin à travers les mythes. Pour elle, Barbe-Bleue est un prédateur qui enferme les femmes dans des rôles sociaux, les coupe de leur nature sauvage primordiale et de leur liberté native. «Je n’ai pas voulu questionner la domination masculine, dit Lisa Guez, mais voir en quoi cette figure masculine inquiétante et dominatrice pouvait nous attirer inconsciemment. » Elle pose ici le fameux problème du consentement. Pour se libérer de cette instance destructrice, les actrices jouent à caricaturer leur tortionnaire. «Chacune doit se défaire de son Barbe-Bleue, dit la metteuse en scène. » A l’inverse du conte de Charles Perrault, elles mènent donc avec beaucoup de malice et d’énergie une guerre libératrice. Des scènes de théâtre dans le théâtre apportent des échappées comiques à cette sombre fable.
Il y a eu (voir Le Théâtre du Blog) plusieurs versions théâtrales délurées du célèbre conte: entre autres, La Fiancée de Barbe-Bleue de Pierre-Yves Chapalain, Barbe-Bleue, espoir des femmes de Dea Loher ou La petite Pièce en haut de l’escalier de Carole Fréchette. Celle que nous offrent Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour et Jordane Soudre affirme une distance amusée avec son modèle. Leur spectacle a remporté le prix du festival Impatience 2019… Une récompense méritée.
Lisa Guez poursuit son travail de création à la tête de Juste avant la compagnie, fondée en 2009. Elle a récemment présenté une ébauche de son prochain spectacle Celui qui s’en alla, au M.A.I.F. Social Club : «Un conte actuel pour décoller de la réalité. » Une fiction autour d’un personnage central, Alexandre, objet des fantasmes des autres… La pièce analyse «comment on attrape le rêve de quelqu’un» et «dans quel vertige on tombe», quand la séduction n’opère plus. Un travail en cours où on retrouve avec bonheur quelques actrices des Femmes de Barbe-Bleue mais il faudra encore trois mois d’allers et retours entre écriture et plateau pour finaliser le projet.
Mireille Davidovici
Représentation pour les professionnels vue le 29 janvier au Cent Quatre, 5 rue Curial Paris (XIX ème).
Sous réserve: le 12 février, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) ; les 18 et 19 février, Théâtre-Maison d’Elsa, Jarny (Nord).
Du 9 au 13 mars, T.N.B.A.-Centre Dramatique National, Bordeaux (Gironde) ; le 16 mars, Théâtre de Châtillon (Hauts-de-Seine). Le 17 mars, P.O.C., Alfortville (Val-de-Marne); le 19 mars, Théâtre Octobre, Lomme (Nord); les 25 et 26 mars, L’Aire Libre, Rennes (Île-et-Vilaine) et du 30 mars au 1er avril, Centre Dramatique National de Besançon (Doubs).
Du 7 au 9 avril, Comédie de Reims, (Marne) ; du 12 au 14 avril, Festival Paroles Citoyennes, Paris. Le 16 avril, Le Canal, Redon (Île-et-Vilaine).
Les 1er et 2 juin, festival ADO, Le Préau, Vire (Calvados); le 8 juin, L’Eclat, Pont-Audemer (Eure); les 10 et 11 juin, M.A.I.F. Social Club, Paris (IV ème) ; en juin, Les Nuits de Fourvière, Lyon (Rhône).
Du 13 au 15 octobre, Théâtre Daniel Sorano, Toulouse (Haute-Garonne) et le 22 octobre, O.M.A., Commercy (Meuse).
Le 9 novembre, Maison du Théâtre, Amiens (Somme) et le 24 novembre, Théâtre de la Renaissance, Mondeville (Calvados).