No way Veronica ou Nos Gars ont la pêche d’Armando Llamas, mise en scène de Jean Boillot
No way Veronica ou Nos Gars ont la pêche d’Armando Llamas, mise en scène de Jean Boillot
L’auteur hispano-argentin (1950-2003) serait heureux s’il voyait et entendait le sort réservé ici à cette «comédie misogyne» tirée du recueil 14 Pièces piégées, toutes d’une dinguerie où il dénonce la violence des fascismes et des intolérances humaines, No way Veronica met en scène la misogynie crasse d’une bande de machos reclus dans une station météorologique de l’Antarctique et qui entendent bien rester entre eux.
La pièce parodie The Thing, un film du réalisateur américain John Carpenter où un groupe de chercheurs américains est assailli par une effroyable chose extra-terrestre polymorphe. Les protagonistes sont des acteurs hollywoodiens ou de séries télévisées américaines plus ou moins oubliés.Veronica, leur bête noire est une «gonzesse» qui, sous les traits de Gina Lollobrigida, débarque par mer, par terre ou par les airs et dont ils se débarrassent sans vergogne.
Mais cette Veronica a plus d’un tour dans son sac et revient sous différentes formes (dont celle d’un chien). L’auteur réussit à faire un patchwork d’extraits de blockbusters, publicités, films pornos ou policiers, documentaires, bandes dessinées …mis en abyme dans une intrigue construite comme une suite de numéros de cabaret.
Jean Boillot recrée cette pièce pour la troisième fois. Après une première version, très courte, en 2003, en hommage à l‘auteur décédé cette année-là, il la monte cette fois en spectacle musical. Le compositeur David Jisse qui dirigea entre 1998 et 2013 La Muse en circuit-Centre National de Création Musicale, proposait une mise en son avec des instruments des années quatre-vingt. Pour cette version remixée, Hervé Rigaud, à la guitare sur scène, revisite les musiques de David Jisse dans le style pop-rock…
Dans le brouillard et le froid, la neige crisse sous les pas plus ou moins pesants et rapides des interprètes, relayés par les bruitages de Philippe Lardaux qui accompagnera de ses borborygmes et de son «looper» les aventures rocambolesques de « Nos gars ». Ils sont une dizaine dont Peter Falk, William Holden, Bob Hoskins, James Mason… Isabelle Ronayette avec une grande maîtrise et l’aide de pédales à distorsion, fait à elle seule toutes les voix, jusqu’à celle d’un pingouin-manchot et, bien sûr, celle de Veronica/Gina Lollobrigida! Jean-Christophe Quenon aux claviers analogiques “vintage“ se fait le narrateur bon enfant de cette épopée grotesque et hilarante.
Un festival de musiques, jeux de scène, mots d’auteur pétillants et provocations anticonformistes, parfois potaches! Le texte fleure bon la liberté de ton, face au politiquement correct qui censure aujourd’hui notre espace culturel. Ici, aucune vidéo : le son crée l’espace où s’impriment les images des acteurs en mouvement dans les lumières polaires d’Ivan Mathis. En costumes blancs raffinés, style bande dessinée d’Enki Bilal, tel un orchestre bien dirigé, ils font revivre la prose d’Armando Llamas, ce talentueux et érudit touche-à-tout qui voulait créer un « théâtre-Webern » , un « théâtre-Glenn Baxter » conjuguant jazz, musique atonale et pop-art…
Le spectacle se veut aussi être un hommage à David Jisse décédé l’an passé. Il avait écrit, à l’époque de la création: «Dès que j’ai vu ou plutôt entendu cette pièce, j’ai pensé à la radio avec ses bouts de ficelle sonores, ses vraies fausses portes qui n’ouvrent sur rien, si ce n’est sur le son d’une porte qui s’ouvre et qui se ferme.» Avec ce « théâtre sonique», Jean Boillot, ancien directeur du NEST à Thionville, devient artiste associé à Bords 2Scènes à Vitry-le-François, une Scène Conventionnée-Musiques actuelles et Arts de la scène, dirigée depuis 2019 par le musicien Laurent Sellier.
Dans cette ville de 12.000 habitants au bord de la Marne, ce lieu de création fait la part belle à la musique dans le spectacle. «La crise du Covid a été l’occasion de développer des projets, dit Laurent Sellier. Comme des formes de narration liées au numérique, notamment en collaboration avec une nouvelle formation à l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille autour de la notion d’ “acteur augmenté“.
Il va créer avec Jean Boillot un Nouveau Décaméron : un théâtre déambulatoire fondé sur la structure du célèbre recueil de nouvelles de Jean Boccace (1313-1375). Des histoires que l’écrivain florentin fait raconter au quotidien par une bande de jeunes gens, réfugiés à la campagne pour fuir la peste. Auteurs et musiciens seront sollicités pour nourrir ce projet.
En attendant, Bords2Scènes se prépare pour l’été avec un festival Ukulélé. « L’ukulélé fédère cirque, humour, théâtre, variété» dit Laurent Sellier. Il y aura aussi des balades dans la ville sous des parapluies sonores, un concert narratif sous casque… Et No Way Veronica est en route pour le festival d’Avignon, en espérant aller plus loin…
Mireille Davidovici
Spectacle vu en avant-première, le 21 juin, à Bords2Seine, Vitry-le-François (Marne). T. : 03 26 41 0010 www.bords2scènes.fr
Du 7 au 29 juillet, à 15 h 15, au Onze, 11 boulevard Raspail, Avignon (Vaucluse) T. : 04 84 51 20 10.
14 Pièces piégées et d’autres textes d’Armando Llamas sont publiées aux éditions Les Solitaires intempestifs.