Deuxième version de Rabudôru, poupée d’amour, écriture et mise en scène d’Olivier Lopez

Deuxième version de Rabudôru, poupée d’amour, écriture et mise en scène d’Olivier Lopez (à partir de douze ans)

Signe des temps: il y a deux versions de cette pièce. L’une filmée par des cadreurs  qui suivent les acteurs et visible en simultané sur Internet. Recréation, traduction, transposition? On choisira… En tout cas, pas une captation… tant mieux, plutôt réservée à des plans fixes et en principe destinée à un usage interne par les compagnies. Et l’autre sur une scène avec écran dans le fond où sont retransmis en gros plan, les visages des personnages.

Nous vous avions parlé de cette expérience en novembre dernier (voir Le Théâtre du Blog) qui rappelle -un peu- le bon vieux temps d’Au Théâtre ce soir, cette émission de télévision encore en noir et blanc mais très populaire créée par Pierre Sabbagh en 1966. Il y avait la force du direct, et même si cela ne plaisait guère à une critique de gauche, vu le peu d’originalité des pièces ainsi recréée. Et aussi un moment de théâtre avec le partage sinon d’un même espace mais d’un même temps, entre quelques centaines de spectateurs à Paris et un autre public immense mais invisible assis devant un écran de télévision… Depuis les caméras ont beaucoup évolué, comme le théâtre et la retransmission en général. Pour Nabudoru, poupée d’amour : 3.025 lectures pour 1.406 connexions uniques à travers quarante-trois pays, ce qui était inimaginable il y a même vingt ans.

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©Alban Van Wassenhove

Alban Van Wassenhove

Mais cela donne-t-il envie à un éventuel public y aller voir de plus près? Non, et fonctionnent bien mieux, de courts extraits en général impeccablement filmés et ensuite diffusés dans un  Journal Télévisé national. La frustration… une vieille et bonne recette que connaissent bien les grands théâtres nationaux. Cinquante secondes sur une grande chaîne la veille au soir, et à Chaillot, au temps de Jérôme Savary, les ventes de billets le lendemain matin s’enflammaient… Il était donc intéressant d’aller voir la pièce, en vrai comme disent les enfants, sur un plateau de théâtre comme celui du Volcan au Havre, même sans véritable public avec, pour filmer cette version, des cadreurs discrets sur le plateau. Où est cassée toute possibilité d’illusion, mais cette fois en trois dimensions et non plus en images sur un écran! Sans doute la première fois pour un critique; le chemin étant toujours inverse!

 

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©Alban Van Wassenhove

 

 

La douzaine de spectateurs que nous étions dans cette salle de quelque sept cent places a donc vu «en présentiel » comme dirait Macron, l’histoire de ce jeune couple qui attend un enfant. Nora et Thierry vivent dans une petite ville de la province française où, comme souvent, hélas, les industries locales sont durement touchées par la concurrence asiatique. L’entreprise de jouets où ils travaillent, qu’un groupe japonais, la Rabudôru Industry a racheté, va devoir fabriquer de belles poupées en silicone à taille humaine et à vagin amovible, vendues là-bas à des milliers d’exemplaires… La direction propose à Thierry un travail intéressant avec des responsabilités et beaucoup mieux  payé. Mais Nora refuse de fabriquer ces curieuses femmes-objets, au nom du danger moral qu’à son avis, elles représentent pour la société. Un point de vue sans doute occidental! Pour nous, cette poupée aux arrières goûts de poupée gonflable donc connotée sex-shop a sans doute quelque chose d’ambigu, entre rêve de possession sentimentale et usage sexuel d’un mannequin produit industriellement, sans aucune identité et ravalé au rang de denrée consommable.

C’est aussi la question même de l’objet fantasmé qu’aborde aussi finement Olivier Lopez. Nora va quand même réussir à créer un mouvement social dans cette entreprise qui n’avait pas besoin de cela, aux dires de Thierry, en désaccord total avec sa compagne. Crise dans le couple: lui, ambitieux, ne résiste pas aux sirènes de la Direction qui lui offre ce poste de cadre dont il rêvait. Et pour montrer l’exemple, il achète une de ces poupées pour réconforter son père qui a un sérieux début d’Alzheimer… Certains de ses collègues approuvent la lutte de la jeune femme et la soutiennent mais d’autres voient  dans cette nouvelle orientation de l’usine, une possibilité de les sauver d’une faillite menaçante. La fabrication, très au point, fonctionne bien mais les ventes  ne décollent pas… Différence de culture, prix élevé, mauvaise anticipation d’un marché plus limité qu’annoncé,  conflits dans l’entreprise…Bref, rien n’est vraiment dans l’axe!

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© Alban Van Hassenhove

Mais Thierry s’accroche, croit beaucoup à ce concept, révolutionnaire selon lui. Miracle en effet : son père, depuis qu’il a cette poupée,  semble aller un peu mieux… Le médecin de famille veut se reconvertir et devenir chanteur… Comme il a besoin d’argent, « acheté » par Rabudôru Industry, il vantera les bienfaits du produit auprès de ses patients seuls et/ou malades. Thierry lui, a investi son argent personnel dans l’aventure. Au grand effroi de sa compagne qui voit s’envoler l’espoir d’une maison bien à eux, et arriver sans doute la mort programmée de son couple. Thierry reprend espoir: tout d’un coup, les ventes commencent en effet à se développer mais retombent et l’entreprise cette fois  n’y survivra pas… Le jeune couple non plus.

Ce spectacle, très rodé, a été joué depuis plusieurs fois au Luxembourg, pays moins rigide que la France, côté contraintes sanitaires. Et cela donne quoi ? A la fois, du bon et du moins bon, en sachant que c’est, de toute façon, une étape de travail. Difficile pour les acteurs en effet de jouer sans vrai public… Ils sont pourtant tous très solides : Laura Deforge, une des remarquables clownesses de Bienvenue en Corée du Nord  qu’avait créé Olivier Lopez il y a trois ans (voir Le Théâtre du Blog) est tout à fait convaincante en Nora. Même si, au début, le texte patine un peu et si la jeune actrice qui  a une belle présence, semble avoir un peu de mal à s’adresser à ses copains syndicalistes prétendument réunis dans cette grande salle vide. Alexandre Chatelin, lui, joue très finement le compagnon de Nora hésitant sans arrêt et qui finit par s’empêtrer dans ce plan mal arrimé où il perdra jusqu’à son identité et son argent personnel. David Jonquières est aussi très crédible dans le rôle de ce médecin naïf, fasciné par les grandes figures de la chanson rock qui veut se reconvertir comme chanteur.

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© Alban Van Hassenove

Mention très spéciale à Didier de Neck, comédien et metteur en scène belge qui joue ce père atteint d’Alzheimer réussissant à apprendre le néerlandais! Comme c’est la langue natale de ce formidable acteur, il nous embarque avec une grande aisance dans cette fable contemporaine.

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©Alban Van Hassenove

Direction d’acteurs irréprochable mais cette mise en scène souffre d’une installation de tubes fluo aux couleurs qui changent, montée sur châssis roulants et inspirée par les belles sculptures lumineuses de l’artiste américain Dan Flavin. Mais ce qui se voit moins retransmis sur un écran, prend ici une importance que rien ne justifie. Les acteurs et régisseurs passent beaucoup de temps à les faire circuler et à les disposer autrement sur ce grand plateau -en fait, quelques dizaines de secondes- mais cela ne fonctionne pas bien, parasite l’action et casse le rythme.

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Autre réserve : deux écrans en fond de scène où on voit mal, parce que mal éclairés, les acteurs en gros plan. Désolé, cette vieille recette n’apporte strictement rien…  Venue d’Allemagne il y a une vingtaine d’années et très souvent utilisée par des metteurs en scène comme, entre autres, Frank Castorf et devenue un véritable fléau… Les acteurs étant réduits à des petites marionnettes surtout sur un aussi grand plateau. Dans ce Rabudôru, poupée d’amour, il y a en fait trop d’informations à percevoir : texte, son, lumières prégnantes, gros titres projetés, jeu des acteurs, présence de la poupée… Bref, cette  mise en scène pourrait  être assez facilement épurée. Mais bon, nous avons assisté à une représentation qui n’en est pas vraiment une, et un metteur en scène, même averti comme Olivier Lopez, peut-il créer dans ces conditions l’irremplaçable « hic et nunc » depuis que le théâtre existe? La réponse est malheureusement non, quand la salle est vide. Il vaudra mieux retrouver Rabudôru, poupée d’amour, un spectacle d’une indéniable qualité, au Théâtre des Halles à Avignon où il devrait prendre sa véritable dimension.

Philippe du Vignal

Représentation pour les professionnels vue le 23 mars au Volcan-Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime). 

Sous réserve: festival off d’Avignon, Théâtre des Halles du 7 au 27 juillet.

 

 


Archive pour mars, 2021

Zébrures de Printemps : Festival des écritures

Zébrures de Printemps : Festival des écritures à Limoges

Zébrures de Printemps : Festival des écritures dans actualites images-42 Ce Festival de printemps consacré à l’éclosion des écritures théâtrales francophones a vu sa première édition annulée l’an dernier, pour cause de confinement.  Il renait cette année, mais à jauge réduite, et en présence des seuls professionnels. Le public pourra, et c’est heureux, découvrir certaines pièces entendues en lecture, sous forme de spectacles cet automne, comme L’Amour telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Junior, La Cargaison de Souleymane Bah ou Chaos de Valentine Sergo… Nous avons découvert les lauréats des Prix partenaires des Francophonies, celui de R.F.I. : Souleymane Bah, de la S.A.C.D. : Andrise Pierre et d’Etc Caraïbes: Françoise Dô. Et de jeunes autrices venues en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies où ont été accueillis quelque deux cents écrivains francophones depuis 1988. Avec trois studios et un espace partagé, cette Maison leur offre aussi l’accompagnement de dramaturges et metteurs en scène chevronnés…

Cette manifestation printanière est l’occasion pour le nouveau directeur, Hassane Kassi Kouaté, de faire valoir ces activités peu visibles mais, pour lui, essentielles : «Qui va faire aujourd’hui sortir les Hakim Bah, les Aristide Tarnagda… sinon nous ? Je veux rester sur ce créneau et les autrices -pas assez nombreuses- sont aussi une priorité.  Soutenues par des parrains et marraines dans leur pays, elles pourront faire plusieurs séjours à Limoges.»

Malgré quelques annulations, il y a eu une dizaine de lectures à l’Espace Noriac, une ancienne chapelle et dans des établissements scolaires des environs. Nous en aurons vu en un seul week-end suffisamment pour apprécier ce Festival des écritures. Comme l’affirme Hassane Kassi Kouaté, l’enjeu principal reste de «parler du monde autrement, par d’autres fenêtres, sous d’autres angles ».

L’Amour telle un cathédrale ensevelie de Guy-Régis Junior

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© Christophe Péan

Resté à Port-au-Prince où il dirige le festival des Quatre-Chemins (voir Le Théâtre du blog), l’auteur haïtien a confié la mise en espace de sa dernière pièce à Catherine Boskowitz. Mais il en assurera la création aux Zébrures d’automne, avec la même distribution. Cela commence très fort  avec une première scène, entre La Mère du Fils intrépide et Le Retraité Mari. Elle: -Enlève ta main. Ne me touche pas. Je déteste ta main posée sur moi. Je déteste que tu me touches. »  Lui : -Je t’aime. Elle: -Foutre! Ne me touche pas. La haine, ma haine est meilleure que ton amour. » 

Pourquoi tant de haine? A l’image de la cathédrale Notre-Dame de Port-au-Prince,  anéantie par un tremblement de terre et toujours en ruines comme le pays, l’amour de cette femme est mort, avec la disparition de son fils sue les routes de l’exil… Elle l’avait devancé en allant dans une région du Nord, épouser un veuf retraité, pour avoir l’argent nécessaire à l’éducation du jeune homme resté au pays. Vain sacrifice. 

Après ce violent préambule, la pièce bascule: l’histoire de ce jeune homme ouvre une béance dans le huis-clos irrespirable du couple, un chant tragique où alternent le français et le créole. Sur «un petit voilier en haute mer, engorgé de boat-peoples, Le Fils intrépide filme et chante, pendant qu’un chœur de boat-people donne le refrain et chante à leur tour. » L’appel du large apporte un souffle poétique à la pièce qui s’achève sur un magnifique monologue de la mère: Nathalie Vairac, une actrice guadeloupéenne à qui le texte est dédié. Amos Coulanges, Fred Fachéna, Wilda Philippe et Léo Jean Baptiste servent cette performance et cela laisse augurer d’un très beau spectacle dont la partie en mer sera chantée et filmée. Tournage prévu sur l’île de Gorée au Sénégal où travaille actuellement Nathalie Vairac. A suivre…

Chaos de Valentine Sergo

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Valentine Sergo © Christophe Péan

L’autrice qui dirige une compagnie indépendante à Genève, présente une pièce avec quatre comédiens, qu’elle mettra en scène aux Zébrures d’automne. Hayat, dix-huit ans, a quitté son pays en guerre, après avoir accouché clandestinement et abandonné sa fille à une mère dure et résignée et à un père incestueux. On la retrouve dix ans après, femme de ménage dans un E.P.H.A.D., terrorisée à l’idée de perdre son travail. Où est passée la jeune rebelle affrontant sans peur les soldats et qui rêvait d’être danseuse ?

L’écriture avec des allers et retours entre présent et passé, charrie le vécu douloureux des victimes de conflits. Valentine Sergo puise son inspiration dans les ateliers d’écriture et de jeu qu’elle mène en Suisse auprès de femmes migrantes. Mais aussi en Cisjordanie où elle est allée plusieurs fois, à l’invitation d’associations humanitaires, pour diriger des groupes de théâtre amateur rassemblant Israëliens et Palestiniens : «J’ai entendu beaucoup d’histoires: toutes ces voix se sont cristallisées en une seule femme, Hayat.» L’autrice, en mêlant plusieurs destins en un seul personnage, charge un peu la barque, mais son écriture alerte et un montage serré de courtes séquences où chaque situation reste en suspens, évitent le pathos. On s’attache dès lors à cette histoire familiale qui devrait devenir une trilogie: Cyclone.

Sur les pas de Kateb Yacine, extraits de son œuvre poétique, imaginé et porté à la scène par Mohamed Kacimi

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© Christophe Péan

« Quand je pense au théâtre, je vois d’abord ma mère, elle fut un merveilleux théâtre, elle avait le coup d’œil de l’enfant terrible.» Ainsi commence cet hommage accompagné par la voix profonde et les compositions mélodieuses de Souad Massi. Présent aux Zébrures d’automne avec Congo Jazz Band, l’auteur revient à Limoges et fait revivre en deux heures son compatriote disparu il y a trente ans. Un spectacle créé en mars dernier à la Maison de la Poésie à Paris mais qui n’a pu y être joué pour cause de covid. C’est un vrai bonheur de e suivre sur les traces de l’écrivain kabyle dont on apprend en fait que le prénom est Yacine, et le nom de famille : Kateb.

A partir d’entretiens, archives filmées, émissions de radio, nous remontons jusqu’à son enfance dans une famille «atteinte du virus artistique» où les scènes de ménage se faisaient en vers. Sous l’injonction de son père, le jeune poète se forme à la langue française. « L’école française allait m’arracher à ma mère. (…)  J’avais perdu ma mère et ma langue. » Nous assistons avec lui aux massacres de Sétif, le 8 mai 1945 où sa mère est devenue folle, parce qu’elle le croyait mort.  Mais aussi à la rencontre avec son grand amour, sa cousine Nedjma. Et à des épisodes plus cocasses comme celui où dans un bordel à Constantine, une prostituée amoureuse de lui obligeait chacun de ses clients à acheter Soliloques, son premier recueil de poésie.  Cela fit de lui à dix-sept ans, «peut-être le seul poète au monde qui pouvait vivre de sa plume, en faisant vendre sa poésie dans un bordel arabe par une pute analphabète à des lecteurs qui ne savaient ni lire ni écrire. »

Bientôt, le voilà en France. «Monté à Paris au même âge que Rimbaud! » Il rencontre un Aragon bien peu sympathique mais aussi Paul Eluard et il se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre. En Algérie, en pleine guerre, il travaille au quotidien Alger Républicain dirigé par Henri Alleg et raconte comment il y a publié un reportage sur un pèlerinage à la Mecque où il n’a jamais mis les pieds. Mais le journalisme l’ennuie. Et paraitra Nedjma, une bombe dans le ciel de la littérature. Dans ces mêmes années, Jean-Marie Serreau montera confidentiellement à Bruxelles sa pièce Le Cadavre encerclé.

Malgré le soutien d’Armand Gatti et d’autres écrivains ou artistes, il reste marginalisé , en France comme dans  son pays, à cause de ses positions radicales. Sa grande amertume : l’Indépendance tuée dans l’oeuf dès 1962 : «L’armée a fait entrer les loups islamiques dans la bergerie algérienne, au premier jour de l’Indépendance. » Mohamed Kacimi conclut par un texte qui rejoint ses propres convictions… et d’une brûlante actualité: «Si je devais laisser un testament, c’est ma haine des religions. Ce qui a esquinté le monde, ce qui m’a esquinté et ce qui vous esquinte aujourd’hui, ce sont les religions. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité ».

Habile conteur, Mohamed Kacimi, par cette biographie poétique et riche en anecdotes, ressuscite avec ferveur et humour celui qui voulait «mettre à nu la barbarie coloniale en utilisant comme un barbare, la langue française. (…) Que la langue française parle algérien. » Une invitation à poursuivre ce voyage avec la lecture de l’œuvre de Kateb Yacine, qui constatait, non sans ironie: «Je suis un mythe, tout le monde me connait mais personne ne m’a lu.» Il faut espérer que ce spectacle puisse continuer son périple…

 Mireille Davidovici

Les Zébrures du printemps, du 20 au 28 mars.

Les Francophonies des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne) T. : 05 55 10 90 10.

 

 

 

L’occupation des théâtres continue (suite et non pas fin)….

L’occupation des théâtres continue (suite et non pas fin) …

870x489_maxnewsworldfive406657L’Odéon a des airs de fête sur le parvis une cinquantaine de personnes venues soutenir les occupants. Il y a une agora tous les jours à 14 h avec prises de parole depuis le balcon et les fenêtres du Théâtre. En bas des marches, un drapeau noir planté… Et au mur, symbole des jours anciens, une affiche «orpheline» de  Comme tu me veux de Luigi Pirandello, mise en scène de Stéphane Braunschweig avec, entre autres, Claude Duparfait, Lamya Régragui, Chloé Réjon, un spectacle reporté comme tant d’autres… Sur les marches, un petit orchestre: saxos, synthé, guitare…

IMG_0999Sur la façade, des banderoles et sur les grilles, des photos des héros de la Commune: Herminie Cadolle (1842-1924), membre de l’Union des femmes qui s’engage dans la Commune en 1871. Elle devint ensuite la créatrice d’une maison de lingerie qui existe toujours et créa le premier soutien-gorge moderne… Mais aussi  Reine Cottin, Jules Fontaine, Eugène Pottier: en juin 1871, caché dans Paris, il écrira son célèbre poème L’Internationale, mais aussi Marie Daviet, Albert Regnard, Raoul Rigaut, etc. Les acteurs énumèrent les noms des lieux occupés au mégaphone depuis le balcon du théâtre…

© Philippe du Vignal

© Philippe du Vignal

Et à l’intérieur quarante occupants -moitié femmes/moitié hommes- occupent les lieux par roulement: arrivée à 9 h ou à 19 h, avec une obligation: passer deux nuits de suite, après inscription sur une liste. Qui sont-ils? A la fois, des intermittents du spectacle mais aussi des techniciens, des gens de Radio France, etc. nous dit Thibault Lacroix, l’acteur-fétiche de Vincent Macaigne que nous avons pu rencontrer… derrière les grilles hermétiquement fermées.  » Les visiteurs sont priés de rester dehors. On nous a donné accès à une seule douche et nous dormons sur des matelas-mousse dans des sacs de couchage que l’on nous a apportés. Cela fait du bien de se sentir soutenu. Les vigiles qui font leur boulot, sont très gentils avec nous. Chaque jour, on vient nous offrir de la nourriture. » Et du côté du Gouvernement ? « Des paroles, des paroles… mais on attend des actes: nos revendications portent sur l’amélioration de l’ensemble des travailleurs précaires et des chômeurs. »

L’occupation se poursuivra dans l’attente de réponses concrètes. « En attendant, sont venues nous faire une petite visite  début mars, Elisabeth Borne, ministre du Travail et Roselyne Bachelot, ministre de la Culture: « Nous travaillons, a-t-elle dit, à maintenir les droits des intermittents et nous les protègerons ». (…) « Le gouvernement travaille même à améliorer les dispositions en particulier avec les primo-entrants car il faut protéger les jeunes dans la Culture.  Mais Roselyne Bachelot, dit Thibault Lacroix, a eu ensuite des mots très durs que nous ne méritons pas: « L’occupation des lieux de culture n’est pas le bon moyen, c’est inutile. (…) Ces manœuvres sont dangereuses, car elles mettent en menace des lieux patrimoniaux fragiles. »

« Qu’attendons-nous? Pas grand-chose pour le moment. Mais d’abord et encore une fois, la réouverture rapide des lieux culturels dans le respect des consignes sanitaires et entre autres, une prolongation de l’année blanche pour les intermittents et son élargissement à tous les travailleurs précaires et saisonniers. Que les gens qui nous gouvernent, prennent leur retraite, poursuit Thibault Lacroix. Le jour où ils feront de la politique comme les musiciens font de la musique, nous verrons… Macron fête le deux centième anniversaire de la mort de Napoléon et nous, celui des cent cinquante ans de la Commune. Chacun, ses choix. « 

Et comment cela se passe avec la Direction de l’Odéon? « Stéphane Braunschweig est là et est venu fumer une cigarette avec nous… Bien entendu, nous respectons scrupuleusement les répétitions du spectacle de Christophe Honoré dans la grande salle où nous dormons la nuit, même si le grand lustre reste éclairé. Et la journée, nous sommes installés dans le Foyer devenu le lieu symbolique où s’expriment les revendications des artistes mais aussi de tous les sans-voix durement touchés par la crise. Soyons clairs: si nous n’occupions pas les théâtres, nos concitoyens ne comprendraient pas et ne reviendraient pas ensuite voir nos spectacles. Le mouvement initié à l’Odéon a fait tache d’huile et il y a maintenant quelque soixante lieux culturels occupés dont nous citons la liste par mégaphone chaque jour… A ma connaissance du jamais vu, même en 68. » Effectivement, l’occupation de L’Odéon en 68 s’était faite dans un joyeux foutoir avec des vols et quelques dégradations mais aussi et surtout des assemblées générales tous les jours.

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Un souvenir marquant de cette occupation de 68: un intervenant avait fait une remarque sur la politique culturelle et, dans la salle, une dame d’une soixantaine d’années avait pris la parole de façon courtoise. Et quand on lui avait demandé de se présenter, elle avait simplement dit: « Je suis Jeanne Laurent. » Et toute la salle s’était levée et l’avait applaudie. Cette Résistante et haute fonctionnaire (1902-1989)  au ministère de l’Education Nationale alors en charge de la Culture, avait mis en place la décentralisation théâtrale et avait proposé en 1951 à Jean Vilar la direction du Théâtre National Populaire… qu’il accepta. Bien vu. On connaît la suite.

« On voudrait nous interdire de jouer Le Tartuffe mais en l’occurrence qui est le Tartuffe dans l’histoire, dit Thibault Lacroix. Avec toutes ces interdictions ridicules et pas respectées, ces papiers d’autorisation de sortie qui changent tout le temps? » Bref, quand tout va mal, mieux vaut se réfugier dans Shakespeare… semble aussi dire cet amateur de grands textes. Il dit avec passion et virtuosité devant Ekaterina Bogopolskaia, notre  amie journaliste russe venue faire un reportage filmé mais aussi pour quelques curieux ravis, le soixante-sixième des Sonnets de Shakespeare: « Lassé de tout au monde, à la mort j’en appelle, Las de voir le mérite en état de mendier, L’inanité médiocre encensée à la ronde, Le plus pur des serments honteusement trahi,La simple vérité au bord de la sottise, Le bien servile ayant le mal pour capitaine. (…) Exténué de tout, de tout je voudrais fuir, N’était que par ma mort mon amour serait seul. »  Puis l’acteur enchaîne en russe, pour lui faire plaisir, quelques vers de Pouchkine… Et cite enfin quelques répliques du Fou et La Nonne du grand auteur polonais Witkiewicz.

Au Volcan-Scène Nationale du Havre

© PaulineSoinski

© Pauline Soinski

 Des acteurs, artistes, travailleurs précaires… occupent aussi les lieux, avec un protocole similaire. Dans la grande salle, les représentations pour professionnels continuent dont Rabudôru, poupée d’amour, le spectacle d’Olivier Lopez dont nous vous reparlerons. Et dans le grand espace du bar, les occupants- ici comme ailleurs à la fois des intermittents du spectacle et des travailleur sans statut ont installé des tentes, matelas -tout est absolument impeccable- et bien entendu, ils communiquent souvent avec l’Odéon, depuis trois semaines maintenant vaisseau amiral de cette lutte que Jean Castex semble bien laisser pourrir… Pas d’intervention d’Edouard Philippe, maire du Havre ni du Préfet….mais les Renseignements Généraux ne se privent pas de vérifier que tout va bien, y compris par SMS:  nous vivons une époque moderne trouvait Philippe Meyer… « Et dit lucidement Sarah Barbey, une des occupantes, la sous-préfecture du Havre ou la Préfecture de Rouen peuvent très bien faire évacuer les lieux et nous infliger une amende de 135 € chacun… « Le directeur du Volcan, Jean Driant soutient la lutte des occupants et est venu mardi 24 dîner avec eux. D’un lieu à l’autre, les modes d’action et revendications sont les mêmes. Mais les intermittents du spectacle qui ont un statut exceptionnel -résultat de luttes de leurs prédécesseurs et que bien des artistes de pays voisins nous envient- n’entendent pas en être privés. Une prise de conscience qui n’existait pas beaucoup il y a un an s’est développée: les intermittents ont été très vite rejoints par les élèves des Conservatoires et des écoles de théâtre à Lille, Bordeaux, Paris, etc. qui s’inquiètent et à juste raison pour leur avenir. En tout cas, la circulation de la parole existe comme jamais depuis mai 68. « L’utopie est la vérité de demain,  écrivait déjà Victor Hugo. A suivre…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon, Paris (VI ème) le 20 mars. Le Volcan du Havre, le 23 mars.

En son lieu, chorégraphie de Christian Rizzo

 

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© Marc Domage

En son lieu, chorégraphie de Christian Rizzo

Le chorégraphe quitte le grand format d’Une Maison qui a obtenu l’an passé le Grand Prix de la Critique  (ex-aequo avec Body and Soul de la Canadienne Crystal Pite) pour un spectacle plus intime, créé avec le danseur Nicolas Fayol. Christian Rizzo renoue ici avec le portrait dansé, une forme qu’il avait mise entre parenthèses depuis 2012 : «Je ressens la nécessité de revenir à une forme simple,  moins dans un résultat que dans les processus qu’elle engage: entamer une discussion avec quelqu’un, plutôt que se projeter vers une polyphonie. Je parlerais d’une envie de re-concentrer.»

Le directeur du Centre National Chorégraphique de Montpellier éprouvait, après le confinement, un besoin de «répondre à un appel du dehors » et de s’imprégner d’un milieu naturel. Il a trouvé son inspiration en la personne de Nicolas Fayol qui a fait le choix de vivre et travailler loin des villes, en entretenant un rapport direct avec la nature. Paradoxalement, il inscrit sa danse ailleurs que dans un environnement urbain associé d’habitude au hip-hop.

Cette chorégraphie a été répétée en plein air, dans un paysage montagneux, puis transposée dans la boîte noire du studio au Cent-Quatre. Un rocher, quelques clarines, des bottes de caoutchouc, une brassée de fleurs, témoignent d’une vie alpestre… Des nuages s’amoncellent comme sous un ciel crépusculaire. Le danseur arpente son royaume, qu’il transformera au fil de la pièce sous les éclairages de Caty Olive et  il modifie les codes du hip-hop, jusqu’à en étirer la gestuelle avec douceur. Il y a du félin dans ses mouvements. Et son corps mis à nu sans ostentation se fond lentement dans la brume. Délicat et poétique, En son lieu nous apporte une bouffée d’air frais.       

Mireille Davidovici

Dans le cadre du CENTQUATRE-Séquence Danse, un festival initialement prévu au 27 février au 17 avril. Représentation pour les professionnels vue le 19 mars au CENTQUATRE,  5 rue Curial, Paris (XIX ème). T. :01 53 35 50 00.

Du 5 au 8 juillet, festival Montpellier-Danse.
Le 11 décembre, Halle aux Grains-Traverse, Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées)
Du 2 au 5 février, Le Cent-Quatre à Paris (XIX ème).

Gouâl chorégraphie de Filipe Lourenço

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© François Stemmer

Gouâl chorégraphie de Filipe Lourenço 

Trois hommes et trois femmes  tournent dans le noir, dénombrés par les glissements distincts de leurs pas. Dans la lumière qui monte lentement, ils apparaissent soudés les uns aux autres et, telle une branche de compas, balayent comme le rayon d’un cercle, toujours alignés mais intervertissant leur position, jusqu’à bientôt défaire cette géométrie, pour se retrouver face à face et s’affronter dans un crescendo de gestes répétitifs et vociférations.

Filipe Lourenço, danseur et chorégraphe franco-portugais a été l’interprète de chorégraphes comme  Catherine Diverrès, Georges Appaix, Christian Rizzo, Boris Charmatz… Et pour bâtir ses propres pièces, il renoue  avec ses débuts : les danses traditionnelles du Maghreb. Son pari : les sortir de l’ornière du folklore où elles sont trop souvent cantonnées. Avec Gouâl, il ouvre la danse allaoui, guerrière et exclusivement masculine, à la mixité, mais sans lui faire perdre sa puissance originale. Il en bouleverse aussi les codes hiérarchiques et dote le groupe, de leaders interchangeables. Comme les partenaires d’un jeu de rôles, Sabine Rivière, Agathe Thenevot, Ana Cristina Velasquez, Jamil Attar, Khalid Benghrib, Youness Aboulakoul entrent en des interactions ludiques.

Le chorégraphe ancre son vocabulaire dans la rythmique des corps, les frappés de pieds et mains, les affrontements vocaux. Il redonne ainsi à cette danse sa puissance rituelle trop souvent édulcorée.

Happé par l’énergie des interprètes, l’intensité de leurs rapports, la complexité des combinatoires, le spectateur partage ce spectacle fascinant pendant une heure. Un chorégraphe à suivre…

 Mireille Davidovici

Dans le cadre du CENTQUATRE Séquence Danse, festival initialement prévu au 27 février au 17 avril et du Printemps de la danse arabe 2021.
Représentation  professionnelle vue le 19 mars, au CENTQUATRE, 5 rue Curial Paris (XIX ème). T. : 01 53 35 50 00 .

 

 

En Thérapie: François Begaudeau réagit sévèrement et Jean-François Rabain commente

En Thérapie

En Thérapie:

François Begaudeau réagit sévèrement et Jean-François Rabain psychiatre et psychanalyste, commente et analyse…

L’écrivain dans une interview* ne mâche pas ses mots quant à la gêne que lui a procuré En Thérapie, une adaptation des séries israélienne Betipul d’Hagai Levi et américaine En Analyse. Réalisée par Eric Tolédano et Olivier Nakache en 2019-2020 et jouée entre autres par Carole Bouquet, Mélanie Thierry, Frédéric Pierrot, Clémence Poésy, Elsa Lepoivre, sur le thème du traumatisme collectif provoqué par les attentats de novembre 2015 à Paris. Un psychanalyste reçoit cinq patients réfractaires à l’analyse, comme on dit “en résistance”… Le lundi: Ariane, la chirurgienne qui a opéré les blessés; le mardi: Adel Chibane, policier de la B.R.I.; le mercredi: Camille, une adolescente, sportive de haut niveau, victime d’un accident de vélo et le jeudi: Léonora et Damien, un couple en crise. Enfin le vendredi, il fait le point avec Esther, sa consœur et amie mais aussi sa “contrôleuse” en psychanalyse, veuve de son ancien mentor.

François Bégaudeau n’est pas tendre pour cette série qui a un succès remarquable. Pour lui: sociologie sauvage, médiocrité psychologique, matérialité sociale tout à fait subjective, guerre de front entre psychanalyse et boutiquiers ne connaissant que les standards, complexité bourrine (sic) puissance quatre, subtilité à un coup et à une bande, syndrome sommaire de culpabilité… Mais l’écrivain persiste et signe: une série incroyablement simpliste où les auteurs auraient une volonté d’hyper-efficacité (le contraire de la psychanalyse) avec obligation de réaliser des séquences d’une minute pour toujours faire le plein, alors qu’il y a souvent du vide dans les cures. Pas de silences ni d’opacité chez les personnages… Pour l’écrivain, c’est la forme même qui est ici en cause: Thérapie, comme toutes les séries, favorise, selon lui, le comportementalisme et le libéralisme… Et il y aurait un marketing officiel de Tolédano et Nakache avec une prétendue bienveillance envers la psychanalyse, ce qui n’arrangerait rien. Thérapie serait la continuation des feuilletons des années 80 et prônerait la déstructuration du subversif dans la psychanalyse, ce qui est contradictoire avec cette discipline. Mais il y a aussi selon François Bégaudeau, une hyper-compression du temps et une intensification du jeu des acteurs. « A chaque milieu d’épisode, attention : le petit piano arrive, mettant de la profondeur dans le champ. »  Le réquisitoire continue: propension aux larmes chez les personnages, pas de sobriété mais une parole conservatrice -Eric Rohmer, dit-il, aimait, lui, la parole comme un fait vital- horreur de la répétition, piètre psychologie et volonté d’incarnation. Et pire, l’invraisemblable dans un cabinet de psy: le croisement de certains patients pour arriver à créer une situation. Il y aurait dans Thérapie une obsession à transformer la cure en enjeu narratif, avec relation obligatoire entre les personnages et claquement de portes comme au théâtre… Bref, une horreur du symbolique, un remplissage et une expression maximum, entre autres chez Philippe Dayan avec une phrase=une intention. François Bégaudeau voit dans Thérapie, « un condensé du pire du cinéma français » et « une restriction de la vie ». Pour lui,  la cause est entendue! Mais qu’en pense un éminent spécialiste qui a une longue pratique de la cure? (voir-ci dessous)

Philippe du Vignal 

Décryptage, analyse et commentaires par Jean-François Rabain, psychiatre et psychanalyste

BC569D0B-702A-4D29-8EED-108F3B968AD6François Bégaudeau, cela se voit, connait suffisamment la psychanalyse pour en saisir l’essentiel et en reconnaître toute la complexité. Il le rappelle: ce fonde le dialogue analytique est l’importance de la parole mais aussi du silence, du non-dit, (l’en-deçà du langage et de la signification, le sémiotique autant que  le symbolique, la chair des mots, dirait Julia Kristeva). Thérapie met en scène un trop plein de paroles à flux tendu chez le docteur Philippe Dayan, en particulier. Il n’y a pas beaucoup d’écoute, dit François Bégaudeau, chez ce psychanalyste trop bavard. De même, est gênante l’agitation des patients jamais sur le divan et toujours à bouger sans cesse, à aller aux toilettes, etc. Ou encore le fait d’agresser l’analyste en changeant de position sur le divan ou dans la pièce. Plutôt qu’une séance analytique consacrée à l’écoute des associations du patient et à leur interprétation éventuelle, nous avons parfois l’impression d’assister à un pugilat. A ce titre, il s’agit bien d’une psychothérapie qui s’ancre dans l’actuel et le concret.

En ces temps où la psychanalyse a été beaucoup décriée, voire discréditée (Le Livre noir de la psychanalyse de Catherine Meyer (2005) et Le Crépuscule d’une idole, L’Affabulation freudienne (2010) de Michel Onfray, cette série attire l’intérêt et la sympathie d’un large public. L’écrivain reconnait au personnage du docteur Philippe Dayan une grande empathie envers ses patients et aussi le fait d’apparaître dans toute son humanité. Sa fragilité émeut mais aussi inquiète. Mais dans certaines séances, constamment débordé par son patient, il lui autorise presque tout et n’importe quoi… Sans la distance et la neutralité nécessaires à la bonne conduite d’une thérapie.

Le docteur Dayan se réfère constamment à Jacques Lacan, endoctrine ses patients avec des références théoriques qu’il utilise comme bouclier pour se défendre et «tiercéïser» un cadre qu’il a de la peine à tenir. Il le cite souvent, en lui faisant dire parfois ce que Freud lui-même avait déjà écrit: « L’amour de transfert est un amour véritable», phrase célèbre d’Observations sur l’amour de transfert (1915). Cependant, pour François Bégaudeau, cette série télévisée est « anti-lacanienne » car les patients ont une parole narrative, une « hystérie narrative » qui met de côté, pour lui, le symbolique. Exemple : on fait venir la personne même du père d’Adel Chibane dans le cabinet de l’analyste, alors que ce père est d’abord une figure symbolique, une simple représentation dans le discours de son fils. Sa psychanalyse se poursuit dans le roman et la série. Bref, la scène analytique n’est pas celle de la parole mais d’acteurs qui s’agitent constamment sur la scène analytique, devenue ici un plateau de théâtre… et parfois de vaudeville.

François Bégaudeau rappelle au départ dans cette interview, les critiques dans L’Anti-Oedipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari qui mettaient l’accent sur le familialisme, la référence constante au Père et à la Mère, (reprises depuis par Michel Onfray qui nie la réalité même de l’existence du complexe d’Oedipe). Une critique aujourd’hui dépassée, tant elle ignore les bases essentielles du freudisme où le grand psychiatre met en avant l’importance de l’infantile dans la psyché adulte, comme celle de l’inconscient. Et, dans cette série, l’écrivain trouve réducteur, l’accent mis sur la « culpabilité »  et « l’abandon », alors qu’en fait, il s’agit bien des ressorts essentiels de la psyché, tels qu’ils ont été mis en avant par la psychanalyse. On peut y ajouter la notion «d’intrusion» psychique. Les patients atteints de  troubles de la personnalité limite (T.P.L) ou psychotiques, oscillent toujours entre la crainte d’abandon ou celle d’intrusion, disait André Green (1927-2012), psychiatre et psychanalyste français. Pour François Bégaudeau, dans Thérapie le psychanalyste aurait dû rester une figure opaque, quelqu’un dont on ne connait pas la vie. Mais quand on le présente comme un papa à problèmes ou traversé par une crise de la cinquantaine, on ne le montre pas dans son « humanité » comme disent les admirateurs de la série. Au contraire, cela le ridiculise et même le disqualifie comme analyste. L’écrivain montre enfin pourquoi la psychanalyse est difficile, voire impossible à évaluer. Comment peut-on mesurer les progrès ou la route désormais suivie par un patient? Certes, un suicide, comme celui d’Adel (Reda Kateb) qui, dans la série est «expliqué») est parfois à craindre ! Mais comment évaluer une psychanalyse? A la reprise de la créativité du patient? A sa réussite sociale ou personnelle? Tout cela parait bien difficile et on peut déjà imaginer les reproches que l’on adresserait à ceux qui proposeraient des critères. L’efficacité de la psychanalyse est à chercher du côté de la complexité, dit François Bégaudeau. Là, nous le suivons…

Jean-François Rabain

*https://soundcloud.app.goo.gl/vXuooDj4PrGytU7DA

La série Thérapie est diffusée depuis le 2 février sur Arte.

Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg,mise en scène de Christophe Rauck

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© Simon Gosselin

Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg, traduction de Marianne de Ségol-Samoy, mise en scène de Christophe Rauck 

 La Fille-Roi, reine des neiges, encagée dans une vitrine où s’amoncellent des flocons, se vit comme une « anomalie ».  Comment être libre et régner ? Refuser le mariage quand le pays réclame une descendance ? Assumer sa passion pour une dame de compagnie? Comment s’émanciper des cauchemars de l’enfance : un père aimé mort à la guerre et une mère en exil ?  

 La pièce s’inspire de vie de la légendaire reine Christine (1626-1689) avec une vision toute contemporaine des problèmes liés au genre et au pouvoir. Sara Stridsberg se nourrit de l’Histoire, pour entrer dans la peau d’un personnage aussi complexe que la structure de la neige…  Enfant unique du roi Gustave-Adolphe de Suède, elle a six ans quand elle accède au trône.  Elevée comme un garçon, habile cavalière et chasseuse mais aussi fine diplomate et femme de lettres, elle s’entoure de penseurs dont René Descartes. Mais elle abdiquera en 1654, après dix ans de règne, au profit de son cousin qu’elle refuse d’épouser et elle quittera la Suède pour de longues pérégrinations à travers l’Europe, avant de s’établir à Rome.

Image finale de la pièce, ce départ : la liberté! Après d’âpres débats avec le Régent : le Pouvoir, son fiancé: Love, sa dame de compagnie: Belle, le Philosophe, ou encore le fantôme sanguinolent de son père… Aux prises avec des pulsions contradictoires. L’autrice ne trahit pas sa source historique mais situe sa pièce à une époque indéterminée et brouille les temporalités de la fable.

Christophe Rauck donne vie à ces personnages grâce à une direction d’acteurs minutieuse. Sa mise en scène au rythme sans faille pallie quelques longueurs et scènes répétitives. L’autrice sacrifie parfois au dogmatisme féministe pour rendre justice à ce personnage emblématique du matrimoine et questionner ainsi les rouages du pouvoir masculin. Marie-Sophie Ferdane, en scène tout au long du spectacle, incarne la Fille-Roi avec énergie et nuances: froide devant ses pairs ou brûlant de passion pour Belle (Carine Goron), tyrannique, ou fondant d’amour pour sa mère, mutine, jouant aux jeux de la guerre avec le Roi Mort (Thierry Bosc  avec une perruque et très en forme)… A la fois enfantine et dame de fer, avec une androgynie toute féminine, elle évolue très à l’aise d’une humeur à l’autre, dans ou hors le cercueil de verre sur lequel la neige tourbillonne ou s’amoncelle en manteau protecteur. La scénographie d’Alain Lagarde permet au metteur en scène de composer des images où la lumière froide du grand Nord contraste avec des zones plus sombres et plus chaudes. Apparaissent les personnages satellites de ce “Roi“ capricieux : dans un paysage de conte de fée, le Philosophe (Habib Dembélé), frigorifié,  inculque à la jeune femme la notion de libre-arbitre et la pousse à le suivre vers les pays chauds. Mais il mourra d’un refroidissement, comme Descartes à Stockholm en 1650.

L’exercice du libre-arbitre, quand soufflent des vents contraires, à l’intérieur comme à l’extérieur des personnages, pourrait être le cœur de la pièce. «Une des raisons d’être de ma littérature est de faire naître le paradoxe », dit l’écrivaine suédoise que Christophe Rauck met en scène pour la seconde fois après La Faculté des rêves en 2019. Il quitte sur ce beau geste artistique la direction du Théâtre du Nord, pour celui de Nanterre-Amandiers, après sept saisons où il aura créé dix pièces surtout d’auteurs contemporains. Mais il reviendra mettre en scène le spectacle de sortie de l’Ecole.  Sa direction aura été marquée par un rajeunissement du public, un taux de remplissage à 87% et donc une augmentation des ressources propres.

Le théâtre du Nord est aujourd’hui occupé par les intermittents et les élèves de  l’Ecole. David Bobée qui succède à Christophe Rauck, accueille volontiers ces occupants, tout en faisant passer les auditions pour l’entrée de la septième promotion. Mille trois cents candidats ont déposé un dossier… Malgré les difficultés actuelles, l’envie de théâtre est toujours là !

 Mireille Davidovici

Représentation pour les professionnels vue le 18 mars au Théâtre du Nord, 4 Place Charles de Gaulle, Lille (Nord). T. : 03 20 14 24 24 

Le spectacle sera diffusé sur France-Culture le 25 avril

Reprise en tournée à la rentrée  notamment au Théâtre de Nanterre Amandiers

 

Le Dortoir des Mouettes d’après le roman d’Yvan Blanlœil L’Homme qui se souvient de sa mort réalisation de Karina Ketz

Le Dortoir des Mouettes, adaptation du roman d’Yvan Blanlœil L’Homme qui se souvient de sa mort et réalisation de Karina Ketz

Cette création coproduite, entre autres, par Le Glob Théâtre-Scène conventionnée d’intérêt national Art et création de Bordeaux, est le fruit d’une résidence aux Marches de l’Été que dirige avec efficacité Jean-Luc Terrade (voir Le Théâtre du Blog). C’est un beau petit lieu d’expérimentation située au Bouscat, une commune de l’aire urbaine. Yvan Blanlœil (1947-2019) acteur, musicien, metteur en scène et réalisateur son et vidéo, avait créé en 1978 à Bordeaux avec Guy Lenoir et Gilbert Tiberghien, la compagnie Fartov et Belcher* dont nous avions vu autrefois les spectacles très en pointe, au festival Sigma. Puis, il fonda il y a quelque vingt ans la compagnie Intérieur: Nuit et créa des pièces comme Pas et Pas moi, Compagnie, Fin de partie de Samuel Beckett, Edmond de David Mamet, Andromaque de Racine…

Depuis 2004 il avait conçu des « audio-spectacles », spectacles sonores dans l’obscurité, comme La Morte amoureuse de Théophile Gautier, Compagnie et Tous ceux qui tombent de Samuel Beckett, Call any vegetable et L’Humour de Dieu dont il était l’auteur. Yvan Blanlœil a aussi collaboré comme réalisateur sonore avec des metteurs en scène comme Philippe Adrien ou Lisa Wurmser. Et les Américains Richard Foreman ou le grand Bob Wilson (The Civil Wars). Bref, un beau parcours.

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Ici, sortie de résidence avec un texte remarquable qui sonne étrangement, puisque le spectacle est adapté du premier, et hélas dernier, roman paru en février 2019 quelques mois après la disparition de son auteur. Nous pénétrons dans une petite salle presque obscure et sommes invités à nous asseoir dans des fauteuils-cocons noirs, comme dans une bulle très douce.  Mais isolés les uns des autres pour raisons sanitaires… Cela renforce une grande proximité avec la voix de Yann Boudaud. L’acteur nous  raconte avec une grande douceur les tribulations d’un homme qui se regarde mourir, tout en revoyant sa vie… « Quand un homme se souvient d »une époque où il aimait, disait  François Mauriac cet autre Bordelais, il lui semble ne s’est passé pendant ce temps-là. » Accompagnés par les compositions musicales de Karina Ketz et Serge Korjanveski, défilent ainsi paysages et fête foraine de l’enfance, balade dans la campagne » Au fond, les Pyrénées ariégeoises célèbrent le mois d’avril. Au premier plan, l’ombre d’un pic montagneux, jouant au cadran solaire, proclame midi et quart. La bergère est descendue au ras des pâquerettes, au pied du pissenlit, et présente un mouvement spasmodique irrégulier qui brouille l’eau de ton aquarium ventral. Voici donc ta mère. Tu aurais préféré conserver d’elle les souvenirs qui traînent dans les albums de photos. L’affection moite, la tendresse adhésive, les regards ensoleillés subis sans crème protectrice, le perpétuel cadeau d’un interminable anniversaire. »

Cette création de Karina Ketz, la compagne d’Yvan Blanlœil, comédienne et réalisatrice qui met en scène des œuvres sonores pour le théâtre et la danse, est d’une grande précision et fascinante de poésie… Nous nous évadons facilement dans un ailleurs, ni gai ni triste, seulement teinté de mélancolie où les images naissent de façon naturelle. « Un chef d’œuvre rassemblait à lui seul toutes les catégories précitées: Les Dix Commandements de Cécile Bédemille, majestueuse épopée soi-disant tirée de la Bible, mais racontant de fait la conquête de l’Ouest par les quakers fondateurs. Tu vis le film quarante-deux fois, y entraînant Gérard et Rolande bien qu’ils traînassent les pieds. Et aussi le frère aîné de Boissonnet, encore plus con que son frère. Et aussi l’abbé Fourve, qui roulait les «r» et en faisait un objet de fierté. Et aussi la lingère Guicheney, qui vendait aussi les pains au lait à la récré de dix heures. Et aussi Ménard Le Guen, surveillant d’internat paralysé d’un bras et pour cette raison surnommé Le Pitre. Et pourquoi pas la Veuve Cabos ta marraine, dont le mari ancien combattant était mort dans son lit, à son grand regret. Et Jacques Le Monnier, fils d’un chirurgien hors de prix aux mains sanglantes de pianiste. Et Guy Demadieu, surnommé Minet-Chat par son père, peintre fou de la Dordogne. »

De temps à autre sur la petite scène, quelques formes lumineuses comme une présence fantomatique… Long? Même pas, juste une soixantaine de minutes où parfois une minute de sommeil vous prend mais sans aucun dommage pour la suite. Accessible à tous? Oui, absolument, il suffit de n’avoir aucun à-priori à tenter cette expérience et ce moment hors du temps dans ce lieu où règne le plus grand silence et le plus grand calme. Chose curieuse et émouvante à la fois, à la fin, les quinze spectateurs ne se sont pas levés, encore lovés paisiblement dans leur fauteuil, sans doute encore plongés dans un état qui ressemblait au bonheur… Un texte pas toujours facile à conquérir mais qui fait du bien en ces temps de multiples et variés confinements, vaccinations et couvre-feu! Cette première partie sera suivie d’une seconde d’ici quelque mois, dans le même esprit, avec d’autres moments du texte. Il se passe aussi des choses dans l’aire urbaine bordelaise dont bientôt, si le covid mous laisse en paix, le festival Trente Trente. Nous vous tiendrons au courant…

Philippe du Vignal

* Une belle idée que ce nom de compagnie, tiré du fameux monologue de Lucky dans En attendant Godot de Samuel Beckett: (….) « il est établi sans autre possibilité d’erreur que celle afférente aux calculs humains qu’à la suite des recherches inachevées inachevées de Testu et Conard il est établi tabli tabli ce qui suit qui suit qui suit assavoir mais n’anticipons pas on ne sait pourquoi à la suite des travaux de Poinçon et Wattmann il apparaît aussi clairement si clairement qu’en vue des labeurs de Fartov et Belcher inachevés inachevés on ne sait pourquoi de Testu et Conard inachevés inachevés il apparaît que l’homme contrairement à l’opinion contraire (…)

Présentation du travail pour professionnels vue le 19 mars aux Marches de l’été, 17 rue Victor Billon, Le Bouscat (Gironde). T. : 05 56 17 05 71. Remerciements à Guy Lenoir.
L’Homme qui se souvient est édité aux éditions L’Ire des Marges.

Compagnie Intérieur : Nuit,  84 rue Amédée Saint-Germain, 33800 Bordeaux.
interieurnuit33@gmail.com

 

 

L’occupation des théâtres continue… (suite et non pas fin)

L’occupation des théâtres continue… (suite et non pas fin)

 L’éventuel confinement qui semblait inéluctable, entrera en vigueur cette semaine, entre autres, vient de dire Jean Castex, dans seize départements et l’Ile-de-France. Et par ailleurs, le mouvement national d’occupation des lieux culturels se poursuit. A Paris, l’Odéon-Théâtre de l’Europe est toujours occupé depuis quinze jours et celui de la Colline, depuis le 9 mars. Nous vous en reparlerons…

En banlieue parisienne, (voir Le Théâtre du Blog), les apprentis de l’École Supérieure des Comédiens par l’Alternance-Le Studio-ESCA occupent le T2G Théâtre de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis) depuis le 15 mars. Avec le soutien unanime de l’équipe du théâtre qui s’associe aux journées d’actions communes lancées par le Syndicat National des Entreprises Artistiques et Culturelles sous le mot d’ordre: Le printemps est inexorable.  #feuvertpourculture.

L’équipe du T2G invite le public à la rejoindre le samedi 20 mars à partir de 12h, sur le parvis, pour un moment de dialogue et d’actions en compagnie de son équipe, des apprentis de l’ESCA, de Patrice Gelbart, chef du restaurant Youpi au théâtre, avec la participation des élèves du Conservatoire Edgar Varèse de Gennevilliers.

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Toujours en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers, le Théâtre  de la Commune est occupé à partir d’aujourd’hui jeudi 18 mars par les élèves de la classe d’art dramatique du C.R.R. 93. Ils seront bientôt rejoints par les étudiants des C.R.D. de Bobigny et Pantin.
Ils investissent la Commune-Centre Dramatique National pour « faire entendre les théâtres décentralisés ainsi que les villes discriminées par la politique culturelle nationale, pour en faire un nouveau lieu d’occupation propice à la rencontre, à la création artistique et à la revendication. »

Ils travaillent ici comme ailleurs sur « les dates d‘ouverture des lieux, la prolongation de l’année blanche,  l’aide à la totalité des travailleurs à temps partiel et précaires de notre secteur, le refus de la réforme du chômage. Mais ils défendent aussi un R.S.A. accessible à dix-huit ans, une entrée progressive dans l’intermittence pour les jeunes, un statut d’étudiant pour les élèves de Conservatoires, etc. En jonction avec d’autres occupant les lieux, mais aussi avec de jeunes artistes aussi travaillant à une politique culturelle qui leur laisserait plus de place et de pouvoir. » Des actions artistiques et politiques vont suivre dans ce département, l’un des plus pauvres de France et un de ceux les plus  touchés par le covid. Sans doute, un hasard…

Philippe du Vignal

 

La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, adaptation de Peter Brook, texte français de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

On connait le scénario compliqué de cette longue pièce-culte si souvent jouée… Le roi du Danemark meurt brutalement de façon mystérieuse et sa veuve Gertrud se remarie très vite avec Claudius, son beau-frère. Mais le fils du roi et de la reine, le prince Hamlet, ne supporte  pas ce remariage. La nuit sur les remparts, il rencontre le spectre de son père qui lui révèle avoir été assassiné par Claudius. Hamlet qui aime la belle Ophélie, la fille du seigneur Polonius en reste très perturbé. Quand arrivent au château, des comédiens ambulants, Hamlet va alors leur faire introduire dans leur pièce une allusion évidente au meurtre du roi par Claudius. Scandale immédiat de cette représentation. Claudius se méfie d’Hamlet et demande à Polonius de l’espionner. Mais Hamlet tuera d’un coup de poignard Polonius caché derrière un rideau. La jeune fille qu’Hamlet injurie, deviendra folle et ira se noyer. Puis Claudius manigancera la mort d’Hamlet avec Laërte, le frère d’Ophélie, lui aussi fou de douleur…

A l’occasion d’un combat d’escrime organisé par le roi pour sceller une prétendue réconciliation, Hamlet et Laërte échangent leurs fleurets. Mais Laërte sera blessé à mort par la lame empoisonnée destinée à Hamlet. Et la reine s’empoisonnera elle aussi en buvant la coupe que devait boire son fils. Et Hamlet tuera Claudius. Fin de ces meurtres en série et de la plus célèbre pièce de toute l’histoire du théâtre occidental qui a été mise en scène  par les plus grands metteurs en scène et fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma…

©-Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Guy-Pierre Couleau s’est demandé quelle était est la véritable tragédie d’Hamlet et y voit une quête personnelle et métaphysique de chacun d’entre nous, ce qui est tout à fait juste. « Quand, jour après jour, dans une multitude d’actes infimes ​ou remarquables, nous sommes confrontés à notre propre destin que faire? Quelle décision prendre? Vers quel chemin me tourner? Que dire? Où regarder? (…) Face aux innombrables sens et références de la pièce, je ne me fixe qu’un rêve: faire entendre cet «éblouissant chef-d’œuvre de théâtre à double sens» comme le dit René Girard, où justice et innocence sont les véritables protagonistes.»

Et le metteur en scène a fait un choix radical, en choisissant l’adaptation qu’en avait faite Peter Brook qui avait monté la pièce en 1955 au Phoenix Theatre à Londres et au Arts Theatre de Moscou. Et il a entrepris «un nouveau voyage théâtral sur cette œuvre extraordinaire en compagnie de quelques artistes qui me font la confiance de m’accompagner. »  Sur le plateau en angle du Théâtre 13 Jardin au sous-sol d’un HLM,  le plus raté et le plus difficile de Paris, aucun décor autre que des châssis à l’envers contre le mur du fond. Juste quelques chaises dépareillées où s’assoient les acteurs quand ils ne jouent pas, du moins au début et qui semblent s’ennuyer un peu. Une vieille trouvaille brechtienne que Guy-Pierre Couleau aurait pu nous épargner. Pas grave  mais cela donne un côté statique et c’est dommage…

Nous sommes partagés quant à sa mise en scène.D’un côté, un texte resserré et limité à l’essentiel mais parfaitement lisible, joué sans entracte et en à peine deux heures. Cela donne à cette réalisation une solidité et un rythme que l’on ne trouve pas souvent dans les mises en scène d’Hamlet qui ont le plus souvent tendance à s’éterniser. Mais Guy-Pierre Couleau aurait quand même dû rétablir la scène où Ophélie offre des fleurs au roi et à la reine à qui elle dit : « Et pour vous madame, voici de la rue et j’en garderai un peu pour moi. Nous pouvons bien toutes deux l’appeler: herbe de grâce mais elle doit avoir à votre main, un autre sens qu’à la mienne…» Ce qui ouvre des perspectives sur Ophélie, quand on sait que cette plante était couramment utilisée pour ses vertus abortives! A la décharge de Guy-Pierre Couleau, comment faire passer le sens du mot rue?

Mais on comprend mal les jets de fumigène à vue que diffuse un acteur au tout début, un tapis avec une tête dessinée, les lumières de couleur, les fréquents allers et retours dans la salle où officient les fossoyeurs avec une gestuelle approximative. Et ces costumes contemporains de tous les jours qui sont assez laids. Tout cela pour dire que nous sommes bien au théâtre? Mais ces choix sont-ils convaincants?

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Côté jeu, mention tout à fait spéciale à Benjamin Jungers (Hamlet) qui a une diction sans faille où chaque phrase, dite avec une grande précision, est une flèche qui atteint avec précision le public. Et ce jeune acteur sait donner, sans jamais forcer et sans une seule criaillerie, une vérité, une ampleur et une intériorité tout à fait impressionnante à son personnage. Et pour une fois ce qui est rare, il a l’âge du rôle. Un belle performance… Emil Abossolo M’Bo, un acteur de chez Peter Brook, est lui aussi remarquable dans le rôle de Polonius. Mais l’ensemble de l’interprétation est, disons, inégale, même si Bruno Boulzaguet, Marco Caraffa,  Anne Le Guernec, Nils Ohlund et Thomas Ribière font le boulot. En tout cas, on comprend parfaitement le texte et c’est une grande qualité de ce travail… Mais moins le choix de Sandra Sadhardheen qui semble avoir bien du mal à assumer son personnage d’Ophélie, même si on la voit peu au cours de la pièce…  Sa relation avec Hamlet comme avec le Roi ou la Reine n’est pas très crédible, ce qui est plutôt ennuyeux et soudain, elle se met à danser et plutôt bien, mais pourquoi ?

La mise en scène que Guy-Pierre Couleau a voulu en  accord avec ce texte dépouillé, a un aspect assez sec où l’émotion n’a donc guère de place. Mais ce travail souffre de cet espace scénique particulièrement ingrat et qui ne rend pas service à une telle pièce. On peut rêver mais on verrait bien cet Hamlet avec toute la rigueur de cette mise en scène, dans le jardin d’un vieux château, en tout cas en plein air, avec des éclairages rigoureux et de costumes mettant en valeur les personnages. Cette réalisation aurait alors une toute autre dimension et on ne dira jamais assez l’importance d’une scénographie adaptée, surtout pour une pièce comme Hamlet.  Donc, à suivre…

Philippe du Vignal

Représentation pour professionnels vue le 10 mars, au Théâtre 13 Jardin, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème).

Les 27 et 28 avril, Les Scènes du Jura-Scène Nationale de Dôle-Lons-le-Saulnier. Le 30 avril, ABC Dijon- Scène Pluridiciplinaire, Dijon (Côte-d’Or).

Le 11 mai, L’Esplanade du lac, Divonne-les-bains (Ain).

Le 30 septembre, Théâtre d’Auxerre (Yonne).

Le 9 novembre, Le Carré-Scène Nationale, Château-Gontier (Mayenne).

En décembre, Théâtre Victor Hugo, Bagneux (Hauts-de Seine).

 

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