Colosse, projet de mise en scène d’Antoine Hespel, texte de Marion Stenton

Colosse, projet de mise en scène d’Antoine Hespel, texte de Marion Stenton

© J.L. Hernandez

© J.L. Hernandez

Ces jeunes acteurs qui ont vingt ans ou un peu plus, un peu moins, occupent depuis plusieurs mois le Théâtre National de Strasbourg. Ils écrivent tous les jours des textes révoltés, solidaires, poétiques. Non au confinement et au couvre-feu! Oui, au grand besoin d’air, de liberté, de flamme. Les élèves de l’École Supérieure d’Art Dramatique de Strasbourg ont la chance de travailler ensemble: jeu, mise en scène, création de costumes et de lumières, son, régie… Cette école a le mérite de leur mettre entre les mains tous les métiers nécessaires à une équipe de spectacle. Et plus encore: un Théâtre national avec ses outils, son histoire, ses légendes même: parlez avec Mathilde Waeber (groupe 47), assistante à la mise en scène, des personnages que vous avez connus. Pour elle Hubert Gignoux et Bernard-Marie Koltès sont les noms vénérés de salles de spectacle !

C’est dire la responsabilité pesant sur chaque groupe, dans le travail qu’il présente à un public de camarades et de quelques professionnels. Le groupe 46 relève le défi avec panache. Antoine Hespel a voulu se saisir de la ville, la sienne pour le moment : Strasbourg. Pour la faire entrer sur la scène, et inversement faire sortir le théâtre sur le parvis, au risque de la pluie et du bruit du tram. Il a demandé à Marion Stenton d’écrire un texte, à partir de leurs rêveries, enquêtes, questions, rencontres… Des paroles qu’ils ont recueillies, ils n’ont pas fait un simple «théâtre documentaire» mais ont créé un nouveau récit, élaboré, lyrique. Et ils ont été pris dans le vertige de leurs interrogations et travaillés par ce vortex.

Marion Stenton et Antoine Hespel

© x Marion Stenton et Antoine Hespel

Cela donne un spectacle passionnant dans une première partie. Nous suivons le récit multiple, «nous étions cinq», d’une étrange enquête. Quelqu’un a disparu, un magasin a été trouvé porte ouverte, cartons non défaits. Allons-nous accepter qu’une ville «colosse» absorbe et fasse disparaître ses habitants? Les cinq cherchent, tournent en rond, reviennent sur leurs traces. Ils trouvent dans l’appartement du disparu des lettres écrites à la main, avec leurs adresses, pas encore envoyées. Une série de nouvelles pistes? Les destinataires peuvent avoir disparu… Certaines lettres seront dites en grands monologues, d’autres incorporées au récit distribué entre les acteurs. C’est beau, ça vibre. Mais la circularité et la prolifération du texte finissent par le rendre obscur et répétitif. De boucle en boucle, nous nous perdons et abandonnons.

Beaucoup de belles fulgurances, pourtant et de thèmes puisés dans les quatre éléments : l’eau, très présente dans la bande-son, des images évoquant des noyés, la présence à l’avant-scène de magnifiques buses d’évacuation en terre cuite. Le feu, avec le thème récurrent de l’incendie. On capte une image vive de la guerre et de la violence policière avec l’évocation d’une main coupée… Une idée savoureuse : le metteur en scène s’est donné le rôle d’un policier essayant par tous les moyens de faire entrer la quête hors-norme des “cinq“ dans le cadre immuable de la procédure administrative… Et c’est plus qu’une idée: se développent alors dans l’imagination du spectateur d’autres références, faits récents ou lectures… On associe ce malentendu aux propos d’une avocate regrettant que la victime du féminicide récent à Mérignac (Gironde) n’ait pas porté plainte dans les formes donc qu’elle n’ait pas pu être protégée… Et nous sommes ramenés au texte par son énergie même.

Le spectacle est plein de ces éclairs et morceaux de vérité crue. Mais le texte est condamné à finir écrasé sous son propre poids. Qu’importe, il a une belle générosité  comme la mise en scène. Antoine Hespel a déjà assimilé, et fort bien, les techniques de la vidéo: il fait projeter des images de la ville soulevée par des vagues sur les comédiens en mouvement, créant ainsi un beau tremblement. Maîtrisé du premier coup et parfait, si cela ne devient pas un système.

Nous lui reprocherons une fois (pour toutes ?) de s’être laissé séduire par ces vibrations électroniques chères au metteur en scène Julien Gosselin, pénibles, voire dangereuses pour les spectateurs! Mais il saura dépasser le procédé et inventer ses propres machines à émotions… Nous comptons sur lui. Même remarque pour les bruits du cœur, un vieux truc de mise en scène, ici heureusement accordé (et désaccordé) aux musiques urbaines créées par Foucault de Malet.

Cette mise en scène est réussie parce que bien rythmée. Côté scénographie: on pourrait trouver agaçants ces modules de maisons, ces échelles qui glissent, se clipsent et se déclipsent en continu. Mais cette mobilité permanente répond exactement au propos et ne parasite jamais les récits eux-mêmes. Un vrai plaisir: voir une plate-forme se métamorphoser en boudoir grâce à la présence d’une comédienne en déshabillé rose, dentelles et froufrou. Soulignons aussi les costumes très soignés de Ninon Le Chevallier. Ils dessinent une situation, une figure mais aussi un espace. Un plaisir et une exigence souvent oubliés par les jeunes metteurs en scène.

Chaque comédien-narrateur est relayé par un autre selon un tempo exact et les séquences, articulées sur des bascules de lumières, s’enchaînent bien. (création et régie lumière de Jessica Maneveau). Isah, Oran, Rod, Leib , Yom «cinq habitants de la ville »  ne sont que ce qu’ils disent. Tout comme Marguerite, Gaby et son Mari, Rouge, Nadir et La Mère, portés par les mêmes interprètes (Quentin Ehret ou Sefa Yeboah (en alternance), Gulliver Hecq, Simon Jacquard, Aurore Lévy, Joséphine Linel-Delmas, Pauline Vallé et Antoine Hespel en policier. On nous dira qu’au théâtre, le «personnage» est ce qu’il dit. Ici direct et sans bavures. Une réussite! Le metteur en scène n’a pas demandé aux comédiens plus, mais absolument tout que ce qu’il peuvent donner. Justesse et énergie, qualité du travail ensemble, respect du spectateur: que demander de plus à Antoine Hespel, sinon retravailler le spectacle là où il se perd un peu dans les sables, pour rencontrer enfin un vrai public, nombreux, populaire, urbain ou non.

Christine Friedel

Spectacle présenté aux professionnels au Théâtre National de Strasbourg le 10 mai.

 

 


Archive pour 14 mai, 2021

Livres et revues

Verite-BB Vérité B B de Pascal Louvrier

Pas vraiment une biographie, la célèbre actrice s’en est déjà chargée et pas trop mal. Ici, en quatre cent pages, l’auteur analyse le pourquoi et le comment de la réussite exemplaire de cette merveilleuse jeune fille de la rue de la Pompe, du chic XVIème arrondissement de Paris à une époque où les femmes n’avaient pas leur mot à dire. Dans une famille des plus grandes bourgeoises.Où le père, industriel voyait d’un très mauvais œil, les amours de sa fille avec Vava, son Roger Vadim, avec lequel elle faisait l’amour à seize ans…

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Indomptable, osant dire dans les années cinquante qu’elle changeait d’amant quand cela lui plaisait, haïe des mères de famille qui redoutaient son exemple pour leurs fille… Elle osait dire qu’elle n’avait pas souhaité avoir son bébé: pas prête et à vingt-cinq ans… «Ma vie était déjà si compliquée, dit-elle lucidement, s’il me fallait tout assumer seule avec une enfant par-dessus le marché, ce serait du joli. « Et elle évoque aussi le caractère violent de Jacques Charrier. Déjà du mitou avant la lettre… Malgré les injures violentes, les humiliations.

L’actrice avec un corps superbe formé par l’exercice de la danse qu’elle pratique dès l’enfance et avait eu très tôt une excellente gestuelle. Vite happée par le cinéma, elle ne jouera qu’une fois au théâtre, L’Invitation au château de Jean Anouilh mais surtout enchaînera une quarantaine de films parfois plusieurs en une seule année ! Pas toujours avec les meilleurs réalisateurs mais avec  Roger Vadim, Claude Autan-Lara, Henri-Georges Clouzot, Louis Malle, Jean-Luc Godard : Le Mépris avec Michel Piccoli et Masculin-Féminin), Claude Chabrol. Plus tard, en 1973 donc à trente-huit ans, après une quarantaine de films dont le fameux Et Dieu créa la femme, elle abandonnera -fait rarissime- sa carrière d’actrice mais aussi de chanteuse, sans doute consciente que le succès, avec l’âge, ne durerait pas toujours. Pour se consacrer à la cause de la protection des animaux avec des résultats tout à fait convaincants… Et là aussi déjà très en avance sur ce qui se passe maintenant.
Elle aura des amours multiples qu’elle revendiquera en femme libre, en assumant hautement ses choix et ses erreurs. Et elle savait s’entourer: entre autres: Roger Vadim, Samy Frey, Jean-Louis Trintignant, Serge Gainsbourg…

imagesElle se voulait libre et responsable de l’argent qu’elle gagnait, posait pour des photos érotiques, suscitait les convoitises et les jalousies et une véritable haine du clergé catholique qui ne supportait pas son insoumission de féministe favorable à l’avortement et l’abolition de la peine de mort. Et B.B. était la proie constante des paparazzi… Surtout après qu’elle ait acquis La Madrague, une petite maison au bord de la mer à Saint-Tropez, une maison mythique aux yeux de toute une génération qui aurait voulu avoir la même… Et où, par autorisation exceptionnelle, elle a obtenu d’être enterrée dans son jardin…

Et ce qui est tout à son honneur, elle résistera aux tentatives d’extorsion de fond provenant de l’O.A.S organisation politico-militaire pro-Algérie Française.. Et, même si cela paraît se dérouler au Moyen-Age, cela n’est pas si vieux et cette mafia ne plaisantait pas comme le rappelle l’auteur et posait des bombes là où elle le voulait sans aucun état d’âme.Elle ,de son côté n’hésitait pas à dire qu’elle ne marche pas, parce que je n’ai pas envie de vivre dans un pays nazi ». Protégée par deux gardes du corps qu’elle payera elle-même.

Ce récit fort bien documenté… Juste une erreur: Gustave Eiffel n’est pas l’inventeur du mythique porte-jarretelles cher à B.B.. mais Féréol Dedieu et l’auteur analyse avec précision l’évolution de la vie de l’actrice. Mais, seul bémol -et l’auteur reste trop discret là-dessus- on aurait aimé savoir comment l’actrice en est est arrivé à oser écrire que «la France est de nouveau envahie, avec la bénédiction de nos gouvernants successifs, par une surpopulation étrangère notamment musulmane, à laquelle nous faisons allégeance.» Et B.B., à la suite de des mots très durs, rappelle Pascal Louvrier, sera cinq fois condamnée pour incitation à la haine raciale… Alors qu’il rappelle que généreusement, elle a signé de nombreux chèques, notamment pour essayer de faire sortir du couloir de la mort Farley C. Matchet. Visiblement, l’auteur connait bien Brigitte Bardot qui a maintenant. On ne peut tout citer de ce récit sur sa vie qui se lit d’une traite avec de nombreux témoignages. Et l’auteur nous offre un regard exact et précieux sur une toute une société et sur un mode de vie aujourd’hui disparus. Et donc un bon éclairage sur la France actuelle et son évolution. On sent parfois une certaine nostalgie quand il évoque cet autre monde, celui des robes Vichy, descentes en 2 CV ou 4 L par la route nationale jusqu’au port de pêcheurs qu’était encore Saint-Tropez…

Brigitte Bardot- un nom qui ne dira sans doute bientôt plus grand chose aux générations qui viendront… Et pourtant quelle icône internationale aura-t-elle été…

 

Le balado de la revue Jeu

En partenariat avec le Fonds de recherche du Québec-Société et culture, la revue JEU propose un balado: Poétiques des territoires depuis hier jeudi 13 mai sur ses sites web et sur son diffuseur partenaire, La Fabrique culturelle. Décliné en huit épisodes d’une trentaine de minutes, ce baladoa été créé pour rendre visible le travail des artistes et des compagnies œuvrant en région. Une initiative de l’équipe de JEU et de la journaliste Paméla Dumont qui est aussi actrice-créatrice.. « Il y a, dit-elle, des artistes et compagnies qu’on aimerait entendre davantage nous raconter leur vision du monde et de la culture à partir de leur localité et qui compte bien d’autres caractéristiques, que d’être excentrée par rapport aux grands pôles urbains. » La rédactrice en chef adjointe de Jeu Sophie Pouliot qui est aussi, entre autres, chroniqueuse des arts de la scène pour le magazine Elle-Québec et la revue Lurelu assurera la direction éditoriale de ce balado.

Émis bimensuellement, il prend la forme d’un voyage à la rencontre d’artistes et d’organismes de création théâtrale qui pratiquent leur art en s’inspirant de leur territoire. Comme Le Petit Théâtre du Vieux Noranda, réputé pour ses explorations avec le numérique et les nouvelles technologies, Le Théâtre Témoin en Haute-Gaspésie qui puise dans les témoignages de la communauté et réinvente le conte théâtral, ou les tournées en cargo du Théâtre Espace K sur la côte Nord.

 

© céline

© céline Le Théâtre Témoin en Gaspésie

Poétiques des territoires donnera la parole à des artistes moins médiatisés. Des extraits du premier épisode ont été dévoilés lundi dernier sur les réseaux sociaux de JEU.

 

pameladumont@hotmail.fr

sophiepouliot.culture@gmail.com Brigitte Couture, directrice générale de JEU: adm@revuejeu.org

Philippe du Vignal

 

 

 

June Events 2021: La Chaleur, chorégraphie de Madeleine Fournier d’après l’œuvre de Henry Purcell

   June Events 2021: La Chaleur, chorégraphie de Madeleine Fournier d’après l’œuvre de Henry Purcell dans actualites margaux-vendassi_francois-segallou_parallele

© Margaux Vendassi_François Segallou_Parallèle

June Events 2021

La Chaleur, chorégraphie de Madeleine Fournier d’après l’œuvre de Henry Purcell

Ce festival fait chaque année place à l’innovation.. Avec une deuxième pièce, cette artiste, remarquée dès son premier solo, Labourer (2018), présenté entre autres, à l’Atelier de Paris, crée ici une pièce chorale partant «du désir de faire corps et chœur à plusieurs».

Cela débute comme une cérémonie funèbre: autour d’un corps porté, un chant s’élève. On reconnaît le phrasé baroque d’Henry Purcell (1659-1695) mais bientôt les mouvements se déploient, lents et précis… Madeleine Fournier, la première, entonne Music for a while, éloge de l’art qui soulage les tourments. Rejointe par Jonas Chéreau, Catherine Hershey, Corentin Le Flohic et Johann Nöhles pour une ode joyeuse à la musique: If Music, interprétée en chœur et avec une gestuelle dégingandée.

La chorégraphe puise dans le vaste registre du compositeur anglais, des harmonies exprimant la joie, l’amour et le plaisir de la musique comme If music be the food of love, Welcome to all the pleasures. On retrouve aussi des airs plus sombres, sur la fugacité de la vie comme Man that is born of a woman. Et il y a pour finir, un chant d’allégresse: Then lift up your voices (Alors, élevez-vous, voix!)…Et les artistes quittent la scène en sautillant, chassant ainsi l’image de leur entrée funèbre. «La chaleur, c’est à la fois la vie et la mort, dit Madeline Fournier. La chaleur humaine, la joie d’être ensemble, l’amour, la solidarité. Embrasser en même temps célébration et deuil, joie et mélancolie.»

Chaque morceau a une construction particulière réalisée à partir de l’écriture musicale proposant une grammaire du mouvement des corps et de la voix. De la phrase chantée, souvent lente et répétée chez Henry Purcell, naissent des gestuelles hiératiques. «La Chaleur est la première fois que j’ai l’occasion de mettre en scène un groupe, dit la chorégraphe. Ce qui me permet d’interroger ce que veut dire: être ensemble. Comment les corps des uns traversent et sont traversés par les corps des autres. »

Elle répond à ces questions en faisant circuler entre les interprètes des objets symboliques : un masque de théâtre, un bâton, une cruche et une couronne. Ces simples accessoires blancs qui font allusion à la scène antique, contrastent avec les short façon touriste sans apprêt des interprètes. Epure du chant et mouvements retenus contredisent des poses comiquement outrées. Et parfois de sourdes vibrations électroniques prennent le pas sur les harmonies baroques, participant de l’ironie.

D’une précision mécanique, cette pièce envisagée comme une sorte d’opéra cérémoniel célébrant le cycle de vie et de mort, constitue un geste artistique osé qui reste un objet expérimental. A la sortie, on projette un film Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, où les danseurs reprennent les chants, en circulant, tête en bas, comme pour un défilé rituel …

 Mireille Davidovici

Représentation pour les professionnels vue le 8 mai à l’Atelier de Paris, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes et navette gratuite. T. 01 417 417 07 · info@atelierdeparis.org

 La Chaleur, les 5 et 6 juin: Buda, Courtrai et les 19 et 20 juin : La Raffinerie, Bruxelles (Belgique).

 June Events continue du 19 mai au 5 juin : à suivre.

 

 

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