De l’origine de la captation des spectacles de danse
De l’origine des ballets captation des ballets
Il n’est pas si sûr que la grande danseuse et chorégraphe Loïe Fuller se méfiait de la captation de ses fameux numéros de voiles, comme l’affirme un des auteurs du récent numéro d’Etudes Théâtrales (voir Le Théâtre du Blog). On avait dit la même chose à propos de Serge Diaghilev. Jusque dans les années vingt, la technique n’était pas encore au point et la réalisation cinématographique dans l’hexagone était réservée aux « serials » des maisons Gaumont puis Pathé.
Impossible de filmer à l’intérieur d’un théâtre: cela exigeait une quantité de lumière considérable. Et comme le 35 mm était coûteux et que les bobinots étaient courts, il ne fallait donc pas gâcher de pellicule… Par ailleurs, les compagnies de danse ne voyaient pas de raison d’ajouter encore à la production coûteuse de leur spectacles, les frais et le temps nécessaires à une captation. Les « substandards » 9,5 mm et 16 mm sont seulement arrivés dans les années vingt.
Les actualités cinématographiques d’abord inexistantes (Méliès les reconstituait en studio, pratiquant ainsi déjà les fausses nouvelles!) se focalisaient sur des événements en plein air comme les défilés militaires et le sport mais s’intéressaient peu à l’art, encore moins à l’avant-garde… Les nombreux films sur les danses serpentines (et pas seulement celui de Dickson) étaient tournés dans les studios de photo ou de cinéma. Et/ou à la lumière du jour, devant une toile peinte.
Même chose pour le film d’art qui a inauguré le théâtre filmé. A l’époque, l’image était enregistrée sans le son, ou le son l’était à part sur rouleau et sur disque… Nous avons vu ainsi à la Cinémathèque de Chaillot -la vraie, celle d’Henri Langlois! – une bobine avec le grand chanteur Caruso… mais muette. Loïe Fuller n’était pas opposée au tournage, puisqu’elle a réalisé elle-même un film: Le Lys de la vie dès 1921. Dont grâce à Bernard Rémy et Brygida Ochaim, nous avons retrouvé une bobine il y a une vingtaine d’années chez André Bonzel, cinéaste et collectionneur…
Mais nous n’avons aucun film d’une danse de Nijinski. Pavlova elle, en 1925, achèta une caméra 16 mm qui lui permit de capter des scènes de ballet. Et en 1920, les Actualités Gaumont montrent les débuts des Ballets Suédois au Théâtre des Champs-Élysées… mais avec prises de vue en extérieur : façade de théâtre, sortie de la troupe en tenue de ville dans la rue, plan américain de Jean Börlin en costume cravate et chapeau melon, posant devant une affiche avec le slogan, « Le plus beau théâtre du monde », les danseuses Carina Ari, Jenny Hasselquist et le danseur Axel Wizansky.
Au début des années trente, Rolf de Maré s’était personnellement équipé en seize mm et avait tourné in situ des films en couleur sur les danses de Bali. Et il avait prévu une clause de tournage des ballets dans le règlement du concours chorégraphique qu’il organisa en hommage à son danseur Jean Börlin. Mais aucun d’eux n’est alors enregistré au Théâtre des Champs-Élysées !
Marcel L’Herbier, (1888-1979) fonda l’I.D.H.E.C. en 43 et dix ans plus tard tourna l’un des premiers téléfilms français Adrienne Mesurat. Réalisateur d’avant garde au temps du cinéma muet, il avait filmé pour L’Inhumaine en 1924, un court extrait de Nuit de Saint-Jean par les Ballets Suédois. Et les reflets des projecteurs sur les balustrades des balcons sont observables et renseignent sur la quantité de watts nécessaires au tournage de ces quelques plans!
A cette époque, le Théâtre des Champs-Élysées était à la pointe de l’avant-garde artistique, comme Les Folies- Bergère et l’Opéra qui avaient accueilli les féeries fantastiques de Loïe Fuller à base de jeux de couleurs et lumière.
Il avait magistralement satisfait aux exigences en matière d’éclairage d’un Francis Picabia pour le ballet Relâche. Pas moins de deux cents phares de voiture servaient de toile de fond à ce dernier exploit de Dada, qui par là, même préfigura l’op Art.
Nicolas Villodre