L’occupation des théâtres continue… (suite et non pas fin)

L’occupation des théâtres continue… (suite et non pas fin)

 L’éventuel confinement qui semblait inéluctable, entrera en vigueur cette semaine, entre autres, vient de dire Jean Castex, dans seize départements et l’Ile-de-France. Et par ailleurs, le mouvement national d’occupation des lieux culturels se poursuit. A Paris, l’Odéon-Théâtre de l’Europe est toujours occupé depuis quinze jours et celui de la Colline, depuis le 9 mars. Nous vous en reparlerons…

En banlieue parisienne, (voir Le Théâtre du Blog), les apprentis de l’École Supérieure des Comédiens par l’Alternance-Le Studio-ESCA occupent le T2G Théâtre de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis) depuis le 15 mars. Avec le soutien unanime de l’équipe du théâtre qui s’associe aux journées d’actions communes lancées par le Syndicat National des Entreprises Artistiques et Culturelles sous le mot d’ordre: Le printemps est inexorable.  #feuvertpourculture.

L’équipe du T2G invite le public à la rejoindre le samedi 20 mars à partir de 12h, sur le parvis, pour un moment de dialogue et d’actions en compagnie de son équipe, des apprentis de l’ESCA, de Patrice Gelbart, chef du restaurant Youpi au théâtre, avec la participation des élèves du Conservatoire Edgar Varèse de Gennevilliers.

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Toujours en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers, le Théâtre  de la Commune est occupé à partir d’aujourd’hui jeudi 18 mars par les élèves de la classe d’art dramatique du C.R.R. 93. Ils seront bientôt rejoints par les étudiants des C.R.D. de Bobigny et Pantin.
Ils investissent la Commune-Centre Dramatique National pour « faire entendre les théâtres décentralisés ainsi que les villes discriminées par la politique culturelle nationale, pour en faire un nouveau lieu d’occupation propice à la rencontre, à la création artistique et à la revendication. »

Ils travaillent ici comme ailleurs sur « les dates d‘ouverture des lieux, la prolongation de l’année blanche,  l’aide à la totalité des travailleurs à temps partiel et précaires de notre secteur, le refus de la réforme du chômage. Mais ils défendent aussi un R.S.A. accessible à dix-huit ans, une entrée progressive dans l’intermittence pour les jeunes, un statut d’étudiant pour les élèves de Conservatoires, etc. En jonction avec d’autres occupant les lieux, mais aussi avec de jeunes artistes aussi travaillant à une politique culturelle qui leur laisserait plus de place et de pouvoir. » Des actions artistiques et politiques vont suivre dans ce département, l’un des plus pauvres de France et un de ceux les plus  touchés par le covid. Sans doute, un hasard…

Philippe du Vignal

 


Archive pour 18 mars, 2021

La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, adaptation de Peter Brook, texte français de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

On connait le scénario compliqué de cette longue pièce-culte si souvent jouée… Le roi du Danemark meurt brutalement de façon mystérieuse et sa veuve Gertrud se remarie très vite avec Claudius, son beau-frère. Mais le fils du roi et de la reine, le prince Hamlet, ne supporte  pas ce remariage. La nuit sur les remparts, il rencontre le spectre de son père qui lui révèle avoir été assassiné par Claudius. Hamlet qui aime la belle Ophélie, la fille du seigneur Polonius en reste très perturbé. Quand arrivent au château, des comédiens ambulants, Hamlet va alors leur faire introduire dans leur pièce une allusion évidente au meurtre du roi par Claudius. Scandale immédiat de cette représentation. Claudius se méfie d’Hamlet et demande à Polonius de l’espionner. Mais Hamlet tuera d’un coup de poignard Polonius caché derrière un rideau. La jeune fille qu’Hamlet injurie, deviendra folle et ira se noyer. Puis Claudius manigancera la mort d’Hamlet avec Laërte, le frère d’Ophélie, lui aussi fou de douleur…

A l’occasion d’un combat d’escrime organisé par le roi pour sceller une prétendue réconciliation, Hamlet et Laërte échangent leurs fleurets. Mais Laërte sera blessé à mort par la lame empoisonnée destinée à Hamlet. Et la reine s’empoisonnera elle aussi en buvant la coupe que devait boire son fils. Et Hamlet tuera Claudius. Fin de ces meurtres en série et de la plus célèbre pièce de toute l’histoire du théâtre occidental qui a été mise en scène  par les plus grands metteurs en scène et fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma…

©-Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Guy-Pierre Couleau s’est demandé quelle était est la véritable tragédie d’Hamlet et y voit une quête personnelle et métaphysique de chacun d’entre nous, ce qui est tout à fait juste. « Quand, jour après jour, dans une multitude d’actes infimes ​ou remarquables, nous sommes confrontés à notre propre destin que faire? Quelle décision prendre? Vers quel chemin me tourner? Que dire? Où regarder? (…) Face aux innombrables sens et références de la pièce, je ne me fixe qu’un rêve: faire entendre cet «éblouissant chef-d’œuvre de théâtre à double sens» comme le dit René Girard, où justice et innocence sont les véritables protagonistes.»

Et le metteur en scène a fait un choix radical, en choisissant l’adaptation qu’en avait faite Peter Brook qui avait monté la pièce en 1955 au Phoenix Theatre à Londres et au Arts Theatre de Moscou. Et il a entrepris «un nouveau voyage théâtral sur cette œuvre extraordinaire en compagnie de quelques artistes qui me font la confiance de m’accompagner. »  Sur le plateau en angle du Théâtre 13 Jardin au sous-sol d’un HLM,  le plus raté et le plus difficile de Paris, aucun décor autre que des châssis à l’envers contre le mur du fond. Juste quelques chaises dépareillées où s’assoient les acteurs quand ils ne jouent pas, du moins au début et qui semblent s’ennuyer un peu. Une vieille trouvaille brechtienne que Guy-Pierre Couleau aurait pu nous épargner. Pas grave  mais cela donne un côté statique et c’est dommage…

Nous sommes partagés quant à sa mise en scène.D’un côté, un texte resserré et limité à l’essentiel mais parfaitement lisible, joué sans entracte et en à peine deux heures. Cela donne à cette réalisation une solidité et un rythme que l’on ne trouve pas souvent dans les mises en scène d’Hamlet qui ont le plus souvent tendance à s’éterniser. Mais Guy-Pierre Couleau aurait quand même dû rétablir la scène où Ophélie offre des fleurs au roi et à la reine à qui elle dit : « Et pour vous madame, voici de la rue et j’en garderai un peu pour moi. Nous pouvons bien toutes deux l’appeler: herbe de grâce mais elle doit avoir à votre main, un autre sens qu’à la mienne…» Ce qui ouvre des perspectives sur Ophélie, quand on sait que cette plante était couramment utilisée pour ses vertus abortives! A la décharge de Guy-Pierre Couleau, comment faire passer le sens du mot rue?

Mais on comprend mal les jets de fumigène à vue que diffuse un acteur au tout début, un tapis avec une tête dessinée, les lumières de couleur, les fréquents allers et retours dans la salle où officient les fossoyeurs avec une gestuelle approximative. Et ces costumes contemporains de tous les jours qui sont assez laids. Tout cela pour dire que nous sommes bien au théâtre? Mais ces choix sont-ils convaincants?

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Côté jeu, mention tout à fait spéciale à Benjamin Jungers (Hamlet) qui a une diction sans faille où chaque phrase, dite avec une grande précision, est une flèche qui atteint avec précision le public. Et ce jeune acteur sait donner, sans jamais forcer et sans une seule criaillerie, une vérité, une ampleur et une intériorité tout à fait impressionnante à son personnage. Et pour une fois ce qui est rare, il a l’âge du rôle. Un belle performance… Emil Abossolo M’Bo, un acteur de chez Peter Brook, est lui aussi remarquable dans le rôle de Polonius. Mais l’ensemble de l’interprétation est, disons, inégale, même si Bruno Boulzaguet, Marco Caraffa,  Anne Le Guernec, Nils Ohlund et Thomas Ribière font le boulot. En tout cas, on comprend parfaitement le texte et c’est une grande qualité de ce travail… Mais moins le choix de Sandra Sadhardheen qui semble avoir bien du mal à assumer son personnage d’Ophélie, même si on la voit peu au cours de la pièce…  Sa relation avec Hamlet comme avec le Roi ou la Reine n’est pas très crédible, ce qui est plutôt ennuyeux et soudain, elle se met à danser et plutôt bien, mais pourquoi ?

La mise en scène que Guy-Pierre Couleau a voulu en  accord avec ce texte dépouillé, a un aspect assez sec où l’émotion n’a donc guère de place. Mais ce travail souffre de cet espace scénique particulièrement ingrat et qui ne rend pas service à une telle pièce. On peut rêver mais on verrait bien cet Hamlet avec toute la rigueur de cette mise en scène, dans le jardin d’un vieux château, en tout cas en plein air, avec des éclairages rigoureux et de costumes mettant en valeur les personnages. Cette réalisation aurait alors une toute autre dimension et on ne dira jamais assez l’importance d’une scénographie adaptée, surtout pour une pièce comme Hamlet.  Donc, à suivre…

Philippe du Vignal

Représentation pour professionnels vue le 10 mars, au Théâtre 13 Jardin, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème).

Les 27 et 28 avril, Les Scènes du Jura-Scène Nationale de Dôle-Lons-le-Saulnier. Le 30 avril, ABC Dijon- Scène Pluridiciplinaire, Dijon (Côte-d’Or).

Le 11 mai, L’Esplanade du lac, Divonne-les-bains (Ain).

Le 30 septembre, Théâtre d’Auxerre (Yonne).

Le 9 novembre, Le Carré-Scène Nationale, Château-Gontier (Mayenne).

En décembre, Théâtre Victor Hugo, Bagneux (Hauts-de Seine).

 

Tout sera différent d’Agathe Charnet, mise en scène de Maya Ernest et Carla Azoulay-Zerah

Tout sera différent d’Agathe Charnet, mise en scène de Maya Ernest et Carla Azoulay-Zerah

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Les professionnels de la profession assistent presque en catimini, l’après-midi avant le couvre-feu, à quelques «sorties de résidences». Au pluriel: le terme semble indiquer une certaine stabilité mais en fait il représente un vrai nomadisme pour les compagnies. Les Théâtres, Scènes Nationales et institutions culturelles offrent une semaine, voire quarante-huit heures  seulement, de travail tranquille dans un lieu adapté à un travail de création. Il faut donc avoir l’âme solide et flexible mais les projets avancent comme ça…. Jusqu’à  arriver, en des temps plus heureux, à l’état de spectacle en public.

La jeune compagnie Avant l’Aube -premier spectacle en 2015- mais déjà expérimentée, a bénéficié de dix résidences avec présentations publiques quand c’était possible ou professionnelles où le texte a été sélectionné et primé. Bonne organisation, bon plan d’action de l’autrice et les metteuses en scène lestées d’un solide et utile bagage universitaire: Sciences Po et une expérience du journalisme ont ainsi donné à Agathe Charnet le regard et et l’acuité d’une sociologue pour saisir l’air du temps dans sa gravité et opérer la synthèse entre vécu de chacune et information générale.

Thème central aujourd’hui: la mémoire et l’identité. Une mère atteinte d’une forme précoce d’Alzheimer, l’angoisse pour sa fille de la voir devenue inaccessible. Sans que cette mère ait eu le temps de lui transmettre ses souvenirs et son histoire. Bon nombre de textes ont été écrits là-dessus ces dernières années, dont les pièces d’Alexandra Badéa ou L’Art de perdre d’Alice Zéniter auquel les créatrices du spectacle rendent hommage. Mais Tout sera différent n’arrive pas encore à ce degré de force et d’évidence, pris entre un besoin d’authenticité et le désir de faire de l’effet.

Pourquoi pas, quand il s’agit, pour l’héroïne-narratrice,  du souvenir imaginaire de sa naissance ? Un moment d’enfer, d’agitation de « petits hommes verts » (la couleur des  blouses jetables) de cris et matières diverses projetées sur un voile de plastique. Bienvenu en ce qu’il protège le public, tout en laissant voir une scène fantasmée… Une idée esthétique dans la lignée de Romeo Castellucci ou d’Angelica Liddell, et un effet utile. Un autre moment, théâtral celui-ci, avec un silence de plus en plus lourd  dans un réveillon de l’an 2.000. Se creuse une faille qui s’agrandit entre ces amies: deux mémoires et identités…inconciliables. Un cataclysme annoncé pour le nouveau millénaire !

Le  reste, dont la satire d’un jury de thèse -bien vue mais dessinée à gros traits- est plus banal et quelque chose manque à cette écriture : une structure plus ferme, conduite par la quête de la fille et la poésie de ce personnage/narratrice. Mais nous avons vu seulement quarante-cinq minutes d’un spectacle conçu pour durer deux heures, avec nous promet-on., quelques surprises… Les autrices et metteuses en scène ne manquent pas d’idées y compris pour diriger les garçons. Elsa Chomienne a inventé une scénographie simple: des rideaux de plastique accompagnent, amplifient même les gestes et émotions, en les rendant très concrets.

Pour le moment, même sur un thème dans l’air du temps, Tout sera différent n’a pas encore trouvé toute sa force. Mais difficile pour les actrices de s’imposer  quand survient un véritable orage sur le toit très sonore du Grand Parquet, même venu à point nommé dans une scène de famille… Demain, en vraie grandeur,  tout sera différent...

Christine Friedel

Présentation pour les professionnels vue le 12 mars au Grand Parquet, Paris (XIX ème).

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