Renversante de Florence Hinckel, adaptation et mise en scène de Léna Bréban
Renversante de Florence Hinckel, adaptation et mise en scène de Léna Bréban
L’auteur, après une licence de programmation analytique, devint professeure des écoles à Marseille, en Guyane et Guadeloupe. Puis elle s’est consacrée entièrement à l’écriture avec surtout des séries pour les enfants et adolescents comme La Famille Papillon, Le Chat Pitre, Nos éclats de miroir, L’Eté où je suis né, Les Copains, le soleil et Nabila. Et dans Le Grand Saut, elle traite d’un sujet qu’elle a bien connu comme enseignante… l’inégalité des chances. Florence Hinckel a aussi une réflexion critique sur des thèmes de société actuels comme l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux, le transhumanisme…
Le spectacle, joué dans les établissements scolaires de Saône et Loire, a été produit par l’Espace des Arts- Scène nationale de Chalon-sur-Saône où Léna Bréban avait présenté Verte, un beau spectacle pour enfants (voir Le Théâtre du Blog). Dans Renversante. Florence Hinckel utilise un procédé littéraire bien connu : l’inversion mais avec une rare virtuosité d’écriture. Deux adolescents Léa et son frère Tom, découvrent que les rues et établissements scolaires ont des noms de femmes célèbres. Tom: On s’est mis à regarder le nom des rues: rue Jeanne d’Arc, Lea: rue Louise Labbé. Tom : avenue Maria Callas. Lea: square Rosa Luxembourg. Tom: impasse Roselyne Bachelot. Lea: place Olympe de Gouges. Tom: boulevard Marie Curie … et plein d’autres noms de femmes qu’on ne connait pas. Mais Papa a raison : il n’y a pas beaucoup de noms d’homme. »
Lea : Ce n’est pas de leur faute, c’est juste parce que les pauvres ont passé des siècles et des siècles à devoir faire le ménage, la cuisine, les courses et qu’on ne peut pas tout faire dans la vie. Tom : Oui mais du coup, ils n’ont pas eu le temps de s’instruire et créer des choses. Léa: Ils peuvent être fiers quand même, parce qu’ils font la plus belle des choses au monde. Tom et Léa ensemble : Ils élèvent les enfants ! »
Ces deux-là remarquent aussi que, dans toutes les écoles, le féminin l’emporte sur le masculin. Réputé plus noble que le masculin à cause de la supériorité de la femelle sur le mâle. Et on ne semble pas vouloir remettre en cause cet ordre établi depuis si longtemps. Mais Léa et Tom adoptent un autre point de vue et réfléchissent aux clichés de la domination féminine…jusque dans leur cour d’école. Tom pense en effet que les filles prennent toute la place dans la cour et que les garçons n’ont plus qu’un petit espace pour eux. Mais Léa lui réplique vertement : « Gnagnagna. De toute façon, ton jeu c’est de la merde ! (…) Alors que la coupe du monde de football féminine est suivie par, des milliardes ! des milliardes de gens tout autour de la planète ! Casse-toi ! »
Et entre eux, il est aussi question de couleur masculine ou féminine. Léa : J’ai réalisé que la couleur rose, traditionnellement associée aux filles, n’était pas du tout mal vue. Tout le monde porte du rose, garçons ou filles, sans être moquée. Tom : Alors que pour le bleu, c’est très différent. Léa : Comme bleu = garçons, cela signifierait que les garçons sont vraiment mal perçus dans la société ? J’ai un petit peu de mal à le croire. Tom : (au micro en boucle) Grosse gouinasse ! Fille manquée ! … Léa : Le monde n’est quand même pas aussi sexiste !
Et voilà, les grands mots sont lâchés. Et le frère et la sœur enfoncent le clou avec une certaine jouissance. Tom: Stop ! C’est bizarre, cette règle grammaticale qu’on nous apprend à l’école, que le féminin l’emporte toujours sur le masculin. Et Léa s’adresse au public: « Excusez-nous, mon frère fait son intello… Tom: Non, mais pardon, là je découvre dans cette encyclopédie que le féminin n’a pas toujours primé dans la langue française. «
Les dialogues de l’adaptation théâtrale qu’en a faite Léna Bréban sont incisifs et la place des hommes et des femmes ainsi revue et corrigée devient aux yeux des spectateurs assez aberrante mais la démonstration a parfois une tendance féministe parfois appuyée. Le procédé artistique et littéraire de l’inversion est connu depuis le XII ème siècle et on peut ainsi voir notamment sur le tympan de l’abbatiale de Conques (Aveyron) une femme sur les épaules d’un homme. Un renversement de l’autorité maritale? Et deux lapins marchent en portant un braconnier ficelé sur une perche…
Mais désolé, Florence Hinckel, les choses ont évolué, il y a déjà même quarante-sept ans, votre âge et un âge que nous connaissons aussi… Préparation des biberons, changement des couches, lessive, cuisine au quotidien et bain du bébé. Plus tard, accompagnement à l’école maternelle, puis à l’hôpital pour une très grave opération, visites chez pédiatre et cardiologue, nombreux papiers de Sécurité sociale et d’impôts à remplir, conduite de la voiture, courses hebdomadaires au supermarché, c’était qui, à votre avis? Et tiens, au fait, pourquoi y a-t-il aussi toujours si peu de boutiques de vêtements et de chaussures pour hommes et tellement pour les femmes? Alors, s.v.p., Florence Hinckel, sur la question des inégalités hommes/femmes et sur le sexisme, ne cédez pas à la facilité et ne jetez pas tous les maris, compagnons, papas avec l’eau du bain… Le droit à la parité, cela existe aussi pour chaque sexe mais, en ces temps où règne madame Mi-Tout, on a tendance à l’oublier…
Bon, mais pour Renversante, nous n’allons pas chipoter notre plaisir… Ici en une demi-heure, le tour est joué et cette savoureuse inversion des stéréotypes passe d’autant mieux la rampe… qu’il n’y en a pas. Le spectacle est en effet joué dans une salle dite polyvalente du collège Pasteur à Mâcon donc sans artifices techniques, avec distanciation de rigueur: élèves masqués et assis à plus d’un mètre l’un de l’autre, et profs et principal du collège dans le fond. Et acteurs aussi masqués, non pour le jeu mais pour la discussion qui suit… exactement au même endroit. Comprenne qui pourra aux règlements de l’Education Nationale…
Donc aucun décor autre qu’une table, des accessoires et éléments de costumes et perruques avec changement à vue. Mise en scène simple mais rigoureuse, proche de celle d’un spectacle d’agit-prop, pouvant trouver sa place n’importe où et joué à un excellent rythme. Léna Bréban interprète Léa et Antoine Prud’homme de la Boussinière (Tom) lui donne la réplique, un peu en mineur mais avec une belle complicité… La metteuse en scène s’est emparée du texte avec une grande maîtrise et réussit à faire passer cette réflexion à la fois drôle et caustique sur la place actuelle des femmes dans la société. Les acteurs jouent plusieurs personnages (Léna Bréban affublée vite fait d’une moustache, est aussi excellente dans le rôle du père), impressionnent ces élèves de quatrième très attentifs.
Le spectacle parfaitement rodé dure seulement trente-cinq minutes et précède une entretien de vingt-cinq minutes entre élèves et comédiens. Là aussi Léna, Bréban, très solide, assure les choses avec efficacité, répond avec précision aux questions souvent très fines, donnant la parole à l’un ou l’autre et en la faisant circuler, tout en gardant un œil sur le temps qui passe. Chapeau.
Par ces temps de confinement et de couvre-feu, les élèves des collèges de la région ont bien de la chance. Léna Bréban a aussi mis en scène pour la Comédie-Française avec, excusez du peu, les excellents Dominique Blanc, Thierry Hancisse et Hervé Pierre, une adaptation -qu’elle a écrite avec son complice Alexandre Zambeaux- de Sans Famille. Le célèbre roman d’Hector Malot a fait couler des torrents de larmes chez les enfants depuis plus d’un siècle et nous avions hâte de voir cette création. Tout était prêt au Théâtre du Vieux-Colombier pour plusieurs semaines de représentations, quand est arrivé le couvre-feu! Mais Léna Bréban le mérite bien, cette création a été maintenue mais reportée… en novembre prochain si tout va bien. D’ici là, croisons les doigts et espérons voir plus clair!
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 8 mars au collège Louis Pasteur, 50 Impasse Pasteur, Mâcon (Saône-et-Loire).