Traverse, Festival itinérant des arts de la parole (première partie)
Traverse, Festival itinérant des arts de la parole ( première partie)
Né en 2009, cet événement est animé dans des villages du Haut Val de Sèvre (près de Poitiers) par la musicienne Fanny Chériaux et Nicolas Bonneau, comédien et metteur en scène (voir Le Théâtre du Blog) et il le dirige depuis deux ans. Il y met en valeur l’art du récit, souvent proche du théâtre documentaire, avec des formes légères, adaptées à des lieux comme des chapiteaux, une église protestante ou une merveilleuse petite prairie… Et la part belle est faite aux créatrices dans une logique d’ouverture. Au fait, quand verra-t-on une femme seule à la tête du festival d’Avignon? Même s’il y a eu un « demi-précédent » avec Hortense Archambault.
Nicolas Bonneau qui est aussi conteur, pratique le collectage dans ce département des Deux-Sèvres où il a vécu et il y a implanté sa compagnie la Volige. Avec Fanny Chériaux, il écrit et met en scène. Noémie Sage, elle, gère l’équipe administrative, la production de la compagnie et du festival.
Nicolas Bonneau explore l’art du récit, souvent proche du théâtre documentaire avec des formes légères capables de s’adapter à des lieux comme un petit ou un grand chapiteau, un temple, une salle polyvalente, voire une merveilleuse petite prairie… Fanny Chériaux et lui écrivent et mettent en scène. Noémie Sage, elle, gère l’équipe administrative, la production, l’administration de la compagnie et du festival
Quatorze millimètres de Catherine Michaud
Un thème encore tabou il y a une vingtaine d’années: comment vivre après un cancer du sein, puis une mastectomie et une séparation douloureuse. Comment faire son deuil de tout ce qui tombe sur la tête d’une femme pourtant encore dynamique il y a quelques mois et travaillant dans les relations publiques… Et surtout, comment reprendre goût à l’existence… quand on se retrouve pas très âgée mais seule dans la vie dont on voudrait bien encore croquer quelques fruits savoureux. Mais il y a -parfois mais pas toujours- une rencontre. Pierre, un comédien, surgit comme par miracle dans sa vie dont elle n’attendait plus grand chose.
Et Catherine Michaud, une fois disparue cette minuscule tumeur de quatorze millimètres mais qui aurait pu l’emporter, va retrouver petit à petit toute la saveur des jours d’autrefois: les caresses et les baisers d’un amoureux, la joie de faire des plats que l’on partagera et d’écouter de la musique, donc de multiplier les plaisirs quotidiens. « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte, conseillait déjà dans Les Perses, il y a cinq siècles avant J. C., le génial Eschyle, car la richesse est vaine chez les morts. » Et Catherine Michaud semble avoir entendu Montaigne, ce Bordelais comme elle: “Ne pouvant régler les événements, je me règle moi-même. Le bonheur ne se perçoit pas sans esprit et sans vigueur.”
Et tout va se passer comme si ce Pierre lui créait comme une obligation de ne pas tomber et de recommence à vivre. Alors, dit-elle, «le processus de guérison absolue et définitive était en marche.» Mais qui est ce Pierre? Un homme bien vivant ou un rêve dont s’empare Catherine Michaud? Qu’importe et Sandrine Bourreau est tout à fait convaincante dans ce rôle de femme qui renaît à la vie après avoir été fracassée. Un rôle qui exige d’une interprète à la fois solidité et sensibilité. Ce que réussit à faire cette actrice qui ne tombe jamais dans le pathos et reste toujours très crédible.
Déesses de Pauline Letourneur
Cela se passe dans l’église protestante de Pamproux (Deux-Sèvres). Murs blancs, pas de scène, bancs en bois et devant la chaire, un rideau blanc qu’à la fin, Rebecca Fels et Pauline Letourneur feront glisser et où sont mentionnées les grandes dates des victoires féminines. Il s’agit d’une sorte de récit de la Womans’s Pentagon Action, un événement éco-féministe qui a eu lieu à Washington en 1980. Oui mais voilà, il n’y a guère de véritable dramaturgie et aucune mise en scène digne de ce nom. Et même si elle sont sympathiques, ces jeunes femmes ne sont pas vraiment des actrices. Et côté leçon de morale, grand merci, nous avons déjà beaucoup donné. Ce qui, à la rigueur, pourrait faire l’objet d’un petite performance, ici ne fonctionne absolument pas, même le temps d’une heure et distille vite un ennui pesant. Tant pis.
Je me maquille pour ne pas pleurer d’Héloïse Desrivières
Là, on a affaire à quelque chose d’une toute autre dimension. Cette jeune écrivaine, après un master de Littérature comparée à la Sorbonne Nouvelle, a intégré il y a quatre ans le département d’écriture dramatique de l’ENSATT. Elle écrit notamment Arthur et Bérénice sont insomniaques, Le Guide Rouge et la Tendresse du Gibier. Elle a aussi été l’assistante de François Rancillac, d’Adel Hakim et de Joël Pommerat. Dramaturge, elle collabore avec des chorégraphes et danseurs et travaille actuellement à Monte-Cristo, une pièce librement adaptée du célèbre roman d’Alexandre Dumas.
Un récit, à base autobiographique, d’une renaissance qu’elle interprète elle-même. «Mon enfant, dit-elle, est né deux semaines avant mon entrée à l’E.N.S.A.T.T. Les étudiantes n’ont pas le droit à un congé-maternité mais je ne voulais pas renoncer à écrire ni à créer. J’étais mère célibataire et pendant les deux années qui ont suivi, je me suis répété en boucle : “La dernière fois que j’ai fait l’amour, j’ai fait un enfant. » Les produits cosmétiques sont devenus ma première arme : me maquiller pour ne pas pleurer. (…) Et mon geste artistique consistait à créer de la beauté pour rendre mon monde -le monde- soutenable. Pour ce faire, j’écris un récit ancré dans le réel qui décrit le quotidien dans sa plus franche crudité. (…) Avec Déesses, je cherche une écriture vitale et mordante, nourrie de l’énergie sans limite que l’on peut déployer en situation de crise, lorsqu’on décide d’enfin assumer le poids des choses. Je veux rendre joyeux le désespoir, je veux rendre désirable cette femme, je veux écrire cette intimité crue. »
Astrid a eu un enfant pendant ses études et a trouvé dans les cosmétiques le moyen de survivre aux impératifs économiques et sociaux qui pesaient sur elle. Suite au décès de son compagnon pendant la grossesse, elle se retrouve seule, face à elle-même pour assumer toutes les nouvelles responsabilités et apprivoiser son corps qui a subi un bouleversement réel. Elle se fait un « wrap». Pour les non-initiés: un masque corporel d’argile verte recouvert de film plastique qu’elle déchirera ensuite jusqu’à se retrouver les seins nus. A la fin de cette performance textuelle, elle apparaît dans une longue robe où elle a cousu des centaines de coquilles de moules qui, en s’entrechoquant, produisent une curieuse nappe sonore. Dans une sorte de cérémonie très intime, elle se raconte et fait le point sur sa vie.
«Astrid, dit Héloïse Desrivières, essaye de faire à la fois le deuil de son compagnon et de son corps de jeune fille. Et se raccroche à une seule chose : la beauté, qu’elle décortique et qui se réinvente dans son regard. Avec humour et férocité, elle confie aux fleurs les stratégies plus ou moins nobles qu’elle a mises en œuvres pour passer à autre chose, pour se réapproprier son vagin et voir son désir renaître. Pour l’aider, les femmes de son entourage ont des conseils ou des cadeaux plus ou moins inattendus : sa petite sœur esthéticienne lui apprend la cosmétique, sa cousine Léa l’aide à interpréter un rêve dans lequel elle se transforme en taureau et parle une langue inconnue ou encore sa tante qui lui offre un petit pot de crème à l’abricot, spécial muqueuse, pour se masser le périnée. »
Sur le petit plateau, la jeune femme se raconte abondamment mais avec intelligence. Le texte, encore souvent brut de décoffrage, mériterait quelques sérieuses coupes et le décor: une espèce de petit comptoir en fil doré aux étagères dotées de quelques flacons mais pas très réussi et nous préférons oublier le charabia de la note d’intention: « Le parti pris physique au plateau crée des espaces de tensions, en arythmie et en dissociation, entre les mots et le mouvements pour provoquer un effet hypnotique qui ouvre la brèche dans laquelle peuvent s’immiscer les spectateurs. (…) La dimension du monstre, du détournement et de l’être “à la frontière du critère social” nous invite à tomber les masques de spectateurs et à laisser surgir le trouble de nos profondeurs. »
Mais bon, tout cela n’est pas grave et compte surtout cette écriture, violente et douce à la fois, tout à fait intéressante interprétée avec une belle diction, pas très loin de Virginie Despentes. Bref, une sorte de conte de notre époque, portée par une jeune artiste qui règle ses comptes et qui a sans doute encore bien des choses à dire sur un plateau. Nicolas Bonneau a eu raison de la faire venir à Traverse… A suivre de près.
Récital de chansons: Fanny Chérieaux
Cela se passe sous le même petit chapiteau, la chanteuse chante, en s’accompagnant une voix profonde et grave, le temps passé, la difficulté qu’il y a se trouver et à se perdre, à se tromper aussi. Dans J’ai rien dit, elle parle de la frustration de ne pas avoir osé dire oui. Suivent d’autres chansons comme Qui va t’aimer? où elle s’interroge sur elle-même.
Puis Fanny Chérieaux entame son Monologue du jogging, bientôt rejointe par un très jeune danseur puis par un autre. Ils la soulèvent et jouent avec elle. Il fait encore très chaud sous le chapiteau mais le public l’écoute avec plaisir et règne en cette fin de soirée, un vrai plaisir de se retrouver ensemble…
Puis cette soirée dite professionnelle se passe dans un endroit d’une rare poésie; une belle petite prairie au bout du village de Saint-Martin de Saint-Mexent avec une rivière où se trouve le lavoir des Genets qui a été restauré et où des grenouilles coassent au milieu d’un beau silence comme si le temps s’était arrêté. Il y a quelque cent cinquante spectateurs devant une petite scène, rustique avec quelques projecteurs, des bancs et des chaises pour deux étonnants spectacles…
Deux Sœurs de Marien Tillet
« Pourquoi, se demande l’auteur qui joue aussi ce monologue, la peur est-elle la grande absente des émotions suscitée au théâtre, quand elle est présente au cinéma, dans la littérature, la peinture? Pourquoi les metteurs en scène et auteurs de théâtre contemporain s’y intéressent-ils si peu? Est-elle le parent pauvre des émotions primaires ? Est-elle une émotion trop populaire? Les millions de personnes qui la recherchent dans les séries, films et romans de genre sont-ils étrangers à l’espace théâtral?
Marien Tillet raconte les destinées singulières de personnages confrontés au fantastique. En novembre 1953 au Sud-Ouest de l’Irlande, la jeune Aïleen O’Leary disparaît. Soixante ans plus tard, Marc, un ethnologue spécialiste des hystéries collectives, retrouve son carnet intime. Il soupçonne un lynchage en règle, avec massacre comme au temps des sorcières. Marien Tillet se lance dans une enquête qui tient d’un thriller, en confrontant les témoignages des protagonistes de cette rude histoire remarquablement écrite. Et où on entre comme par effraction mais avec grand plaisir.
« Alors Cian a eu une idée : qu’elle meurt de la même mort que son fils, la pire des morts, la noyade. On l’a traînée jusqu’au port, et comme personne n’osait la prendre avec lui sur sa barque, on s’est rendu au large en la tirant derrière nous, encordée par les pieds. Puis on l’a encerclée de nos barques, et on a essayé de la faire couler avec nos rames. Chaque fois sa tête disparaissait sous l’eau mais chaque fois elle remontait.Mon père ma tendu la rame et m’a dit: «Tiens, deviens un homme, mon fils ! » Je suis devenu un homme. Au bout de deux heures, elle nous a regardés les uns après les autres, dans le silence de la nuit, dans la noirceur de la mer, éclairée juste par nos torches, et je ne saurai pas dire ce qu’il y avait dans ses yeux jaunes, dans ses yeux fous, mais quand elle m’a regardé plus longtemps que les autres, moi qui était le plus jeune, qui la connaissais, qui l’aimais bien. J’ai regretté d’être devenu un homme.Puis c’est elle qui a mis fin à tout ça. Elle s’est laissée recouvrir par l’eau. »
La chaleur est accablante sous ce grand chapiteau noir mais grâce à un indéniable métier, aux belles lumières de Samuel Poncet et au dispositif sonore de Pierre-Alain Vernette, le comédien-conteur sait embarquer le public comme on le voit rarement, même si on se perd parfois dans les méandres de cette histoire glauque à laquelle nous croyons. Comme quand nous dévorions, enfants, les livres de la célèbre et merveilleuse collection des quelque cent cinquante Contes et légendes créée par les éditions Fernand Nathan en 1913 et …toujours éditée, avec des récits issus de l’histoire ou du folklore national ou étranger.
« Cette démarche est possible en faisant du public et du comédien un seul groupe dit Marien Tillet. « Et sa compagnie Le Cri de l’Armoire veut créer «de l’envie, du désir, de la curiosité auprès de publics qui ne vont jamais au théâtre.» Effectivement, c’est une autre forme de spectacle avec une relation privilégiée entre le conteur et son public. Créé au Théâtre Dunois à Paris (XIII ème) donc dans un petite salle, le spectacle -un peu trop long- n’est sans doute pas ici dans le lieu idéal mais Marien Tillet réussit la prouesse de tenir son public dans des conditions limites. C’est aussi cela l’art de l’acteur. Chapeau!
Philippe du Vignal
A suivre…
Spectacles vus à Pamproux (Deux-Sèvres) le 10 juin.