Adieu Irène Ajer
Adieu Irène Ajer
Peu connue du grand public, elle vient de s’éteindre après une « longue maladie » à quatre-vingt ans après une vie consacrée à la cause du théâtre public. Après avoir fait Sciences Po à Paris, elle avait fréquenté l’Université Internationale du Théâtre des Nations et l’Ecole Maximilien Decroux. Un parcours déjà atypique… Puis elle avait très jeune, travaillé à la Direction des spectacles au Ministère de la Culture où nous l’avions rencontrée la première fois en 1968 dans ce merveilleux petit hôtel particulier rue Saint-Dominique (qui avait aussi été un sinistre lieu de torture pendant l’occupation allemande!).
Un jour, grâce à un coup de baguette magique, -je n’étais pas encore critique de théâtre- elle m’avait fait obtenir, me sentant passionné, une place pour voir Apocalypsis cum figuris du grand Polonais Jerzy Grotowski (1933-1999) dans une scénographie bi-frontale (du jamais vu à l’époque!) au Théâtre de l’Epée de bois situé à l’époque, au coin de la rue de l’Epée de bois et de la rue Mouffetard à Paris. Mais la salle ne pouvant accueillir qu’une quarantaine de personnes, elle était donc inaccessible en cas de succès! Un geste que l’on n’oublie jamais… Irène Ajer devint cheffe du Bureau des jeunes compagnies et de la création dramatique et accompagna le parcours de jeunes inconnus à l’époque comme, entre autres: Jean-Pierre Vincent, Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine, Jacques Lassalle, Bernard Sobel… Irène Ajer fut ensuite nommée chef du service de l’inspection de la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles, avant d’être plus tard Inspectrice Générale du Théâtre.
Entre temps, elle assura de nombreuses fonctions dans le domaine culturel. Chargée de mission auprès d’Emile Biasini pour l’aménagement de la côte Aquitaine, puis auprès de Philippe Tiry à l’Office national de Diffusion Artistique, avant d’être directrice de la Maison de la Culture d’Orléans dans les années soixante-dix. Toujours souriante et aimable, elle ne transigeait pas sur le plan artistique et juste après un aussi court que mauvais spectacle d’un marionnettiste américain, elle bondit sur la scène! La suite dans les coulisses entre la directrice qu’elle était et ce pseudo-artiste, avait dû être assez mouvementée… En 1985, elle devint administratrice générale de l’ I.R.C.A.M. dirigé par Pierre Boulez. Un temps, elle avait été aussi responsable de la Culture à la Mairie de Boulogne (Hauts-de Seine) mais peu encline aux concessions, elle avait préféré démissionner. Puis elle assura aussi la préfiguration de la Cité de la Musique et mit en place le Centre National du costume de scène et de la scénographie à Moulins (Allier). Et elle fut aussi nommée présidente de Molières en 2008. Irène Ajer avait un amour sans faille pour toutes les composantes du théâtre, y compris l’enseignement qu’elle connaissait bien et protégea l’Ecole du Théâtre National de Chaillot, quand elle fut menacée par des gens… du Ministère de la Culture. Là aussi, intransigeante et déterminée, elle oubliait les mesquineries de la profession et avait une haute idée de la notion de service public.
Merci, Irène pour ce que tu auras beaucoup donné, dans l’ombre mais aussi à des postes élevés et convoités, au théâtre contemporain et au monde de la culture.
Philippe du Vignal
Les obsèques d’Irène Ajer auront lieu mardi 9 mars à l’église Saint-Roch, Paris (Ier). Métro : Palais-Royal.