Adieu Raoul Sangla
Adieu Raoul Sangla
Il y a quelques jours, Raoul Sangla est mort à quatre vingt-dix ans. Ce jeune plâtrier basque d’origine monta à Paris où il fut d’abord l’assistant de Sacha Guitry et de Marcel Carné. Puis il devint un pionnier inventif de la télévision que dans les années cinquante une bande de jeunes gens prit très au sérieux… Ils considéraient qu’elle avait sa propre logique d’expression. Ainsi pour lui, comme pour Claude Barma, Stellio Lorenzi, Jean Prat… l’autonomie des médias est essentielle et ils ne se réduisent pas seulement à un message. Marshall Mac Luhan l’avait bien vu, ce message contient lui-même des potentialités visuelles. Ils eurent donc des idées télévisuelles…
A l’époque où l’information était sévèrement contrôlée par le pouvoir gaulliste, ces réalisateurs découvraient la singularité de la télévision et devinrent eux-mêmes singuliers. La présence d’André Malraux peut-être? Raoul Sangla en 1955 avec sa femme Joséphine Bitondo, sillonna l’Allemagne de l’Est au cours d’un tournée de chants et danses du groupe basque Etorki. Il découvrit alors le Berliner Ensemble et rencontra Bertolt Brecht dont sa pièce Galileo Galilei lui fait découvrir l’importance de la forme. Et l’impressionne notamment une scène où le nouveau Pape joue de dos et prend ses distances avec Galilée, à mesure qu’il revêt pièce à pièce son costume d’apparat.
Raoul Sangla entrera à la télévision en 1959 et devient assistant-réalisateur de Stellio Lorenzi pour La Caméra explore le temps. De 1964 à 1970, à la demande de Denise Glaser, il réalisera Discorama qui présente les danseurs et chanteurs du moment. Mais il cassa les décors habituels comme ces grandes photos sans vie qui accompagnaient par exemple un récital de Jean Ferrat. Le plateau devient son affaire mais comment le peupler? « J’essayais d’intégrer la variété, le rêve dans le concret du studio. Les couloirs, les échafaudages, les échelles. » Une démarche brechtienne, comme le souligne Nicolas Villodre.
Cet ensemble d’objets déjoue toute intention d’illustration et d’identification (c’est l’apport de la critique de Brecht) mais « biaise » la distanciation : les objets dans leur réalité même, accèdent à une nouvelle visibilité. Logés dans la musique et le chant, ils gagnent un surcroît d’apparence et ce n’est pas par hasard si Raoul Sangla a aussi réalisé en 1967 Henri Lefebvre, le fil du siècle. Lefebvre, ce philosophe des choses dans l’espace et de la ville.Et En 1994, il fonde l’institut européen du cinéma et de l’audiovisuel dont il sera président jusqu’en 2007. Et par ailleurs, en 1970 il crée Du bonheur et rien d’autre et Un pas ou deux sur la neige, deux comédies musicales de Jean-Claude Grumberg. Et en 1978, Raoul Sangla tourne La Passion avec un plan fixe de cinquante-huit minutes jouée par une vingtaine de comédiens et cent cinquante figurants. Et de 1978 à 1981, il sera directeur de la Maison de la Culture de Nanterre.
De la nuit à la lumière, de la lumière à la nuit, Raoul Sangla diffuse au ralenti un élan, un hors-champ mental qui se trouve dans la caméra. On ne montre pas impunément les choses: « La caméra, dit-il dans ses Mémoires de télévision, n’est pas qu’une chambre d’enregistrement, elle est bien ce lieu de la nuit que la lumière désordonne. » C’était un homme, si joyeusement actif…
Bernard Rémy