Je passe 4 de Judith Depaule, avec L’Atelier des artistes en exil
Je passe 4 de Judith Depaule, avec L’Atelier des artistes en exil
Un dispositif constitué depuis le premier Je passe avec un public en petits groupes. Une bonne “distanciation“ si les spectacles étaient autorisés à recevoir un public. Un comédien ou une comédienne se présente, avec, sur une tablette, le portrait de celui dont ils portent le récit. Même durée pour chacun et ensuite, elle ou lui passe à un autre groupe… Avec en cadeau, un chant, une musique, la sonorité d’une langue, d’une voix…
Elément-clé du rituel, le regard les yeux dans les yeux, premier et dernier contact. Aucune distraction, avant qu’il puisse se fixer sur l’image de l’artiste ou revenir à l’acteur. Autrement dit, nous sommes là à un spectacle, non pour fuir la réalité mais pour la regarder en face. Tous ces exilés racontent la nécessité vitale qui les a poussés à à passer une frontière, pour arriver jusqu’ici, en France. Pas sûr qu’ils l’aient toujours choisie. Certains «dublinés» selon l’accord de Dublin. Un réfugié est renvoyé automatiquement dans le premier pays par lequel il est entré en Europe. Mais enfin, ils sont arrivés ici et c’est le nom: France qui clôt chaque récit.
Judith Depaule, comédienne et metteuse en scène, a fait partie du groupe Sentimental bourreau autour de Mathieu Bauer, le directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil. Elle dirige sa compagnie Mabel Octobre mais aussi l’association L’Atelier des artistes en exil. Avec pour objectif de les défendre après qu’ils aient été forcés de quitter leur pays, les mettre en relation et leur permettre de travailler avec d’autres. Avec eux, on se rend compte à quel point l’art est essentiel. Ces exilés qui se sont donnés à eux-mêmes le pouvoir de la liberté, intolérable pour les régimes autoritaires, l’ont payé cher.
Pas les seuls à avoir eu le courage de partir mais ils sont à la fois plus visibles, donc plus menacés et en même temps plus forts de ce qu’ils ont à transmettre. Témoignage d’une jeune artiste: c’est cela et pas autre chose qu’elle doit peindre, son regard est nécessaire pour comprendre ce pays et ce qu’il a fait d’elle. Un État et une société sont-ils si fragiles pour avoir peur de la peinture? L’art a donc une telle force, pour que ce soit essentiel de le faire taire ?
Les Je passe -on en est au n° 4- se jouent dans les lieux qui ont du sens: Institut du Monde arabe, Musée National de l’histoire de l’immigration, Maison des Métallos, une coopérative culturelle logée en un endroit qui se souvient des luttes syndicales. Une façon de responsabiliser le spectateur. Cela ne fait pas une leçon de Je passe 4. Nous écoutons avec empathie ces récits et on fait connaissance avec des visages et des histoires… Ils sont beaux, parfois drôles et l’humour peut revenir quand ces exilés ont retrouvé une sécurité, même précaire.
Le dispositif rigoureux du spectacle a un juste caractère répétitif qui renvoie aux obsédantes formalités auxquelles ces artistes ont été soumis en arrivant ici. Mais cette exigence produit éventuellement un effet paradoxal et le rituel finit par niveler les histoires individuelles en leur ôtant d’un côté ce qu’il donne de l’autre : la vie singulière de chacun, avec ses paroles, son portrait et son “cadeau“.
Christine Friedel
Présentation pour les professionnels vue le 5 février à la Maison des Métallos, coopérative artistique, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris (XI ème).
L’Atelier des artistes en exil, lieu de rencontres, soutien, pratiques artistiques et ateliers, 6, rue d’Aboukir, Paris (II ème).