L’occupation des théâtres continue (suite et non pas fin)….
L’occupation des théâtres continue (suite et non pas fin) …
L’Odéon a des airs de fête sur le parvis une cinquantaine de personnes venues soutenir les occupants. Il y a une agora tous les jours à 14 h avec prises de parole depuis le balcon et les fenêtres du Théâtre. En bas des marches, un drapeau noir planté… Et au mur, symbole des jours anciens, une affiche «orpheline» de Comme tu me veux de Luigi Pirandello, mise en scène de Stéphane Braunschweig avec, entre autres, Claude Duparfait, Lamya Régragui, Chloé Réjon, un spectacle reporté comme tant d’autres… Sur les marches, un petit orchestre: saxos, synthé, guitare…
Sur la façade, des banderoles et sur les grilles, des photos des héros de la Commune: Herminie Cadolle (1842-1924), membre de l’Union des femmes qui s’engage dans la Commune en 1871. Elle devint ensuite la créatrice d’une maison de lingerie qui existe toujours et créa le premier soutien-gorge moderne… Mais aussi Reine Cottin, Jules Fontaine, Eugène Pottier: en juin 1871, caché dans Paris, il écrira son célèbre poème L’Internationale, mais aussi Marie Daviet, Albert Regnard, Raoul Rigaut, etc. Les acteurs énumèrent les noms des lieux occupés au mégaphone depuis le balcon du théâtre…
Et à l’intérieur quarante occupants -moitié femmes/moitié hommes- occupent les lieux par roulement: arrivée à 9 h ou à 19 h, avec une obligation: passer deux nuits de suite, après inscription sur une liste. Qui sont-ils? A la fois, des intermittents du spectacle mais aussi des techniciens, des gens de Radio France, etc. nous dit Thibault Lacroix, l’acteur-fétiche de Vincent Macaigne que nous avons pu rencontrer… derrière les grilles hermétiquement fermées. » Les visiteurs sont priés de rester dehors. On nous a donné accès à une seule douche et nous dormons sur des matelas-mousse dans des sacs de couchage que l’on nous a apportés. Cela fait du bien de se sentir soutenu. Les vigiles qui font leur boulot, sont très gentils avec nous. Chaque jour, on vient nous offrir de la nourriture. » Et du côté du Gouvernement ? « Des paroles, des paroles… mais on attend des actes: nos revendications portent sur l’amélioration de l’ensemble des travailleurs précaires et des chômeurs. »
L’occupation se poursuivra dans l’attente de réponses concrètes. « En attendant, sont venues nous faire une petite visite début mars, Elisabeth Borne, ministre du Travail et Roselyne Bachelot, ministre de la Culture: « Nous travaillons, a-t-elle dit, à maintenir les droits des intermittents et nous les protègerons ». (…) « Le gouvernement travaille même à améliorer les dispositions en particulier avec les primo-entrants car il faut protéger les jeunes dans la Culture. Mais Roselyne Bachelot, dit Thibault Lacroix, a eu ensuite des mots très durs que nous ne méritons pas: « L’occupation des lieux de culture n’est pas le bon moyen, c’est inutile. (…) Ces manœuvres sont dangereuses, car elles mettent en menace des lieux patrimoniaux fragiles. »
« Qu’attendons-nous? Pas grand-chose pour le moment. Mais d’abord et encore une fois, la réouverture rapide des lieux culturels dans le respect des consignes sanitaires et entre autres, une prolongation de l’année blanche pour les intermittents et son élargissement à tous les travailleurs précaires et saisonniers. Que les gens qui nous gouvernent, prennent leur retraite, poursuit Thibault Lacroix. Le jour où ils feront de la politique comme les musiciens font de la musique, nous verrons… Macron fête le deux centième anniversaire de la mort de Napoléon et nous, celui des cent cinquante ans de la Commune. Chacun, ses choix. «
Et comment cela se passe avec la Direction de l’Odéon? « Stéphane Braunschweig est là et est venu fumer une cigarette avec nous… Bien entendu, nous respectons scrupuleusement les répétitions du spectacle de Christophe Honoré dans la grande salle où nous dormons la nuit, même si le grand lustre reste éclairé. Et la journée, nous sommes installés dans le Foyer devenu le lieu symbolique où s’expriment les revendications des artistes mais aussi de tous les sans-voix durement touchés par la crise. Soyons clairs: si nous n’occupions pas les théâtres, nos concitoyens ne comprendraient pas et ne reviendraient pas ensuite voir nos spectacles. Le mouvement initié à l’Odéon a fait tache d’huile et il y a maintenant quelque soixante lieux culturels occupés dont nous citons la liste par mégaphone chaque jour… A ma connaissance du jamais vu, même en 68. » Effectivement, l’occupation de L’Odéon en 68 s’était faite dans un joyeux foutoir avec des vols et quelques dégradations mais aussi et surtout des assemblées générales tous les jours.
Un souvenir marquant de cette occupation de 68: un intervenant avait fait une remarque sur la politique culturelle et, dans la salle, une dame d’une soixantaine d’années avait pris la parole de façon courtoise. Et quand on lui avait demandé de se présenter, elle avait simplement dit: « Je suis Jeanne Laurent. » Et toute la salle s’était levée et l’avait applaudie. Cette Résistante et haute fonctionnaire (1902-1989) au ministère de l’Education Nationale alors en charge de la Culture, avait mis en place la décentralisation théâtrale et avait proposé en 1951 à Jean Vilar la direction du Théâtre National Populaire… qu’il accepta. Bien vu. On connaît la suite.
« On voudrait nous interdire de jouer Le Tartuffe mais en l’occurrence qui est le Tartuffe dans l’histoire, dit Thibault Lacroix. Avec toutes ces interdictions ridicules et pas respectées, ces papiers d’autorisation de sortie qui changent tout le temps? » Bref, quand tout va mal, mieux vaut se réfugier dans Shakespeare… semble aussi dire cet amateur de grands textes. Il dit avec passion et virtuosité devant Ekaterina Bogopolskaia, notre amie journaliste russe venue faire un reportage filmé mais aussi pour quelques curieux ravis, le soixante-sixième des Sonnets de Shakespeare: « Lassé de tout au monde, à la mort j’en appelle, Las de voir le mérite en état de mendier, L’inanité médiocre encensée à la ronde, Le plus pur des serments honteusement trahi,La simple vérité au bord de la sottise, Le bien servile ayant le mal pour capitaine. (…) Exténué de tout, de tout je voudrais fuir, N’était que par ma mort mon amour serait seul. » Puis l’acteur enchaîne en russe, pour lui faire plaisir, quelques vers de Pouchkine… Et cite enfin quelques répliques du Fou et La Nonne du grand auteur polonais Witkiewicz.
Au Volcan-Scène Nationale du Havre
Des acteurs, artistes, travailleurs précaires… occupent aussi les lieux, avec un protocole similaire. Dans la grande salle, les représentations pour professionnels continuent dont Rabudôru, poupée d’amour, le spectacle d’Olivier Lopez dont nous vous reparlerons. Et dans le grand espace du bar, les occupants- ici comme ailleurs à la fois des intermittents du spectacle et des travailleur sans statut ont installé des tentes, matelas -tout est absolument impeccable- et bien entendu, ils communiquent souvent avec l’Odéon, depuis trois semaines maintenant vaisseau amiral de cette lutte que Jean Castex semble bien laisser pourrir… Pas d’intervention d’Edouard Philippe, maire du Havre ni du Préfet….mais les Renseignements Généraux ne se privent pas de vérifier que tout va bien, y compris par SMS: nous vivons une époque moderne trouvait Philippe Meyer… « Et dit lucidement Sarah Barbey, une des occupantes, la sous-préfecture du Havre ou la Préfecture de Rouen peuvent très bien faire évacuer les lieux et nous infliger une amende de 135 € chacun… « Le directeur du Volcan, Jean Driant soutient la lutte des occupants et est venu mardi 24 dîner avec eux. D’un lieu à l’autre, les modes d’action et revendications sont les mêmes. Mais les intermittents du spectacle qui ont un statut exceptionnel -résultat de luttes de leurs prédécesseurs et que bien des artistes de pays voisins nous envient- n’entendent pas en être privés. Une prise de conscience qui n’existait pas beaucoup il y a un an s’est développée: les intermittents ont été très vite rejoints par les élèves des Conservatoires et des écoles de théâtre à Lille, Bordeaux, Paris, etc. qui s’inquiètent et à juste raison pour leur avenir. En tout cas, la circulation de la parole existe comme jamais depuis mai 68. « L’utopie est la vérité de demain, écrivait déjà Victor Hugo. A suivre…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, Paris (VI ème) le 20 mars. Le Volcan du Havre, le 23 mars.