Livres et revues

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Déambulations théâtrales, ouvrage cordonné par Mathieu Gasparini, contributions de Stéphanie Ruffier

Ce livre de 280 pages rassemble réflexions et analyses d’un séminaire de quatre jours avec les compagnies Action d’espace, Les Arts Oseurs, La Baleine-cargo, Les Fugaces, le Groupe Tonne, La Hurlante et No Tunes International.

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©PierreAcobas Nous les oiseaux par la compagnie Les Fugaces

Dénominateur commun: ces compagnies jouent dehors gratuitement et leurs spectacles sont, avant tout, fondés sur une pratique artistique de la marche, celle du public et des comédiens… très variable selon les troupes. Nous ne pouvons détailler l’ensemble mais dans Pourquoi et comment déambuler un long chapitre -un peu estouffadou et souvent vite écrit- les directeurs et directrices de collectifs analysent leur méthode de  travail. Périne Faivre avec Les Arts Oseurs a investi l’espace public, avec dit-elle, une convocation du corps social, de la “France ». Ce n’est absolument pas modeste mais c’est cet enjeu-là que je défends. D’une manière générale, je veux faire vivre aux spectateurs un moment collectif et politique.”

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Dans Les Tondues, la metteuse en scène a voulu faire participer le public à un épisode mal connu de l’Histoire de France dont personne ne peut être fier… En 1944, environ 20.000 jeunes femmes qui avaient été les amoureuses de soldats allemands ou avaient simplement travaillé pour eux, furent tondues et baladées debout dans une charrette ou une camionnette, sous les injures des habitants. Un de nos pires souvenirs d’enfance… Côté actrices, la grande Arletty, bien protégée, s’en tira facilement: «Si vous ne vouliez pas que l’on couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer.» Mais on le fit payer cher à cette belle actrice que fut Madeleine Sologne qui joua ensuite très peu au théâtre. Les prostituées des nombreux bordels chics fréquentés par les Allemands, elles, furent moins inquiétées…
Les Tondues, un spectacle fondé sur la déambulation avec cinq acteurs, se situe au croisement du théâtre, de la danse et de la musique et correspond bien à un enjeu dramaturgique. Avec ce mode opératoire, le public pouvant être alors un confident, un témoin, voire un complice. Cela évoque un acte à la fois punitif et expiatoire dont personne dans les familles -auteurs comme victimes- ne tenait à reparler: étouffé, il a peu à peu disparu de la mémoire collective.

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Caroline Cano avec sa compagnie La Hurlante se pose chaque fois la question de savoir ce que vont vivre les spectateurs. «Le personnage principal, dit-elle, celui qui se raconte, qui fait déplacer le public, est Noëlle Folly. Dans Regards en biais, elle invite à l’aider pour distribuer ses prospectus.» Et elle ajoute que «le fait de marcher provoque une agitation de la pensée, de façon très concrète, ça provoque des situations très poétiques.»  Mais les autres témoignages n’ont pas tous cette qualité et souffrent de bavardages.

La déambulation théâtrale et les formes dramaturgiques qu’elle a prises, ne date pas d’hier, et pour le théâtre contemporain, remonterait aux années soixante-dix. Il y a eu quelques manifestations où les metteurs en scène s’en sont servis comme pour ce Cortège funèbre, enterrement de la liberté d’expression à Paris en 1972 avec un corbillard conduit par huit chevaux noirs, des tambours aussi voilés de noir frappés en cadence par de jeunes acteurs…

 

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Réalisé par le Théâtre du Soleil, la compagnie Vincent-Jourdheuil, le Théâtre de l’Aquarium, l’Ensemble Théâtral de Gennevilliers, l’Action pour le Jeune Théâtre au nom de quarante troupes et le Théâtre de la Tempête. Cela était-il inspiré par un siècle et demi avant par des cortèges funéraires dans l’espace public, chargés d’un sens politique? En tout cas, cette marche publique et protestataire des compagnies après les propos insultants et pitoyables sur la création théâtrale de Maurice Druon (1918-2009), alors ministre des Affaires culturelles en mai 73 sous le règne de Georges Pompidou, connut un beau succès. Il avait bêtement déclaré: « Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir. »

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©x Jean Digne

Il y eut aussi à Aix, ville ouverte aux saltimbanques, la fameuse opération imaginée et réalisée par Jean Digne en 1974, de petites déambulations avec notamment, Le Palais des Merveilles de Jules Cordière, merveilleux acrobate de fil mou que l’on avait connu crachant le feu au Magic Circus de Jérôme Savary et qui avait une petite troupe dont sa compagne Caroline Simonds, est maintenant directrice du Rire à l’hôpital, un géant et quelques autres artiste de rue.

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Le Théâtre de l’Unité avait lui conçu un remarquable Noces et banquets comme une sorte de marche vers plusieurs lieux de jeu comme mairie, église, restaurant… Quant à la Fanfare des Grooms, elle a souvent emmené plus d’une centaine de personnes dans les rues d’un village avec des «stations», entre autres pour assister à une leçon d’opéra par un pseudo-amateur et complice depuis son balcon… «Quelque chose, dit Périne Faivre, se joue de sacré qui vient re-raconter l’histoire des Hommes.» Des moments de théâtre en partie fondés sur l’improvisation, l’interaction avec le public et  inspirés par des rituels de société comme un enterrement, un cortège de mariage, une manifestation politique etc. et qui participent d’un «être ensemble». Mais ces spectacles ont  souvent quelque chose d’artificiel et en arrivent même à être des produits commerciaux avec « animations de théâtre déambulatoire interactif technologique pour cocktails d’entreprise ».

Il y a heureusement dans ce livre Une Brève histoire de la marche par Stéphanie Ruffier. Cette enseignante et chercheuse analyse finement cet acte à la fois humain et animal en la reliant à «la leste dérive imaginée le situationniste Guy-Ernest Debord questionnant la validité du hasard». Et elle voit «dans la marche collective, un geste artistique frondeur comme chez Dada, Antonin Artaud ou Tadeusz Kantor.»

 

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©x Tadeusz Kantor  Transport d’une lettre grand format

Mais ce grand artiste polonais à l’avant-garde des arts plastiques au croisement avec le théâtre, réalisa en fait peu de marches et plutôt des actions impliquant du public, notamment autour et à l’intérieur d’un lieu où avait lieu un de ses spectacles. Comme à Cracovie, à Malakoff avec La Poule d’eau ou au Théâtre National de Chaillot avec Les Mignons et les Guenons, deux pièces adaptées de Witkiewicz.
Et dans un genre très voisin, Meredith Monk en 71 à New York puis la compagnie Fartov et Belcher de Guy Lenoir, Gilbert Tiberghien et Yvon Blanlœil à Bordeaux en 77-78, réalisèrent des spectacles déambulatoires- on ne disait pas encore performances- où le public migrait d’un endroit à l’autre, à pied et dans un autobus où se jouaient aussi de courtes scènes.

Cinquante ans plus tard, la déambulation comme genre théâtral n’est pas toujours convaincante. Stéphanie Ruffier remarque qu’elle peut «entraîner un public dans un mouvement de groupe, voire de foule» comme, avec ses marionnettes géantes, le célèbre Royal de Luxe. Mais de là, à y voir: un «dérangement, perturbation des flux ordinaires tout autant que vitalité, souffle onirique et concret, libido-instinct de vie et moteur qu’elle nous tend et nous meut étymologiquement jusqu’à la pleine satisfaction», l’auteure fait sans doute preuve d’un bel optimisme que nous ne partageons pas tout à fait.

Reste un livre de témoignages de quatre jours de discussion peu éclairants. Il pourra éventuellement servir dans quelques décennies aux chercheurs et historiens… Ou être  un des matières premières  pour écrire une véritable histoire du théâtre déambulatoire écrite par Stéphanie Ruffier. Elle en a la compétence et l’énergie. Pour le moment, tous les spectacles de rue sont, comme les autres, à l’arrêt et on attend des nouvelles des festivals qui, pour certains, auront lieu mais sous une forme réduite! Et de toute façon, avec cette crise sanitaire qui s’éternise, les cartes du théâtre dans les salles comme dans les espaces publics, vont sans doute être fortement rebattues...

Et quid, du festival d’Aurillac, le plus connu en France pour le théâtre de rue… Actuellement, il aurait lieu sous réserve d’annulations en dernière minute mais d’une ampleur limitée et étalé dans le temps, adapté aux contraintes sanitaires, avec capacité d’accueil réduite et stricts protocoles d’accès. Du 12 au 14 août pour les spectacles créés en 2.020, puis du 19 au 21 août pour ceux créés en 2.021. Dans des sites clos et maîtrisables en termes de jauge et circulation. Cela exclut pratiquement toute forme de théâtre déambulatoire dans une rue ou dans un espace public et  sans doute les mêmes conditions sanitaires s’appliqueront-elles aux autres festivals de théâtre de rue… « Nous vivons une époque moderne, disait Philippe Meyer… »

Philippe du Vignal

Editions 1.000 kilos. 19 €.

On peut consulter aussi très utilement  Comment ça commença? et  40 ans d’art de la rue de Floriane Gaber:.

 

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