Urgence, conception et direction artistique d’Anne Rehbinder et Antoine Colnot, chorégraphie d’Amala Dianor

Urgence, conception et direction artistique d’Anne Rehbinder et Antoine Colnot, chorégraphie d’Amala Dianor

 Nous avions assisté aux répétitions de cette pièce en juillet l’an passé au Théâtre National de la Danse de Chaillot (voir Le Théâtre du blog). Les cinq danseurs sont issus du projet hip- hop Babel 8.3, un spectacle participatif pour trois cent amateurs, créé en 2015 par la compagnie HKC et porté par la Maison de la Danse à Lyon.

© R. Tissot

© R. Tissot

Issus des quartiers dits « sensibles », les jeunes artistes d’Urgence sont sortis fragilisés de la première période de confinement où ils n’avaient pu travailler ensemble. L’alternance entre séquences de danse et de paroles libres et qu’on avait déjà pu voir aux répétitions, n’était donc pas encore au point et ils avaient du mal à coordonner paroles et mouvements. L’interaction avec les spectateurs était une des pistes de cette chorégraphie et les jeunes danseurs les cherchaient du regard pour les prendre à témoin de leurs histoires.

Un an après, Urgence fonctionne bien malgré un nombre limité de spectateurs venus en partie, ce soir-là, des quartiers de la Goutte d’or et de la Chapelle où les metteurs en scène, le chorégraphe, les danseurs et l’équipe de Chaillot autour d’Agnès Chemama, ont mené pendant des mois un profond travail d’action culturelle auprès des jeunes.

 Les interprètes parlent de leur émancipation à travers la danse, évoquent leur vie et leur volonté de sortir du cadre qui leur colle à la peau. Cette création leur permet de casser les a priori négatifs du style:  «jeunes des banlieues-irresponsables-incapables d’actions coordonnées et signifiantes».

La musique originale d’Olivier Slabiak accompagne de puissants mouvements de groupe. Plus que les textes -souvent exprimés en canon- nous retiendrons de cette pièce d’une heure, créée en juin à la Biennale de la danse de Lyon, la formidable énergie de Marwan Kadded, Freddy Madodé, Mohamed Makhlouf, Elliot Oke et Karym Zoubert.

 Jean Couturier

 Spectacle joué du 24 au 26 juin au Théâtre National de la danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T. : 01 53 65 30 00.

 

 

 

 

 

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Archive pour juin, 2021

Giacometti/Beckett, Rater encore, Rater mieux, Alberto Giacometti et l’Egypte antique

 Giacometti/Beckett, Rater encore, Rater mieux,

Alberto Giacometti et l’Egypte antique

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Amis depuis 1937, marchaient souvent ensemble dans Paris. Des principes artistiques communs ouvraient sur des intimités partagées et silencieuses. « J’ai réalisé que j’allais dans le sens de l’appauvrissement, de la soustraction, disait Samuel Beckett. Et « Le va-et-vient de la forme, selon Alberto Giacometti, était graduel et continu. Il effaçait une partie, la reconstruisait ».

Unknown-5Que gagne-t-on à retrancher ? On allège dans un mouvement de descendance. Le dépouillement ne se participe pas du néant mais vers un être minimum qui, chez ce grand sculpteur, remonte allégé: chute mince, remontée mince. Avec une modulation et grâce au torchis, Giacometti devient « égyptien ». 

Une ligne entre aussi dans des mouvements de descendance et ascendance : Ainsi dans Nuit et rêve, un film réalisé par Samuel Beckett en 1983 pour la télévision allemande, une table, une chaise « pèsent », plongent dans des volumes de pénombre qui tiennent lieu de sol et de mur. Dans le coin gauche de l’écran, un homme se tient assis, de profil, mains sur une table. Sa tête se relève et s’incline plusieurs fois selon un ligne pure qui résonne avec des variations de de lumière et d’ombre.Auparavant l’écrivain en 1981, toujours pour la télévision allemande, avait réalisé Quad où il rejoint ici l’idée du « plan fécond » selon Giacometti. Aux quatre interprètes qui devaient avoir « une expérience de la danse souhaitée », sont attribués des parcours sur les côtés et les diagonales d’un carré.
Chaque danseur parcourt donc en tout six côtés et diagonales selon une série précise déterminant l’ordre des successions : seul, en duo, en trio, à pas glissés. Quand deux ou quatre marcheurs se rencontrent au croisement des diagonales, ils s’évitent en se déhanchant légèrement, hiatus qui assure la continuité du mouvement et vide le centre.

Ce creux assure la profondeur maigre qui commence avec l’art égyptien. Souvent dans les romans de Samuel Beckett, la parole se dirige vers une affirmation ou une négation qui se détourne subitement. Elle esquive toute prise de position, tout terme final. Quad réinscrit ces hiatus dans des plans de cinéma. Dans ses romans, le langage de torsion en torsion trouve ses limites et sans parole, il esquive le cri. Entre les mots interrompus naissent autre chose que le langage : des points virtuels audio-visuels.

 Que rate-t-on ? Le néant ne relève pas d’un trait de la condition humaine. L’être premier rend impossible la pensée du néant, soit le nihilisme. Pour  évoquer ce néant, il faut s’emprisonner dans des à-priori que Nietzche met à jour dans La Généalogie de la morale : le ressentiment, la mauvaise conscience, la haine de la vie :tourner des forces contre soi-même, contre l’autre, paralyser la vie.

Avec le dépouillement, s’opère une libération de forces. De diminution en diminution, une ligne d’art se dirige vers un plan qui se tient sous la surabondance du monde et qui enveloppe un sol caché là où disparaissent les formes connues, là où apparait l’inconnu incarné.La soustraction graduée, à la fois retire et révèle en cédant la place à des lignes pures, vibrantes. Dans ses romans peuplés d’étincelles, il y a de nombreux événements lumineux, des points audio-visuels virtuels qui sont germes de ses films et des verticales chez Giacometti. Du sol (« la nature aime à se cacher » disait Héraclite) sortent chez lui des figures en filigrane, parcourues d’une multitude de de »touchers de terre ».  Toute sa vie Giacometti travaillera en regard de l’art égyptien. 

Notament entre 1933 et 1934, il s’inspira d’un lampe à huile en forme de lotus -une des pièces du tombeau de Toutankhamon- et en épure le dessin en supprimant le motif végétal. Il se situe dans le prolongement de la pensée égyptienne : « protéger l’essence extraite des apparences du changement, dit Gilles Deleuze. Comme les Egyptiens,Giacometti utilisera le socle rectangulaire supportant un buste mince comme celui dit Aménophis) (1954) et nous renvoie aux aplats des bas-reliefs.

L'arbre sculpté par Giacometti pour En attendant Godot

© x L’arbre sculpté par Giacometti pour En attendant Godot

 Gilles Deleuze dans son cours à l’Université de Vincennes-Saint-Denis en 98 remarquait que les artistes égyptiens prélèvent des essences sur les formes. Comment les protéger des fluctuations ? Par le contour ; « Sa loi, c’est la clôture, le contour » ce qui renvoie chez Giacometti avec sa série des Cages (1949,1950). Mais aussi à celle des cubes : CubeTête crâne (1934) et aux  figures hiératiques qui contiennent leur apparence. Notamment la tres belle et mince Femme qui marche (1932-1936): une ligne immobile qui se déplace.

Toujours selon le philosophe, l’art égyptien est essentiellement le bas-relief  dont « La forme et le fond doivent être de toute urgence également proches et proches à nous-mêmes. Formes et fonds sont sur le même plan. » Le contour, autonome, représente la limite commune de la forme et du fond sur un seul et même plan. Alberto Giacometti se situe sur cette ligne de travail : réduire au minimum la différences de plans. Paraît « la profondeur maigre »comme avec un buste mince sur socleFemme qui marche. Ses figures étirées associent la minceur de la verticalité et le profondeur du « toucher terrien » par le torchis. La matière remonte. Un peu de corps. Mortel-immortel.

Bernard Rémy

Giacometti/Beckett, Rater encore. Rater mieux, a eu lieu du 9 janvier au 8 juin
Alberto Giacometti et l’Egypte antique, du 22 juin au 10 octobre.

Institut Giacometti, 5 rue Victor Schœlcher, Paris (XIV ème).

 

 

Tiens ta garde par le collectif Marthe

Tiens ta garde par le collectif Marthe

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© Jean-Louis Fernandez

Une salle d’armes classique, tapissée de fleurets et de masques. Dans ce lieu austère, se déroule un stage d’auto-défense féministe qui va rapidement bousculer l’ordre établi et faire bouger les murs.

Leçon n° 1: «Désapprendre à ne pas se battre» car savoir se battre est un élément essentiel de la lutte des femmes. Et le collectif Marthe n’y va pas à fleurets mouchetés… Pour tenir ce pari, Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui ont pris des cours de wing-chun, un ancien art martial chinois: «Au fur et à mesure des ateliers, disent-elles, nous avons pris confiance en notre capacité de résistance. Nous avons appris à travailler la fuite, l’ancrage, le poids, l’élaboration de différentes tactiques.»

Fortes de ce viatique, elle s’attaquent bille en tête aux racines du mal: le mâle sous tous ses avatars, familiaux ou héroïques. D’abord à l’australopithèque qui a refusé aux femmes l’usage des armes jusqu’aux hommes d’aujourd’hui en passant par Davy Crockett, les révolutionnaires français ou Captain America apparu aux Etats-Unis dans un magazine de B.D. en 1940… La figure du père aussi en prend pour son grade. Elles convoquent aussi leurs modèles : les suffragettes anglaises qui pratiquaient le jujitsu et autres pétroleuses luttant pour le droit de vote des femmes et la défense des opprimés.

Pour ce spectacle, elles se sont inspirées, entre autres écrits féministes, de Se défendre, Une philosophie de la violence d’Elsa Dorlin qui dresse une généalogie de l’auto-défense en prenant appui sur différentes luttes politiques. Leurs recherches et leur entraînement au wing-chun ont donné lieu à une écriture collective, régie par le dramaturge Guillaume Gayet et qui participe d’un théâtre très physique, drôle et intelligent.

 Entre les séances d’auto-défense, ancrées dans le réel, se glissent des scènes parodiques où les actrices questionnent la culture masculine dominante à travers l’Histoire, que ce soit en matière de peinture ou quant à la place des femmes dans la société. Nous rions  quand elles  jouent Nicolas Poussin ou Claude Manet se querellant à propos de la technique du drapé sur le corps féminin. Elles s’en prennent aussi aux tribuns du peuple de 1789 qui les femmes à leur foyer en leur offrant, maigre compensation, Marianne, comme symbole de la Révolution…

Pour cette mise en scène délirante et onirique, Emma Depoid a imaginé une scénographie accompagnant la libération progressive qui s’opère chez les élèves du stage d’autodéfense avec une salle d’escrime escamotable dont les murs s’écartent pour faire place à une aire de jeu s’ouvrant jusqu’aux sombres recoins du plateau.

 Le collectif Marthe n’entend pas donner de leçons de féminisme et emploie humour caustique et dérision pour nous faire réfléchir, tout en goûtant le plaisir d’un jeu théâtral pétillant. Il nous offre un spectacle coup de poing qui, malgré quelques longueurs dans la deuxième partie, a de quoi réjouir le public. Jeune pour la plupart, il jubile et s’y reconnait. Il faut aller découvrir ce travail généreux et plein d’audace…

 Mireille Davidovici

Du 23 au 26 juin, Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 50.

Du 29 juin au 2 juillet, Théâtre Dijon-Bourgogne (Côte-d’Or). Le 20 octobre, Festival des Femmes, Liège et le 23 octobre, Festival des Libertés, Bruxelles (Belgique).

Du 1 au 5 février, Théâtre du Point-du-Jour, Lyon (Rhône) ; les 8 et 9 février, Théâtre de l’Union, Limoges (Haute-Vienne); les 15 et 16 février, Domaine d’O, Montpellier. (Hérault);.

Les 24 et 25 février, Théâtre Joliette, Marseille (Bouches-du-Rhône).

Le 1er mars, Le Théâtre, Mâcon (Saône-et-Loire) et le 8 mars, Théâtre 61, Alençon (Orne).

Printemps de la danse arabe 2021

 

Le Printemps de la danse arabe 2021

De reports en incertitudes, le programme réduit de ce festival se déroule en trois lieux seulement cette année dont l’Institut du monde arabe où il se fond avec Les Arabofolies, un festival musical des arts et des idées organisé aussi par cette institution dont Jack Lang est le président.

Blow chorégraphie de Karim KH

BLOW-01 (c) TimothÇe Lejolivet

© Timothée Jolivet

Un climat inquiétant règne sur le plateau baigné de rouge. Un danseur solitaire, enveloppé de fumée, guette, immobile, bientôt rejoint par ses partenaires, ombres mouvantes. Petit à petit, le groupe prend vie. Corps virils et souples, soigneusement chorégraphiés entre gestuelle hip hop et grammaire de la danse contemporaine. La tension monte à son comble quand les corps s’affrontent dans des rixes ludiques.

Rien d’original dans cette pièce, sinon la présence discrète mais angoissante d’un homme qui traverse lentement la scène, invisible pour ses partenaires. Son passage fantomatique évoque comme une défaite. Celle des printemps arabes? Jouant sur le contraste entre l’énergie du groupe et la lenteur de l’apparition, Blow est la première création parisienne de Karim KH. Après avoir travaillé un peu partout dans le monde, il a implanté sa compagnie dans la capitale en 2017.

Déplacement chorégraphie de Mithkal Alzghair

Displacement-(c) Tanz im August,2016

© Laura Giesdorf

« J’ai éprouvé physiquement, dit le chorégraphe, l’urgence du déplacement contraint, de l’évasion, de l’attente avant le départ, de l’exil, dit le chorégraphe. Avec cette création, je cherche à interroger cette idée de déplacement. »Une paire de bottines attend sur le plateau vide. Mithkal Alzghair les chausse, comme pour civiliser ses pieds nus… Il doit se faire à cette nouvelle enveloppe contraignante qui entrave ses mouvements et l’entraîne vers une gestuelle militaire… On pense au conte cruel de Hans-Christian Andersen, Les Chaussons rouges où une jeune fille ne peut arrêter de danser, une fois qu’elle a mis de séduisantes mais diaboliques chaussures rouges…

 Dans cet intense solo de trente minutes, l’artiste tente de montrer physiquement les effets de l’exil. Par sa gestuelle, il évoque subtilement la danse traditionnelle de son pays, sa transe, ses dynamiques et répétitions, en contraste avec la rigidité imposée à son corps, forcé à adopter des comportements qui lui sont étrangers.

Comment quitter ses anciens habits, pour en revêtir de nouveaux sans perdre son identité? Une question que l’artiste, pour se reconstruire, résout en créant son propre style avec une mue corporelle émouvante

Né et formé en Syrie, Mithkal Alzghair a participé à de nombreux spectacles dont 20 danseurs du 20ème siècle de Boris Charmatz. Déplacement a gagné le premier prix du concours Danse élargie 2016. En 2019, il a créé We are not going back au Festival Montpellier-Danse. Un chorégraphe à suivre…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 22 mars à Institut du monde arabe, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, Paris (V ème)
Le 
Printemps de la danse arabe se poursuit  jusqu’au 29 juin, dans le cadre des Arabofolies du 5 au 30 juin

Dans le cadre du Printemps de la Danse, la MC 93 a accueilli L’Onde de Nacera Belaza et Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis,ont reçu Cosmic A de Charlie Prince.

 

Faith, Hope and charity, texte et mise en scène d’Alexander Zeldin (en anglais surtitré en français)

Faith, Hope and charity (Foi, Espérance et Charité), texte et mise en scène d’Alexander Zeldin (en anglais, surtitré en français)

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La troisième partie de la trilogie Inégalités, dont le titre reprend la bien connue triade de Saint-Paul, se passe dans un triste foyer pour exclus dans une ville anglaise. Ici, ni foi, ni espérance, quant à la charité… La scénographie hyper-réaliste de Natasha Jenkins est aussi réussie que celle du second volet Love, une pièce que nous avions découverte sur ce même plateau et que nous avions beaucoup appréciée (voir Le Théâtre du Blog).

Même univers, même personnages ou presque  Et même dispositif que pour Love: la scène et la salle non séparées, sont éclairées par des tubes fluo blanc et cette lumière crue renforce encore la pauvreté du lieu aux murs sales et dont le toit fuit. Dans le fond, derrière un passe-plat, une petite cuisine où officie une grosse dame africaine qui a le cœur sur la main et qui, du mieux qu’elle peut, prépare des déjeuners avec ce qu’elle récolte en dons de conserves et pâtes. Et les exclus et de la société capitaliste viennent dans une salle aux pauvres tables et aux chaises en plastique noir, se réchauffer et manger quelque chose, en faisant sagement la queue… Pour Noël, il n’y a pas de sapin, juste une pauvre guirlande en papier: « Happy Christmas » accrochée au mur de la cuisine et des nappes rouges sur les tables. Mais il y a quand même du gâteau au chocolat… 

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Le public, comme pour Love, est disposé tri-frontalement avec quelques rangées de sièges sur les côtés de la scène, donc au même niveau que les personnages. Belle idée qui renforce encore l’intimité avec les plus pauvres et les plus exclus de la société capitaliste anglaise mais qui tiennent à garder un minimum de dignité. Il y a des dessins d’enfants punaisés sur un tableau en liège. Et des chaises, des tables que Mason, un jeune bénévole va installer.
Et douze personnages passent: ils forment un groupe auquel nous nous attachons. Ils disent de temps à autre, quelques paroles banales et tous ces gens que la vie a durement touché, n’en peuvent plus. Ils ont des gestes lents comme s’ils voulaient économiser leur énergie pour essayer de survivre.

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Quelques acteurs, cela se sent, n’ont jamais fait de théâtre et/ou ont aussi été des S.D.F. Dans cette descente aux enfers, personne n’a trop envie de parler et les dialogues sont donc  limités à l’essentiel. Comme si ces exclus n’avaient plus guère confiance en la parole des autres, surtout celle des politiques et de ceux qui pourraient les aider. Et, dans les silences -très parlants!- il y a une expression du mouvement fabuleuse signée Marcin Rudy. Ici, le moindre geste, quelquefois à peine perceptible, est signifiant. Un travail d’orfèvre.

Il y a ici Hazel dont le fils est en prison. Mason lui est en voie de réinsertion, comme on dit. Et Tharwa, sa fille Tala, le jeune Anthony  et Bernard, un homme voûté plus très jeune qui a dû autrefois être un beau garçon. Silencieux et triste, il a de longs cheveux longs gris qu’il ne doit pas souvent laver. Et comme il n’habite pas loin, il vient souvent, le foyer est aussi sa maison et il le connaît bien.
Beth, une marginale la quarantaine, qui a une vie mouvementée et qui se bat avec les services sociaux pour avoir la garde de son petit fils, une femme,  foulard sur la tête, avec sa petite fille. Deux émigrés africains… Une jeune fille…

Mais ce dernier refuge où ils peuvent aller, même s’il est sinistre, d’une certaine manière, leur appartient. A la presque fin, il a été inondé et ils mettent dans de grands cartons le matériel de cuisine et les pauvres choses qu’ils peuvent emporter. Pathétique…
De toute façon, le lieu a été vendu par la mairie et ils doivent le quitter mais réunis dans une chorale que dirige Masel, ils vont essayer avec une séance de chant en public, de sensibiliser l’opinion et d’empêcher la fermeture de « leur » foyer, même s’il est plus que sérieusement menacé.
Où iront-ils? Nous sentons un immense désespoir chez ces femmes et ces hommes humiliés une fois de plus, et ici collectivement.  Admirablement interprétés par Lucy Black, Tia Dutt, Llewella Gideon, Tricia Hitchcock, Dayo Kolesho, Joseph Langdon, Shelley McDonald, Michael Moreland, Sean O’Callaghan, Bobby Stallwood, Posy Sterling, Hind Swareldahab. Tous sans exception très crédibles et le jeune metteur en scène, nouvel artiste associé de l’Odéon, les dirige de façon remarquable.

Quelques petits bémols: un sur-titrage souvent trop rapide comme la dernière fois et un scénario et un dialogue qui ne sont pas tout à fait à la hauteur de celui de Love mais sinon, quelle même intelligence dans une expression hyper-réaliste pas facile à maîtriser!
Avec des images simples et fortes et une scénographie exemplaires, Alexander Zeldine a su tirer la sonnette d’alarme! Les chiffres en Grande-Bretagne font froid dans le dos: 20% de la population soit quatorze millions de personnes étaient reconnues comme vivant dans la pauvreté il y a trois ans et avec le covid, cela n’a pas dû s’arranger! 75.000 enfants vivent dans des foyers d’accueil et depuis dix ans, le gouvernement a opéré des coupes sombres dans les prestations sociales…
Un ami français, ancien professeur de musique en Angleterre, nous disait avec tristesse il y a peu: «Si tu veux connaître la future situation des hôpitaux en France, traverse la Manche et tu verras, c’est affreux!» Et déjà, dans un  hôpital de l’Oise, récemment une machine de radiologie est tombée en panne mais ne sera réparée qu’en septembre… « En attendant, dit un des médecins, allez vous faire faire une radio dans le privé et revenez nous voir. »  Happy Christmas…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 juin, Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

No way Veronica ou Nos Gars ont la pêche d’Armando Llamas, mise en scène de Jean Boillot

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© Sqare and Martins Production

No way Veronica ou Nos Gars ont la pêche d’Armando Llamas, mise en scène de Jean Boillot

L’auteur hispano-argentin (1950-2003) serait heureux s’il voyait et entendait le sort réservé ici à cette «comédie misogyne» tirée du recueil 14 Pièces piégées, toutes d’une dinguerie où il dénonce la violence des fascismes et des intolérances humaines, No way Veronica met en scène la misogynie crasse d’une bande de machos reclus dans une station météorologique de l’Antarctique et qui entendent bien rester entre eux.

La pièce parodie The Thing, un film du réalisateur américain John Carpenter où un groupe de chercheurs américains est assailli par une effroyable chose extra-terrestre polymorphe. Les protagonistes sont des acteurs hollywoodiens ou de séries télévisées américaines plus ou moins oubliés.Veronica, leur bête noire est une «gonzesse» qui, sous les traits de Gina Lollobrigida, débarque par mer, par terre ou par les airs et dont ils se débarrassent sans vergogne.

Mais cette Veronica a plus d’un tour dans son sac et revient sous différentes formes (dont celle d’un chien). L’auteur  réussit à faire un patchwork d’extraits de blockbusters, publicités, films pornos ou policiers, documentaires, bandes dessinées …mis en abyme dans une intrigue construite comme une suite de numéros de cabaret.

Jean Boillot recrée cette pièce pour la troisième fois. Après une première version, très courte, en 2003, en hommage à l‘auteur décédé cette année-là, il la monte cette fois en spectacle musical. Le compositeur David Jisse  qui dirigea entre 1998 et 2013 La Muse en circuit-Centre National de Création Musicale, proposait une mise en son avec des instruments des années quatre-vingt. Pour cette  version remixée, Hervé Rigaud, à la guitare sur scène, revisite les musiques de David Jisse dans le style pop-rock…

 Dans le brouillard et le froid, la neige crisse sous les pas plus ou moins pesants et rapides des interprètes, relayés par les bruitages de Philippe Lardaux qui accompagnera de ses borborygmes et de son «looper» les aventures rocambolesques de « Nos gars ». Ils sont une dizaine dont Peter Falk, William Holden, Bob Hoskins, James Mason… Isabelle Ronayette avec une grande maîtrise et l’aide de pédales à distorsion, fait à elle seule toutes les voix, jusqu’à celle d’un pingouin-manchot et, bien sûr, celle de Veronica/Gina Lollobrigida! Jean-Christophe Quenon aux claviers analogiques “vintage“ se fait le narrateur bon enfant de cette épopée grotesque et hilarante.

Un festival de musiques, jeux de scène, mots d’auteur pétillants et provocations anticonformistes, parfois potaches! Le texte fleure bon la liberté de ton, face au politiquement correct qui censure aujourd’hui notre espace culturel. Ici, aucune vidéo : le son crée l’espace où s’impriment les images des acteurs en mouvement dans les lumières polaires d’Ivan Mathis. En costumes blancs raffinés, style bande dessinée d’Enki Bilal, tel un orchestre bien dirigé, ils font revivre la prose d’Armando Llamas, ce talentueux et érudit touche-à-tout qui voulait créer un  « théâtre-Webern » , un « théâtre-Glenn Baxter » conjuguant  jazz, musique atonale et pop-art…

Le spectacle se veut aussi être un hommage à David Jisse décédé l’an passé. Il avait écrit, à l’époque de la création: «Dès que j’ai vu ou plutôt entendu cette pièce, j’ai pensé à la radio avec ses bouts de ficelle sonores, ses vraies fausses portes qui n’ouvrent sur rien, si ce n’est sur le son d’une porte qui s’ouvre et qui se ferme.» Avec ce « théâtre sonique», Jean Boillot, ancien directeur du NEST à Thionville, devient artiste associé à Bords 2Scènes à Vitry-le-François, une Scène Conventionnée-Musiques actuelles et Arts de la scène, dirigée depuis 2019 par le musicien Laurent Sellier.

Dans cette ville de 12.000 habitants au bord de la Marne, ce lieu de création fait la part belle à la musique dans le spectacle. «La crise du Covid a été l’occasion de développer des projets, dit Laurent Sellier. Comme des formes de narration liées au numérique, notamment en collaboration avec une nouvelle formation à l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille autour de la notion d’ “acteur augmenté“.

Il va créer avec Jean Boillot un Nouveau Décaméron : un théâtre déambulatoire fondé sur la structure du célèbre recueil de nouvelles de Jean Boccace (1313-1375). Des histoires que l’écrivain florentin fait raconter au quotidien par une bande de jeunes gens, réfugiés à la campagne pour fuir la peste. Auteurs et musiciens seront sollicités pour nourrir ce projet.

En attendant, Bords2Scènes se prépare pour l’été avec un festival Ukulélé.  « L’ukulélé fédère cirque, humour, théâtre, variété» dit Laurent Sellier. Il y aura aussi des balades dans la ville sous des parapluies sonores, un concert narratif sous casque… Et No Way Veronica est en route pour le festival d’Avignon, en espérant aller plus loin…

Mireille Davidovici

Spectacle vu en avant-première, le 21 juin, à Bords2Seine, Vitry-le-François (Marne). T. : 03 26 41 0010 www.bords2scènes.fr

Du 7 au 29 juillet, à 15 h 15, au Onze, 11 boulevard Raspail, Avignon (Vaucluse) T. : 04 84 51 20 10.

14 Pièces piégées et d’autres textes d’Armando Llamas sont publiées aux éditions Les Solitaires intempestifs.

 

La nouvelle saison du Théâtre National de Strasbourg

 La nouvelle saison du Théâtre National de Strasbourg

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Après de longs mois de silence, le théâtre reprend vie en accueillant le public. Avec un plaisir non dissimulé, Stanislas Nordey a évoqué sa prochaine et dernière saison à la tête du T.N.S (elle débutera le 25 septembre). Huit années passées comme directeur et artiste, il quittera ses fonctions au terme de son deuxième mandat en  2022.

En cette fin de crise sanitaire, il tient à remercier les institutions publiques: «Nous avons été très bien accompagnés et tous les spectacles qui ont été suspendus, seront visibles à 90%. Neuf d’entre eux seront des reports. « Chat échaudé craint l’eau froide », comme dit le vieux proverbe, je précise que cette présentation de saison se fera en deux fois : une première pour la période de septembre à janvier 2022 puis nous annoncerons en novembre prochain, celle qui ira de février à juin 2022. Face à une éventuelle quatrième vague de la covid, mieux vaut éviter que cette seconde période ne soit annulée ! »

Dans les nouveautés et les résolutions astucieuses : plus d’abonnement annuel mais une carte d’adhésion donnant droit à un tarif préférentiel pour une large et riche programmation. «Après ces mois d’isolement, dit Stanislas Nordey, il peut y avoir une sorte de boulimie! » Rien que douze propositions pour le premier volet de la saison puis treize pour le second.  Soit vingt-cinq spectacles en tout au lieu de seize habituellement !

Et trois pièces (des reports de la saison 20-21 annulée) ont été ou seront à l’affiche dont : Mithridate de Jean Racine, mise en scène d’Éric Vigner qui a été jouée jusqu’au 8 juin. Puis jusqu’au 29 juin Au bord de Claudine Galea, mise en scène de Stanislas Nordey. Et Inflammation du verbe vivre, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, qui avait dû être annulé en raison de la covid. Suivront les spectacles des élèves de l’Ecole du T.N.S. :Asséchés de Timothée Israël et Toutes leurs robes noires de Claudine Galea, mise en scène d’Antoine Hespel.

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Stanislas Nordey n’a pas manqué de réaffirmer l’importance de certains principes esthétiques et politiques du T.N.S.: la création dans La Maison même, de onze spectacles pour 2021-2022 ! Avec toujours la nécessité de privilégier le contemporain comme par exemple, de mettre en lumière l’écriture de jeunes auteurs et la venue d’artistes associées. Citons pour cette nouvelle saison l’excellente actrice qu’est Dominique Reymond. Mais encore l’écrivaine associée, Marie NDiaye, avec Les Serpents, distribution Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti et Tiphaine Raffier dans une mise en scène de Jacques Vincey, spectacle créé à Tours l’an passé (voir Le Théâtre du Blog) et Chère Chambre de la jeune autrice et metteur en scène Pauline Haudepin, «Un texte onirique, une exploration de nos personnalités diverses » aime à préciser Stanislas Nordey.

Pour l’ouverture de saison, la Russie est à l’honneur avec Le Passé qui regroupe plusieurs œuvres de l’écrivain Léonid Andreïev (1871-1919) et qui nous invite à une réflexion sensible et politique à partir de « la réapparition d’un monde disparu ».

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Puis Rothko, untitled #2, qui convoque aussi le temps. Mais à l’inverse ! Il s’agit là du temps présent et de sa vibration, celle de l’instant et de ses ondes sensorielles. Face à l’oeuvre d’art, comment traduire sur scène, le ressenti, l’émotion. Ici,  c’est à travers une forme esthétique différente, la peinture, celle de Mark Rothko (1903-1970), né en Russie puis exilé aux USA , génie de la profondeur des couleurs, expressionniste de l’abstrait, que cette sensation du temps va se révéler et entrer en correspondance avec l’affect et le regard du spectateur : « La vibration de l’ici et maintenant de la peinture par la mise en résonance des corps, du sens et du son en un précipité chimique et poétique. » Une création singulière, performance dansée/oratorio/exposition que nous offre l’artiste et l’actrice Claire Ingrid Cottanceau et le compositeur Olivier Mellano, rejoints par la chorégraphe Akiko Hasegawa.

 Suivra  Nous entrerons dans la carrière de Blandine Savetier, d’après Le Siècle des lumières d’Alejo Carpentier et la vie de Jean-Baptiste Belley. Avec Hilda, mise en scène d’Elisabeth Chailloux, Marie NDiaye raconte comment l’aliénation peut survenir: Madame Lemarchand n’a pas l’intention d’exploiter Hilda, ni même de la regarder comme sa bonne. Cette femme « de gauche » veut éduquer sa servante, la former à la chose politique, lui apprendre à penser, mais  va se heurter à la résistance d’Hilda, inexprimée mais sourdement hostile…

Avec Condor, mise en scène par Anne Théron,  Frédéric Vossier, a écrit une pièce dont le thème est l’opération Condor en 1975, sous le pouvoir des dictatures en Amérique latine. Quarante ans après, deux personnages aux univers antagonistes se retrouvent…

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Ce qu’il faut dire, Stanislas Nordey en découvrant l’écriture de Léonora Miano, a été touché par la dimension politique de sa langue et du récit : « Cette littérature bouscule les mots et les récits forgés par une Europe conquérante et dénoue le langage de la colonisation et du capitalisme, pour retrouver le fil de l’humain et du poétique. Le texte est très fort, notamment quand l’autrice parle de l’identité des personnes noires en Europe».

Deux amis, la pièce écrite pour Charles Berling et Stanislas Nordey, de et montée par  Pascal Rambert, met en scène des artistes, Charles et Stan. Ils remontent Les quatre Molière (1978) d’Antoine Vitez: Le Misanthrope, L’École des femmes, Tartuffe et Don Juan.

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©x Le Ravissement de Psyché deWilliam Bouguereau (fragment))

Chère Chambre de Pauline Haudepin sera mise en scène par l’autrice, « que nous retrouvons aussi en tant qu’actrice, précise Stanislas Nordey, dans le spectacle de Nous entrerons dans la carrière ». Ensuite, une pièce de Bernard-Marie Koltès, Quai-Ouest, montée par Ludovic Lagarde. Suivra, Coeur instamment dénudé de Lazare, auteur-metteur en scène à l’art théâtral bigarré, à la fois poétique et musical. Dans cette pièce, Lazare réinvente le mythe de Psyché. Artiste associé, il a entre autre, initié le programme : Troupe Avenir.  

Enfin, les deux derniers spectacles de cette première période. Biface. Expériences au sujet de la conquête du Mexique 1519-1521, un spectacle conçu et réalisé par Bruno Meyssat. Sans être un théâtre documentaire à proprement dit, et malgré sa construction à partir de témoignages historiques, la pièce relate davantage deux manières d’être au monde à travers la conquête du Mexique par les Espagnols et la rencontre entre les Aztèques et Espagnols.

Et Le Dragon du journaliste et dramaturge russe Evgueni Schwartz (1896-1958), mise en scène de Thomas Jolly, présente un récit dramatique, proche du conte, teinté de fantastique. Troisième pièce de l’auteur (1944), elle sera aussitôt interdite. Et pour cause, à son tour, cette oeuvre interroge la condition humaine sous l’emprise d’un régime autoritaire. Comment chacun de nous est-il prêt, ou non, à s’engager dans la résistance et à ne pas succomber à la fatalité. «Quel dragon faut-il chasser en nous ?« 

 

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©x Jean-Pierre Vincent

Si la création contemporaine demeure une priorité au T.N.S. le théâtre des anciens n’est pas oublié. Ni nos contemporains récemment disparus et qui ont marqué de leur talent l’art du théâtre. Le regretté et magnifique metteur en scène et directeur d’institutions théâtrales Jean-Pierre Vincent(1942-2020) fut et reste pour Stanislas Nordey l’une de ces figures inscrite à jamais dans le théâtre du XXème. et XXIème. siècle. «Sa disparition est pour moi, très dure; il a été mon professeur, confie Stanislas Nordey. Un hommage joyeux! et sous réserve de l’évolution de la Corona,  sera rendu au T.N.S. le 20 septembre prochain, à celui qui  fut aussi un grand directeur d’institutions comme le Théâtre des Amandiers à Nanterre, la Comédie-Française et le T.N.S… ». La dernière création de Jean-Pierre Vincent, L’Orestie, date de 2019 : Trois ans de travail avec les élèves du TNS groupe 44,  spectacle présenté avec succès au Festival d’Avignon 2019 dans le cadre du IN. Puis un autre projet devait prendre corps au TNS, Antigone, mais le sort en décida autrement… Ce Salut, vivant et bigarré, sera l’occasion de revenir sur l’oeuvre de Jean-Pierre Vincent, d’aller à la rencontre de ceux qui ont travaillé avec lui ou l’ont accompagné, et de partager, d’entendre des témoignages venus d’ici et d’ailleurs, de découvrir encore et toujours son oeuvre. Cet hommage sera en résonance avec ce mot : La transmission, geste qui était de première importance pour ce grand homme du théâtre. Autres affinités entre Jean-Pierre Vincent et Stanislas Nordey : l’exigence d’un théâtre politique , «Cette demi-saison a une tonalité politique, souligne-t-il »,  un art du théâtre à l’écoute de la cité et des bruits du monde. L’éducation artistique, les lycéens citoyens, La Revue Parages, dirigée par Frédéric Vossier, avec deux ou trois numéros par an, certains généralistes et des monographies, comme celles de Claudine Galea, Pascal Rambert, Falk Richter ou prochainement celle de Marie NDiaye… sont autant d’actions menées au sein du TNS, dignes et représentatives d’un théâtre engagé et en présence du politique et du social, de l’intime ou/et de l’universel.

 

 

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« Je suis heureux de ces huit années passées au T.N.S. Il est temps de passer le relais à d’autres. » Stanislas Nordey, ne cache pas sa jouissance de retrouver une certaine forme de liberté, et dans des conditions harmonieuses :  » La Maison va bien : c’est apaisant de la quitter ainsi. Tout est très bien parti pour une succession pensée, concertée et une nomination avant les élections présidentielles.» Par ailleurs, Stanislas Nordey a dit fermement qu’il ne sera pas candidat à la succession d’Olivier Py à la direction du festival d’Avignon.

Une belle année théâtrale s’annonce et son directeur est confiant.  Même si, dit-il, « il y a toujours des risques mais nous sommes là aussi pour accompagner les pièces qui peuvent connaître un semi-échec. Ce sont des objets frais et fragiles, pas du réchauffé! »

 

Elisabeth Naud

 

Présentation de saison 2021-2022 au Théâtre National de Strasbourg.

 

 

 

 

Se retrouver, une conversation au Théâtre de la Colline

Se retrouver, une conversation au Théâtre de la Colline

Théâtres fermés pour cause de crise sanitaire. Entrouverts, refermés, masqués, retreints, silencieux. Spectacles reportés, annulés, reprogrammés voire déprogrammés. «Année blanche» pour les intermittents du spectacle, c’est à dire prolongation de leurs droits à une indemnité du chômage, à condition d’avoir eu ces fameux droits!

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Mais les autres? Nous comprenons que les précaires, ceux de la Culture et d’autres aient éprouvé le besoin d’occuper des théâtres. Après l’Odéon, avec toujours le souvenir de mai 68 qui s’impose et les craintes de la Ministre pour ce patrimoine, le Théâtre National de la Colline a été occupé par les élèves de plusieurs écoles d’art dramatique. (voir Le Théâtre du Blog).

Évincés avant d’avoir commencé, chassées par la crise et la fermeture de leur avenir sur les planches, ils y sont installé depuis plusieurs mois une sorte d’université mutuelle spontanée. «Nous nous sommes formés. Nous avons appris comment désobéir, comment nous révolter. (…) Ici, nous avons quitté l’apathie, nous nous sommes éveillés face à la dépendance d’un système élitiste insidieux ne reconnaissant que les siens et condamné depuis trop longtemps à sa propre perte.»

Donc ensemble, ils ont creusé les questions de solidarité, responsabilité collective et politique. Ils se sont organisés, ont invité des étudiants et universitaires d’autres disciplines, des sociologues, des philosophes et se sont imprégnés d’histoire avec Che Guevara en arrière plan : «Partout les brasiers s’étendent/partout nous essaimerons des foyers»… Sans crainte du lyrisme, la poésie et les émotions ont envahi leur déclaration finale. Nous sommes bien au théâtre, à la rencontre d’une parole donnant à penser. Ne manque plus que la pratique…

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©x Wajdi Mouawad

Et l’Institution elle-même? L’équipe de la Colline et son directeur Wajdi Mouawad ont accompagné l’occupation avec vigilance, discrétion, patience  et humour. Il fallait éviter de tomber dans le piège: «Celui de devoir sacrifier soit le théâtre, soit la révolte. Reprendre les activités de l’un, c’est diminuer la nécessité de l’autre, privilégier la force de l’autre, c’est empêcher l’un. (…) Ce qui aurait été beau, évidemment, oui, c’est d’arriver, de ces théâtres et de ces révoltes, à faire un théâtre révolté. Mais pour l’instant, personne n’est prêt à faire le pas vers l’autre pour abandonner ce qui lui est cher. Les directions ne prennent pas part aux revendications des occupants et ceux-ci n’ont pas grand-chose à faire des conséquences des fermetures.»* D’où un échec dont il fallait faire quelque chose. Malgré toutes les belles, intelligentes, sincères, déclarations, tout reste en effet coincé. Quoique prétende le théâtre citoyen, il reste dans un entre-soi qui n’intéresse pas vraiment la société. On est loin de l’agora démocratique, de la Cité mais dans une toute petite arène où même le “commun“ a eu -et a encore- du mal à émerger. La question de l’identité dévore tout. «Catégories, fragments, chacun dans son groupe, chacun dans son coin et, le plus drôle : chacun prétend se battre pour les intérêts de tout le monde. Atomisation des altruismes. Si la véritable bataille est celle de la collectivité, de l’être ensemble, alors cette bataille nous l’avons complètement perdue. Occupants et directions, nous sommes battus par nos identités qui ne disent pas leurs noms.»*

Pas question d’en rester là. Modestement, reprenant la toile de Pénélope du « théâtre populaire », du “service public“, du “citoyen »… le Théâtre de la Colline a décidé d’analyser cet échec.Quelque deux cent cinquante chaises en cercle sur l’immense plateau: une façon de dire au public : ce théâtre est à vous. Et Wajdi Mouawad a invité les occupants qui étaient sur le départ, à cette «conversation». Avec tout ce que cet art mineur -qui fut majeur au XVIII ème siècle dans le cercle des Lumières- comporte d’écoute, respect mutuel,  pensée rapide, saillies inattendues qui emmènent le raisonnement et l’échange là où on ne les attendait pas mais aussi rires, découvertes et plaisirs.

Cela a donc commencé sur le thème de l’identité : oui, il faut d’abord «se retrouver soi-même». Une jeune femme se lance: «Sachez respirer, sachons où nous en sommes, concentrons-nous.» Elle ose parler à voix nue, sans qu’un micro aille chercher des vibrations intérieures ou des réverbérations externes. Courageux ! Et cela a donné une belle écoute à la suite du débat, cette fois avec micros. Identité : questions du récit, du nom, de l’origine et témoignages dans un grand respect de l’autre.

Wajdi Mouawad s’y connaît en identités multiples: il est libanais, canadien et français (tantôt l’un, tantôt l’autre et aussi en même temps) et il donne une piste: «Nous ne sommes pas propriétaires de nos origines, dit-il, mais seulement les locataires. «Une voie vers un nouvel universalisme ? Seconde question, complexe: la décolonisation. Trop court pour en faire ressortir une synthèse. Mais renaissait le cercle de l’attention. Il a été peu question directement du théâtre mais il était bien là, élémentaire, en train de se rattacher à ses racines, à l’intelligence collective et à l’émotion partagée, à l’acteur qui, en apparence, agit «pour de faux» et qui fait réagir pour de vrai, sous sa fausse identité. Et ainsi de suite.

La reprise de Sœurs, texte et mise en scène de Wjadi Mouawad (voir prochainement (Le Théâtre du blog) pouvait donc se faire comme avant la fermeture du Théâtre de la Colline ou presque. Dans ce presque, il y a la crainte que le théâtre filmé mange le théâtre vivant et que la sphère privée, elle, mange le collectif. Mais aussi l’espoir que chacun mesure mieux ce qu’il fait, quand il réalise du théâtre…

Christine Friedel

*Extrait du Manifeste de Wajdi Mouawad à lire sur le site du Théâtre National de la Colline.

 

Correspondances Gustave Flaubert,Victor Hugo

 

Correspondances Gustave Flaubert, Victor Hugo

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Jacques Weber était déjà au Théâtre Antoine en mai dernier avec ces Correspondances, un solo qu’il reprend sur cette même scène. Il s’agit d’une lecture-interprétation d’écrits de Gustave Flaubert (1821-1881) et de son quasi-contemporain Victor Hugo (1802-1885) qu’il surnommait « le grand crocodile ». Ces célèbres auteurs du XIX ème -encore très lus et étudiés: Madame Bovary était au programme de première cette année- ont entretenu une correspondance dont l’acteur a prélevé quelques moments savoureux.

Quant à Victor Hugo, ce créateur infatigable qui fait l’unanimité en France et qui est aussi très connu à l’étranger, il a pratiqué -et souvent avec bonheur- de nombreux genres littéraires et a une passion pour la langue française et un sens de l’épique assez rares. Le poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments (1853) a aussi écrit cette Légende des siècles dont nous apprenions les poèmes dès l’école primaire. Il fut aussi le romancier des célébrissimes et très populaires Notre-Dame de Paris et Les Misérables, un livre encore deux siècles après sa parution sans cesse adapté au théâtre par les meilleurs metteurs en scène. Mais des pièces comme Ruy Blas qu’a  fait renaître Jean Vilar et Hernani ne sont plus très jouées.

Victor Hugo, orateur exemplaire et remarquable dessinateur fut marié et père de cinq enfants mais aussi lamant de nombreuses femmes dont pendant quarante ans, l’actrice Juliette Drouet. Il devint aussi un grand-père affectueux et un homme politique. D’abord confident de Louis-Philippe et pair de France en 1845, il défendit le sort de la Pologne écartelée entre plusieurs pays. Nommé maire du VIII ème à Paris en 48, puis élu député, il réclama une instruction «obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés». Après le coup d’Etat en 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo s’exilera pendant dix-neuf ans! A Bruxelles d’abord où il écrit un pamphlet Napoléon le petit puis à Jersey avec toute sa famille et… sa Juju dans une maison pas très loin de la sienne et ensuite à Guernesey. Il désapprouvera la répression contre les Communards et défendra les droits des femmes: «Une moitié de l’espèce humaine est hors de l’égalité, il faut l’y faire rentrer: donner pour contre-poids au droit de l’homme le droit de la femme. » Son œuvre romanesque et sa vie inspirèrent nombre de pièces, films, opéras, bandes dessinées, comédies musicales…

Gustave Flaubert, lui, est toujours considéré comme un des meilleurs romanciers du XIX ème avec Stendhal, Honoré de Balzac, Emile Zola et Victor Hugo mais n’aura pas eu la célébrité de ce dernier. Madame Bovary paraît d’abord sous forme de feuilleton mais il est poursuivi (avant d’être acquitté) pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». Il fut soutenu par Victor Hugo: «Vous êtes un de ces hauts sommets que tous les coups frappent, mais qu’aucun n’abat. (…) Vous êtes, Monsieur, un des esprits conducteurs de la génération à laquelle vous appartenez. Continuez de tenir haut devant elle le flambeau de l’art. Je suis dans les ténèbres, mais j’ai l’amour de la lumière. Je vous serre la main. »

De son côté, Flaubert n’a jamais caché son admiration pour ce monstre sacré de la littérature et la préface de Cromwell l’aura sans doute beaucoup influencé: «Hugo, en ce siècle, enfoncera tout le monde, quoiqu’il soit plein de mauvaises choses. Mais quel souffle ! Quel souffle!» Flaubert qui a eu une correspondance suivie avec  lui, n’avait pas de mots assez durs pour Lamartine. « Il n’a jamais pissé que de l’eau claire. La quantité d’hémistiches tout faits, de vers à périphrases vides, est incroyable. Quand il a à peindre les choses vulgaires de la vie, il est au-dessous du commun. C’est une détestable poésie, inane, sans souffle intérieur. Ces phrases-là n’ont ni muscles ni sang. »

Comme le rappelle Jacques Weber avec beaucoup d’humour, l‘auteur de la fameuse Education sentimentale n’est pas tendre non plus pour Alfred de Musset: «La manie commune qu’il avait de prendre le sentiment pour la poésie.» Le grand acteur avait joué en 2008 Sacré nom de Dieu d’Arnaud Bédouet, d’après la correspondance de Gustave Flaubert et, il y a trois ans, Hugo au bistrot d’après ses textes. Jacques Weber est donc un familier de ces auteurs et a aussi picoré avec bonheur dans leur correspondance pour ce spectacle.

Il aime La Retraite de Russie de Victor Hugo qu’il dit magnifiquement avec quelques commentaires de son cru -un peu insistants genre explication de texte pour élèves de sixième- mais bon, nous sommes quand même emportés par le flot lyrique hugolien. «Il neigeait. On était vaincu par sa conquête./ Pour la première fois l’aigle baissait la tête. Sombres jours! L’Empereur revenait lentement/ Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait./L’âpre hiver fondait en avalanche. /Après la plaine blanche, une autre plaine blanche./ On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau./ Hier, la grande armée, et maintenant troupeau. /On ne distinguait plus les ailes ni le centre. Il neigeait. /Les blessés s’abritaient dans le ventre/ Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés/On voyait des clairons à leur poste gelés/ Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,/ Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. »

Jacques Weber dit aussi le poème bien connu de Victor Hugo dans les Contemplations, Demain, dès l’aube… en hommage à sa fille Léopoldine morte, noyée à dix-neuf ans enceinte de trois mois, avec son mari après le naufrage de leur barque sur la Seine. Tragédie qu’il apprend quand il se trouve dans les Pyrénées avec sa Juju en lisant le journal!» Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,/ Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. /J’irai par la forêt, j’irai par la montagne./Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. »

Aux meilleurs moments de cette grande heure, Jacques Weber sait bien faire sonner la langue de Victor Hugo mais le spectacle reste très inégal. Pourquoi se met-il à crier -et c’est vraiment dommage- pour dire son célèbre discours à l’Assemblée contre la peine de mort: «Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. ( …) Vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort. »

Et pourquoi ces commentaires de texte avec une diction souvent approximative où l’acteur s’écoute parfois parler? Pourquoi ces prompteurs sur grand écran accrochés au balcon qui éclairent la salle d’une lumière blafarde, alors qu’il ne les regarde pas et qu’il a déjà les textes sur un pupitre et sur une table? Il faudrait de toute évidence que ce spectacle soit vraiment mis en scène et que Jacques Weber soit dirigé, comme il l’était quand il jouait formidablement La Dernière Bande de Samuel Beckett (voir Le Théâtre du Blog) mis en scène par le grand Peter Stein.
A ces réserves près, vous pouvez aller au moins savourer ces textes mais nous l’avons quand même connu plus convaincant… Attention, ce n’est pas donné: il vous faudra débourser
de 42, 50 €  à 39, 20 € au parterre !

Philippe du Vignal

Jusqu’au 2 juillet, Théâtre Antoine, boulevard Sébastopol, Paris (Xème).

Le Printemps des comédiens: La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction d’Olivier Cadiot, mise en scène de Cyril Teste

Le Printemps des comédiens à Montpellier 

La Mouette d’après Anton Tchekhov, traduction d’Olivier Cadiot, mise en scène de Cyril Teste

©Simon Gosselin

©Simon Gosselin

Cette pièce en quatre actes (1886) a d’abord lieu près d’un lac dans la propriété rurale de Sorine. Il y a, comme dans les autres pièces importantes du grand dramaturge, toute une galerie de personnages.  Et une première réplique donne le ton: Medvedenko, le maître d’école est amoureux de Macha: «D’où vient que vous soyez toujours en noir? « lui demande-t-il-  «Je suis en deuil de ma vie. Je ne connais pas le bonheur. » Bref, depuis le début, la mort et le malheur vont rôder sur toute la pièce.

Nina, fille d’Ilia Afanassiévitch Chamraiev, intendant de la propriété et de Paulina, a vingt-deux ans. Elle aime Konstantin Treplev, le neveu du propriétaire qui l’aime aussi. La mère de Konstantin, Arkadina, une actrice célèbre (Olivia Orsini) a, dit-elle à Macha,  presque le double de l’âge de Nina dont Treplev est amoureux. La jeune fille veut devenir elle aussi actrice et dans le jardin sur une petite estrade, il joue avec Nina une petite pièce qu’il a écrite aussi pour elle ; c’est selon lui une sorte de manifeste pour un théâtre nouveau… Que Dorn, le médecin de famille (Gérald Weingand) apprécie. Mais Arkadina va sans état d’âme critiquer durement la pièce et fait comprendre à son fils qu’il n’a aucun talent et qu’il n’aura jamais l’envergure d’un dramaturge. Nina, elle, est fascinée par Trigorine (Vincent Berger), amant d’Arkadina et écrivain célèbre dont elle va vite tomber amoureuse. Et lui va aussi se laisser séduire par cette jeune fille.

Treplev a tué une mouette et l’apporte à Nina. Curieux cadeau. Désespéré, il lui annonce qu’il va se tuer et fait allusion au personnage d’Hamlet. La mouette, symbole de l’histoire de Nina qui admire beaucoup Arkadina et qui rêve d’être elle aussi actrice. Fascinée par Trigorine, elle va s’enfuir à Moscou avec lui… Macha dit à Trigorine qu’elle a aimé «sans espoir, attendre et attendre des années durant. Dès que je serai mariée, j’aurai autre chose à faire que de penser à l’amour, les nouveaux soucis étoufferont le passé. » Elle lui dit qu’elle va finalement épouser Medvédenko, le maître d’école (Pierre Timaitre) qu’elle n’aime pas mais à qui elle sera fidèle.

Deux années ont passé… Trigorine s’est séparé de Nina qui n’a jamais percé comme actrice. Dévastée par cette rupture et la mort de son bébé, elle revient voir Konstantin Treplev qui lui aussi, n’a jamais réussi à devenir un écrivain. Désespéré d’avoir été abandonné par Nina, il essaye une dernière fois mais en vain de la retenir.  Mais deux ans plus tard, le temps de leurs amours est bien fini et elle lui avoue qu’elle aime toujours aussi passionnément Trigorine…Illusion, déception… Treplev  et Nina ne savent plus très bien où ils en sont. «Le passé me tourmente et je crains l’avenir », écrivait déjà Pierre Corneille. On entend un coup de feu. Dorn dit à Arkadina que c’est seulement un flacon d’éther a éclaté dans sa pharmacie de voyage et il continue à parler d’une revue à Trigorine. Puis le médecin lui dit à voix  basse: «Le fait est que Konstantin vient de se tuer. »et lui dit d’éloigner sa mère. Les derniers mots de cette pièce fabuleuse à plus d’un titre et l’une des plus jouées  avec La Cerisaie et Les Trois sœurs du grand dramaturge russe.

Et cela donne quoi, cette adaptation et revisitation de La Mouette par le grand maître de l’hybridation théâtre/vidéo, auteur du fameux Nobody d’après des textes de l’écrivain allemand Falk Richter, avec un film en direct en interpénétration avec les acteurs sur le plateau et qui restera comme un des meilleurs récents spectacles.

Sur le plateau, un beau parquet de chêne foncé, au milieu et de chaque côté l’image vidéo en noir et blanc -ce qui en souligne le caractère inquiétant- d’un lac et d’un bois de sapins, ceux de la propriété de Trigorine. Après tout, pourquoi pas? A l’arrière-plan des châssis de toiles vierges blanches de formats différents que l’on déplacera ensuite côté cour, sans que l’on en voit bien la raison : elles servent d’écran mais il y a aussi des écrans électroniques où l’on voit l’image des acteurs qui jouent mais dans l’ombre, filmés par un des cadreurs. Il y a comme une mise en abyme un peu trop insistante et où la virtuosité technique et la production d’images sont envahissantes, notamment celles du visage de Nina qui se superposent… Quel intérêt? Où en est le sens ? Nous avons vu cela des dizaines de fois, notamment chez le metteur allemand Frank Castorf et nombre d’autres mais de façon plus subtile qu’ici.

Mais heureusement dans cette mise en scène, il y a une direction d’acteurs  tout à fait remarquable et Cyril Teste revoit presque la pièce, en accordant une présence importante à Macha, un personnage un peu secondaire mais d’une absolue modernité, pourtant créé par Tchekhov il y a déjà plus d’un siècle. On voit au début surtout son visage en très gros plan. Elle fume et boit souvent pour noyer son désespoir et la vacuité de sa vie. Rien à dire, Cyril Teste, qui a choisi de faire jouer ses acteurs en costumes actuels,  sait créer de belles images…

Il y aussi du nettement moins bon, côté texte et nous ne pouvons pas être d’accord. Quand on relit la traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, ou celle d’Antoine Vitez qui avait monté la pièce à Chaillot, ce texte a une toute autre chair. Désolé, il y a ici un côté mode et facile, à la limite du vulgaire dans la traduction d’Olivier Cadiot. Comme, entre autres tripotages, ces trois mots: «Tu es fort» que dit Treplev à Trigorine. A entendre cette réplique, elle nous avait parue suspecte. Et à relire la traduction d’André Markowicz, effectivement on est loin  du texte d’origine. Anton Tchekhov n’écrit pas comme cela et ce:  « Tu es fort » n’a rien du: «Vous êtes un homme de talent»  Comme la dernière réplique toute épurée, dite par Dorn qui a vite compris que Treplev s’est tué et ici surchargée d’un lourdingue: « immédiatement» qui n’a rien non plus à faire là. Ce sont certes des détails mais qui comptent. Nous ne retrouvons pas la vacuité des paroles qui fait sens (c’est tout un art!)  et cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas un manque de tension- ou la répétition de mots comme: « comprendre »  chez les personnages.  Et André Markowicz souligne avec une grande finesse les tics de langage de Sorine: « Et tout … Et tout ça quoi »  sont  une  » façon de ne pas en avoir fini avec les mots et d’être ouvert aux représentations des autres. » Dans cette mise en scène, cela ne semble pas avoir été la priorité ! Et pourquoi ce coup de langue italienne surgi de nulle part? Le texte d’Anton Tchekhov paraît avoir été passé à la machine à laver et en subsistent des dialogues souvent assez pauvres qui font penser à ceux de mauvaises séries télévisées. Cette Mouette ne vole pas toujours très haut! C’est vraiment dommage d’avoir su réunir et si bien diriger de tels acteurs, pour en arriver à un résultat aussi peu convaincant.

Et à quoi sert cette coûteuse technologie? Cyril Teste doit bien avoir conscience que tous ces gros plans répétés jusqu’à plus soif, fatigants d’obscénité au sens étymologique du terme, n’ont pas grand chose à voir ou si peu avec la pièce d’Anton Tchekhov : entre autres, la naissance ou la fin d’une relation amoureuse, par exemple dans une scène entre Nina et Trigorine où nous voyons en très gros plan, une bouche et une tempe. La virtuosité, au théâtre comme ailleurs, n’a jamais fait bon ménage avec l’émotion; ici, il y a comme un côté clinique assez embêtant. Et à aucun moment, nous ne voyons toute cette « famille »: parents, enfants, invités, employés du domaine, serviteurs, voisins obligée de vivre ensemble et  qui caractérise le monde de Tchekhov). Dommage. Le système Cyril Teste reste parfaitement rodé mais cette Mouette a du plomb dans l’aile et nous voyons peu et mal les acteurs directement sur le plateau, puisqu’ils semblent juste servir de relais entre le texte et l’image. Bref, est-on encore au théâtre? Et on peut se poser la question: pourquoi le metteur en scène n’a-t-il pas alors réalisé un film?

Alors y aller ou pas? Oui, pour ces magnifiques acteurs d’une vérité exceptionnelle. Et si vous n’avez jamais vu de spectacles de Cyril Teste, cela vaut le coup mais, en ce qui concerne La Mouette? Il est indiqué honnêtement: « d’après » mais on est quand même loin du compte, et nous avons la nette impression que Cyril Teste s’auto-académise et se répète en utilisant des recettes qui commencent à dater! Attention, même si, à quarante-six ans, il trouve qu’il « gagne en maturité », ce qui est sans doute vrai, certains jeunes metteurs en scène eux, trouvent que c’est déjà du vieux théâtre. Sonne donc déjà pour ce brillant metteur en scène, l’heure d’un indispensable renouvellement. A suivre…

 Philippe du Vignal

Le festival a eu lieu jusqu’au 26 juin et ce spectacle a été créé à la salle Jean-Claude Carrière au Domaine d’Ô, à Montpellier (Hérault).

Du 6 au 10 octobre, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Haute-Savoie)et du 13 au 15 octobre, Scène Nationale de Chambéry (Savoie) .

Du 9 au 18 novembre, Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine) ; du 25 au 27 novembre, Les Quinconces-Scène Nationale du Mans ( Sarthe).

Les 6 et 7 décembre, Grand R-Scène nationale de La Roche-sur-Ion (Vendée); du 16 au 18 décembre, Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).

Les 5 et 6 janvier, La Coursive, Scène nationale de La Rochelle (Charente-Maritime) ; les 13 et 14 janvier, Points-Communs, Scène nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise); les 20 et 21 janvier, L’Archipel, Scène Nationale de Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; les 27 et 28 janvier, Le Parvis-Scène Nationale de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Les 10 et 11 février Théâtre de Sartrouville ( Yvelines) ; les 16 et 17 février, Scène nationale du Grand Narbonne (Aude).

Du 2 au 12 mars, Théâtre des Célestins, Lyon ( Rhône) ; du 22 au 26 mars,  Théâtre National de Bordeaux (Gironde) ; du 31 mars au 2 avril, Scène Nationale de Sénart; du 6 au 8 avril, La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq (Nord).

Du 14 au 30 avril, Théâtre des Amandiers- Centre Dramatique National de Nanterre . Et les 12 et 13 mai, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines; du 17 au 19 mai, Théâtre-Auditorium de Poitiers; les 15 et 17 mai, Centre Dramatique National d’Orléans (Loiret).

Lolling et Rolling, premier volet de The Hamartia Trilogy de Jaha Koo

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Jaha Koo est un compositeur, performeur et metteur en scène né en Corée du Sud il y a trente sept ans. Il a étudié le Théâtre à l’université des Arts de Corée puis à DasArts à Amsterdam. Son travail comprend à la fois de la musique électronique, du texte et des images vidéo. Dans Cooking que l’on avait pu voir au Théâtre de la Bastille à Paris, seul en scène face à trois autocuiseurs, il nous contait les réalités d’un monde qui lui était étranger et un présent personnel fait de solitude et de violence où il lui fallait pourtant vivre.
Il explore ici le récent passé de l’histoire de son pays. Le 22 août 1910, la Corée était en effet envahie par le Japon puis par les États-Unis. Des faits historiques qui, pour lui, éclairent aussi le présent de l’Europe actuelle où il vit maintenant et où, dit-il, « tout s’aggrave en crescendo: l’exclusion, les inégalités sociales, l’incitation à la compétition, la dégradation du bien-être, etc. La décision de venir en Europe m’a pris beaucoup de temps. Un plus grand espace de liberté, c’est cela qui m’a décidé: plus d’intimité, de respect, moins d’obligations envers la famille ou le groupe et moins d’interférences dans la réalisation de mes œuvres. ( …) Je veux certes être libéré des obligations familiales mais ma famille me manque. » Et il observe d’autant mieux son pays, puisqu’il est une sorte d’exilé culturel qui, depuis dix ans, a fui une société capitaliste qui inonde le monde de ses produits industriels. Pour en retrouver une autre où visiblement, il n’a pas tous ses repères. Il a une vision critique de la Corée du Sud et sur le pouvoir dominant des États-Unis. Selon Jaha Kool, «la conscience d’une société prend forme sous l’influence de la culture et de l’éducation ».
C’est cette solitude paradoxale et ce besoin d’être heureux  que nous ressentons aux meilleurs moments de cette courte performance d’à peine une heure où cet artiste, imperturbable devant ses consoles, projette des extraits de films issus des archives nationales de son pays. Pour montrer que la passé collectif d’un pays affecte tragiquement nos vies. Le mot hamartia en grec ancien signifiant le défaut de caractère qui va provoquer la chute d’un héros.

Ce premier volet de The Hamartia Trilogy est d’une très grande qualité à la fois technique et artistique où il y a un parfait accord entre le vécu de cet artiste aux origines coréennes qu’il ne peut renier et des images conçues selon les standards les plus internationaux. Bref, un spectacle intéressant et remarquablement construit  mais auquel manque sans doute un peu d’émotion personnelle. Mais nous n’avons pu voir les deuxième et troisième volets de cette œuvre.

Ph. du V.

Spectacle vu le 12 janvier au Hangar Théâtre à Montpellier.

 

 

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