Adieu Irène Ajer

Adieu Irène Ajer

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Peu connue du grand public, elle vient de s’éteindre après une « longue maladie » à quatre-vingt ans après une vie consacrée à la cause du théâtre public. Après avoir fait Sciences Po à Paris, elle avait fréquenté l’Université Internationale du Théâtre des Nations et l’Ecole Maximilien Decroux. Un parcours déjà atypique… Puis elle avait très jeune, travaillé à la Direction des spectacles au Ministère de la Culture où nous l’avions rencontrée la première fois en 1968 dans ce merveilleux petit hôtel particulier rue Saint-Dominique (qui avait aussi été un sinistre lieu de torture pendant l’occupation allemande!).

Un jour, grâce à un coup de baguette magique, -je n’étais pas encore critique de théâtre- elle m’avait fait obtenir, me sentant passionné, une place pour voir Apocalypsis cum figuris du grand Polonais Jerzy Grotowski (1933-1999) dans une scénographie bi-frontale (du jamais vu à l’époque!) au Théâtre de l’Epée de bois situé à l’époque, au coin de la  rue de l’Epée de bois et de la rue Mouffetard à Paris. Mais la salle ne pouvant accueillir qu’une quarantaine de personnes, elle était donc inaccessible en cas de succès! Un geste que l’on n’oublie jamais…  Irène Ajer  devint cheffe du Bureau des jeunes compagnies et de la création dramatique et accompagna le parcours de jeunes inconnus à l’époque comme, entre autres: Jean-Pierre Vincent, Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine, Jacques Lassalle, Bernard Sobel…  Irène Ajer fut ensuite nommée chef du service de l’inspection de la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles, avant d’être plus tard Inspectrice Générale du Théâtre.

Entre temps, elle assura  de nombreuses fonctions dans le domaine culturel. Chargée de mission auprès d’Emile Biasini pour l’aménagement de la côte Aquitaine, puis auprès de Philippe Tiry à l’Office national de Diffusion Artistique, avant d’être directrice de la Maison de la Culture d’Orléans dans les années soixante-dix. Toujours souriante et aimable, elle ne transigeait pas sur le plan artistique et juste après un aussi court que mauvais spectacle d’un marionnettiste américain, elle bondit sur la scène! La suite dans les coulisses entre la directrice qu’elle était et ce pseudo-artiste, avait dû être assez mouvementée… En 1985, elle devint administratrice générale de l’ I.R.C.A.M. dirigé par Pierre Boulez.  Un temps, elle avait été aussi responsable de la Culture à la Mairie de Boulogne (Hauts-de Seine) mais peu encline aux concessions, elle avait préféré démissionner. Puis elle assura aussi la préfiguration de la Cité de la Musique et mit en place le Centre National du costume de scène et de la scénographie à Moulins (Allier). Et elle fut aussi nommée présidente de Molières en 2008. Irène Ajer avait un amour sans faille pour toutes les composantes du théâtre, y compris l’enseignement qu’elle connaissait bien et protégea l’Ecole du Théâtre National de Chaillot, quand elle fut menacée par des gens… du Ministère de la Culture. Là aussi, intransigeante et déterminée, elle oubliait les mesquineries de la profession et avait une haute idée de la notion de service public. 

Merci, Irène pour ce que tu auras beaucoup donné, dans l’ombre mais aussi à des postes élevés et convoités, au théâtre contemporain et au monde de la culture.

Philippe du Vignal

Les obsèques d’Irène Ajer auront lieu mardi 9 mars à l’église Saint-Roch, Paris (Ier). Métro : Palais-Royal.

 


Archive pour mars, 2021

Hermann de Gilles Granouillet, mise en scène de François Rancillac

Hermann - C. Charryere, C. Proust - photo C. Raynaud de Lage

© Chritophe Raynaud De Lage

Hermann de Gilles Granouillet, mise en scène de François Rancillac

 L’auteur et le metteur en scène n’en sont pas à leur première collaboration et cette sixième création commune ne dément pas la richesse de leurs échanges. Une fidélité artistique rare, dit Gilles Granouillet. Ecrite en 2013, selon la commande faite par une compagnie du Nord, la pièce devait se passer dans le milieu scientifique de cette région avec quatre personnages. L’écrivain stéphanois y a répondu par une histoire qui défie la science en introduisant un grain de folie dans une intrigue apparemment réaliste. Son attirance pour les pays de l’Est et l’Ukraine où il est allé en résidence, ont été une source d’inspiration ainsi que la maladie d’Alzheimer d’une proche.

La pièce commence par le récit de Léa, mère de famille et neurologue dans un hôpital du Nord. Elle reconnaît, au bout d’un long couloir aveugle, derrière une porte entrebâillée, un patient rencontré vingt ans auparavant quand elle débutait dans un service psychiatrique dans le Midi. Boris Hermann, jeune homme sans mémoire, apparemment venu de Russie, est une énigme que la pièce va dévoiler dans un long flash-back. Sur les traces d’une histoire d’amour jusqu’au Sud de la France, en  Russie et en Pologne. L’apparition d’Hermann fait voler en éclats le couple conventionnel et bourgeois que forment la belle Olia et le riche cardiologue Daniel Streiberg ;  Olia va abandonner son confort pour suivre jusqu’à en perdre la raison son amant fantomatique. Et la vie sans histoires de cette neurologue, vacille…
 

Le cas d’Hermann bouleverse aussi les repères des scientifiques et traverse le temps sans une ride. Son inaltérable jeunesse est-elle l’image de l’amour idéal à la poursuite duquel se sont lancés Olia et son fiancé, quand Hermann, revenu de la guerre en Afghanistan, devient amnésique? L’homme  est peut-être, conclut  Léa, «une histoire d’amour, une pure histoire d’amour qui ne s’éteint pas. », l’objet même de sa quête (en allemand Herr Mann : “Homme  Homme“). Nous sommes dans le temps du récit de Léa, avec les tours que lui joue sa mémoire. Au bord de la fiction. 

François Rancillac s’empare de cette fable en ancrant les personnages dans un apparent  réalisme, avec des images qui marquent les lieux du drame. On passe du couloir aveugle de l’hôpital défilant sans fin sur l’écran, à l’exubérance de la végétation méridionale mais aussi à des vues de Pologne ou d’une salle commune d’établissement psychiatrique… Raymond Sarti a ménagé plusieurs plans sur la profondeur du plateau qui s’ouvrent et se referment à mesure que l’on s’engouffre dans les souvenirs de Léa.

Les comédiens jouent avec subtilité sur différents registres. Daniel Kenigsberg est un Daniel Streiberg émouvant de maladresse mais qui porte aussi un regard critique sur son état de médecin « plein aux as dans la grosse bagnole, garée devant la grosse villa, avec de gros soucis d’impôts. » (…) « Je dirais que je vis avec le sentiment de de devenir lentement mais sûrement, un gros con. » Cet humour est partagé par le personnage de Léa, interprétée par Claudine Charreyre, à la fois femme de poigne et déroutée par cette affaire. Lenka Luptákova donne une dignité de façade à Olia avant qu’elle ne s’égare dans la démence. Hermann (Clément Proust) traverse le temps avec équanimité, fixé sur la recherche de sa mémoire oubliée… 

 Le metteur en scène n’hésite pas à faire glisser les acteurs dans une démesure contrôlée qui rend à la pièce une dimension irrationnelle, avec des épisodes où, quand les repères se brouillent, le quotidien se décale en farce grotesque ou en folie tragique. Pour Gilles Granouillet, « dès que la vie se rouille sous le poids des renoncements, dès que les êtres s’atrophient sous la grisaille de l’habitude, s’immisce un grain de sable qui fait soudain dérailler le cours des choses, éjecte les humains de leur ornière et les pousse brusquement à aller voir ailleurs s’ils y sont. »

 Les dérapages vers des zones où tout, comme dans un conte, devient possible, sont ici parfaitement assumés et nous ravissent mais en laissant un goût amer.  « Quand je relis aujourd’hui cette pièce, écrit Gilles Granouillet, je voudrais y ajouter les vers qui suivent et qui épousent cette volonté farouche d’aimer qui traverse chaque personnage d’Hermann : “Mais n’est-ce pas le pire piège, que vivre en paix pour des amants?»

 Mireille Davidovici

Représentation réservée aux professionnels vue le 5 mars, au Théâtre des Deux Rives, Charenton (Val-de-Marne).

Les 25 et 26 mars, Espace culturel Albert Camus, Le Chambon-Feugerolles, (Haute-Loire).
Le 7 avril, La Maison des arts du Léman, Scène Nationale de Thonon-Evian (Haute-Savoie), le 13 avril, Espace Saint-Exupéry, Franconville (Val-d’Oise), le 15 avril, Théâtre Victor Hugo, Bagneux (Hauts-de-Seine). 
Et le 6 mai, L’Onde, Vélizy-Villacoublay (Yvelines)

Et pour la saison 21/22, Scène Nationale de Dieppe, Théâtre d’Aurillac, Théâtre de Roanne, etc.

 

La pièce est publiée à L’Avant-Scène Théâtre.

 

 

Les petits cadeaux continuent

Les petits cadeaux continuent…

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A défaut de théâtre/théâtre, un peu de musique ne peut pas faire de mal… Déjà trois brillants interprètes suisses dont Jacky Rohner, avaient joué ensemble dans la montagne dirigé par un  lapin. Puis toujours ensemble mais confinés chez eux (voir Le Théâtre du Blog). Cette fois, avec le même concept, L’Ensemble Symphonique de Neuchâtel et le collectif Supermafia conjuguent performance musicale et scénographie lumineuse interactive par le biais d’une vidéo.  Comme ils  ne pouvaient se réunir à plus de cinq, l’automne dernier trente instrumentistes ont enregistré tour à tour La Danse sacrale, dernier mouvement du Sacre du Printemps d’Igor Stravinski. Grâce à la magie de l’électronique, le résultat a été démultiplié comme si l’œuvre était jouée avec l’effectif initial.
 
Déjà l’Orchestre de la Suisse Romande, le Philharmonique de New York et plusieurs autres ensembles avaient proposé sur internet des versions confinées du Boléro de Ravel lors de la première vague de covid-19. Obligé d’annuler sa programmation de novembre, vu l’ordonnance du canton interdisant les réunions de plus de cinq personnes, L’E.S.N. a lancé alors un ambitieux projet, The Isolated Ensemble, avec le collectif Supermafia. Pour faire aller à son paroxysme cette idée de musique confinée  et réaliser une véritable performance artistique.
 
Avec sa rythmique complexe et tribale, sa marque indélébile de modernité et la nécessité d’avoir un orchestre important, la partition Le Sacre du Printemps s’est imposé naturellement à Victorien Vanoosten, le directeur artistique et musical de l’E.S.N. qui a eu  la volonté de créer un acte pluridisciplinaire. Avec un défi: faire jouer cette partition  par des musiciens isolés mais virtuellement multipliés, puisque l’œuvre requiert un effectif quatre fois plus important.
Durant cinq jours en novembre, ils sont donc venus à La Case à Chocs à Neuchâtel  enregistrer leur partition une deux, trois, voire cinq  fois de suite, en suivant les instructions du directeur musical et de l’ingénieur du son. Accompagnés à l’écran pa une scénographie interactive  imaginée par le collectif neuchâtelois Supermafia. Conçu pour l’occasion, un écran réagit en fonction des instrumentistes, créant alors une dynamique lumineuse différente pour chaque son joué. Et on peut ainsi voir une fresque mosaïquée de  quatre-vingt onze musiciens! Soit un orchestre classique  mais cette vidéo virtuellement construite puis déconstruite, associe un patrimoine séculaire avec un art graphique contemporain minimaliste.
Elle sera diffusée sur le site you Tube de L’E.S.N. ce samedi 20 mars, premier jour du printemps. Mais leurs auteurs souhaitent en faire plus tard une véritable installation artistique dans une salle et avec un vrai public, dès que la situation le permettra…

Ionesco Suite textes d’Eugène Ionesco, mise en scène d’Emmanuel Dermarcy-Motta

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Demain vendredi 5 mars à 14h, représentation tous publics, avec la troupe du Théâtre de la Ville à Paris, et samedi 6 mars à 19h. Sur le site du Théâtre de la Ville.

« Depuis bientôt un an, face à cette terrible pandémie, nous cherchons à inventer un programme solidaire pour le temps présent en réunissant des partenaires issus de la culture, de la santé, de l‘éducation et du champ social pour créer de nouveaux liens et préserver l’acte artistique, dit le metteur en scène. » Cette représentation sera filmée et diffusée en direct pour tous publics, en lien avec les lycées, les structures hospitalières et celles du champ social. Suivra une rencontre zoom avec l’équipe artistique et la participation exceptionnelle de Marie-France Ionesco.

Plus de deux cent classes de collèges et lycées de toute la France pourront aussi assister à ces représentations depuis leurs classes et partager un temps d’échange avec l’équipe. Des connexions seront  aussi mises en place avec plusieurs hôpitaux de l’Assistance Publique.  « Une traversée dans l’humour noir et féroce de Ionesco réinventée pour « ces «directs». Issu d’improvisations, Ionesco suite est une navigation au cœur des obsessions marquantes de l’écrivain, dit Emmanuel Demarcy-Motta: la difficulté d’être, la manifestation du pouvoir et de la domination, l’arbitraire du langage. »

Philippe du Vignal

Mithridate de Jean Racine,mise en scène d’Éric Vigner, réalisation de Stéphane Pinot et Mithridate par Mithridate par la Comédie-Française

Mithridate de Jean Racine, mise en scène d’Éric Vigner, film de Stéphane Pinot  et Mithridate lecture dirigée par Eric Ruf avec la troupe de la Comédie-Française

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Une pièce peu jouée… Avant Eric Vigner l’an passé, Daniel Mesguich était le dernier à l’avoir montée au Vieux Colombier en 1999. Malgré un dénouement somme toute, heureux puisqu’il réunit les jeunes Xipharès et Monime et malgré des combats d’honneur très cornéliens, on est bien chez Racine. Le glorieux roi Mithridate, souverain du Pont (en Mer Noire) vaincu par les Romains, l’est surtout par un amour possessif. Ce vieil homme pressé compte, avant de repartir en guerre, se marier avec la princesse à lui promise par un jeu d’alliances. De fait, les   »courons » et « courez » se multiplient au fil de la pièce. Il y a en effet urgence : ses deux fils, chargés de protéger la jeune Monime, n’ont pu s’empêcher d’en tomber amoureux et de prétendre à sa main, à l’annonce trompeuse de la mort de leur père.
Il y a le méchant fils, Pharnace, ami des Romains et le premier à vouloir s’emparer de la princesse. Et le bon, Xipharès ce loyal patriote obéissant qu’a élu Monime, avant même que le roi ne se déclare. Cet amour secret et réprimé ne l’empêchera pas de tenir son engagement envers le père. Une belle figure de jeune femme loyale et juste mais devant la perfidie dont use Mithridate pour la forcer à confesser ses sentiments, Monime. Mais elle dira non. Obéir, oui, mais à un roi juste et lui-même loyal, sinon mieux vaut la mort.  Et Mithridate reconnaît ses faiblesses: «Ce cœur nourri de sang et de guerre affamé/Traîne partout l’amour qui l’attache à Monime». Et dans sa jalousie, il  perdra tout sang froid : «Qu’est-ce qui s’est passé? Qu’as-tu vu? Que sais-tu?/Depuis quel temps, pourquoi ?… » On croirait déjà entendre Phèdre mais aussi Arnolphe de L’Ecole des femmes de Molière: «Dieux qui voyez ici mon amour et ma haine/Épargnez mes malheurs et daignez empêcher/Que je ne trouve encor ceux que je vais chercher. » 
Double tyrannie : le roi subit celle de sa passion et exerce la sienne sur ses fils et sur Monime. Mais à lui tendre un piège, il ne trouvera que sa propre honte: l’amour ne s’impose jamais par la force et Blaise Pascal nous le rappelle. Là est bien le malheur de Mithridate qui ne se rachètera qu’en mourant dignement, comme chacun des protagonistes s’était promis de le faire à un moment ou à un autre de la pièce…

Stanislas Nordey joue Mithridate, comme s’il découvrait, à chaque mot, à chaque vers, la nature de ses émotions et de ses sentiments. Le jeu crée le texte, en fait une parole naissante, malgré certains tunnels et le goût de Racine pour l’explication. On voit comme jamais, la passion se nourrir de la politique. Ce mariage avec Monime n’est plus une affaire d’alliance  mais  est fondé sur le désir obstiné d’un homme mûr:  s’il repart au combat -et même à la conquête de Rome!-, il ira en coq et en mâle et ne met pas en doute sa domination.

L’acteur fait preuve ici d’une belle maturité; il a quitté son emploi d’éternel adolescent et construit son autorité royale sur une acuité qui ne se relâche jamais. On ne résiste pas à la comparaison avec Hervé Pierre, dans la belle lecture donnée par la troupe de la Comédie-Française. Le Mithridate de Stanislas Nordey n’a pas vu le temps passer: il découvre et refuse à la fois son âge. Celui d‘Hervé Pierre ne le connaît que trop et le nie. L’aveuglement ne fait pas souffrir mais la lumière crue s’en chargera.

Dans la mise en scène d’Eric Vigner, filmée par Stéphane Pinot, tous les acteurs font le même travail d’invention sur l’alexandrin. Ce n’est plus un corset mais un creuset. Le visage de Thomas Joly (Xipharès) révèle un amoureux et un héros souffrant, face  au Pharnace de Jules Sagot, paisible traître sans complexes. Jutta Johann Weiss (Monime) est la plus belle rencontre de ce spectacle-film. Dense, retenue, forte, sans un mot de trop, elle est d’une juste maturité, entre le père et les fils. À l’écran, son corps, heureusement filmé, en dit autant que son visage. Et Philippe Morier-Genoud  donne à Arbate sa juste place de confident responsable et conseiller du roi.

Le rideau de perles, son léger bruissement  et ses transparences, l’éclairage nocturne de cette journée, les tissus brillants des costumes simples, contemporains ou hors du temps, esquissent un Orient discret et dépouillé, classique. Le beau spectacle d’Eric Vigner a donné lieu à un aussi beau film, rendu nécessaire par la fermeture des théâtres. Et au fil des mois de confinement, on a vu les progrès fulgurants réalisés ces dernières années dans la captation de spectacles. Les simples boîtes à souvenirs sont  devenues de vraies œuvres réalisées avec la rigueur du cinéma. Un peu dangereux? Cela inaugurerait-il une politique de rentabilisation systématique des créations, en les faisant glisser vers l’industrie culturelle ? Non, non, c’est promis, mais…

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En tout cas, nous n’allons pas nous plaindre de pouvoir écouter/voir aussi Mithridate par la troupe de la Comédie-Française, dans une lecture du Théâtre à la table et de L’Intégrale Racine. À regarder l’enregistrement fait pour France Culture, on assiste à une étape passionnante du travail des comédiens. Dirigés par Eric Ruf, Alain Lenglet, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Benjamin Lavernhe et Marina Hands, avec les jeunes Antoine de Foucauld et Chloé Proton, jouent entièrement leur lecture.

Ils maîtrisent leur texte et reprennent tranquillement quand il y a de petits accrocs. Ils creusent le vers, tiennent le rythme et le vivent chacun dans son corps : la lecture n’est pas qu’une affaire d’articulation et de voix. Il faudra les réécouter sans l’image et ils seront sans aucun doute aussi présents. Voilà, nous n’aurions pas cru que le réveil de cette pièce oubliée pouvait être aussi passionnant. Quoi de neuf ? Racine, encore une fois…

Christine Friedel

Mithridate, mise en scène d’Eric Vigner, filmée par Stéphane Pinot : demain vendredi 5 mars sur la Cinq (France-Télévision).
Mithridate, lecture par la troupe de la Comédie-Française: à écouter sur son site et sur France Culture.

Itmahrag; conception et chorégraphie d’Olivier Dubois

 © François Stemmer


© François Stemmer

Itmahrag conception et chorégraphie d’Olivier Dubois

L’enfant terrible de la danse contemporaine avait présenté cette création en ligne, en avant-première, au festival numérique sans frontières Les Vagamondes à la Filature de Mulhouse. Le chorégraphe partage sa vie entre Paris et Le Caire avec plusieurs résidences de travail et ce spectacle a été réalisé en collaboration avec B’sarya for arts en Egypte. Baigné par les musiques des quartiers populaires de la capitale, il nous fait découvrir le Mahragamat (festival  en arabe). Ici, nous découvrons  grâce au chant et à la danse, une musique aux sons saturés traduisant la révolte de la jeunesse à l’ère post-Moubarak. Avec des textes crus de rap égyptien…

En anglais ou en arabe, trois chanteurs-musiciens: Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral et quatre danseurs: Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto, originaires du Caire, se présentent successivement devant des micros sur pied. En fond de scène, une rangée de chaises en plastique orange ou rouge. Et un plateau circulaire traversé de tubes fluo. Une scénographie qui fait penser à celle de la célèbre pièce Kontakthof de Pina Bausch avec ses adresses au public mais ici les artistes seraient tous comme sous extasy. Leur engagement est exceptionnel et ils ont une énergie communicative. Les mouvements reproduisent parfois des scènes de bataille, une exécution ou une danse du couteau dans un rideau de fumée, et c’est tout à fait impressionnant de violence.

Itmahrag peut se traduire par «festoyons». Mais la participation des spectateurs sagement assis à une distance respectable est aujourd’hui impossible. Il faut aussi accepter une très forte musique qui réveille nos organismes depuis longtemps endormis. Cette pièce devrait prendre toute son ampleur quand nous serons libérés des contraintes sanitaires. Olivier Dubois a réussi à traduire par la musique, le chant et la danse, l’esprit d’une jeunesse révoltée et à présenter comme un défouloir sauvage sur une plateau. A voir dès que possible.

Jean Couturier

Représentation pour les professionnels vue le 2 mars au CENTQUATRE, 104 rue d’Aubervilliers, Paris (XIX ème). T. : 01 53 35 50 00.

 

Scalpel d’Alexandra-Shiva Mélis, mise en scène de Martial Anton et Daniel Calvo Funes

Scalpel d’Alexandra-Shiva Mélis, mise en scène de Martial Anton et Daniel Calvo Funes

Un spectacle qui a pour titre, le nom de l’outil des dissections et non le bistouri des opérations sur les vivants. Déjà tout un programme! Et on va voir la mort flirter avec une jeune femme… On est en 2.053 et règnent toujours les dictats de la «beauté». Emma (une marionnette dirigée par Mélanie Depuiset) qui a vingt-sept ans, travaille au sous-sol d’une bibliothèque municipale. « On sait jamais, ma vue aurait pu leur provoquer un malaise! Pfff! Des journées entières à classer des bouquins qui n’intéressent plus personne… » Emma fait partie des invisibles d’une entreprise comme cet employé à la photocopie d’un grand théâtre national qu’une directrice des relations publiques avait épargné d’un licenciement visant aussi quatre secrétaires de son service, au motif qu’elle ne le rencontrait jamais. Moralité: les dites secrétaires ont exigé et obtenu de l’administrateur le départ de la personne en question.

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© Martial Anton

Pour Emma, c’est différent et elle a même réussi à obtenir une promotion. Oui, mais voilà la beauté est un prérequis absolu dans la société contemporaine. Et comme elle ne correspond pas aux normes, elle devra recourir à la chirurgie esthétique. Munie de ses économies, elle rencontre un chirurgien qui va se révéler à la fois pervers et très attiré par le fric (Frédéric Rebière impeccable dans un costume des plus clownesques). Comme beaucoup de ses semblables, Emma est en proie à un mur et un plafond de verre imposés par une société patriarcale. Mais le Docteur Cibeurg sait y faire et enfonce le clou! Il lui présente, avec un remarquable cynisme, une image corporelle d’elle peu séduisante, sans doute pour augmenter le travail à prévoir et donc ses honoraires: «Dans mon métier, mademoiselle, la sincérité est gage d’intégrité ! Mais en venant ici, vous faites le bon choix. Croyez-moi, vous faites le bon choix. De quel capital financier disposez-vous ? Emma- Euh, j’ai réussi à économiser environ… -Docteur Cibeurg: Non, non, non, Mademoiselle, je veux voir de mes yeux vu l’attestation bancaire du capital financier dont vous disposez à ce jour.» Emma acceptera ce marché faustien mais le rêve devient vite cauchemar. « Lèvres pulpeuses… (…) Yeux de biche… Petites pommettes mutines… Je pouvais enfin passer les concours et accéder aux postes qui m’étaient interdits! Et c’est là que les emmerdes ont commencé…»

Les metteurs en scène vont emmener le public dans un univers où règne une violence absolue, même s’il y a un certain humour. « Mais disent-ils, nous avons voulu assumer aussi le caractère angoissant de l’expérience que vit la patiente, la manipulation technico-commerciale dont elle est la proie et qui la mène inéluctablement vers une issue poignante. Pour raconter les travers d’une tendance dangereuse et addictive qui pourrait nous éloigner de l’essentiel et de nous-mêmes, nous avons imaginé ce spectacle comme une dystopie, un hybride improbable entre le célèbre film Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol et certains épisodes de la glaçante série d’anticipation Black Mirror. »

Ici, Emma ne semble plus avoir la possession de son corps -une image emblématique de la médecine contemporaine à qui l’on reproche souvent une instrumentalisation de l’humain- et se retrouve complètement soumise à une série d’actes que le praticien veut effectuer. «Vous disposez d’un capital qui vous donne droit à la formule du Grand Protocole !! Bravo! Dans ce packaging, vous pouvez accéder à un facial redesigning complet -la chanceuse !- comprenant l’implantation oculaire, notre toute dernière nouveauté pour cette saison… Pour le nez, nous procéderons à une désintégration totale de l’os nasal. » (…) «Nous le remplacerons par une prothèse souple, le Plastinoze… Il permet de modeler son nez selon les tendances. (…) Une microstructure souple auto-gonflable pour une dynamique repulpée. (…) Pour les oreilles, organes des plus disgracieux et vulgaires, c’est une ablation totale avec mise en place de nano-implants auditifs ultra-soniques.» Et le gentil docteur va même jusqu’à lui proposer de la faire « bénéficier de nos toutes récentes offres sur la réplication génétique et l’embryo-synthèse… »

Bref, ce chirurgien fou a tout pouvoir sur sa volonté. Et comme Emma a signé, elle est enfermée dans un cercle effroyable. Au moment de l’opération, une nouvelle proposition survient: «Au lieu de vous anesthésier comme on le faisait au siècle dernier, je peux transférer toutes vos données émotionnelles, psychologiques, cognitives, ici. Ce qui vous permettra  d’assister en direct-live à votre propre opération!» Et il va lui couper un bras qu’il trouvait un peu boudiné. «C’est très amusant, vous avez vu, l’acuité de votre conscience, sans qu’aucune sensation liée à la douleur ne vienne l’altérer! » Et il lui dit calmement qu’il lui en greffera «une nouvelle paire, gracile et longiligne comme des ailes de cygnes. Et sans tarification supplémentaire! » Comme il lui a demandé de signer un grand protocole, cet éminent « spécialiste» évitera, en cas de problème opératoire, bien des ennuis juridiques..

Un accident peut aussi arriver en chirurgie esthétique et sans espoir de retour en arrière… Emma n’en mène pas large et dit au chirurgien qu’elle ne pourra «même pas se déplacer avec ces seins ! Et le Nano-Machin-Digesto, je pensais qu’il serait à l’intérieur. C’est franchement pas pratique et puis c’est moche ! Et puis ces bras, on dirait une poupée sexuelle pour gorille ! J’suis trop moche ! Encore pire qu’avant ! »  Et le génial docteur finit par avouer: «NOUS, sommes allés trop loin et une nouvelle opération engendrerait une nécrose généralisée de l’ensemble des tissus cellulaires. » Emma n’a plus qu’à pleurer et à supplier qu’on lui rende son corps…

La charge de ce texte, bien écrit par l’auteure qui est aussi marionnettiste, contre la chirurgie esthétique est impitoyable et traduite avec une grande maîtrise sur le plateau par Martial Anton et Daniel Calvo Funes et pour le jeu, par Mélanie Depuiset et Frédéric Rebière. Aucun temps mort et même si on est hors espace/temps (quoique 2053 ne soit pas si loin) et plongé dans un délire surréaliste. La situation reste en effet crédible, grâce, entre autres, à la merveilleuse distance et au pouvoir magique de la marionnette, grâce aussi aux interprètes qui réussissent à imposer cette histoire à la fois foldingue et pas si loin de la réalité. Petit bémol:la petite scène/castelet d’un mètre soixante-dix, remarquablement construite par Martial Anton et Daniel Calvo Funes, fonctionne bien mais semblait un peu perdue sur cette grande scène. Il faudrait dans l’idéal une assez petite salle où le public puisse être le plus possible dans l’axe et très proche du castelet.

Le spectacle  s’inscrit dans le droit fil d’une représentation critique de la médecine qui, depuis Molière et les bateleurs/charlatans des théâtre de foire, a souvent été une cible idéale pour les auteurs et les metteurs en scène. Mais aux Etats-Unis, des chirurgiens ont ajouter à Orlan des prothèses faciales à sa demande il y a une quinzaine d’années  pour certaines de ses performances. Bref, théâtre et médecine ont toujours fait bon et mauvais ménage à la fois. Depuis Aristote et sa catharsis; plus près de nous, se sont imposés des personnages de docteurs comme Astrov dans Oncle Vania d’Anton Tchekhov ou le protagoniste de Professeur Bernhardi d’Arthur Schnitzler… Deux auteurs eux-mêmes médecins.

Mais dans ce catalogue, il y a aussi beaucoup de patients, qu’ils soient dramatiques ou comiques, atteints de de tuberculose, petite vérole, etc. dans le théâtre du XIX ème. Entre autres, dans Les Revenants d’Henrik Ibsen, ou dans Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink avec son incurable héroïne. Puis il y eut Knock de Jules Romains, une charge énorme que joyeuse… Et plus près de nous et plus dramatiquement, Copi mit en scène une diva incarnant le sida dans Une Visite inopportune ou Tony Kushner il y a vingt ans représenta des malades du sida dans Angels in America. Six ans plus tard, dans Jules César, Romeo Castelluci, lui, utilise un peu facilement des images endoscopiques pour montrer l’intérieur du corps de son personnage. Et souvent sur un plateau, le personnage du médecin ou, mais plus rarement du chirurgien, devient un bourreau des corps et des âmes.

Scalpel avec son opération chirurgicale aux couleurs baroques est proche des  spectacles merveilleusement imaginés et conduits il y a quarante-cinq ans au festival de Nancy par le jeune new-yorkais Robert Anton. Ce marionnettiste de génie qui se suicida pour cause de sida, avait inventé des personnages de toute beauté (voir Art press n°3 1975) mesurant une dizaine de centimètres à peine qu’il opérait sur scène. Mais il refusait d’accueillir plus de quinze spectateurs pour qu’ils soient très proches de ses manipulations. Même nom que Martial Anton, mais aucune parenté sinon mais très forte, sur le plan artistique… En quarante minutes, les auteurs et les marionnettistes de Scalpel nous auront dit avec une grande précision et une belle poésie, beaucoup de choses sur la folie des hommes… et des femmes refusant de vieillir comme  cette grande actrice de cinéma française dont la peau des joues a été si tirée qu’à soixante-dix ans, elle est incapable de sourire… Si un jour, quand la planète et la France iront mieux, ce spectacle né en Bretagne passe près de chez vous, surtout ne le ratez pas… Et il y a aura un deuxième volet qu’on a hâte de voir.

Philippe du Vignal

Spectacle vu à une représentation professionnelle à Lillico, salle Guy Ropartz, 14, rue Guy Ropartz, Rennes Ile-et-Vilaine. Compagnie Tro-héol 22, route de Kergoat, 29180 Quemeneven contact@tro-heol.fr

Un furieux Désir de bonheur de Catherine Verlaguet, mise en scène d’Olivier Letellier,

Un furieux désir de bonheur(c)_Christophe Raynaud De Lage OK

© Christophe Reynaud De Lage

Un furieux Désir de bonheur de Catherine Verlaguet, mise en scène d’Olivier Letellier, chorégraphie de Sylvère Lamotte 

Le théâtre des Abbesses à Paris est en effervescence…Nous sommes quelques privilégiés à suivre cette représentation dans la salle mais  plus de sept mille enfants (élèves de quatre cents écoles, jeunes de centres de loisir ou malades à l’hôpital) vont voir cette pièce diffusée en direct. Emmanuel Demarcy-Motta et ses collaborateurs estiment remplir leur mission de service public, en s’adressant à ces spectateurs. Pour certains, Un furieux Désir de bonheur sera leur première rencontre avec le théâtre. En espérant une réouverture dès l’été, le directeur du Théâtre de la Ville s’engage aussi, dans la mesure du possible, à offrir une programmation en juillet et août et souhaiterait que tous les lieux culturels subventionnés fassent de même.

Pour l’heure, c’est une histoire pour le moins optimiste  qui va se dérouler sous nos yeux. Léonie fête son anniversaire entourée de sa famille…  La pièce commence par l’image d’une petite bonne femme traînant un lustre lourd de ses soixante dix-bougies. Mais la mamie s’ennuie … Attendre la mort quand on est passé à côté de sa vie, pas question : elle décide de sortir de sa prison domestique…  « Il n’y a pas d’âge pour commencer à vivre, explique Catherine Verlaguet. Et si le bonheur de Léonie faisait des vagues? » Un vent de libération souffle ici,  contagieux.  Suivant son exemple et avec ses encouragements, tous vont oser suivre leurs désirs.

 La petite-fille de Léonie abandonne la comptabilité pour peindre et dessiner, son ami d’enfance entame  une histoire d’amour avec une jeune migrante, qui elle, s’intégrera à son pays d’asile en rejoignant l’équipe de basket du collège … Et, par effet boule de neige, la fille de Léonie, la plus rigide et réfractaire, lâchera enfin prise… Sur la route de chacun, les obstacles ne manquent pas mais tout finit dans la liesse générale.

 Attaché à défendre un théâtre de texte s’adressant au jeune  public, Olivier Letellier, en bon disciple de Jacques Lecoq, privilégie aussi le travail du corps. Comme dans ses dernières créations : Oh Boy ! ( Molière du Spectacle Jeune Public 2010) et Venavi de Rodrigue Norman, adapté par Catherine Verlaguet ((voir Le Théâtre du Blog), il choisit ici la sobriété. Sur le plateau nu, quelques effets de costumes et de lumières prennent alors toute leur valeur d’image.

 Sept comédiens, à la fois danseurs et acrobates, développent un travail choral pour cette mélodie du bonheur. Les mouvements s’enchaînent harmonieusement, soutenus par la musique de Mickael Plunian.  S’esquissent des pas de deux pour les échanges dialogués et le chœur accompagne discrètement des adresses au public monologuées. Les interprètes passent sans accroc du texte aux figures dansées et acrobatiques. « Pour l’artiste contemporain que je suis, dit Sylvère Lamotte, l’écriture chorégraphique s’est toujours tramée à distance des mots. Grâce à cette invitation, je vais pouvoir expérimenter un chemin inverse, c’est-à-dire partir des corps pour aller jusqu’à nommer ce qui s’impose dans le ressenti et demande s’exposer devant l’autre. »

 Cette belle proposition scénique, malgré son optimisme un peu convenu et quelques clichés, nous emmène dans un mouvement perpétuel et généreux vers une douce utopie. Appréciable par les temps qui courent.

 Mireille Davidovici

 Représentation pour les professionnels vue le 26 février, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème).

 

LE TANDEM, SCÈNE NATIONALE (Douai), Lundi 15 Mars 2021 14h et 19h, Mardi 16 Mars 2021 14h

LE CHAMPILAMBART (Vallet), Samedi 27 Mars 2021 20h30

 

 

 

 

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