Entretien avec Frédéric Dautigny, directeur de l’Atomik Family

Entretien avec Frédéric Dautigny, directeur de l’Atomik Family

© C. Mourthé

© Christophe Mourthé

-Parlez-nous de votre enfance…

-Chez les forains, nous sommes magiciens de père en fils, de mère en fille. Les femmes sont voyantes et les hommes s’illustrent par l’originalité d’un répertoire souvent emprunté à la prestidigitation. Peut-être un cliché mais dans ma tribu, c’était le cas! J’ai eu une éducation religieuse stricte et j’ai compris que toutes les grandes civilisations se sont construites sur des actes de magie. Et qu’elle pouvait me faire entrer là ou ma condition sociale ne me le permettait pas et qu’avec elle, je n’aurai plus jamais faim ni soif.

 -Et ensuite ?

-J’ai eu mon premier engagement sérieux au Cirque de Mexico en 1985 à Mérida (Venezuela) devant l’Université des Andes. J’avais acheté mon matériel à la Casa Magica d’Henry à Caracas chez mon maître et mentor Alain P., un Français en cavale en Amérique latine. Il m’a initié à la tricherie, à la cartomagie moderne, au pickpockettisme et à la manipulation de cartes sur scène.

J’ai été son complice pendant quatre ans mais j’avais le droit de faire seulement des tours devant lui et ses femmes… A l’époque pas d’Internet et trouver des livres de magie était difficile! Un lien sacré unissait donc le maître et l’apprenti. J’ai tout pris comme un cadeau, comme une révélation. Puis en 1989, j’ai débarqué en France et suis allé au congrès de l’Association Française des Artistes Prestidigitateurs à Cannes où j’ai rencontré Tommy Wonder, Lubor Fielder, Bébel, Majax, Bruno Copin et sa muscade ensorcelée. Et des femmes m’ont soutenu, éduqué et ont fait évoluer ma perception du monde. Ensuite des amis artistes, techniciens et entrepreneurs de spectacle m’ont permis de découvrir la richesse et la complexité de la magie…

Aujourd’hui, notre exposition animée investit des châteaux, hôtels, jardins, sites architecturaux, musées, galeries d’art et festivals dans le monde entier. Elle prend la forme d’une visite guidée par petits groupes selon une durée précise, exactement comme pour un entre-sort. Le spectateur n’est pas captif et nous exploitons sa curiosité pour tout ce qui est étrange, primitif, animal, dépaysant…

 -Et votre cabinet de curiosités?

-Dans cette exposition, le public rencontre des créatures étranges, voit farces surnaturelles et trésors cachés, que l’on offre aux regards par intermittence ou pour une brève visite et il se souviendra alors de ce qu’il avait oublié. La Famille Atomik est douée d’une aura singulière dont la vertu magique est attachée à la culture de la curiosité et du mystère. Et nous intégrons une touche humoristique à la mise en scène qui, avec le boniment, est si outrancière que le public en perçoit l’intention comique. En jouant sur cette frontière, nous le rendons complice de l’arnaque. Par « cabinet de curiosités », nous entendons bien sûr, la mise en scène d’individus ayant des anomalies physiques, mentales ou comportementales, réelles ou simulées pour le divertissement… et le profit.

-Quelles sont vos relations avec les autres magiciens ou artistes ?

J’admire les prestations de Channing Pollock, Haruo Shimada, Slydini… En cartomagie, René Lavand, Ricky Jay, Del Ray et Steve Forte m’ont aussi impressionné. Comme Philippe Genty et ses marionnettes: je n’ai toujours pas compris ses trucages. Mais j’aime beaucoup aussi aussi ces chorégraphes de génie que sont Pina Bausch et Carolyn Carlson, des clowns comme Grock, Georges Carl, Oleg Popov et le provocateur Léo Bassi. Le conteur Georges Gougaud, les mimes Marcel Marceau et Claude Kipnis et de grands acteurs comme Charlie Chaplin, Orson Welles et Guy Williams, le Zorro mythique dont je suis aujourd’hui le sosie officiel. Mais je suis surtout attiré par la tricherie sacrée, la para-psychologie, la magie «rêvante», bizarre ou rituelle, celle aussi qui  est liée au conte, au théâtre d’objets, à la marionnette et aux arts décoratifs…  Bref, celle qui se lit comme un bulletin d’informations du divin.

 -Vous avez été influencé par des bateleurs et charlatans?

Bien sûr, mais aussi par des illuminés ou gourous, des penseurs,  poètes et écrivains ésotériques. Et par des fabricants d’entre-sorts, des faussaires et autres artistes atypiques. Les magiciens sont à la fois metteurs en scène, acteurs et à un degré très variable, mécaniciens. Mais aussi sculpteurs, décorateurs et costumiers, électroniciens, auteurs, communicants, entrepreneurs… Un vrai sacerdoce et mieux vaut ne pas l’oublier, si on veut durer dans ce métier.

 -Il semble qu’on assiste de plus en plus à un démembrement de la magie? -Oui, sans doute à cause d’une idéologie qui a fait de nous  des acteurs du lien social, du vivre ensemble et non plus d’éternels rebelles au grand cœur…  Avec le corporatisme et la copie, on force l’artiste à entrer dans un moule façonné par les «docteurs de l’art collégial ». Conséquences: plus de magie avec animaux, ballons et pyrotechnie mais bientôt avec le digital et le virtuel, sans doute plus un magicien sur scène ! Et le public verre des spectacles qui ont les mêmes codes et moyens d’expression…

Notre but : créer un divertissement plaisant mais aussi donner forme à ce qui doit rester l’indicible par excellence. Pour l’Atomik Family, le magique est avant tout la surprise et la turbulence. Chaque art possède en sa mémoire mythique, une parcelle du savoir caché de l’univers et celui des magiciens a, et au plus haut degré, cette réminiscence. Sans culture, notre art disparaîtrait et deviendrait vite un puzzle… Comment répondre à  cet engouement pour la pensée magique? En inventant des histoires? En évoquant des mystères de pacotille? Le magicien, chroniqueur, faiseur d’opinion et maître du verbe, doit connecter une histoire à une expérience émotive forte. Il fait le lien entre culture populaire et culture savante… En théorie bien sûr, mais dans la réalité du marché, c’est plus difficile et nous sommes aujourd’hui souvent perçus comme des amuseurs publics qui doivent, s’ils veulent remplir leur marmite, s’adapter au niveau culturel de leur auditoire.

- A part la magie, vous faites quoi, de la cuisine, vous vous baladez?

-Oui bien sûr mais pas seulement. J’aime aussi créer des jardins, aller à la pêche, faire des voyages, rechercher des artefacts anciens. Et j’ai commencé à écrire un livre qui rassemble et révèle nos idées, textes mais aussi nos fêlures et notre singularité artistique…

Sébastien Bazou

Interview réalisée le 7 mars. https://www.facebook.com/lafamilleatomik/

 

 

 

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