Giacometti/Beckett, Rater encore, Rater mieux, Alberto Giacometti et l’Egypte antique

 Giacometti/Beckett, Rater encore, Rater mieux,

Alberto Giacometti et l’Egypte antique

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Amis depuis 1937, marchaient souvent ensemble dans Paris. Des principes artistiques communs ouvraient sur des intimités partagées et silencieuses. « J’ai réalisé que j’allais dans le sens de l’appauvrissement, de la soustraction, disait Samuel Beckett. Et « Le va-et-vient de la forme, selon Alberto Giacometti, était graduel et continu. Il effaçait une partie, la reconstruisait ».

Unknown-5Que gagne-t-on à retrancher ? On allège dans un mouvement de descendance. Le dépouillement ne se participe pas du néant mais vers un être minimum qui, chez ce grand sculpteur, remonte allégé: chute mince, remontée mince. Avec une modulation et grâce au torchis, Giacometti devient « égyptien ». 

Une ligne entre aussi dans des mouvements de descendance et ascendance : Ainsi dans Nuit et rêve, un film réalisé par Samuel Beckett en 1983 pour la télévision allemande, une table, une chaise « pèsent », plongent dans des volumes de pénombre qui tiennent lieu de sol et de mur. Dans le coin gauche de l’écran, un homme se tient assis, de profil, mains sur une table. Sa tête se relève et s’incline plusieurs fois selon un ligne pure qui résonne avec des variations de de lumière et d’ombre.Auparavant l’écrivain en 1981, toujours pour la télévision allemande, avait réalisé Quad où il rejoint ici l’idée du « plan fécond » selon Giacometti. Aux quatre interprètes qui devaient avoir « une expérience de la danse souhaitée », sont attribués des parcours sur les côtés et les diagonales d’un carré.
Chaque danseur parcourt donc en tout six côtés et diagonales selon une série précise déterminant l’ordre des successions : seul, en duo, en trio, à pas glissés. Quand deux ou quatre marcheurs se rencontrent au croisement des diagonales, ils s’évitent en se déhanchant légèrement, hiatus qui assure la continuité du mouvement et vide le centre.

Ce creux assure la profondeur maigre qui commence avec l’art égyptien. Souvent dans les romans de Samuel Beckett, la parole se dirige vers une affirmation ou une négation qui se détourne subitement. Elle esquive toute prise de position, tout terme final. Quad réinscrit ces hiatus dans des plans de cinéma. Dans ses romans, le langage de torsion en torsion trouve ses limites et sans parole, il esquive le cri. Entre les mots interrompus naissent autre chose que le langage : des points virtuels audio-visuels.

 Que rate-t-on ? Le néant ne relève pas d’un trait de la condition humaine. L’être premier rend impossible la pensée du néant, soit le nihilisme. Pour  évoquer ce néant, il faut s’emprisonner dans des à-priori que Nietzche met à jour dans La Généalogie de la morale : le ressentiment, la mauvaise conscience, la haine de la vie :tourner des forces contre soi-même, contre l’autre, paralyser la vie.

Avec le dépouillement, s’opère une libération de forces. De diminution en diminution, une ligne d’art se dirige vers un plan qui se tient sous la surabondance du monde et qui enveloppe un sol caché là où disparaissent les formes connues, là où apparait l’inconnu incarné.La soustraction graduée, à la fois retire et révèle en cédant la place à des lignes pures, vibrantes. Dans ses romans peuplés d’étincelles, il y a de nombreux événements lumineux, des points audio-visuels virtuels qui sont germes de ses films et des verticales chez Giacometti. Du sol (« la nature aime à se cacher » disait Héraclite) sortent chez lui des figures en filigrane, parcourues d’une multitude de de »touchers de terre ».  Toute sa vie Giacometti travaillera en regard de l’art égyptien. 

Notament entre 1933 et 1934, il s’inspira d’un lampe à huile en forme de lotus -une des pièces du tombeau de Toutankhamon- et en épure le dessin en supprimant le motif végétal. Il se situe dans le prolongement de la pensée égyptienne : « protéger l’essence extraite des apparences du changement, dit Gilles Deleuze. Comme les Egyptiens,Giacometti utilisera le socle rectangulaire supportant un buste mince comme celui dit Aménophis) (1954) et nous renvoie aux aplats des bas-reliefs.

L'arbre sculpté par Giacometti pour En attendant Godot

© x L’arbre sculpté par Giacometti pour En attendant Godot

 Gilles Deleuze dans son cours à l’Université de Vincennes-Saint-Denis en 98 remarquait que les artistes égyptiens prélèvent des essences sur les formes. Comment les protéger des fluctuations ? Par le contour ; « Sa loi, c’est la clôture, le contour » ce qui renvoie chez Giacometti avec sa série des Cages (1949,1950). Mais aussi à celle des cubes : CubeTête crâne (1934) et aux  figures hiératiques qui contiennent leur apparence. Notamment la tres belle et mince Femme qui marche (1932-1936): une ligne immobile qui se déplace.

Toujours selon le philosophe, l’art égyptien est essentiellement le bas-relief  dont « La forme et le fond doivent être de toute urgence également proches et proches à nous-mêmes. Formes et fonds sont sur le même plan. » Le contour, autonome, représente la limite commune de la forme et du fond sur un seul et même plan. Alberto Giacometti se situe sur cette ligne de travail : réduire au minimum la différences de plans. Paraît « la profondeur maigre »comme avec un buste mince sur socleFemme qui marche. Ses figures étirées associent la minceur de la verticalité et le profondeur du « toucher terrien » par le torchis. La matière remonte. Un peu de corps. Mortel-immortel.

Bernard Rémy

Giacometti/Beckett, Rater encore. Rater mieux, a eu lieu du 9 janvier au 8 juin
Alberto Giacometti et l’Egypte antique, du 22 juin au 10 octobre.

Institut Giacometti, 5 rue Victor Schœlcher, Paris (XIV ème).

 

 


Archive pour 29 juin, 2021

Giacometti/Beckett, Rater encore, Rater mieux, Alberto Giacometti et l’Egypte antique

 Giacometti/Beckett, Rater encore, Rater mieux,

Alberto Giacometti et l’Egypte antique

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Amis depuis 1937, marchaient souvent ensemble dans Paris. Des principes artistiques communs ouvraient sur des intimités partagées et silencieuses. « J’ai réalisé que j’allais dans le sens de l’appauvrissement, de la soustraction, disait Samuel Beckett. Et « Le va-et-vient de la forme, selon Alberto Giacometti, était graduel et continu. Il effaçait une partie, la reconstruisait ».

Unknown-5Que gagne-t-on à retrancher ? On allège dans un mouvement de descendance. Le dépouillement ne se participe pas du néant mais vers un être minimum qui, chez ce grand sculpteur, remonte allégé: chute mince, remontée mince. Avec une modulation et grâce au torchis, Giacometti devient « égyptien ». 

Une ligne entre aussi dans des mouvements de descendance et ascendance : Ainsi dans Nuit et rêve, un film réalisé par Samuel Beckett en 1983 pour la télévision allemande, une table, une chaise « pèsent », plongent dans des volumes de pénombre qui tiennent lieu de sol et de mur. Dans le coin gauche de l’écran, un homme se tient assis, de profil, mains sur une table. Sa tête se relève et s’incline plusieurs fois selon un ligne pure qui résonne avec des variations de de lumière et d’ombre.Auparavant l’écrivain en 1981, toujours pour la télévision allemande, avait réalisé Quad où il rejoint ici l’idée du « plan fécond » selon Giacometti. Aux quatre interprètes qui devaient avoir « une expérience de la danse souhaitée », sont attribués des parcours sur les côtés et les diagonales d’un carré.
Chaque danseur parcourt donc en tout six côtés et diagonales selon une série précise déterminant l’ordre des successions : seul, en duo, en trio, à pas glissés. Quand deux ou quatre marcheurs se rencontrent au croisement des diagonales, ils s’évitent en se déhanchant légèrement, hiatus qui assure la continuité du mouvement et vide le centre.

Ce creux assure la profondeur maigre qui commence avec l’art égyptien. Souvent dans les romans de Samuel Beckett, la parole se dirige vers une affirmation ou une négation qui se détourne subitement. Elle esquive toute prise de position, tout terme final. Quad réinscrit ces hiatus dans des plans de cinéma. Dans ses romans, le langage de torsion en torsion trouve ses limites et sans parole, il esquive le cri. Entre les mots interrompus naissent autre chose que le langage : des points virtuels audio-visuels.

 Que rate-t-on ? Le néant ne relève pas d’un trait de la condition humaine. L’être premier rend impossible la pensée du néant, soit le nihilisme. Pour  évoquer ce néant, il faut s’emprisonner dans des à-priori que Nietzche met à jour dans La Généalogie de la morale : le ressentiment, la mauvaise conscience, la haine de la vie :tourner des forces contre soi-même, contre l’autre, paralyser la vie.

Avec le dépouillement, s’opère une libération de forces. De diminution en diminution, une ligne d’art se dirige vers un plan qui se tient sous la surabondance du monde et qui enveloppe un sol caché là où disparaissent les formes connues, là où apparait l’inconnu incarné.La soustraction graduée, à la fois retire et révèle en cédant la place à des lignes pures, vibrantes. Dans ses romans peuplés d’étincelles, il y a de nombreux événements lumineux, des points audio-visuels virtuels qui sont germes de ses films et des verticales chez Giacometti. Du sol (« la nature aime à se cacher » disait Héraclite) sortent chez lui des figures en filigrane, parcourues d’une multitude de de »touchers de terre ».  Toute sa vie Giacometti travaillera en regard de l’art égyptien. 

Notament entre 1933 et 1934, il s’inspira d’un lampe à huile en forme de lotus -une des pièces du tombeau de Toutankhamon- et en épure le dessin en supprimant le motif végétal. Il se situe dans le prolongement de la pensée égyptienne : « protéger l’essence extraite des apparences du changement, dit Gilles Deleuze. Comme les Egyptiens,Giacometti utilisera le socle rectangulaire supportant un buste mince comme celui dit Aménophis) (1954) et nous renvoie aux aplats des bas-reliefs.

L'arbre sculpté par Giacometti pour En attendant Godot

© x L’arbre sculpté par Giacometti pour En attendant Godot

 Gilles Deleuze dans son cours à l’Université de Vincennes-Saint-Denis en 98 remarquait que les artistes égyptiens prélèvent des essences sur les formes. Comment les protéger des fluctuations ? Par le contour ; « Sa loi, c’est la clôture, le contour » ce qui renvoie chez Giacometti avec sa série des Cages (1949,1950). Mais aussi à celle des cubes : CubeTête crâne (1934) et aux  figures hiératiques qui contiennent leur apparence. Notamment la tres belle et mince Femme qui marche (1932-1936): une ligne immobile qui se déplace.

Toujours selon le philosophe, l’art égyptien est essentiellement le bas-relief  dont « La forme et le fond doivent être de toute urgence également proches et proches à nous-mêmes. Formes et fonds sont sur le même plan. » Le contour, autonome, représente la limite commune de la forme et du fond sur un seul et même plan. Alberto Giacometti se situe sur cette ligne de travail : réduire au minimum la différences de plans. Paraît « la profondeur maigre »comme avec un buste mince sur socleFemme qui marche. Ses figures étirées associent la minceur de la verticalité et le profondeur du « toucher terrien » par le torchis. La matière remonte. Un peu de corps. Mortel-immortel.

Bernard Rémy

Giacometti/Beckett, Rater encore. Rater mieux, a eu lieu du 9 janvier au 8 juin
Alberto Giacometti et l’Egypte antique, du 22 juin au 10 octobre.

Institut Giacometti, 5 rue Victor Schœlcher, Paris (XIV ème).

 

 

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