La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, adaptation de Peter Brook, texte français de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne, mise en scène de Guy-Pierre Couleau
On connait le scénario compliqué de cette longue pièce-culte si souvent jouée… Le roi du Danemark meurt brutalement de façon mystérieuse et sa veuve Gertrud se remarie très vite avec Claudius, son beau-frère. Mais le fils du roi et de la reine, le prince Hamlet, ne supporte pas ce remariage. La nuit sur les remparts, il rencontre le spectre de son père qui lui révèle avoir été assassiné par Claudius. Hamlet qui aime la belle Ophélie, la fille du seigneur Polonius en reste très perturbé. Quand arrivent au château, des comédiens ambulants, Hamlet va alors leur faire introduire dans leur pièce une allusion évidente au meurtre du roi par Claudius. Scandale immédiat de cette représentation. Claudius se méfie d’Hamlet et demande à Polonius de l’espionner. Mais Hamlet tuera d’un coup de poignard Polonius caché derrière un rideau. La jeune fille qu’Hamlet injurie, deviendra folle et ira se noyer. Puis Claudius manigancera la mort d’Hamlet avec Laërte, le frère d’Ophélie, lui aussi fou de douleur…
A l’occasion d’un combat d’escrime organisé par le roi pour sceller une prétendue réconciliation, Hamlet et Laërte échangent leurs fleurets. Mais Laërte sera blessé à mort par la lame empoisonnée destinée à Hamlet. Et la reine s’empoisonnera elle aussi en buvant la coupe que devait boire son fils. Et Hamlet tuera Claudius. Fin de ces meurtres en série et de la plus célèbre pièce de toute l’histoire du théâtre occidental qui a été mise en scène par les plus grands metteurs en scène et fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma…
© Laurent Schneegans
Guy-Pierre Couleau s’est demandé quelle était est la véritable tragédie d’Hamlet et y voit une quête personnelle et métaphysique de chacun d’entre nous, ce qui est tout à fait juste. « Quand, jour après jour, dans une multitude d’actes infimes ou remarquables, nous sommes confrontés à notre propre destin que faire? Quelle décision prendre? Vers quel chemin me tourner? Que dire? Où regarder? (…) Face aux innombrables sens et références de la pièce, je ne me fixe qu’un rêve: faire entendre cet «éblouissant chef-d’œuvre de théâtre à double sens» comme le dit René Girard, où justice et innocence sont les véritables protagonistes.»
Et le metteur en scène a fait un choix radical, en choisissant l’adaptation qu’en avait faite Peter Brook qui avait monté la pièce en 1955 au Phoenix Theatre à Londres et au Arts Theatre de Moscou. Et il a entrepris «un nouveau voyage théâtral sur cette œuvre extraordinaire en compagnie de quelques artistes qui me font la confiance de m’accompagner. » Sur le plateau en angle du Théâtre 13 Jardin au sous-sol d’un HLM, le plus raté et le plus difficile de Paris, aucun décor autre que des châssis à l’envers contre le mur du fond. Juste quelques chaises dépareillées où s’assoient les acteurs quand ils ne jouent pas, du moins au début et qui semblent s’ennuyer un peu. Une vieille trouvaille brechtienne que Guy-Pierre Couleau aurait pu nous épargner. Pas grave mais cela donne un côté statique et c’est dommage…
Nous sommes partagés quant à sa mise en scène.D’un côté, un texte resserré et limité à l’essentiel mais parfaitement lisible, joué sans entracte et en à peine deux heures. Cela donne à cette réalisation une solidité et un rythme que l’on ne trouve pas souvent dans les mises en scène d’Hamlet qui ont le plus souvent tendance à s’éterniser. Mais Guy-Pierre Couleau aurait quand même dû rétablir la scène où Ophélie offre des fleurs au roi et à la reine à qui elle dit : « Et pour vous madame, voici de la rue et j’en garderai un peu pour moi. Nous pouvons bien toutes deux l’appeler: herbe de grâce mais elle doit avoir à votre main, un autre sens qu’à la mienne…» Ce qui ouvre des perspectives sur Ophélie, quand on sait que cette plante était couramment utilisée pour ses vertus abortives! A la décharge de Guy-Pierre Couleau, comment faire passer le sens du mot rue?
Mais on comprend mal les jets de fumigène à vue que diffuse un acteur au tout début, un tapis avec une tête dessinée, les lumières de couleur, les fréquents allers et retours dans la salle où officient les fossoyeurs avec une gestuelle approximative. Et ces costumes contemporains de tous les jours qui sont assez laids. Tout cela pour dire que nous sommes bien au théâtre? Mais ces choix sont-ils convaincants?
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Côté jeu, mention tout à fait spéciale à Benjamin Jungers (Hamlet) qui a une diction sans faille où chaque phrase, dite avec une grande précision, est une flèche qui atteint avec précision le public. Et ce jeune acteur sait donner, sans jamais forcer et sans une seule criaillerie, une vérité, une ampleur et une intériorité tout à fait impressionnante à son personnage. Et pour une fois ce qui est rare, il a l’âge du rôle. Un belle performance… Emil Abossolo M’Bo, un acteur de chez Peter Brook, est lui aussi remarquable dans le rôle de Polonius. Mais l’ensemble de l’interprétation est, disons, inégale, même si Bruno Boulzaguet, Marco Caraffa, Anne Le Guernec, Nils Ohlund et Thomas Ribière font le boulot. En tout cas, on comprend parfaitement le texte et c’est une grande qualité de ce travail… Mais moins le choix de Sandra Sadhardheen qui semble avoir bien du mal à assumer son personnage d’Ophélie, même si on la voit peu au cours de la pièce… Sa relation avec Hamlet comme avec le Roi ou la Reine n’est pas très crédible, ce qui est plutôt ennuyeux et soudain, elle se met à danser et plutôt bien, mais pourquoi ?
La mise en scène que Guy-Pierre Couleau a voulu en accord avec ce texte dépouillé, a un aspect assez sec où l’émotion n’a donc guère de place. Mais ce travail souffre de cet espace scénique particulièrement ingrat et qui ne rend pas service à une telle pièce. On peut rêver mais on verrait bien cet Hamlet avec toute la rigueur de cette mise en scène, dans le jardin d’un vieux château, en tout cas en plein air, avec des éclairages rigoureux et de costumes mettant en valeur les personnages. Cette réalisation aurait alors une toute autre dimension et on ne dira jamais assez l’importance d’une scénographie adaptée, surtout pour une pièce comme Hamlet. Donc, à suivre…
Philippe du Vignal
Représentation pour professionnels vue le 10 mars, au Théâtre 13 Jardin, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème).
Les 27 et 28 avril, Les Scènes du Jura-Scène Nationale de Dôle-Lons-le-Saulnier. Le 30 avril, ABC Dijon- Scène Pluridiciplinaire, Dijon (Côte-d’Or).
Le 11 mai, L’Esplanade du lac, Divonne-les-bains (Ain).
Le 30 septembre, Théâtre d’Auxerre (Yonne).
Le 9 novembre, Le Carré-Scène Nationale, Château-Gontier (Mayenne).
En décembre, Théâtre Victor Hugo, Bagneux (Hauts-de Seine).