Le Théâtre de l’Odéon occupé
Le Théâtre de l’Odéon occupé
»A l’appel de la C.G.T. /Spectacle, la journée de mobilisation unitaire du 4 mars s’est poursuivie avec cette occupation de ce grand théâtre parisien. Une cinquantaine de comédiens, musiciens, techniciens, habilleuses et dessinateurs y sont entrés sans encombre et ont constitué le collectif On ouvre. Ils veulent rester sur place le temps que leurs revendications soient entendues par le Gouvernement. «Nous sommes déterminés! » dit l’un des occupants qui dorment sur la moquette des couloirs du théâtre et se nourrissent grâce aux dons et à l’argent collecté via les réseaux sociaux. Stéphane Braunschweig, directeur de l’Odéon, s’est montré solidaire: «Il sert, dit-on, d’intermédiaire entre occupants et Gouvernement. » Mais il aurait déclaré: «Je n’irai pas jusqu’à dire que je soutiens ce mouvement», estimant que c’est un problème entre les intermittents et l’Etat.
Les revendications sont claires: reconduction de «l’année blanche» pour tous les intermittents du spectacle, garantie du congé-maternité et des congés-maladie, communication du calendrier du dispositif d’accompagnement quand reprendra l’activité, retrait du projet de réforme de l’assurance-chômage, ouverture à tous d’une protection sociale et enfin négociations d’un plan de réouverture des lieux.»
Les occupants du Théâtre de l’Odéon proposent une assemblée générale journalière à 14 heures : « Un tour de garde artistique, comme un passage de flambeau durant lequel chacun pourrait s’exprimer, réaliser une performance, délivrer un témoignage pour au moins faire vivre l’initiative. »
Depuis mardi, la mobilisation s’étend. Nous rencontrons devant le théâtre un musicien qui répète sans être payé mais son ami, ingénieur du son, lui, travaille autant qu’avant, avec beaucoup de captations vidéo. Et un représentant du S.N.A.P.-C.G.T. rassemblant les artistes visuels explique qu’affiliés à la Maison des artistes, ils bénéficient de la Sécurité sociale mais pas du chômage et d’aucune indemnité pour accident du travail. 2% seulement des artistes et graphistes ont reçu des aides du fond de soutien pendant la crise sanitaire ! Les autrices et auteurs partagent eux aussi mobilisés partagent le même statut.
De nombreux collectifs prennent la parole comme la Fédération des pirates du spectacle vivant. Elle demande avec le rassemblement Urgence-émergence, que les nombreux lieux sous-utilisés s’ouvrent aux compagnies sans lieu. Des comédiens font des lectures : un monologue de Shakespeare, Le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud, etc. et une fanfare met de l’ambiance en jouant On est là, on est là ! Dont l’assemblée reprend en chœur les paroles…
Mais cette lutte va au-delà des revendications des gens de la Culture. Droit Au Logement réclame d’urgence l’hébergement des mal-logés et ceux, de plus en plus nombreux, qui sont à la rue dans les trois millions de logements vacants … Les hôtesses et stewards de British Airways, au chômage depuis un an, ne bénéficient pas des aides à la formation réservées aux victimes de «licenciements économiques » et se voient déjà au R.S.A dans dix-huit mois. Pire, le sort des guides-conférenciers et personnels de restauration et d’hôtellerie ! « Les maîtres d’hôtel sont en détresse » affiche une banderole. Quant aux intérimaires, Laetitia Gomez de la C.G.T.-Intérim, en compte un million deux cent mille qui ont perdu tout ou partie de leur salaire. « Un plan social silencieux »…
Des politiques prennent aussi la parole comme Clémentine Autain ou Julien Bayou, Secrétaire national d’Europe-Ecologie Les Verts qui soutient ces revendications. Il demande que soit prolongée l’année blanche et s’insurge contre la réforme de l’assurance-chômage qui va «mettre sur le carreau huit cent mille chômeurs, pour réaliser un million deux cent mille euros d’économies. Alors qu’à fond perdu, on soutient les entreprises sans contrepartie.»
François Ruffin, journaliste et député de la France Insoumise, lui, plaide avec talent pour une décentralisation de la Culture : « Il est temps de faire sortir la Culture partout, pour lutter contre la dépression qui gangrène les pays. Va-t-on résoudre ça, en disant aux gens de rester devant leur écran et de prendre des cachets? Si j’étais ministre de la Culture, je ferai comme Franklin D. Roosevelt. » et cite la politique du New Deal mise en place pendant la Grande Dépression par le président des Etats-Unis. Des milliers de peintres et sculpteurs sont employés pour rénover des bâtiments publics. Près de 2. 500 fresques murales voient alors le jour à travers le pays, dont celles de Jackson Pollock ou Mark Rothko. Des milliers de dessinateurs sont embauchés pour réaliser plaquettes d’information et affiches mais aussi des photographes pour témoigner de la misère dans les territoires ruraux. Avec ce New Deal, le gouvernement décentralise aussi la culture en créant des compagnies de théâtre itinérantes et régionales auxquelles les jeunes Elia Kazan et Orson Welles participèrent… Et plus de 7.000 écrivains sillonnent le pays pour collecter témoignages et récits de vie, souvent auprès des plus démunis… Un programme inspirant.
Ce mouvement d’occupation commence à faire tache d’huile et des intermittents du spectacle de la région occupent maintenant le théâtre de Pau. «Je me suis rendue ce soir au théâtre occupé depuis trois jours, a dit Roselyne Bachelot. Je comprends les inquiétudes notamment sur les suites de l’année blanche : ils le savent, mon objectif est de poursuivre la protection de l’emploi artistique autant que nécessaire. Nous poursuivrons nos échanges. » Le Théâtre de la Colline à Paris est aussi occupé depuis hier. Et le premier ministre Jean Castex recevra jeudi -enfin- les représentants des secteurs culturels. A suivre…
Mireille Davidovici
Le 6 mars, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème).
On peut suivre les événements sur Facebook : occupationodeon