Zébrures de Printemps : Festival des écritures
Zébrures de Printemps : Festival des écritures à Limoges
Ce Festival de printemps consacré à l’éclosion des écritures théâtrales francophones a vu sa première édition annulée l’an dernier, pour cause de confinement. Il renait cette année, mais à jauge réduite, et en présence des seuls professionnels. Le public pourra, et c’est heureux, découvrir certaines pièces entendues en lecture, sous forme de spectacles cet automne, comme L’Amour telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Junior, La Cargaison de Souleymane Bah ou Chaos de Valentine Sergo… Nous avons découvert les lauréats des Prix partenaires des Francophonies, celui de R.F.I. : Souleymane Bah, de la S.A.C.D. : Andrise Pierre et d’Etc Caraïbes: Françoise Dô. Et de jeunes autrices venues en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies où ont été accueillis quelque deux cents écrivains francophones depuis 1988. Avec trois studios et un espace partagé, cette Maison leur offre aussi l’accompagnement de dramaturges et metteurs en scène chevronnés…
Cette manifestation printanière est l’occasion pour le nouveau directeur, Hassane Kassi Kouaté, de faire valoir ces activités peu visibles mais, pour lui, essentielles : «Qui va faire aujourd’hui sortir les Hakim Bah, les Aristide Tarnagda… sinon nous ? Je veux rester sur ce créneau et les autrices -pas assez nombreuses- sont aussi une priorité. Soutenues par des parrains et marraines dans leur pays, elles pourront faire plusieurs séjours à Limoges.»
Malgré quelques annulations, il y a eu une dizaine de lectures à l’Espace Noriac, une ancienne chapelle et dans des établissements scolaires des environs. Nous en aurons vu en un seul week-end suffisamment pour apprécier ce Festival des écritures. Comme l’affirme Hassane Kassi Kouaté, l’enjeu principal reste de «parler du monde autrement, par d’autres fenêtres, sous d’autres angles ».
L’Amour telle un cathédrale ensevelie de Guy-Régis Junior
Resté à Port-au-Prince où il dirige le festival des Quatre-Chemins (voir Le Théâtre du blog), l’auteur haïtien a confié la mise en espace de sa dernière pièce à Catherine Boskowitz. Mais il en assurera la création aux Zébrures d’automne, avec la même distribution. Cela commence très fort avec une première scène, entre La Mère du Fils intrépide et Le Retraité Mari. Elle: -Enlève ta main. Ne me touche pas. Je déteste ta main posée sur moi. Je déteste que tu me touches. » Lui : -Je t’aime. Elle: -Foutre! Ne me touche pas. La haine, ma haine est meilleure que ton amour. »
Pourquoi tant de haine? A l’image de la cathédrale Notre-Dame de Port-au-Prince, anéantie par un tremblement de terre et toujours en ruines comme le pays, l’amour de cette femme est mort, avec la disparition de son fils sue les routes de l’exil… Elle l’avait devancé en allant dans une région du Nord, épouser un veuf retraité, pour avoir l’argent nécessaire à l’éducation du jeune homme resté au pays. Vain sacrifice.
Après ce violent préambule, la pièce bascule: l’histoire de ce jeune homme ouvre une béance dans le huis-clos irrespirable du couple, un chant tragique où alternent le français et le créole. Sur «un petit voilier en haute mer, engorgé de boat-peoples, Le Fils intrépide filme et chante, pendant qu’un chœur de boat-people donne le refrain et chante à leur tour. » L’appel du large apporte un souffle poétique à la pièce qui s’achève sur un magnifique monologue de la mère: Nathalie Vairac, une actrice guadeloupéenne à qui le texte est dédié. Amos Coulanges, Fred Fachéna, Wilda Philippe et Léo Jean Baptiste servent cette performance et cela laisse augurer d’un très beau spectacle dont la partie en mer sera chantée et filmée. Tournage prévu sur l’île de Gorée au Sénégal où travaille actuellement Nathalie Vairac. A suivre…
Chaos de Valentine Sergo
L’autrice qui dirige une compagnie indépendante à Genève, présente une pièce avec quatre comédiens, qu’elle mettra en scène aux Zébrures d’automne. Hayat, dix-huit ans, a quitté son pays en guerre, après avoir accouché clandestinement et abandonné sa fille à une mère dure et résignée et à un père incestueux. On la retrouve dix ans après, femme de ménage dans un E.P.H.A.D., terrorisée à l’idée de perdre son travail. Où est passée la jeune rebelle affrontant sans peur les soldats et qui rêvait d’être danseuse ?
L’écriture avec des allers et retours entre présent et passé, charrie le vécu douloureux des victimes de conflits. Valentine Sergo puise son inspiration dans les ateliers d’écriture et de jeu qu’elle mène en Suisse auprès de femmes migrantes. Mais aussi en Cisjordanie où elle est allée plusieurs fois, à l’invitation d’associations humanitaires, pour diriger des groupes de théâtre amateur rassemblant Israëliens et Palestiniens : «J’ai entendu beaucoup d’histoires: toutes ces voix se sont cristallisées en une seule femme, Hayat.» L’autrice, en mêlant plusieurs destins en un seul personnage, charge un peu la barque, mais son écriture alerte et un montage serré de courtes séquences où chaque situation reste en suspens, évitent le pathos. On s’attache dès lors à cette histoire familiale qui devrait devenir une trilogie: Cyclone.
Sur les pas de Kateb Yacine, extraits de son œuvre poétique, imaginé et porté à la scène par Mohamed Kacimi
« Quand je pense au théâtre, je vois d’abord ma mère, elle fut un merveilleux théâtre, elle avait le coup d’œil de l’enfant terrible.» Ainsi commence cet hommage accompagné par la voix profonde et les compositions mélodieuses de Souad Massi. Présent aux Zébrures d’automne avec Congo Jazz Band, l’auteur revient à Limoges et fait revivre en deux heures son compatriote disparu il y a trente ans. Un spectacle créé en mars dernier à la Maison de la Poésie à Paris mais qui n’a pu y être joué pour cause de covid. C’est un vrai bonheur de e suivre sur les traces de l’écrivain kabyle dont on apprend en fait que le prénom est Yacine, et le nom de famille : Kateb.
A partir d’entretiens, archives filmées, émissions de radio, nous remontons jusqu’à son enfance dans une famille «atteinte du virus artistique» où les scènes de ménage se faisaient en vers. Sous l’injonction de son père, le jeune poète se forme à la langue française. « L’école française allait m’arracher à ma mère. (…) J’avais perdu ma mère et ma langue. » Nous assistons avec lui aux massacres de Sétif, le 8 mai 1945 où sa mère est devenue folle, parce qu’elle le croyait mort. Mais aussi à la rencontre avec son grand amour, sa cousine Nedjma. Et à des épisodes plus cocasses comme celui où dans un bordel à Constantine, une prostituée amoureuse de lui obligeait chacun de ses clients à acheter Soliloques, son premier recueil de poésie. Cela fit de lui à dix-sept ans, «peut-être le seul poète au monde qui pouvait vivre de sa plume, en faisant vendre sa poésie dans un bordel arabe par une pute analphabète à des lecteurs qui ne savaient ni lire ni écrire. »
Bientôt, le voilà en France. «Monté à Paris au même âge que Rimbaud! » Il rencontre un Aragon bien peu sympathique mais aussi Paul Eluard et il se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre. En Algérie, en pleine guerre, il travaille au quotidien Alger Républicain dirigé par Henri Alleg et raconte comment il y a publié un reportage sur un pèlerinage à la Mecque où il n’a jamais mis les pieds. Mais le journalisme l’ennuie. Et paraitra Nedjma, une bombe dans le ciel de la littérature. Dans ces mêmes années, Jean-Marie Serreau montera confidentiellement à Bruxelles sa pièce Le Cadavre encerclé.
Malgré le soutien d’Armand Gatti et d’autres écrivains ou artistes, il reste marginalisé , en France comme dans son pays, à cause de ses positions radicales. Sa grande amertume : l’Indépendance tuée dans l’oeuf dès 1962 : «L’armée a fait entrer les loups islamiques dans la bergerie algérienne, au premier jour de l’Indépendance. » Mohamed Kacimi conclut par un texte qui rejoint ses propres convictions… et d’une brûlante actualité: «Si je devais laisser un testament, c’est ma haine des religions. Ce qui a esquinté le monde, ce qui m’a esquinté et ce qui vous esquinte aujourd’hui, ce sont les religions. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité ».
Habile conteur, Mohamed Kacimi, par cette biographie poétique et riche en anecdotes, ressuscite avec ferveur et humour celui qui voulait «mettre à nu la barbarie coloniale en utilisant comme un barbare, la langue française. (…) Que la langue française parle algérien. » Une invitation à poursuivre ce voyage avec la lecture de l’œuvre de Kateb Yacine, qui constatait, non sans ironie: «Je suis un mythe, tout le monde me connait mais personne ne m’a lu.» Il faut espérer que ce spectacle puisse continuer son périple…
Mireille Davidovici
Les Zébrures du printemps, du 20 au 28 mars.
Les Francophonies des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne) T. : 05 55 10 90 10.