De la matière dont les rêves sont faits d’Elisabeth Bouchaud, mise en scène de Grigori Manoukov et Elisabeth Bouchaud

De la matière dont les rêves sont faits d’Elisabeth Bouchaud, mise en scène de Grigori Manoukov et Elisabeth Bouchaud

Elisabeth Bouchaud, directrice du Théâtre de la Reine Blanche, autrice, comédienne et metteuse en scène, est aussi diplômée de Centrale et docteure en physique.  A la fois scientifique et artiste, elle a voulu, dès l’ouverture de son théâtre, offrir au public une programmation consacrée au monde du vivant, à l’Univers :  mettre le théâtre au service de la science. Mais aussi  créer un espace de rencontres poétiques et politiques entre  certitude et hasard !

La pièce questionne notre conscience face à l’inexplicable et à l’irrationnel! Elle laisse entendre leur pouvoir d’action dans la destinée humaine. Alors que la Terre entière traverse depuis plus d’un an, une pandémie encore aujourd’hui difficilement contrôlable et inouïe dans l’Histoire,  cette création résonne puissamment à nos oreilles. À travers le récit du destin d’un homme singulier et solitaire, possesseur d’un don, ce spectacle nous rappelle que nous sommes bien peu de choses… Mais pas seulement. L’écoute de l’autre, de sa joie, comme de sa souffrance,  ou l’entrée en empathie avec l’espèce humaine et ses mystères, peuvent procurer une force insoupçonnable !

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La fameuse phrase, Acte IV, Scène1 de La Tempête de Shakespeare citée en exergue : «Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil.» résonne en profondeur pour Elisabeth Bouchaud qui met ici en lumière la part dionysiaque des mystères de la vie. Depuis la nuit des temps, l’image du guérisseur comme celle du magicien, nous fascine, et pour la construction de ce seul en scène et son contexte dramatique, l’autrice s’est emparée de cette figure universelle. Nous sommes au début du XX ème siècle. Une ferme à l’abandon ou une cabane ? À l’intérieur, un homme en tenue de paysan, allume une bougie et s’agite. Pressé, il rassemble quelques affaires pour «partir d’ici et au plus vite…». Il y a urgence ! Dès le début, une tension prend corps. Qui est-il? Un  érudit un peu sauvage, un misanthrope, un marginal, un vagabond, un ermite ou un poète? Il semble porter un lourd passé: coupable d’un acte peu recommandable ou atteint de folie? Tenu en haleine, le public, restreint vu les consignes sanitaires, entre en contact avec cet homme étrange et son monde, en proie à une intense agitation mentale. Guérisseur célèbre, il n’a jamais su d’où lui venait son don …

À l’instant où la pièce commence, les années ont passé et lui «ne veut plus de contact avec les gens. L’espèce humaine, j’ai déjà donné. » Autre point trouble, l’allusion faite à un certain docteur Janek. Leur relation ne semble pas être au beau fixe : «Lui non plus ne m’a pas oublié. Apparemment. Et il est venu jusqu’ici où je n’étais, moi, jamais venu avec lui, j’en suis sûr… enfin presque…». Mais aussi «cette fille », celle de Janek?  Dans ce monologue, les liens amoureux ont également leur place, de façon fragmentaire à l’image des multiples facettes de la vie de ce guérisseur tantôt proche d’un dieu,  tantôt d’un diable.

Elisabeth Bouchaud réussit à élaborer une parole dramatique en résonance avec le tempérament bouillonnant et le destin hors normes de son personnage. Dans ce drame, le protagoniste et les situations portent en eux un caractère souvent  énigmatique. Les situations sont à l’image de fragments arrachés au vécu, échos de la part mystérieuse du personnage et de son existence, de son don aussi dont il ne connaît pas lui-même l’origine… Langage théâtral rythmé, discours dramatique cassé passant de la confidence au soliloque, de l’interpellation à l’emportement, il provoque en nous émotions et interrogations.

Paul Hourlier nous fait entendre une Gnossienne d’Érik Satie mais là encore en rupture, puisque jouée à l’orgue, dense et mystique! Tout comme, pour la lumière, son choix esthétique pour un clair-obscur magnifique et renforçant la tension de l’atmosphère. Ce traitement de la musique et de l’éclairage, un des points forts de cette mise en scène, évolue au rythme de l’histoire. Et finit par laisser jaillir une clarté à la fois éblouissante et apaisante. Mais dommage d’avoir opté pour une scénographie trop réaliste. Le texte à la forme classique suscite subtilement l’imaginaire du lecteur ou du spectateur, et aurait mérité plus d’originalité. Ce qui n’excluait pas une mise en scène sobre, visiblement souhaitée par ses auteurs.

Cette parabole offerte avec grâce et poésie est remarquablement interprétée par Grigori Manoukov. Diplômé de l’école dramatique du Théâtre d’Art académique de Moscou, cet acteur nous fascine. Et si l’on perçoit certaines longueurs ou répétitions, nous sommes surpris et émus par le jeu très physique mais aussi spirituel du comédien, perceptible notamment dans l’utilisation subtile qu’il fait de sa voix et ses tempos. Il donne une théâtralité très personnelle à ce texte sensible et riche, qui nous interroge sur la fragilité de notre condition humaine et sur notre liberté: «Crois-tu vraiment que nos humeurs, nos souffrances et ces corps, nos corps-mêmes, si fragiles, ne sont que des édifices complexes régis par les lois de la mécanique? Bon sang, non. Nous sommes bien autre chose. » Grigori Manoukov s’engage avec une intensité merveilleuse et totale dans cette cette relation avec ce don inexpliqué pour le meilleur et pour le pire ! 

Elisabeth Naud

Représentation  pour les professionnels  vue au Théâtre de la Reine Blanche, Paris ( XVIII ème).

Théâtre de la Reine Blanche en Avignon à partir du 6 juillet.


Archive pour 15 avril, 2021

Périple 2021 par le Collectif Protocole

©CollectifProtocole

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Périple 2021 par le Collectif Protocole

Cinq jongleurs et une jongleuse ont conçu un projet original et tout terrain, caractérisé par leur présence itinérante dans différents territoires avec des rendez-vous d’étape. Ce voyage au long cours a débuté en mars  à La Brèche à Cherbourg, dans le cadre du festival Spring et se terminera en août, à Aurillac (si tout va bien !). Vingt-cinq points de chute prévus avec, comme fil conducteur, trois massues qu’ils se partagent. Celles-ci sillonneront ainsi la France, en passant par Le Mans, Alès, Saint-Martin-de Connée, La Seyne-sur-Mer, Lens…

 Dans chaque ville ou village, un jongleur de la troupe reste une semaine en résidence, avec un ou une invitée : une cartographe, un marathonien, un poète, une performeuse, une danseuse, un troubadour, des artistes, un marin, un documentariste… Pendant ce temps, les deux voyageurs arpentent le territoire en jonglant et proposant des événements.  En fonction de leur complicité, des rencontres et du terrain.  Pour clôturer leur séjour, ils retrouvent le gros de la troupe sur scène pour raconter, en public, leurs aventures  lors de ce qu’ils appellent : une « cérémonie de passation ».  Il s’agit pour ces « héros » de passer le flambeau – à savoir les trois massues – au prochain jongleur et à son invité qui partiront à leur tour pour une semaine d’errance.

A La Courneuve, le festival Rencontre des jonglages a permis à  quelques professionnels de découvrir Périple 2021, en assistant à une de ces cérémonies. Après un long préambule d’improvisations plutôt brouillonnes,  sont enfin apparus le circassien Paul Cretin-Sombardier et son acolyte, un artiste armé de bombes de peinture. Après une jonglerie clownesque en costume bariolé,  ces aventuriers ont laissé la place aux prochains voyageurs. Pietro Selva Bonino s’est vu transmettre les trois massues fétiches en attendant son invitée, Mélodie. Elle n’est pas venue seule mais accompagnée d’un troupeau de moutons : effet garanti.  On apprend que Pietro Selva Bonino va passer une semaine dans la ferme de La Courneuve avec cette bergère. Résultat de leur démarche,  le dimanche 18 avril à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise)… Mais on peut aussi suivre au jour le jour, leurs pérégrinations sur: www.periple2021.com, Facebook et Instagram.

Le collectif Protocole a toujours affirmé sa volonté de  « questionner le jonglage à travers la composition instantanée». Avec notamment en  2012, Oneshot, un spectacle modulable selon les lieux d’accueil, de cinq minutes à quatre heures. Plus récemment, avec Monument en Partage, les cinq jongleurs et la jongleuse sont intervenus à La Courneuve avec plusieurs artistes pour construire avec les habitants, professionnels et responsables politiques, des projets d’aménagement du territoire… Au-delà des performances,  ils souhaitent, avec ce Périple, voir «le jonglage comme point de vue, pour créer une radiographie de la France en 2021». 

 Mireille Davidovici

Présentation pour les professionnels vue le 10 avril, dans le cadre du festival Rencontre des jonglages, Maison des jonglages, Centre Culturel Houdremont, 11 avenue de Général Leclerc, La Courneuve (Seine-Saint-Denis).

Le festival Rencontre des jonglages (voir Le Théâtre du Blog)  se limite cette année à un parcours professionnel avec trois spectacles et impromptus créés par des étudiants des Beaux-Arts de Paris et de l’Académie Fratellini. Les autres événements prévus ce printemps sont reportés du 10 au 12 septembre. 

 

 

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