Le Printemps des comédiens à Montpellier
La Mouette d’après Anton Tchekhov, traduction d’Olivier Cadiot, mise en scène de Cyril Teste
©Simon Gosselin
Cette pièce en quatre actes (1886) a d’abord lieu près d’un lac dans la propriété rurale de Sorine. Il y a, comme dans les autres pièces importantes du grand dramaturge, toute une galerie de personnages. Et une première réplique donne le ton: Medvedenko, le maître d’école est amoureux de Macha: «D’où vient que vous soyez toujours en noir? « lui demande-t-il- «Je suis en deuil de ma vie. Je ne connais pas le bonheur. » Bref, depuis le début, la mort et le malheur vont rôder sur toute la pièce.
Nina, fille d’Ilia Afanassiévitch Chamraiev, intendant de la propriété et de Paulina, a vingt-deux ans. Elle aime Konstantin Treplev, le neveu du propriétaire qui l’aime aussi. La mère de Konstantin, Arkadina, une actrice célèbre (Olivia Orsini) a, dit-elle à Macha, presque le double de l’âge de Nina dont Treplev est amoureux. La jeune fille veut devenir elle aussi actrice et dans le jardin sur une petite estrade, il joue avec Nina une petite pièce qu’il a écrite aussi pour elle ; c’est selon lui une sorte de manifeste pour un théâtre nouveau… Que Dorn, le médecin de famille (Gérald Weingand) apprécie. Mais Arkadina va sans état d’âme critiquer durement la pièce et fait comprendre à son fils qu’il n’a aucun talent et qu’il n’aura jamais l’envergure d’un dramaturge. Nina, elle, est fascinée par Trigorine (Vincent Berger), amant d’Arkadina et écrivain célèbre dont elle va vite tomber amoureuse. Et lui va aussi se laisser séduire par cette jeune fille.
Treplev a tué une mouette et l’apporte à Nina. Curieux cadeau. Désespéré, il lui annonce qu’il va se tuer et fait allusion au personnage d’Hamlet. La mouette, symbole de l’histoire de Nina qui admire beaucoup Arkadina et qui rêve d’être elle aussi actrice. Fascinée par Trigorine, elle va s’enfuir à Moscou avec lui… Macha dit à Trigorine qu’elle a aimé «sans espoir, attendre et attendre des années durant. Dès que je serai mariée, j’aurai autre chose à faire que de penser à l’amour, les nouveaux soucis étoufferont le passé. » Elle lui dit qu’elle va finalement épouser Medvédenko, le maître d’école (Pierre Timaitre) qu’elle n’aime pas mais à qui elle sera fidèle.
Deux années ont passé… Trigorine s’est séparé de Nina qui n’a jamais percé comme actrice. Dévastée par cette rupture et la mort de son bébé, elle revient voir Konstantin Treplev qui lui aussi, n’a jamais réussi à devenir un écrivain. Désespéré d’avoir été abandonné par Nina, il essaye une dernière fois mais en vain de la retenir. Mais deux ans plus tard, le temps de leurs amours est bien fini et elle lui avoue qu’elle aime toujours aussi passionnément Trigorine…Illusion, déception… Treplev et Nina ne savent plus très bien où ils en sont. «Le passé me tourmente et je crains l’avenir », écrivait déjà Pierre Corneille. On entend un coup de feu. Dorn dit à Arkadina que c’est seulement un flacon d’éther a éclaté dans sa pharmacie de voyage et il continue à parler d’une revue à Trigorine. Puis le médecin lui dit à voix basse: «Le fait est que Konstantin vient de se tuer. »et lui dit d’éloigner sa mère. Les derniers mots de cette pièce fabuleuse à plus d’un titre et l’une des plus jouées avec La Cerisaie et Les Trois sœurs du grand dramaturge russe.
Et cela donne quoi, cette adaptation et revisitation de La Mouette par le grand maître de l’hybridation théâtre/vidéo, auteur du fameux Nobody d’après des textes de l’écrivain allemand Falk Richter, avec un film en direct en interpénétration avec les acteurs sur le plateau et qui restera comme un des meilleurs récents spectacles.
Sur le plateau, un beau parquet de chêne foncé, au milieu et de chaque côté l’image vidéo en noir et blanc -ce qui en souligne le caractère inquiétant- d’un lac et d’un bois de sapins, ceux de la propriété de Trigorine. Après tout, pourquoi pas? A l’arrière-plan des châssis de toiles vierges blanches de formats différents que l’on déplacera ensuite côté cour, sans que l’on en voit bien la raison : elles servent d’écran mais il y a aussi des écrans électroniques où l’on voit l’image des acteurs qui jouent mais dans l’ombre, filmés par un des cadreurs. Il y a comme une mise en abyme un peu trop insistante et où la virtuosité technique et la production d’images sont envahissantes, notamment celles du visage de Nina qui se superposent… Quel intérêt? Où en est le sens ? Nous avons vu cela des dizaines de fois, notamment chez le metteur allemand Frank Castorf et nombre d’autres mais de façon plus subtile qu’ici.
Mais heureusement dans cette mise en scène, il y a une direction d’acteurs tout à fait remarquable et Cyril Teste revoit presque la pièce, en accordant une présence importante à Macha, un personnage un peu secondaire mais d’une absolue modernité, pourtant créé par Tchekhov il y a déjà plus d’un siècle. On voit au début surtout son visage en très gros plan. Elle fume et boit souvent pour noyer son désespoir et la vacuité de sa vie. Rien à dire, Cyril Teste, qui a choisi de faire jouer ses acteurs en costumes actuels, sait créer de belles images…
Il y aussi du nettement moins bon, côté texte et nous ne pouvons pas être d’accord. Quand on relit la traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, ou celle d’Antoine Vitez qui avait monté la pièce à Chaillot, ce texte a une toute autre chair. Désolé, il y a ici un côté mode et facile, à la limite du vulgaire dans la traduction d’Olivier Cadiot. Comme, entre autres tripotages, ces trois mots: «Tu es fort» que dit Treplev à Trigorine. A entendre cette réplique, elle nous avait parue suspecte. Et à relire la traduction d’André Markowicz, effectivement on est loin du texte d’origine. Anton Tchekhov n’écrit pas comme cela et ce: « Tu es fort » n’a rien du: «Vous êtes un homme de talent» Comme la dernière réplique toute épurée, dite par Dorn qui a vite compris que Treplev s’est tué et ici surchargée d’un lourdingue: « immédiatement» qui n’a rien non plus à faire là. Ce sont certes des détails mais qui comptent. Nous ne retrouvons pas la vacuité des paroles qui fait sens (c’est tout un art!) et cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas un manque de tension- ou la répétition de mots comme: « comprendre » chez les personnages. Et André Markowicz souligne avec une grande finesse les tics de langage de Sorine: « Et tout … Et tout ça quoi » sont une » façon de ne pas en avoir fini avec les mots et d’être ouvert aux représentations des autres. » Dans cette mise en scène, cela ne semble pas avoir été la priorité ! Et pourquoi ce coup de langue italienne surgi de nulle part? Le texte d’Anton Tchekhov paraît avoir été passé à la machine à laver et en subsistent des dialogues souvent assez pauvres qui font penser à ceux de mauvaises séries télévisées. Cette Mouette ne vole pas toujours très haut! C’est vraiment dommage d’avoir su réunir et si bien diriger de tels acteurs, pour en arriver à un résultat aussi peu convaincant.
Et à quoi sert cette coûteuse technologie? Cyril Teste doit bien avoir conscience que tous ces gros plans répétés jusqu’à plus soif, fatigants d’obscénité au sens étymologique du terme, n’ont pas grand chose à voir ou si peu avec la pièce d’Anton Tchekhov : entre autres, la naissance ou la fin d’une relation amoureuse, par exemple dans une scène entre Nina et Trigorine où nous voyons en très gros plan, une bouche et une tempe. La virtuosité, au théâtre comme ailleurs, n’a jamais fait bon ménage avec l’émotion; ici, il y a comme un côté clinique assez embêtant. Et à aucun moment, nous ne voyons toute cette « famille »: parents, enfants, invités, employés du domaine, serviteurs, voisins obligée de vivre ensemble et qui caractérise le monde de Tchekhov). Dommage. Le système Cyril Teste reste parfaitement rodé mais cette Mouette a du plomb dans l’aile et nous voyons peu et mal les acteurs directement sur le plateau, puisqu’ils semblent juste servir de relais entre le texte et l’image. Bref, est-on encore au théâtre? Et on peut se poser la question: pourquoi le metteur en scène n’a-t-il pas alors réalisé un film?
Alors y aller ou pas? Oui, pour ces magnifiques acteurs d’une vérité exceptionnelle. Et si vous n’avez jamais vu de spectacles de Cyril Teste, cela vaut le coup mais, en ce qui concerne La Mouette? Il est indiqué honnêtement: « d’après » mais on est quand même loin du compte, et nous avons la nette impression que Cyril Teste s’auto-académise et se répète en utilisant des recettes qui commencent à dater! Attention, même si, à quarante-six ans, il trouve qu’il « gagne en maturité », ce qui est sans doute vrai, certains jeunes metteurs en scène eux, trouvent que c’est déjà du vieux théâtre. Sonne donc déjà pour ce brillant metteur en scène, l’heure d’un indispensable renouvellement. A suivre…
Philippe du Vignal
Le festival a eu lieu jusqu’au 26 juin et ce spectacle a été créé à la salle Jean-Claude Carrière au Domaine d’Ô, à Montpellier (Hérault).
Du 6 au 10 octobre, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Haute-Savoie)et du 13 au 15 octobre, Scène Nationale de Chambéry (Savoie) .
Du 9 au 18 novembre, Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine) ; du 25 au 27 novembre, Les Quinconces-Scène Nationale du Mans ( Sarthe).
Les 6 et 7 décembre, Grand R-Scène nationale de La Roche-sur-Ion (Vendée); du 16 au 18 décembre, Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).
Les 5 et 6 janvier, La Coursive, Scène nationale de La Rochelle (Charente-Maritime) ; les 13 et 14 janvier, Points-Communs, Scène nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise); les 20 et 21 janvier, L’Archipel, Scène Nationale de Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; les 27 et 28 janvier, Le Parvis-Scène Nationale de Tarbes (Hautes-Pyrénées).
Les 10 et 11 février Théâtre de Sartrouville ( Yvelines) ; les 16 et 17 février, Scène nationale du Grand Narbonne (Aude).
Du 2 au 12 mars, Théâtre des Célestins, Lyon ( Rhône) ; du 22 au 26 mars, Théâtre National de Bordeaux (Gironde) ; du 31 mars au 2 avril, Scène Nationale de Sénart; du 6 au 8 avril, La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq (Nord).
Du 14 au 30 avril, Théâtre des Amandiers- Centre Dramatique National de Nanterre . Et les 12 et 13 mai, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines; du 17 au 19 mai, Théâtre-Auditorium de Poitiers; les 15 et 17 mai, Centre Dramatique National d’Orléans (Loiret).
Lolling et Rolling, premier volet de The Hamartia Trilogy de Jaha Koo
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Jaha Koo est un compositeur, performeur et metteur en scène né en Corée du Sud il y a trente sept ans. Il a étudié le Théâtre à l’université des Arts de Corée puis à DasArts à Amsterdam. Son travail comprend à la fois de la musique électronique, du texte et des images vidéo. Dans Cooking que l’on avait pu voir au Théâtre de la Bastille à Paris, seul en scène face à trois autocuiseurs, il nous contait les réalités d’un monde qui lui était étranger et un présent personnel fait de solitude et de violence où il lui fallait pourtant vivre.
Il explore ici le récent passé de l’histoire de son pays. Le 22 août 1910, la Corée était en effet envahie par le Japon puis par les États-Unis. Des faits historiques qui, pour lui, éclairent aussi le présent de l’Europe actuelle où il vit maintenant et où, dit-il, « tout s’aggrave en crescendo: l’exclusion, les inégalités sociales, l’incitation à la compétition, la dégradation du bien-être, etc. La décision de venir en Europe m’a pris beaucoup de temps. Un plus grand espace de liberté, c’est cela qui m’a décidé: plus d’intimité, de respect, moins d’obligations envers la famille ou le groupe et moins d’interférences dans la réalisation de mes œuvres. ( …) Je veux certes être libéré des obligations familiales mais ma famille me manque. » Et il observe d’autant mieux son pays, puisqu’il est une sorte d’exilé culturel qui, depuis dix ans, a fui une société capitaliste qui inonde le monde de ses produits industriels. Pour en retrouver une autre où visiblement, il n’a pas tous ses repères. Il a une vision critique de la Corée du Sud et sur le pouvoir dominant des États-Unis. Selon Jaha Kool, «la conscience d’une société prend forme sous l’influence de la culture et de l’éducation ».
C’est cette solitude paradoxale et ce besoin d’être heureux que nous ressentons aux meilleurs moments de cette courte performance d’à peine une heure où cet artiste, imperturbable devant ses consoles, projette des extraits de films issus des archives nationales de son pays. Pour montrer que la passé collectif d’un pays affecte tragiquement nos vies. Le mot hamartia en grec ancien signifiant le défaut de caractère qui va provoquer la chute d’un héros.
Ce premier volet de The Hamartia Trilogy est d’une très grande qualité à la fois technique et artistique où il y a un parfait accord entre le vécu de cet artiste aux origines coréennes qu’il ne peut renier et des images conçues selon les standards les plus internationaux. Bref, un spectacle intéressant et remarquablement construit mais auquel manque sans doute un peu d’émotion personnelle. Mais nous n’avons pu voir les deuxième et troisième volets de cette œuvre.
Ph. du V.
Spectacle vu le 12 janvier au Hangar Théâtre à Montpellier.