Correspondances Gustave Flaubert,Victor Hugo
Correspondances Gustave Flaubert, Victor Hugo
Jacques Weber était déjà au Théâtre Antoine en mai dernier avec ces Correspondances, un solo qu’il reprend sur cette même scène. Il s’agit d’une lecture-interprétation d’écrits de Gustave Flaubert (1821-1881) et de son quasi-contemporain Victor Hugo (1802-1885) qu’il surnommait « le grand crocodile ». Ces célèbres auteurs du XIX ème -encore très lus et étudiés: Madame Bovary était au programme de première cette année- ont entretenu une correspondance dont l’acteur a prélevé quelques moments savoureux.
Quant à Victor Hugo, ce créateur infatigable qui fait l’unanimité en France et qui est aussi très connu à l’étranger, il a pratiqué -et souvent avec bonheur- de nombreux genres littéraires et a une passion pour la langue française et un sens de l’épique assez rares. Le poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments (1853) a aussi écrit cette Légende des siècles dont nous apprenions les poèmes dès l’école primaire. Il fut aussi le romancier des célébrissimes et très populaires Notre-Dame de Paris et Les Misérables, un livre encore deux siècles après sa parution sans cesse adapté au théâtre par les meilleurs metteurs en scène. Mais des pièces comme Ruy Blas qu’a fait renaître Jean Vilar et Hernani ne sont plus très jouées.
Victor Hugo, orateur exemplaire et remarquable dessinateur fut marié et père de cinq enfants mais aussi lamant de nombreuses femmes dont pendant quarante ans, l’actrice Juliette Drouet. Il devint aussi un grand-père affectueux et un homme politique. D’abord confident de Louis-Philippe et pair de France en 1845, il défendit le sort de la Pologne écartelée entre plusieurs pays. Nommé maire du VIII ème à Paris en 48, puis élu député, il réclama une instruction «obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés». Après le coup d’Etat en 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo s’exilera pendant dix-neuf ans! A Bruxelles d’abord où il écrit un pamphlet Napoléon le petit puis à Jersey avec toute sa famille et… sa Juju dans une maison pas très loin de la sienne et ensuite à Guernesey. Il désapprouvera la répression contre les Communards et défendra les droits des femmes: «Une moitié de l’espèce humaine est hors de l’égalité, il faut l’y faire rentrer: donner pour contre-poids au droit de l’homme le droit de la femme. » Son œuvre romanesque et sa vie inspirèrent nombre de pièces, films, opéras, bandes dessinées, comédies musicales…
Gustave Flaubert, lui, est toujours considéré comme un des meilleurs romanciers du XIX ème avec Stendhal, Honoré de Balzac, Emile Zola et Victor Hugo mais n’aura pas eu la célébrité de ce dernier. Madame Bovary paraît d’abord sous forme de feuilleton mais il est poursuivi (avant d’être acquitté) pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». Il fut soutenu par Victor Hugo: «Vous êtes un de ces hauts sommets que tous les coups frappent, mais qu’aucun n’abat. (…) Vous êtes, Monsieur, un des esprits conducteurs de la génération à laquelle vous appartenez. Continuez de tenir haut devant elle le flambeau de l’art. Je suis dans les ténèbres, mais j’ai l’amour de la lumière. Je vous serre la main. »
De son côté, Flaubert n’a jamais caché son admiration pour ce monstre sacré de la littérature et la préface de Cromwell l’aura sans doute beaucoup influencé: «Hugo, en ce siècle, enfoncera tout le monde, quoiqu’il soit plein de mauvaises choses. Mais quel souffle ! Quel souffle!» Flaubert qui a eu une correspondance suivie avec lui, n’avait pas de mots assez durs pour Lamartine. « Il n’a jamais pissé que de l’eau claire. La quantité d’hémistiches tout faits, de vers à périphrases vides, est incroyable. Quand il a à peindre les choses vulgaires de la vie, il est au-dessous du commun. C’est une détestable poésie, inane, sans souffle intérieur. Ces phrases-là n’ont ni muscles ni sang. »
Comme le rappelle Jacques Weber avec beaucoup d’humour, l‘auteur de la fameuse Education sentimentale n’est pas tendre non plus pour Alfred de Musset: «La manie commune qu’il avait de prendre le sentiment pour la poésie.» Le grand acteur avait joué en 2008 Sacré nom de Dieu d’Arnaud Bédouet, d’après la correspondance de Gustave Flaubert et, il y a trois ans, Hugo au bistrot d’après ses textes. Jacques Weber est donc un familier de ces auteurs et a aussi picoré avec bonheur dans leur correspondance pour ce spectacle.
Il aime La Retraite de Russie de Victor Hugo qu’il dit magnifiquement avec quelques commentaires de son cru -un peu insistants genre explication de texte pour élèves de sixième- mais bon, nous sommes quand même emportés par le flot lyrique hugolien. «Il neigeait. On était vaincu par sa conquête./ Pour la première fois l’aigle baissait la tête. Sombres jours! L’Empereur revenait lentement/ Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait./L’âpre hiver fondait en avalanche. /Après la plaine blanche, une autre plaine blanche./ On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau./ Hier, la grande armée, et maintenant troupeau. /On ne distinguait plus les ailes ni le centre. Il neigeait. /Les blessés s’abritaient dans le ventre/ Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés/On voyait des clairons à leur poste gelés/ Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,/ Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. »
Jacques Weber dit aussi le poème bien connu de Victor Hugo dans les Contemplations, Demain, dès l’aube… en hommage à sa fille Léopoldine morte, noyée à dix-neuf ans enceinte de trois mois, avec son mari après le naufrage de leur barque sur la Seine. Tragédie qu’il apprend quand il se trouve dans les Pyrénées avec sa Juju en lisant le journal!» Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,/ Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. /J’irai par la forêt, j’irai par la montagne./Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. »
Aux meilleurs moments de cette grande heure, Jacques Weber sait bien faire sonner la langue de Victor Hugo mais le spectacle reste très inégal. Pourquoi se met-il à crier -et c’est vraiment dommage- pour dire son célèbre discours à l’Assemblée contre la peine de mort: «Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. ( …) Vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort. »
Et pourquoi ces commentaires de texte avec une diction souvent approximative où l’acteur s’écoute parfois parler? Pourquoi ces prompteurs sur grand écran accrochés au balcon qui éclairent la salle d’une lumière blafarde, alors qu’il ne les regarde pas et qu’il a déjà les textes sur un pupitre et sur une table? Il faudrait de toute évidence que ce spectacle soit vraiment mis en scène et que Jacques Weber soit dirigé, comme il l’était quand il jouait formidablement La Dernière Bande de Samuel Beckett (voir Le Théâtre du Blog) mis en scène par le grand Peter Stein.
A ces réserves près, vous pouvez aller au moins savourer ces textes mais nous l’avons quand même connu plus convaincant… Attention, ce n’est pas donné: il vous faudra débourser de 42, 50 € à 39, 20 € au parterre !
Philippe du Vignal
Jusqu’au 2 juillet, Théâtre Antoine, boulevard Sébastopol, Paris (Xème).