Une marche blanche à Ivry-sur-Seine…

Une marche blanche à Ivry-sur-Seine…

 

 

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A Ivry-sur-Seine le spectacle est dans la rue. Éminemment tragique. Quelle scène plus cruelle que la mort d’une enfant, d’une adolescente. Les médias ont relayé la scène. «All the world a stage» (Le monde entier est une scène) dit William Shakespeare..  La France est bouleversée. Nous devrions l’être encore davantage.

Ce vendredi 14 mai, Marjorie, dix-sept ans, a été tuée d’un coup de couteau par un garçon de quatorze ans, à Ivry-sur-Seine au cours d’une altercation à la suite de différends mis en ligne sur les réseaux sociaux. Sa mère, Odile M., accompagnée de Cynthia, une des sœurs de Marjorie, a fait une déclaration poignante sur B.F.M. Sa douleur retenue, son courage et sa dignité m’ont ému : « Arrêtez vos violences. Ma fille a été tuée pour rien. Il n’est pas possible de tuer une jeune fille pour un simple différend. Il faut utiliser la parole, et non pas cette violence qui vient de m’enlever ma fille et de briser ma famille. » Et Cynthia, insiste : « Vous vous croyez où, les jeunes ? Au far-west ? On n’utilise pas un couteau pour tuer comme ça, pour rien… ». Je trouve cette mère admirable dans le désir qu’elle a de faire passer un message aux jeunes de la cité Pierre et Marie Curie où elle habite, comme à la communauté nationale. Que la mort de sa fille ne soit pas inutile. Que cette mort absurde ait un sens pour nous. Que nous puissions recevoir cette douleur et communier avec elle dans le refus de cette violence.

J’ai beaucoup d’amis à Ivry-sur-Seine et connais cette ville où j’ai milité jadis quand sont arrivés les migrants syriens. J’ai participé aux réunions du maire communiste Philippe Bouyssou, manifesté notre solidarité à la déléguée socialiste Sandrine Bernard et me suis désolidarisé des déclarations inacceptables d’Atef Rouma, adjoint au maire qui justifiait les crimes des djihadistes en France par notre engagement militaire au Proche-Orient. 

Je décide alors d’aller porter une fleur sur les lieux mêmes où Marjorie a été assassinée et aussi d’aller parle aux jeunes de la cité Hoche qui doivent être désemparés. Ce dimanche après-midi, il n’y a qu’un petit nombre de personnes autour du rebord de pierre où ont été déposés quelques modestes bouquets.

De très jeunes gens discutent un peu plus loin. Comme toujours avec les jeunes de banlieue, le contact avec un étranger est difficile, les mots de l’échange sont pauvres et pas simples à trouver, les réactions des uns et des autres sont inhibées. Les jeunes gens me disent qu’ils sont dans le même collège que Marjorie, certains, dans la même classe. Je leur dis que je comprends leur tristesse et que le meilleur moyen pour eux de garder Marjorie dans leur cœur va être de travailler comme elle avec ardeur et d’apprendre, puisqu’elle était fière d’être une bonne élève, qu’elle voulait s’en sortir et devenir ingénieure. Suivre son exemple est le meilleur moyen de penser à elle, de lui garder une affection même après sa mort. Je ne sais si ces paroles d’adulte ringard ont quelque influence sur eux mais le contact s’établit et nous échangeons encore quelques mots. Quand je les quitte, une jeune femme m’aborde et me dit : « Je suis Cathia, la cousine de Marjorie, si vous voulez, je peux vous emmener voir sa mère à la maison. » J’accepte volontiers, nous arrivons au 100 rue Hoche et montons les escaliers d’un immeuble bien tenu, pas du genre de ceux que l’on connait dans les quartiers délabrés de certaines cités. Ivry-sur-Seine est une ville de qualité où les cités sont propres et fréquentables. Dans l’appartement exigu, se trouve déjà beaucoup de monde. Nous sommes en présence d’une famille africaine en deuil. Tout le monde est masqué. Des femmes égrènent un rosaire et se succèdent les : « Je vous salue Marie ». Tout le monde entoure la mère de Marjorie et ses enfants. Nous sommes, je crois, les seuls Blancs de la réunion. Nous restons un moment écouter les prières puis Cathia m’emmène voir Odile, la mère de Marjorie. Je bredouille quelques mots à son oreille et serre dans mes bras, très ému, cette femme courageuse et digne. 

Nous redescendons l’escalier et dehors, je parle encore avec les enfants, en particulier avec le frère jumeau de Marjorie qui à l’air tétanisé. Une jeune femme qui participait aux prières se tourne alors vers moi : « Je suis la sœur d’Adama. » Je ne comprends pas immédiatement ce qu’elle veut dire. Elle porte un masque et un grand turban africain orange qui enveloppe ses cheveux que l’on ne peut apercevoir et aussi un manteau d’une grande élégance. « Je suis Assa Traoré », me dit-elle comme si je devais la reconnaître. Nous échangeons quelques mots et connaissant son combat pour son frère, je lui dis que la dignité de cette mère est un exemple pour tous, qui entraîne notre compassion et notre adhésion.

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Philippe Bouyssou, le maire d’Ivry-sur-Seine, a prononcé un discours où il dénonçait les violences. Odile M. et ses filles ont fait une intervention remarquable. Elles ont mis l’accent sur l’amour et l’attention donnés aux enfants, sur l’éducation et surtout sur l’importance du rôle des parents et de la famille pour transmettre les valeurs, la notion de respect d’autrui, base de toute vie en commun. Le père, a-t-on dit, était trop ému pour parler.

Une fois de plus, frappé par la force de ces mots, je m’interroge sur l’émotion qui m’a saisi en écoutant cette femme endeuillée hors du commun, comme sur ma détermination à aller la soutenir. Et j’ai pensé à ma grand-mère Marguerite qui, elle aussi, croyait au Ciel et savait parler des valeurs chrétiennes avant toute chose. Elle avait perdu trois de ses fils de mort violente. Elle remerciait pourtant la Providence. Elle avait la même attitude que celle d’Odile M., la mère de Marjorie. Elle ponctuait ses convictions avec les mêmes gestes. Elle rappelait ses valeurs, ses obligations, non ses droits. En parlant de cet adolescent de quatorze ans qui avait poignardé Marjorie, une de ses sœurs, Cynthia, demandait hier de ne jamais céder à la vengeance. Elle évoquait « ce pauvre garçon » qui allait toute sa vie vivre le remord d’avoir supprimé une vie.

Jean-François Rabain, pédo-psychiatre, psychanalyste.
  

 

 

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