Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare, mise en scène de Maïa Sandoz et Paul Moulin

©-Kenza-Vannoni

© Kenza-Vannoni

Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare, mise en scène de Maïa Sandoz et Paul Moulin

Jean-Sébastien Bach devait écrire pour chaque dimanche, une nouvelle cantate et  réutilisait parfois certains moments d’une des précédentes. Comme lui, le prolifique Shakespeare (ou celui ou ceux qui en tiennent lieu) aime bien recycler des thèmes comme la forêt où tout peut arriver,  la forêt protectrice et menaçante à la fois (voir Le Songe d’une nuit d’été ou Comme il vous plaira). Ou la substitution d’une femme à une autre, ce qui crée et résout à la fois le drame dans Tout est bien qui finit bien. Ou encore une mort feinte devenue trop vraie dans Roméo et Juliette. Et dans Beaucoup de bruit pour rien, une pièce apparemment innocente, histoire de verser un peu de poison dans les esprits, il y a un frère bâtard aigri, comme l’ombre pâle de l’Edmond du Roi Lear.

 Ici, un bruit s’éloigne déjà, celui de la guerre qui a tissé entre le prince Don Pedro et le jeune Claudio, une amitié un peu excessive. Tous les deux trop prompts à croire infidèle cette Héro, la pure fiancée de Claudio.  Une autre rumeur,  dissonante au milieu de la fête: grâce à un complot amical, Béatrice qui s’est pourtant jurée de ne jamais succomber aux charmes d’un homme et Bénédict, lui s’est décrété au-dessus de l’amour… vont se jeter dans les bras l’un de l’autre. Ça marchera, reste à savoir comment! Maïa Sandoz, Paul Moulin  et leur fidèle compagnie de l’Argument donnent la réponse. Ils jouent avec imagination et plaisir obstiné et s’amusent comme des fous sur ce vaste plateau aux merveilleuses techniques. L’installation un peu lente et à vue, en attendant que la salle se remplisse – hélas à peine au quart pour cause de distance sanitaire!- ne manque pourtant pas de charme, grâce aux arbres sur roulettes de Catherine Cosme et à la musique intervenant ici et là en direct.

Saluons tout de suite le rock des Vilaines. Et une scénographie, à la fois très dessinée et  fluide tout au long du spectacle, avec table de banquet mise et démise, forêt plus ou moins épaisse, personnages et musiciens propulsés à l’avant-scène avec micro mais sans vidéo, intrusions dans la salle et jeu enfantin à cache-cache avec le rideau. Au sens où les enfants se permettent tout, et à fond. Un jeu à la fois fantaisiste et rigoureux, parfaitement rythmé, même s’il est parfois discutable sur la durée.
L’action, menée avec précision, est fondée sur une gestuelle forte, resserrée sur les signes essentiels et parfaitement ajustée… Saluons entre autres la virtuosité de Gilles Nicolas, heureux et malheureux, puis de nouveau, heureux père de la douce Héro calomniée. Toute la troupe fonctionne ainsi.

En bons shakespeariens, Maïa Sandoz et Paul Moulin (qui joue aussi un Benedict franc du collier et sans fioritures) ont bricolé des allusions à l’actualité : brigade de sécurité,  pantins empêtrés dans une «novlangue» assez cocasse, allusion au président de la République…  Il y a là un public de professionnels et de «personnes-relais» mais ce sont ici, non les Peines d’amour perdues du grand Will mais des « peines d’écritures perdues »:  On rêve aux centaines d’adolescents qui auraient dû voir ce spectacle et en revenir enchantés. Que les acteurs soient sous ou sur-voltés, pourquoi pas? Aurélie Vérillon  (Béatrice) fait sauter le disjoncteur dès son apparition et montre plus tard qu’elle fonctionne aussi avec un variateur. Mathilde-Édith Ménétrier, rockeuse dans un rôle d’homme, a une belle présence, Mélissa Zehner dessine une Héro élastique… Mais nous aimerions que Claudio (Souleymane Rkiba) aille aussi loin dans l’image du bonheur, que dans celle de la colère, que Maxime Coggio (le frère maudit) ajuste son autre personnage: celui de moine marieur et qu’enfin l’élégant Serge Biavan nous aide à comprendre son amitié aveugle pour Claudio et son implication dans l’affaire…

Mais  pouvons-nous leur reprocher cette absence de nuances, puisqu’il n’est pas sur leur feuille de route. Face à ce théâtre efficace, ludique et plein de charme, nous sommes quand même frustrés: manquent des instants d’inquiétude, noirceur et émotion. Un spectacle essentiel, nécessaire ? Oui, au nom du plaisir, du divertissement et de l’admiration pour toutes ces généreuses inventions et pour un travail bien fait. Mais il serait beaucoup plus nécessaire encore, si les metteurs en scène osaient passer quelquefois au-dessus d’un excès de pudeur masqué par le rire et nous laissaient voir  fêlures et mélancolie, celles qui font les vrais clowns chez Shakespeare. Si cette comédie est un bal masqué, il faudrait qu’une seconde, un personnage prenne le risque de laisser tomber le masque. Telle quelle, la pièce fait déjà un joli bruit, et pas pour rien…

Christine Friedel

Représentation pour professionnels vue le 4 mars au Théâtre de la Cité-Centre Dramatique National de Toulouse (Haute-Garonne).

Dates sous réserves :

Le 13 mars, E.M.C. Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) ; les 24 et 25 mars, La Piscine, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) et les 30 mars et 1er avril à la MC 2 Grenoble (Isère).
Le 6 avril, L’Équinoxe, Châteauroux (Indre).
Le 20 mai, Les 3 T, Châtellerault (Vienne).
Les 6 et 7 octobre, l’Agora-Scène Nationale (Essonne) et du 14 au 16 octobre, Théâtre 71, Malakoff (Hauts-de-Seine).

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...