Le Centre Dramatique National de Besançon lui aussi occupé…
Le Centre Dramatique National de Besançon lui aussi occupé…
A deux pas de la Rhodiacéta, une usine de textile dont le réalisateur Chris Marker a immortalisé les luttes en 1968, le ton s’est durci. Ce jeudi matin, à la Rodia, Scène de musiques actuelles, la Coordination des Intermittents et des Précaires de Franche-Comté a réuni les acteurs du milieu culturel pour réagir à la vague d’occupations contestataires dont l’Odéon est devenu la figure de proue. Ensemble, ils ont voté et investi dans la foulée le Centre Dramatique National de Besançon. Et depuis plusieurs jours, il est maintenant un quartier général d’échanges et de médiatisation qui a accueilli les doléances des professionnels de la Culture.
Banderoles sur la façade et dortoir dans le hall vitré contribuent à la visibilité de l’occupation. Ici, dans un fonctionnement horizontal, tout se discute et se vote en A.G. Une revendication prioritaire qui reste assez corporatiste, avec exigence de prolongation de «l’année blanche». La réouverture des salles vient seulement en deuxième position. Un an de mise à l’arrêt a mis sur les rotules les équipes de programmation et d’administration. Le plus urgent: assurer la sécurité matérielle des intermittents. En effet, sans leur statut déjà contraignant, ils verraient se profiler un avenir incertain, voire misérable. Au-delà, on défend aussi l’élargissement des droits à tous les professionnels subissant les rigueurs d’un emploi en discontinu. Dans un esprit d’inter-sectionnalité, on cherche à élargir la lutte à tous les précaires. Sont évoquées les difficultés rencontrées par les artistes-auteurs, les femmes enceintes, les primo-accédants au statut. Les droits sociaux font donc l’objet de fortes inquiétudes et beaucoup craignent une réforme de l’assurance-chômage et un massacre probable des acquis.
L’occupation a lieu vingt-quatre heures sur vingt-quatre et pour le moment, sans encombres. Dans cette ruche où tous les Intermittents portent du noir, s’organisent les actions : «N’hésitez pas à faire comme nous, investissez le C.D.N. Entrez, venez poser des questions, inscrivez-vous sur le planning des roulements pour dormir ici !» Des restaurateurs, tels Court-Circuit ou J. G. Traiteur, se sont rapidement mobilisés pour assurer les repas des militants. Une grande table où s’emmêlent les câbles d’ordinateurs tient lieu de centre d’information et de fourmillante salle de montage vidéo et audio.
Vendredi matin, une réunion a eu lieu avec les représentants de la D.R.A.C. qui tente, sans grand espoir, de faire remonter au Ministère le mot d’ordre : « Nous sommes la culture, écoutez-nous! » L’après-midi, sur le parvis, des sympathisants se réunissent et, au micro, à côté du drapeau rouge de la C.G.T. Spectacle, égrainent les soutiens : les étudiants de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, le Conservatoire de Dôle, l’association B.B.R.B.U. (Bars Boîtes Restos de Besac Unis), l’Antonnoir, une salle de concert privée, d’autres lieux culturels et des compagnies bisontines…
Une liaison téléphonique permet aux Intermittents d’entendre en direct leurs camarades de l’Odéon. Martin est venu rapper sur le thème des violences policières et ils préparent des actions futures: envahissement de la ville par des visuels et banderoles, «attentats-concerts» (un appel aux musiciens est lancé)… La Boum flash de la danseuse et vidéaste Christelle Pinet passera samedi. Un rendez-vous hebdomadaire est fixé avec une lutte pacifique contre l’interdiction de danser dans les clubs et associations, en offrant un acte furtif, une désaliénation collective… dans un espace public.
Vendredi, à seize heures les étudiants du D.E.U.S.T. théâtre sont venus exprimer leur soutien et leur émotion, conscients de la chance de pouvoir suivre encore leurs cours sur place. Ce n’est pas le cas de leurs camarades en licence Arts du spectacle à l’Université qui s’interrogent toutefois dans une lettre collective : «Quelle est notre place comme jeunes comédiens dans ce monde où l’on nous dit que la Culture n’est pas essentielle, dans une période où il est impossible de se cultiver (théâtre, cinéma, concerts… ). Mais aussi de se rencontrer et partager nos créations avec un public autre que les professionnels intervenant dans notre formation. »
Ils offrent ensuite un happening où se confrontent le «c’était»: le monde d’autrefois perdu à jamais et le «ce sera»… un avenir nébuleux. Quel futur possible, quelles perspectives? Leurs déplacements, gestes de réconfort et marche vers l’avant se révèlent poignants, tout comme les mots avec lesquels ils clament leurs vingt ans volés par la crise sanitaire et les décisions gouvernementales perçues comme incohérentes.
De quelle façon, l’équipe du C.D.N. réagit-elle ? Le travail continue et une partie du personnel se réjouit de la cohabitation et s’y investit. Quelle aubaine: dormir au théâtre, retrouver une vie sociale stimulante! Et résidences de compagnies, montage de décor se poursuivent. Dans un communiqué, Célie Pauthe, la directrice, soutient ces revendications mais semble accueillir l’occupation avec tiédeur. Elle s’inquiète pour l’image du C.D.N., notamment quant au respect des gestes barrières et des normes en vigueur. Le lieu apparaît pourtant médiatiquement comme le fer de lance de la lutte et bénéficie d’une certaine aura. Certains pensent que c’est l’occasion pour démocratiser la Culture: pourquoi en effet la cantonner à des institutions publiques, somme toute assez peu populaires? Occuper Pôle-Emploi? Cela serait peut-être alors un symbole plus fort…
Stéphanie Ruffier
Vidéo du happening du D.E.U.S.T. théâtre:
https://www.youtube.com/watch?v=96KMRJGyldY&fbclid=IwAR17vRMjA9YXoZeMHalK_tWLLIyeyMFCZjNW9ViWTaOKz9cb3muvdVTq_OA