Les Voyants sont allumés d’Eva et Victor

Les Voyants sont allumés d’Eva et Viktor

Crise sanitaire oblige, les artistes ont dû trouver d’autres moyens pour: montrer leurs œuvres. Les captations théâtrales ont envahi les plateformes… un ancien procédé de certaines chaînes de télévision: des représentations, comme celles de la Comédie-Française, étaient même retransmises en direct dans les salles de cinéma… qui ont dû aussi fermer leurs portes. Dans un monde sans contact, le numérique a vite et tristement pris le contrôle de nos vies jusqu’à vampiriser l’offre culturelle.

La magie n’échappe donc pas à ce profond séisme et, encore plus que d’autres spectacles, elle a besoin d’un vrai contact avec un public pour que l’illusion opère. Mais une ribambelle de pseudo-magiciens s’est lancée dans des spectacles virtuels via des plateformes numériques… Un effet de mode et une pratique avec son lot de médiocrité, que l’on souhaite éphémère! Et ne parlons même pas de ceux qui se contentent de copier le travail des autres ou de se filmer dans leur chambre à moitié rangée…

Malgré cela, les vrais artistes s’en sortent plutôt bien. Ainsi Luc Langevin a créé un dispositif scénographique dans son studio de tournage où il fait jouer les illusions avec l’espace. Eric Antoine, lui, mise à fond sur l’interactivité et le festif. Caroline Marx (voir Le Théâtre du Blog) fait retransmettre son spectacle Girl Power depuis le cabaret Oh ! César à Paris et Dani Lary rejoue Retro Temporis, sa dernière création…

La pratique du mentalisme fait actuellement figure d’exception avec, entre autres, Les Voyants sont allumés. Une fois connectés à zoom, nous sommes plongés dans l’Exposition Universelle de Paris en 1900, emblème de la Belle Epoque et de l’Art nouveau. Eva et Viktor réalisent des expériences de télépathie. Comme d’autres célèbres couples: Talazac et la voyante Mickaella, Roskoff et Foska, la jeune bohémienne, Les Zancigs, Le professeur Dalmoras assisté par Mariska, Marguerite Larya et Henrys Dahan, Saltana et Georges Door Leblanc, Mir et Mirowska…

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Eva, la médium commence par établir le contact entre son époque (1902) et la nôtre. Elle demande aux spectateurs de préparer quelques effets personnels puis apparaît et disparaît, tel un fantôme sur son divan. Puis Viktor et elle nous reçoivent alors, «en direct» dans leur salon*. Assis à une table ronde, ils convoquent les esprits pour entrer définitivement en contact avec leur public… à cent-dix-neuf ans d’intervalle. Viktor présente Eva: elle tiendrait ses dons de clairvoyance après avoir été victime d’un accident de voiture. Le couple propose de suivre quelques théories sur la télépathie puis Eva, les yeux bandés, devine, un par un, cinq objets personnels que des spectateurs exhibent devant la caméra de leur ordinateur. Ensuite, a eu lieu une expérience de divination avec les vingt-deux lames face dessous d’un jeu de tarot. Une dame est invitée à en choisir une et Eva devinera le nom de cette carte puis se livrera à un court exercice d’interprétation. Une expérience reconduite une seconde fois avec un autre spectateur et avec le même succès.

Viktor demande à quelqu’un de se souvenir du numéro d’une rue à une ancienne adresse. Il établit alors une connexion grâce à un fluide conducteur, en plongeant son index dans un verre d’eau et sa partenaire occasionnelle à distance en fait de même. Grâce à «la mémoire de l’eau à travers le temps!», Eva est invitée à fermer les yeux et à se projeter dans cette ville et cette rue, et à découvrir le numéro.  Que Viktor révèlera… déjà écrit sur un carton.

Eva écrit une prédiction qu’elle met sur une peluche dans le champ de vision du public. Le couple aime les objets étranges qui ont vécu quelque chose de spécial. Un inspecteur leur a confié les objets d’une affaire de meurtre. Un homme assassiné sur les bords de Seine sur lequel on avait retrouvé une clé de chambre d’hôtel. Viktor demande à une spectatrice de l’assister comme médium en devinant ce numéro de clé… qui se révèle alors gravé sur le porte-clés.

Puis Viktor montre alors un deuxième objet retrouvé sur la victime: une montre-bracelet. Il prie un spectateur de nommer une heure où a été commis le crime… et les aiguilles de la montre correspondent parfaitement. Le couple demande à quatre personnes quatre nombres de trois chiffres chacun. Une fois additionnés, le total correspond au nombre prédit par Eva et placé sur la peluche !

Viktor demande à une spectatrice de chercher sur sa « machine à communiquer sans fil » comme il dit (son téléphone portable), Google images.fr et de choisir  l’image d’un jouet en bois. Et Eva devine à distance ce qu’il est. Une expérience répétée une deuxième fois avec un jouet plus  actuel. Viktor conclut en souhaitant le bonsoir à chacun des participants, va retrouver son absinthe et disparaît dans le cosmos, tout en dansant une valse avec sa partenaire.

 Il a su construire avec Eva un spectacle avec un vrai beau travail sur les personnages et dans un contexte très marqué, avec des dialogues pleins d’humour et des effets judicieusement choisis allant en crescendo. Un mentalisme lié aux progrès techniques de la « Belle Epoque» résonnant avec la révolution numérique du XXI ème siècle. Pour e spectacle d’une heure, il y a eu quarante-cinq spectateurs apparaissant sous forme de mosaïque à ces artistes. Un dispositif technologique rappelant les écrans de surveillance quand chaque caméra filme un endroit précis d’un espace public ou privé qui est ici celui des spectateurs. En acceptant d’être filmés pour les besoins de l’expérience,  ils acceptent l’intrusion de ces mentalistes qui, tel le Docteur Mabuse (1) «contrôlent » les pensées collectives à travers les écrans et l’hypnose.

Eva et Viktor définissent leur spectacle comme du visio-mentalisme, une technique qui s’avère judicieuse en télépathie. La transmission de pensée aussi appelée: double vue ou seconde vue, est déjà une pratique à distance mais, à cause du contact physique impossible avec leur public, les effets gagnent ici en force et en mystère. Cette fragmentation spatiale a pourtant un effet pervers : elle brise la continuité de la lecture scénique  par un vrai public dans une salle, piégé par le champ de la vidéo et cela contribue à un détournement d’attention géant (en anglais: misdirection) qui peut affaiblir  ce que l’on perçoit d’une révélation. En effet, au-delà du caractère «mensonger» de l’image filmée, les changements de plan dus à l’utilisation de plusieurs caméras, peuvent rompre la dramaturgie de certaines expériences. Qui, pour une meilleure clarté de l’ensemble, devraient  être filmées en plans-séquences. En donnant l’illusion de la continuité, les opérateurs auraient moins la possibilité de recourir hors-champ à des subterfuges technologiques…

Sébastien Bazou

Visio-spectacle par zoom en mars d’une captation faite au restaurant Au Bougnat, 26 rue Chanoinesse, Paris (IV ème).

* Ce dispositif « voyeuriste » est au centre des Mille yeux du Docteur Mabuse de Fritz Lang (1960).

Visio-spectacle: https://www.youtube.com/watch?v=NRzkQnokvxY&t=1s

A lire, l’interview d’Eva et Viktor dans Le Théâtre du Blog. https://visiomentalisme.fr

 

 

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