Atelier Vania, d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov, un film réalisé par Jacques Weber
Atelier Vania, d’après Oncle Vania, d’Anton Tchekhov, un film réalisé par Jacques Weber.
Nous allons presque regretter le confinement: depuis quand la télévision publique (france 5) nous a-t-elle fait de tels cadeaux? Jacques Weber et Marc Lesage, le directeur ont décidé de rendre la vie au Théâtre de l’Atelier, fermé pour cause de pandémie. Ils s’y mettent, rassemblent une troupe éphémère, rien que les meilleurs et c’est magnifique. Oncle Vania, une histoire d’amère fin de vacances, une affaire de gagnants et de perdants auxquels on s’attache, bien sûr. Sonia et Vania, fille et beau-frère du professeur Sérébriakov, peinent tous les jours de l’année pour faire valoir la propriété de famille dont les revenus entretiennent le prestigieux universitaire. Veuf de la mère de Sonia, il vient d’épouser Elena, une jeune et belle admiratrice. Vania et son ami, le docteur, un amour secret de Sonia, tombent aussitôt sous le charme de la sirène. C’est tout et c’est beaucoup : guerre de coqs, guerre entre provinciaux et citadins, ennui pour ces derniers et travail pour les autres. «Comme ils sont tous nerveux ! Comme ils sont nerveux ! Et que d’amour… » En fait, une réplique de Dorn, un autre docteur dans La Mouette de Tchekhov…
François Morel (Vania), Jacques Weber (le docteur), Audrey Bonnet (Sonia) face à François Marthouret et Stéphane Caillart, le couple citadin mal assorti, Christine Murillo en belle-mère définitivement amoureuse du professeur, son vieux gendre et Catherine Ferran en nounou fidèle, sans un gramme de mièvrerie, à Vania et Sonia. Et Marc Lesage lui-même en Téléguine et Bernard Larré en ouvrier. Tous parfaits, modestes, justes et originaux.
La caméra se promène de l’un à l’autre avec bienveillance, et il y a un minimum d’accessoires mais avec aussi parfois, un regard sur le plus beau paysage qui soit: la salle avec son balcon, ses fauteuils rouges inhabités et frémissants. Ce serait une distribution idéale et une mise en scène parfaite. Dans cette adaptation, parfois le texte est redistribué : Sonia et Vania héritent ainsi de la célèbre tirade sur l’écologie du Docteur, sans que la pièce y perde. Aucun acteur n’en fait trop et chacun sait capter le regard de la caméra et ajuster son jeu.
Oui, mais voilà, ce merveilleux spectacle s’est joué le temps d’un tournage puis chacun est reparti. On ne devrait penser qu’au bonheur de savoir que cet Atelier Vania a été vu sur france 5, par un public infiniment plus vaste que ce qu’il aurait jamais été dans la «vraie vie»… Nous admirons l’entreprise de Jacques Weber et Marc Lesage qui ont encore en réserve un Atelier Cyrano et un Atelier Misanthrope, deux pièces où le rôle-titre emblématique a été tenu par le grand comédien. Ils réalisent le miracle de rendre durable l’éphémère et d’en conserver la fugacité. Ils inventent le document d’une histoire du théâtre qui «n’existait que dans la mémoire du spectateur», selon les mots d’Antoine Vitez.
L’avenir d’un théâtre pour tous serait-il dans ces magnifiques enregistrements? Pas d’inquiétude, enfin du moins jusqu’à présent. Le théâtre vivant a toujours su se réinventer, souvent dans la pauvreté. Mais bon, ne boudons pas notre plaisir devant cet Atelier Vania et sa distribution de rêve qui n’existera jamais. Sauf défi à relever…
Christine Friedel
Rediffusion sur france 5 TV jusqu’au 28 mai.