Mon visage d’insomnie de Samuel Gallet, mise en scène de Vincent Garanger

Mon visage d’insomnie de Samuel Gallet, mise en scène de Vincent Garanger

 Un centre de vacances au bord de la mer, en Normandie, hors saison. Il accueille provisoirement des « mineurs isolés » migrants. Le vent souffle, la mer s’agite, les pensionnaires sont tous à la montagne, pour s’initier au ski. Tous, à l’exception d’Harouna : son ami Drissa a disparu, ça ne peut pas être une fugue, il l’aurait averti, il doit le rechercher. Élise, la jeune éducatrice, tente de le rassurer, mais elle est sur le départ et attend son remplaçant. Arrive un homme qui devait être son remplaçant et son collège, légèrement bizarre, décalé. Malaise. Et l’angoisse commence à s’alourdir, renforcée par un retour régulier à la normale : ai-je bien entendu ce qu’a dit le « nouveau » ? Non, tout va bien. Mais rien ne va : le ciel se trouble, le téléphone ne passe pas, une vielle femme fantôme -ou non- hante et menace le jeune Harouna, on ne sait plus quel jour on est –« on ira demain à la préfecture », mais demain, c’est dimanche…-, les blagues du bonhomme sont de plus en plus lourdes, il est le seul à avoir encore faim, il s’empare des rêves du garçon et on ne sait plus qui il est…

 

©Damien Caille-Perret

©Damien Caille-Perret

Samuel Gallet, à la demande de Vincent Garanger et de Didier Lastère (l’Homme, dans le spectacle) a construit un véritable thriller. Inquiétude, gêne, trouble des identités : il part d’un monde presque normal et assurément banal pour arriver à l’angoisse. Mais tout est dans le “presque“. Ce vacillement est à la fois poétique et politique. Où est la limite entre le cauchemar nocturne et la petite horreur quotidienne ? Ces villageois hostiles, ces vieux qu’on ne voit jamais sont la figure d’une France fermée à tout ce qui pourrait la déranger, avide de « sécurité », habituée à faire des mineurs isolés étrangers autant de délinquants ou de terroristes. Et la peur est des deux côtés, et gagne même l’institution éducative et protectrice.

La scénographie de Damien Caille-Perret permet à la pièce de développer aussi bien son caractère réaliste que ses “fissures“ poétiques : le mobilier ordinaire et sans charme des collectivités se détache sur fond de vagues mouvantes, d’oiseaux fugaces. La lune passe dans le ciel, les nuages se déforment sous la bourrasque, images du temps qui passe et du temps changeant, le danger plane et souffle, on entre dans le domaine du conte. D’un geste, la chambre-refuge du garçon, avec ses lits superposés dont celui, vide, de l’absent, entre dans le réfectoire puis disparaît. L’indication d’une cuisine, côté cour, fait passer le décor de la vie concrète à l’antre de l’ogre.

Cette mer de légende, peinte et animée, ce monde fermé –« tu n’as pas le droit de sortir seul dans le village, tu es mineur »- forment pour les trois comédiens, une implacable boîte à jouer. Le garçon n’aime pas la mer, et pour cause. Il se méfie de tout et de tous, et pourtant s’est attaché à son éducatrice. Et s’il se laisse parfois apprivoiser par le nouveau venu, il se referme aussitôt, blessé et trahi par ses “blagues“. Djamil Mohamed, formé au Conservatoire de Clermont-Ferrand et à l’école de la Comédie de Saint-Étienne, a assez d’expérience pour jouer l’innocence d’Harouna en même temps que son habitude du malheur. Cloé Lastère, passée elle aussi par Saint-Étienne, a l’énergie et le dévouement de son personnage, et suggère, par son volontarisme même à reprendre les choses en main, un malaise de plus en plus présent. Elle tient tête raisonnablement au visiteur à la fois bonasse et inquiétant, menteur évident, perturbateur assuré et en manque. Il se trouve que dans la vraie vie, Didier Lastère est le père de Chloé mais cela n’ôte rien à l’inquiétante étrangeté qui se joue entre eux sur scène. L’un, qu’on découvrira sociopathe, flaire et attaque de biais puis très frontalement. L’autre se dérobe autant qu’elle le peut, jouant des esquives dans l’espace du réfectoire avant de faire front. Le combat qui ne dit pas son nom –jusqu’au moment où il est perdu, on ne dira pas par qui- est parfaitement réglé.

Voilà une pièce forte et originale, partie d’une double inspiration : le monde d’aujourd’hui tel qu’ii ne veut pas se reconnaître, et qui ne trouverait d’issue que dans le rêve, et tout un courant littéraire qui va du roman noir au fantastique, sous son aspect poétique. L’auteur a emprunté le titre à Stanislas Rodanski, dans Requiem for me : « je fixe ma voie dans le verre/ Je vois à travers et la fumée bleue aux dedans de soie/ Mon visage d’insomnie. »

Christine Friedel

Filage vu Théâtre Paul Scarron, au Mans. Représentations au théâtre Scarron du 19 au 23 mai.

 

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Archive pour 19 mai, 2021

Matthieu Malet et sa compagnie Les Mains libres

Matthieu Malet et sa compagnie Les Mains libres

 Créée en 2015 pour produire et diffuser des projets alliant la magie à d’autres disciplines artistiques, cette compagnie a répondu à une commande de l’Opéra de Nantes: une performance de quinze minutes avec danse, magie et vidéo sur le thème du souvenir pour La Ville morte du compositeur autrichien Erich Wolfgang Korngold (1897-1957).

Un an plus tard, en travaillant pour Jonathan Capdevielle sur Cabaret apocalypse, Mathieu Malet a uni des univers artistiques différents et n’hésite pas à faire cohabiter Jeanne d’Arc et Spiderman pour chanter Francky Vincent, compositeur et interprète antillais. «Même si, dit-il, mon rôle dans le spectacle était relativement conventionnel. Je jouais en effet un mentaliste neurasthénique en fauteuil roulant mais ensuite j’ai commencé à ouvrir ma pratique de la magie à d’autres champs esthétiques. Et la commande de l’Opéra de Nantes m’a amené à travailler avec des chorégraphes et des vidéastes. Nous avons écrit une séquence chorégraphique où des papiers chiffonnés apparaissaient, disparaissaient et lévitaient sur une table. Jouée en public et filmée, grâce à un logiciel, elle était immédiatement projetée sur un écran en « reverse » : fin au début et vice-versa. Cette performance, jouée quinze fois, est ensuite devenue Bis un spectacle de quarante cinq minutes, avec une nouvelle équipe, Océane Chaillé (danseuse) et Yvain Legrand (vidéaste).

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Puis pour Facto Fiction, un spectacle de magie et de mentalisme, je me suis entouré de comédiens pour construire la mise en scène de L’Homme qui a vu l’ours est en création mais pandémie oblige, les choses prennent plus de temps que prévu… Interviendront des magiciens mais aussi des chanteurs et circassiens. Il ne s’agit pas d’un spectacle mais plutôt d’une série d’entre-sorts sur le thème des prodiges bibliques.

Enfin pour Le Jardin Caméléon, un jardin magique, Matthieu Malet s’est associé à Loïc de Larminat, paysagiste-concepteur. « Nous sommes, dit-il, les heureux lauréats du Festival International de Chaumont-sur-Loire. Cela nous a amené à collaborer avec différents corps de métier (botaniste, serrurier, verrier, etc..). »

La magie intervient-elle dans les autres champs artistiques ou ou est-ce le contraire ? Est-elle un langage ou un propos artistique en soit? Comme le pense Matthieu Malet, il n’y a pas n’y a pas de réponse claire à et lui-même avoue changer souvent d’avis là-dessus. Et il a de plus en plus tendance à croire que l’effet magique peut être une fin en soi. «Maintenant si j’analyse mon projet de jardin, dit-il, le propos n’est pas l’illusion mais pour amener le spectateur à considérer le végétal différemment. » Et pour lui, la magie est au service des plantes et il n’ a pas de méthode préétablie. « C’est avant tout une histoire de rencontre humaine avec d’autres artistes et les choses se mettent en place naturellement… ou pas. »

Comment l’illusion est-elle perçue hors du monde des magiciens? Comme un langage, une expérience irrationnelle ou un  truc que l’on aimerait connaître ? Ce sont des questions que lui-même se pose. « Pour les artistes  non magiciens que je croise, la réaction est double: il y a une profonde méconnaissance de la culture magique et les clichés perdurent. Et au début d’une collaboration, je dois souvent passer par une étape pédagogique pour expliquer que la magie dite classique n’est pas ringarde et que cela fait partie de l’ADN de mes créations. Mais il y a aussi un réel engouement des artistes qui en entrevoient vite le potentiel. Leur premier réflexe: la considérer comme un outil qui va permettre à leur spectacle de s’affranchir des lois de la physique. Même si cela constitue une étape très riche en termes de création, ce n’est pas mon objectif final. Le but est plutôt de bâtir un langage commun.»

Le Jardin caméléon est actuellement visible à Chaumont-sur-Loire  et quand il a visité ce festival des jardins de Chaumont avec une vingtaine de parcelles toutes closes de haies, cela lui a tout de suite fait penser aux entre-sorts de L’homme qui a vu l’ours sur lesquels il travaillait à l’époque : «  J’ai alors imaginé une installation de verre et de miroir qui transforme le végétale à mesure que l’on parcourt le lieu. Le Jardin caméléon c’est quarante m2 de surface vitrée positionnée à la verticale. Cela a constitué un important défi technique. »

Pour être candidat au festival de Chaumont, le projet doit être obligatoirement porté par un architecte ou un paysagiste et, à cette occasion, Mathieu Malet a rencontré Loïc de Larminat, paysagiste-concepteur. Et leur travail a consisté à penser l’espace public et le paysage en termes d’échelle spatio-temporelle. «Dès notre première rencontre, il m’a parlé sens de lecture, point de vue, cadrage, rythmes, toutes choses que j’utilise aussi dans mon métier. Nous avons immédiatement trouvé un terrain d’entente et collaborons encore aujourd’hui sur d’autres installations grand format destinées à des espaces publics. 

Sébastien Bazou

Site de Matthieu Malet. https://www.lesmainslibres.info/

-Le Jardin caméléon du festival International des Jardins 2021 https://domaine-chaumont.fr/fr/festival-international-des-jardins/edition-2021-biomimetisme-au-jardin/le-jardin-cameleon

 

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