
©C.M. Pontoir
Ma Forêt fantôme, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Vincent Dussart
Paul, le mari de Suzanne est mort de la maladie d’Alzheimer et Nicolas, le compagnon de Jean et frère de Suzanne a, lui, été emporté par le sida. Les vivants en deuil et les morts rassemblés pour une heure et demi ont des choses à se dire… Après tout pourquoi pas? « La forêt fantôme des êtres disparus durant les années sida ne cesse de hanter les survivants de cette génération, dit Vincent Dussart. Et, parce que cette forêt est aussi la nôtre, il s’agit donc d’affronter le deuil, individuel et collectif et de travailler la mémoire toujours vive de cette histoire. Dans le même temps, l’imaginaire des mêmes sociétés vieillissantes se confronte aujourd’hui à une banalisation de la maladie d’Alzheimer qui touche près de 20% des plus de soixante-quinze ans aujourd’hui en France. » Nombre de pièces et de films ont pour thème les conséquences familiales et socialesc entraînés par ce fléau, notamment la plus connue : Angels in America: A Gay Fantasia on National Themes de Tony Kushner créée en 1991 et qui a connu de nombreuses adaptations et mises en scène. Elle est sans doute une pièce majeure de la fin du XX ème siècle.
Encore faut-il qu’il y ait une réelle cohérence, comme chez cet auteur américain, entre le scénario et le message à transmettre dont le le plus important: une information courte, préventive est efficace et beaucoup moins telle ou telle histoire familiale ou non entraînée par ce virus qui s’est mondialement répandu. Ce qui, malheureusement n’est pas le cas ici. Pourtant ce genre de piqûre de rappel n’est jamais un luxe et Vincent Dussart dont nous avions apprécié la mise en scène de Puvérisés d’Alexandra Badéa présentée dans ce même théâtre de Soissons il y a quelques années (voir Le Théâtre du Blog) a essayé de construire une sorte de monument aux morts où les disparus côtoient les vivants sur un même plateau dans une sorte de fable poétique. Il y a dans Ma Forêt fantôme un très beau moment, même s’il n’est pas tout à fait réussi: assis sur un fauteuil au centre du plateau, un des acteurs lit simplement dans un carnet une longue liste d’hommes et de quelques femmes aussi, avec leurs dates de naissance et de mort, tous emporté par le sida et qu’il a connus. Moyenne d’âge en dessous de cinquante ans…
Cela nous a remué et fait penser à la liste que nous avions aussi établie à l’époque et que nous lisions à chaque rentrée aux élèves-comédiens de l’école du Théâtre National de Chaillot. Des gens que nous avions tous connus à un titre ou à un autre: Bernard Dort, notre ancien enseignant à la Sorbonne et spécialiste de Brecht, Gilbert Tilloy, un copain de fac, Christian Lebon, comédien et ancien élève de l’Ecole, Jean-Luc Lagarce, écrivain, Robert Anton, marionnettiste, Jacques Musy, directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris, Sony Labou Tansi, écrivain, Patrick de Rosbo, critique de théâtre et une bonne vingtaine d’autres dont Michel Guy, ancien ministre de la Culture!
Ici, la simple et glaçante énumération de cette liste participe d’une sorte de performance qui, à elle seule mais bien conçue et bien mise en scène, suffirait à mettre en garde un public quel qu’il soit. Même si cela durait disons une cinquantaine de minutes. «La maladie, rappelle avec raison Vincent Dussart, est toujours là, comme tapie dans l’ombre. Désormais, dans les pays développés, moins vécue comme
un péril urgent, que comme une menace sourde, latente. Les jeunes générations, épargnées par le traumatisme initial de l’apparition de la maladie, la prennent presque à la légère. Ses vint-cinq millions de morts n’en demeurent pas moins les arbres d’une forêt qui est aussi la leur. »
Oui, mais voilà, à part ce beau moment, il n’y a rien , du moins pas à ce jour, à sauver du spectacle qui a été accueilli poliment mais sans plus, à la première à Soissons (Aisne) et qui sera joué dans juste un mois au festival d’Avignon. D’ici là, que peut faire le metteur en scène pour sauver les meubles? C’est une sorte de cas d’école intéressant! Apparemment, nous ne voyons guère d’autre solution: Vincent Dussart devrait revoir d’urgence la scénographie, les lumières et les costumes -tout cela très médiocre- dûs à Antony Pastor, pourtant issu de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs. Lequel a conçu un grand plateau nu avec, au centre, un carré blanc, un fauteuil et un lustre couverts de feuillages et fruits. Et un mur de fond coloré de lumières rouge, verte ou bleu selon le moment, vaguement inspirée par celles du grand Bob Wilson mais qui ne font pas sens.
Cela risque fort de ressembler à un parcours du combattant pour Vincent Dussart mais il devrait aussi retravailler TOUTE la dramaturgie de ce texte beaucoup trop long, mal agencé et répétitif, truffé de termes médicaux souvent peu compréhensibles et auquel le public n’accroche pas. Malgré la gravité du thème abordé, nous ne nous sentons pas concernés. En partie donc à cause de cette scénographie aussi maladroite que prétentieuse. Et comme les acteurs jouent déjà en retrait sur ce grand plateau loin, très loin de la salle dont en plus, sans doute pour des raisons sanitaires, les six ou sept premiers rangs ont été condamnés, nous les entendions et les voyons donc mais de loin… Il y a toujours un passage délicat quand un spectacle quitte un lieu de répétition pour aller sur le vrai plateau d’une grande salle. Ce qui semble avoir été le cas ici, même si cela n’explique pas tout.
Côté mise en scène, c’est aussi la bérézina et la note d’intention ne manque pas non plus de prétention: «un décor unique permettant de passer d’un lieu à l’autre dans la plus grande fluidité. Ne pas distinguer sur scène les vivants, des morts. Mettre à jour les vents contraires,
les différences de points de vue. Montrer les plaisirs, la vie, les amours, jeunesse, malgré, ou peut-être à cause de la violence de la maladie. Ne pas esquiver la douleur physique… Dire la peur de vieillir, de mal vieillir, la peur de la contagion de la maladie, la peur de l’oubli. Passer du trash au poétique. »
Désolé, mais rien ici ne fonctionne et, de tous ces thèmes abordés, nous n’avons rien perçu ou si peu. A cause d’un texte redondant, d’un manque de rythme et de personnages peu crédibles auxquels nous avons le plus grand mal à nous intéresser. Mais la direction d’acteurs est aux abonnés absents: diction et gestuelle approximatives, jeu assez sec et interprétation bas de gamme des chansons et danses… Et pourquoi Vincent Dussart les fait-il jouer le plus souvent face public -une manie héritée de Stanislas Nordey- et passer de l’intérieur, à un soi-disant extérieur en suivant des diagonales?
Tout cela n’arrange pas les choses et cinq minutes après le début, l’entreprise se révèle sans espoir. Les comédiens dont nous avions déjà vu certains dans les précédentes mises en scène de Vincent Dussart font le boulot mais semblent s’ennuyer, comme s’ils étaient coincés dans un scénario et un espace qu’il n’arrivent pas vraiment à habiter. Et quand il prétend: «vouloir être incroyablement romanesque et furieusement politique et montrer l’énergie des corps et leur lassitude», là, stop à ce charabia! Sur le plateau, on est en effet vraiment trop loin du compte…
Le public de l’Avignon off est réputé indulgent mais il y a des limites! Vincent Dussart est sans doute lucide sur la grande faiblesse du travail qu’il nous a présenté mais pour que ce spectacle puisse s’améliorer, il a encore beaucoup, beaucoup de pain sur la planche! Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre et laissons une seconde chance à cette fantomatique forêt qui, pour le moment, n’est pas du bois dont on fait les flûtes. Donc à suivre… et quand nous serons dans la cité des Papes, nous vous en donnerons des nouvelles.
Philippe du Vignal
Spectacle vu au Mail-Scène culturelle, Soissons (Aisne) le 3 juin.
Du 6 au 26 juillet, Présence Pasteur, 13 rue du Pont Trouca, Avignon (Vaucluse).
Le 12 octobre, Maison du Théâtre à Amiens (Somme). Le 15 octobre, Le Palace, Montataire et le 22 octobre, La Manekine, Pont-Sainte-Maxence (Oise).