Adieu Raoul Sangla

Adieu Raoul Sangla

© Nicolas Villodre

© Nicolas Villodre

Il y a quelques jours, Raoul Sangla est mort à quatre vingt-dix ans. Ce jeune plâtrier basque d’origine monta à Paris où il fut d’abord l’assistant de Sacha Guitry et de Marcel Carné. Puis il devint un pionnier inventif de la télévision que dans les années cinquante une bande de jeunes gens prit très au sérieux… Ils considéraient qu’elle avait  sa propre logique d’expression. Ainsi pour lui, comme pour Claude Barma, Stellio Lorenzi, Jean Prat… l’autonomie des médias est essentielle et ils  ne se réduisent pas seulement à un message. Marshall Mac Luhan l’avait bien vu, ce message contient lui-même des potentialités visuelles. Ils eurent donc des idées télévisuelles…

A l’époque où l’information était sévèrement contrôlée par le pouvoir gaulliste, ces réalisateurs découvraient la singularité de la télévision et devinrent eux-mêmes singuliers. La présence d’André Malraux peut-être? Raoul Sangla en 1955 avec sa femme Joséphine Bitondo, sillonna l’Allemagne de l’Est au cours d’un tournée de chants et  danses du  groupe basque Etorki. Il découvrit alors le Berliner Ensemble et rencontra Bertolt Brecht dont sa pièce Galileo Galilei lui fait découvrir l’importance de la forme. Et l’impressionne notamment une scène où le nouveau Pape joue de dos et prend ses distances avec Galilée, à mesure qu’il revêt pièce à pièce son costume d’apparat.  

Raoul Sangla entrera à la télévision en 1959 et devient assistant-réalisateur de Stellio Lorenzi pour La Caméra explore le temps. De 1964 à 1970, à la demande de Denise Glaser, il réalisera Discorama qui présente les danseurs et chanteurs du moment. Mais il cassa les décors habituels comme ces grandes photos sans vie qui accompagnaient par exemple un récital de Jean Ferrat. Le plateau devient son affaire mais comment le peupler? « J’essayais d’intégrer  la variété, le rêve dans le concret du studio. Les couloirs, les échafaudages, les échelles. » Une  démarche brechtienne, comme le souligne Nicolas Villodre.
Cet ensemble d’objets déjoue toute intention d’illustration et d’identification (c’est l’apport de la critique de Brecht) mais  « biaise » la distanciation : les objets dans leur réalité même, accèdent à une nouvelle visibilité. Logés dans la musique et le chant, ils gagnent un surcroît d’apparence et ce n’est pas par hasard si Raoul Sangla a aussi réalisé en 1967 Henri Lefebvre, le fil du siècle. Lefebvre, ce philosophe des choses dans l’espace et de la ville.Et En 1994, il fonde l’institut européen du cinéma et de l’audiovisuel dont il sera président jusqu’en 2007. Et par ailleurs, en 1970 il crée Du bonheur et rien d’autre et Un pas ou deux sur la neige, deux comédies musicales de Jean-Claude Grumberg. Et en 1978, Raoul Sangla tourne La Passion avec un plan fixe de cinquante-huit minutes jouée par une vingtaine de comédiens et cent cinquante figurants. Et de 1978 à 1981, il sera directeur de la Maison de la Culture de Nanterre.

De la nuit à la lumière, de la lumière à la nuit, Raoul Sangla diffuse au ralenti un élan, un hors-champ mental qui se trouve dans la caméra. On ne montre pas impunément les choses: « La caméra, dit-il dans ses Mémoires de télévision, n’est pas qu’une chambre d’enregistrement, elle est bien ce lieu de la  nuit que la lumière désordonne. » C’était un homme, si joyeusement actif…

Bernard Rémy

 

 

 


Archive pour 7 juin, 2021

L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, d’après le scénario d’Éric Rohmer, mise en scène de Thomas Quillardet

L’ARBRE, LE MAIRE ET LA MÉDIATHÈQUE

© Pierre Grosbois

L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, d’après le scénario d’Éric Rohmer, mise en scène de Thomas Quillardet

Dans une clairière du Parc floral au Bois de Vincennes, au pied d’un arbre, Julien Dechaumes (Guillaume Laloux), maire P.S.  de Saint-Juire, un village en Vendée, nous accueille d’un salut républicain avec un tract à son effigie. Nous sommes en juin 1992 et il vient d’être battu aux élections départementales qui connurent un raz de marée de la Droite.

Le jeune homme, loin de se décourager, ambitionne de moderniser sa commune, minée par l’exode rural et la désertification, en construisant un centre culturel et sportif ultra-moderne «mais respectueux de l’environnement »… Au grand dam de l’instituteur (Florent Cheippe) qui y voit un manœuvre politicarde et refuse qu’on défigure le paysage et sacrifie les arbres… Un combat idéologique s’engage auquel se mêlent la fiancée du maire, intello parisienne type (Malvina Plégat) et une journaliste à la recherche d’un scoop (Clémentine Baert)…

Les oiseaux chantent, le garde-champêtre déboule à bicyclette, le pré est en fleurs et l’herbe sent bon… Dans cette ambiance bucolique, les spectateurs, assis sur des bottes de foin, goûtent la finesse du texte d’Éric Rohmer, à l’aise sur un terrain qui ne lui était pourtant pas familier. Thomas Quillardet en a condensé les dialogues et, sans trahir la continuité narrative, met en valeur la qualité théâtrale et l’acuité dialectique de la dramaturgie rohmérienne. Les bons mots, bien dosés, offrent une légèreté à ce débat qui aurait pu être indigeste et nous percevons aussi le caractère prémonitoire des questions sociétales posées dans le scénario, surtout depuis que le covid est passé par là.

Le spectacle, prévu avant cette crise, a dû être reporté. Dans ces circonstances, les propos de chacun des personnages sont d’une étonnante actualité et la chanson qui clôt le film, entonnée ici par la troupe, est dans l’air du temps: «Nous vivrons tous à la campagne/Parmi les champs et les prairies/Tout en étant chef de bureau/Comptable ou informaticien/Plus besoin d’aller au boulot/ Avec la voiture ou le train.»

Eric Rohmer envisageait, avec vingt ans d’avance, le poids du discours écologique dans la vie politique et la récupération qu’en font les partis de tout bord comme dans la campagne électorale actuelle. Il donne le dernier mot à une petite fille (Liv Volckman) anticipant ainsi l’engagement de la jeunesse d’aujourd’hui pour sauver la Planète.

Avec ses comédiens, tous excellents, Thomas Quillardet s’impose comme metteur en scène, tout en restant dans le droit fil de l’original. Ne manquez pas ce bol d’air ! Au théâtre de la Tempête, ce spectacle d’une heure trente est couplé avec la reprise d un diptyque créé avec talent en 2017 par la même équipe. Sous le titre emprunté à Rimbaud Où les cœurs s’éprennent, il rassemble  Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert d’Éric Rohmer (voir Le Théâtre du Blog). Une adaptation riche d’inventions théâtrales et qui distille avec grâce les atermoiements amoureux des protagonistes.  

Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes et navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

 Le 2 juillet, Festival de Châteauvallon (Var) ; 7 Juillet, Festival Par Has’art, Noisiel (Seine-et-Marne); 9 Juillet, Théâtre de Chelles (Seine-et-Marne); 18 juillet, Le Moulin du Roc, Niort (Deux-Sèvres) ; 24 juillet, Lieux Publics, Marseille (Bouches-du-Rhône).

Du 19 au 21 août, Festival Eclat-Les Rencontres d’Aurillac (Cantal).

Ma Forêt fantôme, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Vincent Dussart

©x

©C.M. Pontoir

Ma Forêt fantôme, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Vincent Dussart

Paul, le mari de Suzanne est mort de la maladie d’Alzheimer et Nicolas, le compagnon de Jean et frère de Suzanne a, lui,  été emporté par le sida. Les vivants en deuil et les morts rassemblés pour une heure et demi ont des choses à se dire… Après tout pourquoi pas?  « La forêt fantôme des êtres disparus durant les années sida ne cesse de hanter les survivants de cette génération, dit Vincent Dussart. Et, parce que cette forêt est aussi la nôtre, il s’agit donc d’affronter le deuil, individuel et collectif et de travailler la mémoire toujours vive de cette histoire. Dans le même temps, l’imaginaire des mêmes sociétés vieillissantes se confronte aujourd’hui à une banalisation de la maladie d’Alzheimer qui touche près de 20% des plus de soixante-quinze ans aujourd’hui en France. » Nombre de pièces et de films ont pour  thème les conséquences familiales et sociales entraînés par ce fléau, notamment la plus connue : Angels in America: A Gay Fantasia on National Themes de Tony Kushner créée en  91 et qui a connu de nombreuses adaptations et mises en scène. Sans doute une pièce majeure de la fin du XX ème siècle.

Encore faut-il qu’il y ait une réelle cohérence, comme chez cet auteur américain, entre le scénario et le message à transmettre  dont le le plus important: une  information courte, préventive est efficace et beaucoup moins telle ou telle histoire familiale ou non entraînée par ce virus qui s’est mondialement répandu. Malheureusement, ce n’est pas le cas ici. Pourtant ce genre de piqûre de rappel n’est jamais un luxe et Vincent Dussart dont nous avions apprécié la mise en scène de Puvérisés d’Alexandra Badéa présentée dans ce même théâtre de Soissons il y a quelques années (voir Le Théâtre du Blog) a essayé de construire une sorte de monument aux morts où les disparus côtoient les vivants sur un même plateau dans une sorte de fable poétique.
Il y a dans Ma Forêt fantôme, un très beau moment, même s’il n’est pas tout à fait réussi: assis sur un fauteuil au centre du plateau, un des acteurs lit simplement dans un carnet une longue liste d’hommes et de quelques femmes aussi, avec dates de naissance et de mort, tous emporté par le sida et qu’il a connus. Moyenne d’âge en dessous de cinquante ans…

Cela nous a  très remué et fait penser à la liste que nous avions aussi établie à l’époque et que nous lisions à chaque rentrée aux élèves-comédiens de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Des gens que nous avions tous connus à un titre ou à un autre: Bernard Dort, notre ancien  enseignant à la Sorbonne et spécialiste de Brecht, Gilbert Tilloy, un copain de fac, Christian Lebon, comédien et ancien élève de l’Ecole, Jean-Luc Lagarce, écrivain, Robert Anton, marionnettiste, Jacques Musy, directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris, Sony Labou Tansi, écrivain et son épouse disparue trois jours avant lui, Patrick de Rosbo, critique de théâtre, et une bonne vingtaine d’autres dont X, accessoiriste à Chaillot. Et le plus connu: Michel Guy, ancien ministre de la Culture!

Ici, la simple et glaçante énumération de cette liste ferait une performance ou un court spectacle d’agit-prop et à elle seule mais bien conçue, suffirait à mettre en garde un public quel qu’il soit. Même si cela durait disons une cinquantaine de minutes. «La maladie, rappelle avec raison Vincent Dussart, est toujours là, comme tapie dans l’ombre. Désormais, dans les pays développés, moins vécue comme
 un péril urgent, que comme une menace sourde, latente. Les jeunes générations, épargnées par le traumatisme initial de l’apparition de la maladie, la prennent presque à la légère. Ses vint-cinq millions de morts n’en demeurent pas moins les arbres d’une forêt qui est aussi la leur. »

Oui, mais voilà, à part ce beau moment, il n’y a rien, du moins pas à ce jour, à sauver du spectacle qui a été accueilli poliment mais sans plus, à la première à Soissons (Aisne). Il sera joué dans juste un mois au festival d’Avignon. D’ici là, que peut faire le metteur en scène pour sauver les meubles? Un cas d’école intéressant!
Vincent Dussart devrait revoir d’urgence: scénographie, lumières et costumes -tout cela très médiocre-dûs à Antony Pastor, pourtant issu de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs. Lequel a conçu un grand plateau nu avec, au centre, un carré blanc, un fauteuil et un lustre couverts de feuillages et fruits. Et un mur de fond coloré de lumières rouge, verte ou bleu selon le moment, vaguement inspirée par celles du grand Bob Wilson mais qui ne font pas sens.

Reprendre tout cela risque fort de ressembler à un parcours du combattant pour Vincent Dussart mais il devrait aussi retravailler TOUTE la dramaturgie de ce texte beaucoup trop long, mal agencé, répétitif, truffé de termes médicaux inconnus du public qui n’accroche donc pas. Malgré la gravité du thème abordé, nous ne nous sentons pas concernés. En partie donc à cause de cette scénographie aussi maladroite que prétentieuse.
Et comme les acteurs jouent déjà en retrait sur ce grand plateau loin, très loin de la salle dont en plus, sans doute pour des raisons sanitaires, les six ou sept premiers rangs ont été condamnés, nous les entendions et les voyons de loin… Il y a toujours un passage délicat quand un spectacle quitte un lieu de répétition pour aller sur le vrai plateau d’une grande salle. Ce qui semble avoir été le cas ici, même si cela n’explique pas tout.

Côté mise en scène, c’est aussi la bérézina et la note d’intention ne manque pas non plus de prétention: «un décor unique permettant de passer d’un lieu à l’autre dans la plus grande fluidité. Ne pas distinguer sur scène les vivants, des morts. Mettre à jour les vents contraires, 
les différences de points de vue. Montrer les plaisirs, la vie, les amours, jeunesse, malgré, ou peut-être à cause de la violence de la maladie. Ne pas esquiver la douleur physique… Dire la peur de vieillir, de mal vieillir, la peur de la contagion de la maladie, la peur de l’oubli. Passer du trash au poétique. »

Désolé, mais rien ici ne fonctionne et, de tous ces thèmes abordés, nous n’avons rien perçu ou si peu. Texte redondant, manque de rythme, personnages peu crédibles auxquels nous avons le plus grand mal à nous intéresser, direction d’acteurs aux abonnés absents, diction et gestuelle approximatives, jeu assez sec et interprétation bas de gamme des chansons et danses… Et pourquoi Vincent Dussart fait-il jouer ses acteurs le plus souvent face public -une manie héritée de Stanislas Nordey- et passer de l’intérieur, à un soi-disant extérieur en suivant des diagonales?

 Cinq minutes après le début, l’entreprise  se révèle sans espoir. Les comédiens dont nous avions déjà vu certains dans les précédentes mises en scène de Vincent Dussart font le boulot mais semblent s’ennuyer, comme s’ils étaient coincés dans un scénario et  un espace qu’il n’arrivent pas vraiment à habiter. Et quand il prétend: «Vouloir être incroyablement romanesque et furieusement politique et montrer l’énergie des corps et leur lassitude», là, stop à ce charabia! Sur le plateau, on est en effet vraiment trop loin du compte…
Le public de l’Avignon off est réputé indulgent mais il y a des limites! Vincent Dussart est sans doute lucide sur la grande faiblesse du travail qu’il nous a présenté mais pour que ce spectacle puisse s’améliorer, il a encore beaucoup,  beaucoup de pain sur la planche! Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre et laissons une seconde chance à cette fantomatique forêt qui, pour le moment, n’est pas du bois dont on fait les flûtes. Donc à suivre… et quand nous serons dans la cité des Papes, nous vous en donnerons peut-être des nouvelles.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Mail-Scène culturelle, Soissons (Aisne) le 3 juin.
Du 6 au 26 juillet, Présence Pasteur, 
13 rue du Pont Trouca, Avignon (Vaucluse).

Le 12 octobre, Maison du Théâtre à Amiens (Somme). Le 15 octobre, Le Palace, Montataire et le 22 octobre, La Manekine, Pont-Sainte-Maxence (Oise).

 


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