La très excellente et très pitoyable tragédie de Roméo et Juliette de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Desprats, mise en scène de Paul Desveaux
Nous avions eu il y a quelques semaines un petit avant-goût de ce spectacle en en voyant un moment de répétition (le bal où Roméo et Juliette tombent amoureux) au Studio d’Asnières. Cette fois, il est présenté comme fini, si on a bien compris, au Théâtre Montansier à Versailles, mais distanciation sociale oblige, le public était limité à une vingtaine de personnes. Nous vous épargnerons le scénario trop connu de cette pièce mythique avec meurtres du côté Montaigu: Mercutio et Tybalt et suicide de Roméo, et du côté Capulet, suicide de Juliette. Et cela frise souvent le mélo, surtout vers la fin. Cette comédie dramatique a fait l’objet de plus de vingt adaptations. Avec des films (dont l’un de Georges Méliès) avec souvent de grands acteurs comme Orson Welles, John Gielgud, Laurence Olivier, mais aussi des opéras, ballets, mangas, comédies musicales… La plus célèbre étant West side story (1957), musique et chansons de Leonard Bernstein et Stephen Sondheil, livret d’Arthur Laurents, chorégraphie et mise en scène de Jerome Robbins. Elle connut plus de sept cent représentations! Avant une tournée tournée et ensuite un succès international. Et un film en fut tiré, réalisé par Robert Wise et Jerome Robbins en 1961.
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Paul Desveaux, le nouveau co-directeur du Studio d’Asnières et metteur en scène d’expérience (voir Le Théâtre du Blog) s’en est emparé avec, semble-t-il, une certaine gourmandise. «La première image qui nous vient à l’esprit, c’est cette histoire d’amour impossible entre deux jeunes gens dont les familles se haïssent depuis des temps immémoriaux. Pourtant, je ne suis pas sûr que nous regardions la fable sous le bon angle. (…) Le sujet me semble un peu plus complexe et ne se résume pas à une histoire adolescente mais aborde aussi un conflit de générations que nous occultons parfois. Ainsi l’amour impossible n’est qu’une conséquence néfaste d’une « guerre» atavique entre deux familles dont on ne connaît plus les raisons, soulevant ainsi la question d’une tradition qui ne serait jamais réinterrogée. Et il faudra atteindre ce désarroi extrême causé par les morts de Juliette et Roméo, pour que les pères Capulet et Montaigu mettent fin à leur inimitié. »
Autrement dit, même si Paul Desveaux tire un peu sur la ficelle, le thème central est bien une réflexion sur la qualité du legs que nous allons faire aux générations à venir pour qu’elles nous en soient reconnaissantes. Ici, après tant de morts et de violence, un retour à la normale avec réconciliation des familles ennemies. En l’occurrence les Capulet et les Montaigu ne donnent pas en effet une image très flatteuse de ces tribus dont tous les membres ont eu en héritage une haine réciproque sans savoir pourquoi. Le plus souvent à cause d’histoires de sexe, d’amour et/ou de pouvoir, religion ou argent… En fond de sauce -et la catalogue est fourni- vieux litiges à propos de terres mal bornées, mariage contre la volonté des parents, divorce, séparation douloureuse remontant à plus de trois générations, petite dettes ou prêts jamais remboursés, rivalité amoureuse et vengeance entre des ancêtres disparus il y a plus de soixante ans et que personne n’a connu, brouille entre parents associés dans une affaire, dénonciation injustifiée à la police, vol commis par un membre de la famille adverse, bijoux discrètement subtilisés après un décès, etc. Et cela se passait en Angleterre comme dans notre douce France et pas si sûr qu’on ne soit pas encore là au XXI ème siècle «Ne dites surtout pas à la notaire que vous venez de ma part, nous avait dit la tante d’une amie, car nos familles sont brouillées depuis 1.850! » Nous n’en avons jamais su la raison et on était en 1.966…
Reste à savoir comment mettre en scène cet amour impossible entre adolescents ou presque. Un atout majeur pour Paul Desveaux: avoir de nombreux jeunes acteurs d’un âge correspondant à celui des personnages et qui ont la fougue et l’énergie de leur âge, ce qui est déjà un beau capital. On a trop vu de ces Juliette et Roméo d’une trentaine d’années… Et le metteur en scène a aussi des comédiens plus expérimentés ntre autres Céline Bodis (Lady Capulet), Ulysse Robin (Esalus, seigneur de Vérone) ou l’impeccable Hervé Van der Meulen (le frère Laurent).
Et cela donne quoi? D’abord le bon: de brefs mouvements chorégraphiques réussis et parfois de belles images comme le corps de Juliette éclairé d’une lumière glauque en fond de scène. Oui, mais voilà, la direction d’acteurs est aux abonnés absents et les jeunes interprètes ne sont guère crédibles:criailleries, très mauvaise diction… Cela va nettement mieux quand ils jouent avec un des comédiens qui pourraient être leur père ou leur mère et qui ont comme on dit, du métier. Comme l’acoustique du théâtre Montansier est loin d’être bonne, que la fosse d’orchestre crée un fossé redoutable et que nombre de scènes se passent plutôt au milieu du plateau… Au sixième rang, on entend mal le texte. D’autant plus que les éclairages sont souvent plus que discrets. Et c’est bien commun, quand on voit mal, on entend mal. Bref, rien n’est vraiment tout à fait dans l’axe.
Seule Mathilde Dessinas arrive à dessiner malgré un épouvantable costume, une Juliette encore adolescente naïve et rebelle, parfois émouvante mais Thomas Rio a bien du mal, lui, à rendre crédible son Roméo. La mise en scène souffre d’un manque de rythme évident et ces deux heures et demi sont bien longues. Paul Desveaux, qu’on a connu mieux inspiré, a des idées curieuses comme de placer des projections vidéos -une plaie permanente depuis une quinzaine d’années- sans doute pour faire chic et actuel! Mais cela ne fonctionne pas. Nous avons ainsi droit à une image en noir et blanc de Roméo sur une route, fuyant Vérone, ou un frère Laurent en très grand format! Cela casse un rythme qui n’avait pas besoin de cela… Et c’est faire bien peu confiance au texte du grand Will qui n’a pas besoin de cet artifice pour dire les choses.
Et mieux vaut oublier une pseudo-scénographie: un échafaudage tubulaire comme on en a vu tellement dans les années soixante et qui complique les choses. Mais aussi des costumes franchement laids et sans aucune unité sinon d’être vaguement XX ème siècle. Une Juliette attifée d’une minijupe de tissu rouge écossais et d’un haut aussi rouge et ses camarades en jeans et T. shirt… quel intérêt! La création de costumes est toujours chose délicate et le grand Jérôme Savary -qui avait aussi monté Shakespeare à deux reprises- disait avec juste raison que cela n’avait aucun intérêt de retrouver sur un plateau ce que l’on voyait au quotidien dans la rue… Bien vu et il avait toute confiance dans le travail d’une grande sensibilité de Michel Dussarat. Le costume de théâtre a commencé à exister à part entière depuis bien longtemps et a une fonction bien connue de signe (voir Roland Barthes). Reste à le définir dans une mise en scène et là, cela devient plus compliqué…
Monter un Shakespeare suppose en effet un solide travail dramaturgique et une grande exigence théâtrale et là, désolé, on est un peu loin du compte. Nous n’avions pu trouver de cobayes de seize ou dix-sept ans pour tester cette mise en scène mais ils ne l’auraient sans doute pas beaucoup appréciée. Le spectacle peut s’améliorer, avant que les salles rouvrent avec un vrai public, mais d’ici là, il y a encore un gros travail en perspective, notamment quant à la direction d’acteurs et à la mise en scène! Vu les dispositions actuelles de madame Roselyne Bachelot, Paul Desveaux devrait avoir un peu de temps! Et il faudrait aussi sans doute trouver un lieu mieux adapté et plus contemporain que cette bonbonnière versaillaise inaugurée par Louis XVI et Marie-Antoinette… Français, encore un effort, comme disait le marquis de Sade.
Philippe du Vignal
Représentation pour les professionnels vue le 3 mars au Théâtre Montansier, 13 rue des Réservoirs, Versailles (Yvelines).
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