Deuxième version de Rabudôru, poupée d’amour, écriture et mise en scène d’Olivier Lopez

Deuxième version de Rabudôru, poupée d’amour, écriture et mise en scène d’Olivier Lopez (à partir de douze ans)

Signe des temps: il y a deux versions de cette pièce. L’une filmée par des cadreurs  qui suivent les acteurs et visible en simultané sur Internet. Recréation, traduction, transposition? On choisira… En tout cas, pas une captation… tant mieux, plutôt réservée à des plans fixes et en principe destinée à un usage interne par les compagnies. Et l’autre sur une scène avec écran dans le fond où sont retransmis en gros plan, les visages des personnages.

Nous vous avions parlé de cette expérience en novembre dernier (voir Le Théâtre du Blog) qui rappelle -un peu- le bon vieux temps d’Au Théâtre ce soir, cette émission de télévision encore en noir et blanc mais très populaire créée par Pierre Sabbagh en 1966. Il y avait la force du direct, et même si cela ne plaisait guère à une critique de gauche, vu le peu d’originalité des pièces ainsi recréée. Et aussi un moment de théâtre avec le partage sinon d’un même espace mais d’un même temps, entre quelques centaines de spectateurs à Paris et un autre public immense mais invisible assis devant un écran de télévision… Depuis les caméras ont beaucoup évolué, comme le théâtre et la retransmission en général. Pour Nabudoru, poupée d’amour : 3.025 lectures pour 1.406 connexions uniques à travers quarante-trois pays, ce qui était inimaginable il y a même vingt ans.

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©Alban Van Wassenhove

Alban Van Wassenhove

Mais cela donne-t-il envie à un éventuel public y aller voir de plus près? Non, et fonctionnent bien mieux, de courts extraits en général impeccablement filmés et ensuite diffusés dans un  Journal Télévisé national. La frustration… une vieille et bonne recette que connaissent bien les grands théâtres nationaux. Cinquante secondes sur une grande chaîne la veille au soir, et à Chaillot, au temps de Jérôme Savary, les ventes de billets le lendemain matin s’enflammaient… Il était donc intéressant d’aller voir la pièce, en vrai comme disent les enfants, sur un plateau de théâtre comme celui du Volcan au Havre, même sans véritable public avec, pour filmer cette version, des cadreurs discrets sur le plateau. Où est cassée toute possibilité d’illusion, mais cette fois en trois dimensions et non plus en images sur un écran! Sans doute la première fois pour un critique; le chemin étant toujours inverse!

 

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©Alban Van Wassenhove

 

 

La douzaine de spectateurs que nous étions dans cette salle de quelque sept cent places a donc vu «en présentiel » comme dirait Macron, l’histoire de ce jeune couple qui attend un enfant. Nora et Thierry vivent dans une petite ville de la province française où, comme souvent, hélas, les industries locales sont durement touchées par la concurrence asiatique. L’entreprise de jouets où ils travaillent, qu’un groupe japonais, la Rabudôru Industry a racheté, va devoir fabriquer de belles poupées en silicone à taille humaine et à vagin amovible, vendues là-bas à des milliers d’exemplaires… La direction propose à Thierry un travail intéressant avec des responsabilités et beaucoup mieux  payé. Mais Nora refuse de fabriquer ces curieuses femmes-objets, au nom du danger moral qu’à son avis, elles représentent pour la société. Un point de vue sans doute occidental! Pour nous, cette poupée aux arrières goûts de poupée gonflable donc connotée sex-shop a sans doute quelque chose d’ambigu, entre rêve de possession sentimentale et usage sexuel d’un mannequin produit industriellement, sans aucune identité et ravalé au rang de denrée consommable.

C’est aussi la question même de l’objet fantasmé qu’aborde aussi finement Olivier Lopez. Nora va quand même réussir à créer un mouvement social dans cette entreprise qui n’avait pas besoin de cela, aux dires de Thierry, en désaccord total avec sa compagne. Crise dans le couple: lui, ambitieux, ne résiste pas aux sirènes de la Direction qui lui offre ce poste de cadre dont il rêvait. Et pour montrer l’exemple, il achète une de ces poupées pour réconforter son père qui a un sérieux début d’Alzheimer… Certains de ses collègues approuvent la lutte de la jeune femme et la soutiennent mais d’autres voient  dans cette nouvelle orientation de l’usine, une possibilité de les sauver d’une faillite menaçante. La fabrication, très au point, fonctionne bien mais les ventes  ne décollent pas… Différence de culture, prix élevé, mauvaise anticipation d’un marché plus limité qu’annoncé,  conflits dans l’entreprise…Bref, rien n’est vraiment dans l’axe!

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© Alban Van Hassenhove

Mais Thierry s’accroche, croit beaucoup à ce concept, révolutionnaire selon lui. Miracle en effet : son père, depuis qu’il a cette poupée,  semble aller un peu mieux… Le médecin de famille veut se reconvertir et devenir chanteur… Comme il a besoin d’argent, « acheté » par Rabudôru Industry, il vantera les bienfaits du produit auprès de ses patients seuls et/ou malades. Thierry lui, a investi son argent personnel dans l’aventure. Au grand effroi de sa compagne qui voit s’envoler l’espoir d’une maison bien à eux, et arriver sans doute la mort programmée de son couple. Thierry reprend espoir: tout d’un coup, les ventes commencent en effet à se développer mais retombent et l’entreprise cette fois  n’y survivra pas… Le jeune couple non plus.

Ce spectacle, très rodé, a été joué depuis plusieurs fois au Luxembourg, pays moins rigide que la France, côté contraintes sanitaires. Et cela donne quoi ? A la fois, du bon et du moins bon, en sachant que c’est, de toute façon, une étape de travail. Difficile pour les acteurs en effet de jouer sans vrai public… Ils sont pourtant tous très solides : Laura Deforge, une des remarquables clownesses de Bienvenue en Corée du Nord  qu’avait créé Olivier Lopez il y a trois ans (voir Le Théâtre du Blog) est tout à fait convaincante en Nora. Même si, au début, le texte patine un peu et si la jeune actrice qui  a une belle présence, semble avoir un peu de mal à s’adresser à ses copains syndicalistes prétendument réunis dans cette grande salle vide. Alexandre Chatelin, lui, joue très finement le compagnon de Nora hésitant sans arrêt et qui finit par s’empêtrer dans ce plan mal arrimé où il perdra jusqu’à son identité et son argent personnel. David Jonquières est aussi très crédible dans le rôle de ce médecin naïf, fasciné par les grandes figures de la chanson rock qui veut se reconvertir comme chanteur.

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© Alban Van Hassenove

Mention très spéciale à Didier de Neck, comédien et metteur en scène belge qui joue ce père atteint d’Alzheimer réussissant à apprendre le néerlandais! Comme c’est la langue natale de ce formidable acteur, il nous embarque avec une grande aisance dans cette fable contemporaine.

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©Alban Van Hassenove

Direction d’acteurs irréprochable mais cette mise en scène souffre d’une installation de tubes fluo aux couleurs qui changent, montée sur châssis roulants et inspirée par les belles sculptures lumineuses de l’artiste américain Dan Flavin. Mais ce qui se voit moins retransmis sur un écran, prend ici une importance que rien ne justifie. Les acteurs et régisseurs passent beaucoup de temps à les faire circuler et à les disposer autrement sur ce grand plateau -en fait, quelques dizaines de secondes- mais cela ne fonctionne pas bien, parasite l’action et casse le rythme.

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©Alban Van Hassenove

Autre réserve : deux écrans en fond de scène où on voit mal, parce que mal éclairés, les acteurs en gros plan. Désolé, cette vieille recette n’apporte strictement rien…  Venue d’Allemagne il y a une vingtaine d’années et très souvent utilisée par des metteurs en scène comme, entre autres, Frank Castorf et devenue un véritable fléau… Les acteurs étant réduits à des petites marionnettes surtout sur un aussi grand plateau. Dans ce Rabudôru, poupée d’amour, il y a en fait trop d’informations à percevoir : texte, son, lumières prégnantes, gros titres projetés, jeu des acteurs, présence de la poupée… Bref, cette  mise en scène pourrait  être assez facilement épurée. Mais bon, nous avons assisté à une représentation qui n’en est pas vraiment une, et un metteur en scène, même averti comme Olivier Lopez, peut-il créer dans ces conditions l’irremplaçable « hic et nunc » depuis que le théâtre existe? La réponse est malheureusement non, quand la salle est vide. Il vaudra mieux retrouver Rabudôru, poupée d’amour, un spectacle d’une indéniable qualité, au Théâtre des Halles à Avignon où il devrait prendre sa véritable dimension.

Philippe du Vignal

Représentation pour les professionnels vue le 23 mars au Volcan-Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime). 

Sous réserve: festival off d’Avignon, Théâtre des Halles du 7 au 27 juillet.

 

 


Archive pour 31 mars, 2021

Deuxième version de Rabudôru, poupée d’amour, écriture et mise en scène d’Olivier Lopez

Deuxième version de Rabudôru, poupée d’amour, écriture et mise en scène d’Olivier Lopez (à partir de douze ans)

Signe des temps: il y a deux versions de cette pièce. L’une filmée par des cadreurs  qui suivent les acteurs et visible en simultané sur Internet. Recréation, traduction, transposition? On choisira… En tout cas, pas une captation… tant mieux, plutôt réservée à des plans fixes et en principe destinée à un usage interne par les compagnies. Et l’autre sur une scène avec écran dans le fond où sont retransmis en gros plan, les visages des personnages.

Nous vous avions parlé de cette expérience en novembre dernier (voir Le Théâtre du Blog) qui rappelle -un peu- le bon vieux temps d’Au Théâtre ce soir, cette émission de télévision encore en noir et blanc mais très populaire créée par Pierre Sabbagh en 1966. Il y avait la force du direct, et même si cela ne plaisait guère à une critique de gauche, vu le peu d’originalité des pièces ainsi recréée. Et aussi un moment de théâtre avec le partage sinon d’un même espace mais d’un même temps, entre quelques centaines de spectateurs à Paris et un autre public immense mais invisible assis devant un écran de télévision… Depuis les caméras ont beaucoup évolué, comme le théâtre et la retransmission en général. Pour Nabudoru, poupée d’amour : 3.025 lectures pour 1.406 connexions uniques à travers quarante-trois pays, ce qui était inimaginable il y a même vingt ans.

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©Alban Van Wassenhove

Alban Van Wassenhove

Mais cela donne-t-il envie à un éventuel public y aller voir de plus près? Non, et fonctionnent bien mieux, de courts extraits en général impeccablement filmés et ensuite diffusés dans un  Journal Télévisé national. La frustration… une vieille et bonne recette que connaissent bien les grands théâtres nationaux. Cinquante secondes sur une grande chaîne la veille au soir, et à Chaillot, au temps de Jérôme Savary, les ventes de billets le lendemain matin s’enflammaient… Il était donc intéressant d’aller voir la pièce, en vrai comme disent les enfants, sur un plateau de théâtre comme celui du Volcan au Havre, même sans véritable public avec, pour filmer cette version, des cadreurs discrets sur le plateau. Où est cassée toute possibilité d’illusion, mais cette fois en trois dimensions et non plus en images sur un écran! Sans doute la première fois pour un critique; le chemin étant toujours inverse!

 

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©Alban Van Wassenhove

 

 

La douzaine de spectateurs que nous étions dans cette salle de quelque sept cent places a donc vu «en présentiel » comme dirait Macron, l’histoire de ce jeune couple qui attend un enfant. Nora et Thierry vivent dans une petite ville de la province française où, comme souvent, hélas, les industries locales sont durement touchées par la concurrence asiatique. L’entreprise de jouets où ils travaillent, qu’un groupe japonais, la Rabudôru Industry a racheté, va devoir fabriquer de belles poupées en silicone à taille humaine et à vagin amovible, vendues là-bas à des milliers d’exemplaires… La direction propose à Thierry un travail intéressant avec des responsabilités et beaucoup mieux  payé. Mais Nora refuse de fabriquer ces curieuses femmes-objets, au nom du danger moral qu’à son avis, elles représentent pour la société. Un point de vue sans doute occidental! Pour nous, cette poupée aux arrières goûts de poupée gonflable donc connotée sex-shop a sans doute quelque chose d’ambigu, entre rêve de possession sentimentale et usage sexuel d’un mannequin produit industriellement, sans aucune identité et ravalé au rang de denrée consommable.

C’est aussi la question même de l’objet fantasmé qu’aborde aussi finement Olivier Lopez. Nora va quand même réussir à créer un mouvement social dans cette entreprise qui n’avait pas besoin de cela, aux dires de Thierry, en désaccord total avec sa compagne. Crise dans le couple: lui, ambitieux, ne résiste pas aux sirènes de la Direction qui lui offre ce poste de cadre dont il rêvait. Et pour montrer l’exemple, il achète une de ces poupées pour réconforter son père qui a un sérieux début d’Alzheimer… Certains de ses collègues approuvent la lutte de la jeune femme et la soutiennent mais d’autres voient  dans cette nouvelle orientation de l’usine, une possibilité de les sauver d’une faillite menaçante. La fabrication, très au point, fonctionne bien mais les ventes  ne décollent pas… Différence de culture, prix élevé, mauvaise anticipation d’un marché plus limité qu’annoncé,  conflits dans l’entreprise…Bref, rien n’est vraiment dans l’axe!

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© Alban Van Hassenhove

Mais Thierry s’accroche, croit beaucoup à ce concept, révolutionnaire selon lui. Miracle en effet : son père, depuis qu’il a cette poupée,  semble aller un peu mieux… Le médecin de famille veut se reconvertir et devenir chanteur… Comme il a besoin d’argent, « acheté » par Rabudôru Industry, il vantera les bienfaits du produit auprès de ses patients seuls et/ou malades. Thierry lui, a investi son argent personnel dans l’aventure. Au grand effroi de sa compagne qui voit s’envoler l’espoir d’une maison bien à eux, et arriver sans doute la mort programmée de son couple. Thierry reprend espoir: tout d’un coup, les ventes commencent en effet à se développer mais retombent et l’entreprise cette fois  n’y survivra pas… Le jeune couple non plus.

Ce spectacle, très rodé, a été joué depuis plusieurs fois au Luxembourg, pays moins rigide que la France, côté contraintes sanitaires. Et cela donne quoi ? A la fois, du bon et du moins bon, en sachant que c’est, de toute façon, une étape de travail. Difficile pour les acteurs en effet de jouer sans vrai public… Ils sont pourtant tous très solides : Laura Deforge, une des remarquables clownesses de Bienvenue en Corée du Nord  qu’avait créé Olivier Lopez il y a trois ans (voir Le Théâtre du Blog) est tout à fait convaincante en Nora. Même si, au début, le texte patine un peu et si la jeune actrice qui  a une belle présence, semble avoir un peu de mal à s’adresser à ses copains syndicalistes prétendument réunis dans cette grande salle vide. Alexandre Chatelin, lui, joue très finement le compagnon de Nora hésitant sans arrêt et qui finit par s’empêtrer dans ce plan mal arrimé où il perdra jusqu’à son identité et son argent personnel. David Jonquières est aussi très crédible dans le rôle de ce médecin naïf, fasciné par les grandes figures de la chanson rock qui veut se reconvertir comme chanteur.

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© Alban Van Hassenove

Mention très spéciale à Didier de Neck, comédien et metteur en scène belge qui joue ce père atteint d’Alzheimer réussissant à apprendre le néerlandais! Comme c’est la langue natale de ce formidable acteur, il nous embarque avec une grande aisance dans cette fable contemporaine.

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©Alban Van Hassenove

Direction d’acteurs irréprochable mais cette mise en scène souffre d’une installation de tubes fluo aux couleurs qui changent, montée sur châssis roulants et inspirée par les belles sculptures lumineuses de l’artiste américain Dan Flavin. Mais ce qui se voit moins retransmis sur un écran, prend ici une importance que rien ne justifie. Les acteurs et régisseurs passent beaucoup de temps à les faire circuler et à les disposer autrement sur ce grand plateau -en fait, quelques dizaines de secondes- mais cela ne fonctionne pas bien, parasite l’action et casse le rythme.

©x

©Alban Van Hassenove

Autre réserve : deux écrans en fond de scène où on voit mal, parce que mal éclairés, les acteurs en gros plan. Désolé, cette vieille recette n’apporte strictement rien…  Venue d’Allemagne il y a une vingtaine d’années et très souvent utilisée par des metteurs en scène comme, entre autres, Frank Castorf et devenue un véritable fléau… Les acteurs étant réduits à des petites marionnettes surtout sur un aussi grand plateau. Dans ce Rabudôru, poupée d’amour, il y a en fait trop d’informations à percevoir : texte, son, lumières prégnantes, gros titres projetés, jeu des acteurs, présence de la poupée… Bref, cette  mise en scène pourrait  être assez facilement épurée. Mais bon, nous avons assisté à une représentation qui n’en est pas vraiment une, et un metteur en scène, même averti comme Olivier Lopez, peut-il créer dans ces conditions l’irremplaçable « hic et nunc » depuis que le théâtre existe? La réponse est malheureusement non, quand la salle est vide. Il vaudra mieux retrouver Rabudôru, poupée d’amour, un spectacle d’une indéniable qualité, au Théâtre des Halles à Avignon où il devrait prendre sa véritable dimension.

Philippe du Vignal

Représentation pour les professionnels vue le 23 mars au Volcan-Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime). 

Sous réserve: festival off d’Avignon, Théâtre des Halles du 7 au 27 juillet.

 

 

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